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12 avril 2022 2 12 /04 /avril /2022 09:41

Enfin... timide retour:  le vrai, celui qui signifie des publications assez régulières et consacrées à des livres, des spectacles ou des expositions, s'est amorcé il y aura bientôt un an sur k-libre. Il s'est interrompu depuis plus d'un mois, les ouvrages lus et copieusement annotés se sont accumulés sans que rien n'en sorte qui soit lisible et voilà qu'aujourd'hui, il se réamorce, mû par une renaissance du désir de partager mes découvertes, mes coups de cœur (ou de gueule, selon les cas...). Il y a eu bien sûr un élément déclencheur, et il est théâtral - voici quelques jours à peine j'étais informée de cet événement où convergent mon goût pour la littérature policière, spécialité k-libriste, et mon amour du théâtre... en voici donc les grandes lignes en avant-première, en attendant qu'une publication sur k-libre lui assure une diffusion optimale...

 

Du vendredi 22 au dimanche 24 avril 2022, ce théâtre parisien se met au noir dans les grandes largeurs... Théâtralement bien sûr avec deux pièces so british: Un visiteur inattendu d'Agatha Christie, et Diptyque, d'Andrew Payne. Mais pas seulement: seront aussi de la partie un jeu d'enquête, un débat entre Sophie de Mijolla-Mellor, autrice de Un divan pour Agatha Christie, et Philippe Brenot, médecin psychiatre, un lunch à déguster pendant que des comédiens rendront voix aux échanges entre François Truffaut et Alfred Hichcock*, une enquête interactive et, clou du week-end, une nuit blanche à traverser en salle obscure au fil de quatre films noirs majeurs dans leur genre. Ces trois journées ont pu être organisées grâce au partenariat de la BiLiPo (qui a prêté au théâtre quelques bijoux de sa collection à fin d'exposition), du Musée de la préfecture de police de Paris, du bar à jeux Les mauvais joueurs (46, rue Sedaine dans le 11e arrondissement de Paris, doublé d'une boutique, au n° 63 de la même rue), de la Cinémathèque française et du Forum des images.

Et maintenant les détails de la programmation.

Vendredi 22 avril
19 h 30 - Un visiteur inattendu, d'Agatha Christie (version française: Sylvie Perez et Gérald Sibleyras; mise en scène: Frédérique Lazarini). Durée: 1h30.
22 heures jusqu'à l'aube - Nuit du polar. 22 heures: Le Faucon maltais (1943; John Huston) ; 0 heures: Le Samouraï (1967; Jean-Pierre Melville) ; 2 heures: Little Odessa (1995; James Gray) ; 4 heures: Memories of Murder (2003; Bong Joon-Ho). Plein tarif: 20 € ; tarif réduit:15 € ; pour un seul film: 7 €.

Samedi 23 avril
15 heures - Diptyque, d'Andrew Payne (traduction et interprétation: Robert Plagnol ; mise en scène: Patrice Kerbrat). Durée : 1h10.
17 heures et 20 h 30 - Un visiteur inattendu, d'A. Christie.
18 h 45 - Débat entre le psychiatre Philippe Brenot et la psychanalyste Sophie de Mijolla-Mellor qui a publié Un divan pour Agatha Christie (Esprit du temps, 2020).
De 15 h 30 à 19 heures - ouverture d'un espace en accès libre, en partenariat avec le bar Les mauvais joueurs, pour s'essayer à divers jeux.

Dimanche 24 avril
12 heures - lunch aux saveurs cinématographiques. Les mets seront dégustés sur fond de dialogue Hitchcock/Truffaut. Durée: environ deux heures. Tarif: 20 € par personne. Réservation indispensable - et possible jusqu'au 23 avril.
14 heures - Gilles Reix, ancien policier du Département technique et scientifique, propose au public une enquête interactive sur une scène de crime (enquête et scène de crime toutes deux fictives!).
15 heures - Un visiteur inattendu, d'A. Christie.
17 h 10 et 18 h 15 - Diptyque, d'A. Payne.

Et en toile de fond à ces réjouissances, visible pendant tout le week-end, une exposition de quelques trésors prêtés par la BiLiPo.

Pour les représentations théâtrales, il est indispensable de réserver, soit en ligne soit par téléphone au 01 43 56 38 32.

* Pendant une semaine, durant l'été 1962, Hitchcock a accordé une série d'entretiens à François Truffaut; il est est résulté un livre paru en 1966 aux éditions Robert Laffont. Il subsiste également cinquante-deux bobines audio de 30 minutes chacune, retrouvées en 1992 par le critique Serge Toubiana, alors qu'il travaillait sur les archives de François Truffaut.

Théâtre Artistic Athévains
45 Rue Richard Lenoir
75011 Paris
Courriel: aatheatre@gmail.com

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10 mai 2020 7 10 /05 /mai /2020 18:07

Le 10 mai 1981, 20 heures...

Le résultat du second tour de l'élection présidentielle tombe - François Mitterrand est élu. A peine l'annonce faite qu'en peu de temps une foule en liesse envahit la place de la Bastille et laissera éclater sa joie une bonne partie de la nuit. Il n'y avait pas alors de «réseaux sociaux» ni d’applications pour inviter ses «amis» ou ses «followers» à converger en un lieu et une heure donnés le temps d’un clic et pourtant: spontanément, sans s’être le moins du monde concertés, des milliers gens se sont retrouvés ensemble, pour faire la fête et le lendemain, Libération sortait en kiosque parfumé à la rose. Le parfum d’une indéniable euphorie… Je n’avais pas pu voter – je n’avais à l’époque que 17 ans – et n’avais pas grande conscience politique mais enfin, j’étais dans le camp des joyeux.

Trente-neuf ans plus tard, pas la moindre trace de joie alors qu’en toute logique, puisque nous sommes sur le point de renouer avec quelques-unes des libertés que l’on nous confisque depuis deux mois – ô de toutes petites plages de liberté, dont les arpents ont été mesurés avec une parcimonie de ladre – nous devrions, comme les fêtards de 1981, célébrer cela à grand bruit. Oui mais voilà: ce ne sont pas seulement les libertés individuelles de déplacement et de rencontre qui ont été supprimées mais la possibilité de se rassembler. Le rassemblement, à petite ou grande échelle, ce mouvement spontané de toute communauté humaine pour célébrer, commémorer, protester, manifester, fêter… en d'autres termes pour éprouver les choses en présence les uns des autres dans une vive circulation d'émotions (cet «en-présence» que ne remplacera jamais rien de virtuel, contrairement à ce que d'aucuns voudraient tant nous faire croire en promouvant éhontément le «digital» et le «en-ligne»). Le rassemblement donc qui soude, qui permet de faire front… voilà ce que l’on a interdit depuis deux mois et que l’on va continuer à interdire «jusqu’à nouvel ordre» – et puisqu’on est en état d’urgence le «nouvel ordre» risque bien de traîner encore longtemps. Avec cet interdit, d'autant plus glaçant qu'il frappe jusqu'au plus intime de la vie puisqu'à l'échelle familiale il est aussi interdit de se réunir à plus de dix (et l'on sait ce que cela a de réconfortant de se retrouver les uns près des autres), c’est le ciment même du groupe humain que l’on attaque à l’acide, que l'on corrode au vitriol des «décrets» et des «consignes». Il est peut-être justifié sanitairement d'interdire les rassemblements mais si au moins on faisait état des effets délétères de l'interdiction; si l'on s'attachait à évoquer les violences symboliques qu'elle inflige, les coercitions prendraient, je crois, un sens quelque peu différent – ou seraient vécues différemment. Mais l'on se contente de décréter, d'asséner, de seriner... et de punir quiconque ne plie pas.

Et l'on achève de détruire un tissu social déjà en lambeaux, avec l'aide de ceux dont on attendrait qu’ils soulignent combien cet interdit pesant sur les rassemblements est nuisible: les artistes qui à leur façon, par des chansons, des dessins, des émissions télévisées ou via Internet, relaient les fameuses «consignes» dont par ailleurs on nous rebat les oreilles par les canaux officiels. S’ils se posaient en messagers des autorités, soit, ils seraient dans leur mission, mais ils prétendent nous distraire! Distraire, si je ne m’abuse, cela signifie «détourner une personne de son occupation principale», «attirer ailleurs son attention» et, s’agissant d’un objet, le mot devient synonyme de «subtiliser». Or nous amènent-ils ailleurs quand, dans leurs interventions et à travers leurs œuvres, ils ne cessent de nous rappeler où nous sommes, ce à quoi nous sommes astreints, ce à quoi nous devons obéir «pour la santé de tous» en soulignant eux-mêmes d’où ils parlent, et combien ils sont obéissants? Je pense à ces dessins qui se multiplient où l’on voit des personnages portant «le masque», à ces «chansons du confinement»… J’attendrais d’une distraction qu’elle m’aide à dépasser mon quotidien, qu’elle m’apporte du rêve, m’ouvre des horizons insoupçonnés… pas qu’elle m’aplatisse encore davantage dans le lieu où je suis mise à l’écrou. Pour ma distraction, je compte sur d'autres ressources: des livres papier, par exemple, de vielles éditions d'auteurs non contemporains (des trésors tenus au chaud dans ma bibliothèque).

J’avais ce soir pour première intention de m’attaquer à quelques-unes de ces impostures évoquées il y a deux jours. Et bien que j’aie un peu glissé par là sur la fin, c’est la nostalgie qui m’a d’abord entraînée. Non pas une nostalgie politique: je ne me suis jamais sentie «socialiste» ni de près ni de loin*. Mais je sais que le 10 mai 1981 il y a eu de la joie dans l’air et que j'étais dans le camp des joyeux. Des heureux qui croyaient aux lendemains qui chantent. Aujourd’hui plus de joie du tout. Les fleurements de rose se sont irrémédiablement altérés, dominent désormais les notes putrides qu’exhalent les fleurs mortes piétinées dans la boue – les éclats de rire ensevelis sous les pelletées de «décrets» et de «consignes».

* En effet, je ne me suis jamais «sentie socialiste» mais, que les choses soient claires: non pas par rejet de cette sensibilité-là mais parce que m'inscrire dans un courant politique particulier ne m'a jamais vraiment souciée. A 17 ans l'orientation politique ne m'intéressait pas assez pour que je songe à m'encarter, et maintenant que la question des idéologies au contraire me touche suffisamment pour que je saisisse toutes les occasions de me documenter, aucune de celles dont j'acquiers quelque aperçu ne suscite mon adhésion sans réserve: toujours une faille, une aporie me heurte qui fait obstacle. Subsistent toutefois certaines extrêmes, que je persiste à exécrer viscéralement, où pas une fissure ne vient tempérer mon exécration. Mais, ces précisions données, je constate tout de même que mes inclinations vont en général aux gens sinon «de gauche» du moins assez distanciés des idéologies pour avoir à leur propos une hauteur de vue éclairante dont la lumière m'édifie. Sans que je le veuille ou le cherche mais, simplement, par «disposition naturelle» dirait-on.

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8 mai 2020 5 08 /05 /mai /2020 13:45

... fallait que ça sorte. Allons-y.
On célèbre aujourd’hui le 8 mai 1945. Une victoire dont il faudrait se rappeler qu’elle ne serait sans doute pas advenue s’il n’y avait eu dès 1939 des Résistants. Ironique quand, aujourd’hui, il ne semble pas y avoir beaucoup de «résistants» – à la surinformation valant désinformation, à la déshumanisation croissante, à l’hyper-financiarisation du monde, au mépris généralisé pour tout ce qui n’est pas matériel, aux contraintes de plus en plus étouffantes ourdies pour nous jeter dans un système ultra-numérisé auquel il deviendra, progressivement, impossible de se soustraire, aux mille petites coercitions qui insidieusement et sans que l’on s’en rende trop compte instaurent millimètre par millimètre une dictature d’autant plus terrifiante que, s’exerçant au nom de «la protection de tous et de chacun», elle coupe court à toute contestation et devient même désirable (comment un être humain normalement constitué pourrait-il délibérément refuser d’être «protégé»? l’on a si soif de «protection» que l’on est prêt à tout lui sacrifier ou presque – sa liberté, sa faculté de jugement, son esprit critique…).

Depuis le 16 mars on nage dans l’imposture («Mais il y a beau temps que l’on vit dans un monde de simulacres et de faux-semblants», m’objectera-t-on… certes mais je n’en avais pas vraiment conscience, et c’est à la faveur des «circonstances exceptionnelles» que l’on nous fait vivre – et non pas que l’on vit car cette exceptionnalité doit beaucoup à nos dirigeants – que cet état de fait me saute aux yeux, à la gorge, et m’étouffe d’indignation…), l’hypocrisie, la terrification permanente, et tout cela avec la complicité de «scientifiques» qui, réunis en «comité» aux côtés du gouvernement, appuient celui-ci dans ses décisions… les «scientifiques»! Avec pareille caution, l’entreprise menée de main de maître pour plier les échines et les volontés sous le joug de la peur se parachève, colmatée par cette aura d’incontestabilité dont «la science» jouit dans à peu près tous les esprits. «Infectiologue» par-ci, « sociologue » par-là… tous pressés d'énoncer des taux, des pourcentages, des moyennes pour faire tenir le monde dans des listes de chiffres, sans oublier les psys de service qui y vont de leur laïus sur la «résilience» et les «substituts» à mettre en œuvre (que d’escroqueries intellectuelles là-dedans!) pour compenser les impossibilités que nous concocte l’exécutif à coups de décrets dont certains, grâce à l’état d’urgence, peuvent pousser dans la nuit, tels les champignons après une bonne pluie d’été. Depuis le 16 mars, ces décrets se sont multipliés et avec eux les projets de loi. On les évoque avant leur promulgation, on lâche des ouï-dire «de source proche de l’Élysée (ou de Matignon)» avant que les officiels prennent la parole pour mieux alimenter les incertitudes, les angoisses, les polémiques stériles… De la sorte on suscite les questions ineptes, alimentées par des flots incessants d’informations parcellaires, contradictoires, jetées en pâture pour aussitôt être démenties. Ce ne sont pas là des «cafouillages» - que nos «opposants» dénoncent avec une gourmandise et une emphase  assez grotesques, par là même s’engouffrant dans la brèche taillée juste à leur intention, comme un taureau fonçant sur la muleta – mais bien plutôt des techniques de communication soigneusement calculées pour étourdir le public et le maintenir dans un inconfort mental tel qu’il n’est plus possible à quiconque de penser un tant soit peu en profondeur.

À ces cafouillages délibérés s’ajoutent mille autres techniques de «communication» qui oblitèrent totalement la faculté du citoyen moyen de s’interroger: ne traiter que des deux «c.» du moment et à profusion (ainsi est-ce à la faveur d’une balade sur le site de la BBC que j’ai appris qu’un incendie monstrueux ravageait un parc naturel en Pologne; pas un mot sur les médias «officiels» où l’on prend soin par contre de nous abreuver d’anecdotes édifiantes, véhiculant toutes de manière plus ou moins larvée la même invitation à «respecter les consignes»); asséner à longueur de journée des injonctions répétées, via des «annonces», des incrustations en coin d’écran lorsqu’on allume son téléviseur, des affiches, etc.; décompter chaque jour le nombre de morts du virus, comme si depuis le 16 mars on ne mourrait plus que du Covid – et comme s’il était le premier et le seul agent pathogène à mettre les vies humaines en danger (quid des salmonelles, des staphylocoques dorés, des saletés qui causent les infections nosocomiales? et qu’en sera-t-il demain des virus et bactéries inconnus qui dorment depuis des millénaires dans le permafrost et vont se libérer au fur et à mesure du réchauffement planétaire?) Il n’y a plus aujourd’hui que le Covid, et seulement le Covid. Un virus très contagieux mais dont il a été dit qu’il causait une maladie «bénigne dans 80% des cas» - cela a été dit, mais à ma connaissance jamais répété et jamais démenti non plus: on ne dément pas parce que ce doit être vrai, mais on ne le répète pas parce que ça risquerait d’amoindrir la peur… une peur dont un «scientifique» a écrit que c’était «une bonne peur, une peur qui protège». Une bonne peur??? Quand elle conduit à des réactions comme celle de cette mère qui, ne se sachant pourtant pas malade, disait ne plus oser «faire des bisous» à ses enfants – mais des enfants avec lesquels elle est confinée, donc en promiscuité quasi continuelle…

Cette peur qui amène à des réactions, à des comportements complètement irrationnels n’est certainement pas une bonne peur… Elle est en revanche une peur très utile aux gouvernements [j’emploie le pluriel à dessein car le gouvernement français n’est évidemment pas le seul en cause: c’est à l’échelle mondiale que tout se joue, et je ne puis m’empêcher de constater, avec une immense amertume (plutôt un profond dégout), qu’en quelques semaines à peine presque tous les pays se sont accordés pour assigner les populations à résidence et pondre des décrets liberticides alors qu’en plus de vingt ans, il n’y a jamais eu la moindre entente, fût-ce a minima, pour limiter l’exploitation des énergies fossiles, les pollutions et autres actes destructeurs de l’environnement (cf. la formidable mascarade des COP)] pour soumettre les citoyens à leurs diktats sans que lesdits citoyens songent à se rebeller. Des populations terrifiées acceptent tout et n’importe quoi, même les lois les plus coercitives et contre lesquelles beaucoup jusqu'alors se dressaient (tel le traquage numérique): voilà pourquoi les gouvernements ont tant à cœur de maintenir vives et ardentes les angoisses, en prenant appui sur ce virus décidément bien opportun qui a eu la bonne idée de se manifester au moment où il devenait urgent de réduire au silence les contestations en tout genre qui se levaient un peu partout (indépendantistes hongkongais, démocrates algériens, écologistes ici, animalistes là, anti-vaccins ailleurs…). Peut-être y a-t-il une «situation sanitaire» inédite – il ne s’agit d’ailleurs pas et j'y insiste de la mettre en doute: il faudrait pour cela avoir 1) des connaissances médicales ce dont je suis dépourvue; 2) disposer d’informations incontestables et là encore j’en suis dépourvue: l’incontestabilité n’est certainement pas la qualité première des informations distillées par les médias, a fortiori, paradoxalement, quand ils se posent en chasseurs d’infox – mais il y a surtout l’utilisation qu’en font les gouvernements: en son nom, on achève de broyer l’esprit critique (qui était déjà en état de quasi extinction avant le Covid) en réduisant les gens à ne plus fonctionner qu’en survivalistes (comment faire autrement quand les actes les plus élémentaires de la vie quotidienne se muent en parcours du combattant?); on justifie des mesures déshumanisantes qui doivent en plonger beaucoup dans la détresse (en donner la liste serait fastidieux mais je n’y renonce pas tout à fait… un jour peut-être…); on entretient des incertitudes qui désorientent…

Il faudrait égrener ici tout ce qui devrait, si l’on n’avait pas en haut lieu si bien serré l’étau de la terreur virale, soulever sinon des insurrections en chaîne du moins des tempêtes de protestations. Peut-être m’y lancerai-je un jour mais, là, il me fallait juste évacuer un peu de colère et ce besoin d’évacuation n’est pas vraiment compatible avec le déploiement d’une pensée à peu près argumentée, qui fouaille en eaux profondes et s’expose avec assez de distance pour qu’entre les lignes puisse sourdre ce soupçon d’humour sans lequel une pensée… manque de sel.

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5 décembre 2016 1 05 /12 /décembre /2016 19:43

Le fil enfile, le temps faufile - ainsi s'intitule l'exposition que Marie-Annick Jagu propose en ce moment* au centre Partis Anim' Rébeval. Elle y présente ses dernières créations textiles, accompagnées de pièces plus anciennes que j'avais déjà pu apprécier voici un an quand elle les avait exposées à la bibliothèque du 7e arrondissement et de quelques œuvres sur papier puisées loin en amont dans ses cartons, bien antérieures à ses premières explorations sur tissus. Une indéniable continuité se perçoit: le lien se voit, se sent «le fil» est là dans la conception même de l'exposition autant que dans le titre dont il serait d'ailleurs faux de croire qu'il ne dénote que le matériau principal assujetti au geste créateur s'accomplissant dans la durée, dans la lenteur aussi est-il dit de la broderie.

Les pièces exposées sont nées d’étoffes variées – imprimées ou unies, défraîchies ou pimpantes encore, en lés ou en morceaux laissant deviner quel usage les a d’abord requises, velours, voilages, cotonnades, toiles d’ameublement… ‒ qu’elle a récupérées dans ses armoires ou que des amis lui ont données. Sans étude préparatoire, sans esquisse ni croquis préalables mais selon un sens plastique très sûr, les textiles sont découpés, ajourés, décolorés, teints, peints, grattés, effilés, déchirés, brodés, assemblés, rehaussés de motifs au crochet ou au macramé… Les tissus ne sont pas, comme en haute couture, travaillés pour être en eux-mêmes sublimés et conduits à parler le degré le plus raffiné de leur idiome: ils sont appréhendés comme des matériaux de base dont il faut plier le langage au discours que l’artiste veut tenir – entre les doigts de Marie-Annick, ces tissus que l’on a démis de leur fonction initiale ont dû, pour accéder à celle qu’elle a décidé de leur assigner, apprendre sa langue, son vocabulaire gestuel et chromatique – afin que, une fois achevée, l’œuvre soit l’histoire qu’elle avait en tête et dont les titres inscrits sur les cartels donnent une sorte de résumé. Cette acuité particulière qu’a Marie-Annick pour percevoir autour d’elle et, a fortiori, dans les matériaux dont elle se sert pour créer, les rapports se nouant entre les formes, les lignes, les couleurs, les volumes, les arêtes et les creux, les pleins et les vides, est au service d’une intention en perpétuelle émergence: «Je ne prépare rien, je suis uniquement dans l’instant présent et, au moment où je décide de faire tel geste je ne sais pas du tout ce que je ferai après…», m’a-t-elle dit un jour en substance quand je lui demandais si elle dessinait d’abord ses pièces avant de les réaliser.

Parmi toutes ces «œuvres de cimaise» un manteau, identifié comme elles par un cartel indiquant son titre ‒ Prunus en fleur, me semble-t-il. Un vêtement que Marie-Annick a entièrement conçu, depuis la coupe, atypique, jusqu'aux ultimes finitions, un vêtement composé de plusieurs tissus dont chacun, doublure comprise, a une histoire qui la touche de près, m'a-t-elle dit... Techniques diverses, textiles divers, florilège d'histoires et, au bout du compte, un Tout: un vêtement-récit, et qui peut aussi se regarder comme la synthèse des axes de recherche, plastiques, thématiques, graphiques… qui ont orienté le travail de Marie-Annick au gré des années, tant dans ses cours que dans ses créations personnelles: l’être humain corps et visage (créer un vêtement, n'est-ce pas dire le corps sans le désigner?), le mouvement, les épaisseurs narratives qui adhèrent au déjà-utilisé, les mots dont on fait les histoires – et qui souvent sont convoqués pour étoffer ce que l'on aura exprimé par le dessin.

 

De plus en plus de récit à l'entour de la réalisation plastique – à partir d'elle mais en elle aussi, et même la fondant, la structurant… rien d’étonnant à ce que Marie-Annick en soit venue, pour créer, à s’emparer des tissus et à retrouver, doublant ceux de l’artiste peintre, les gestes de la brodeuse: texte et tissu ayant une origine étymologique commune (le verbe latin texere, «tisser»), les transfusions du champ de l’écrit à celui du textile sont innombrables, et donc d’une formidable fécondité artistique.
 «Fil» est un mot dont notre langue joue de mille manières: il se… faufile dans une multitude d’expressions, plus ou moins figurées, plus ou moins symboliques… On le suit, le perd, le rompt, le reprend… qu’il s’agisse de celui de la conversation, de ses pensées, de la vie – venu tout droit de la quenouille des Parques, celui-là – ou bien, moins fragile, de celui de la lame, de l’épée, du rasoir…  ce n’est pas à proprement parler de la polysémie car toujours «fil» renvoie à une même idée de ténuité, d’extrême finesse mais plutôt d’une omniprésence, d’une évidence référentielle qui prolifère tous azimuts, tandis que l' «objet-fil», lui, demeure presque insaisissable. Marie-Annick est parvenue à fixer une bonne part de ces exubérances signifiantes dans ses créations textiles, tout en faisant de chacune d'elles, à ce que j'ai compris, une page autobiographique – mais toutes gardent sens même si l'on ignore les histoires qui les sous-tendent, et demeurent de merveilleuse pièces plastiques autour desquelles on peut rêver à son gré.

* Les œuvres de Marie-Annick Jagu sont à voir jusqu'au 16 décembre 2016 au centre Paris Anim Rébeval, 36 rue Rébeval dans le 19e.
Tél.: 01 53 38 90 65.
Site internet: suivre ce lien.

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12 janvier 2015 1 12 /01 /janvier /2015 18:25
Ne pas baisser les arts...

Noir au cœur et noir à l'âme depuis le 7 janvier. Mais les plus endeuillés continuent, les autres, aussi. Dont les artistes. Parmi eux, Marie-Annick Jagu, peintre... et professeur. Elle venait de diffuser son programme pour le premier semestre 2015 peu avant l'attentat. Un courriel reçu dimanche a confirmé ses cours pour la semaine du 12 au 17 janvier:

Mercredi 14:
Séance au Louvre de 18 heures à 20 heures. Exposition «Voyages Philippe Djian» (visible jusqu'au 23 février), entrée Sully, 2e étage, salles 20-23.. Deux heures pour traiter un sujet lié à cet accrochage avec carnets de croquis et crayons, boîtes de couleurs... et échanger ensuite autour de ce que l'on a fait, observé, aimé ou détester...

Jeudi 15
Ce sera le «jour du flâneur»: en adoptant son rythme comme elle le propose, celui d’une marche tranquille, l’esprit ouvert aux quatre vents de l’inattendu mais attentif tout de même et prêt à s’arrêter sur ce qui fait saillie ou qu’un guide lui tendra en pâture, Marie-Annick invite les passionnés de peinture, même si eux-mêmes ne peignent ni ne dessinent, à lui emboîter le pas dès 14h30 rue de Seine, jusqu’au n° 29, où se trouve la galerie Berthet-Aittouatès. Là est exposé, jusqu’au 14 février, un ensemble d’œuvres de Jean-Pierre Schneider,: «Le Bliaud de la reine et autres peintures». À lire ce que l’artiste écrit ici de son travail, entre corps et matière, déplacements/mouvements de motifs et rapports avec la surface (la peau du tableau) et à voir la superbe présentation qui en est faite en ligne, sous forme de glissés d’images, et sachant combien Marie-Annick réfléchit aux problématiques du corps en arts plastiques, qu’elle s’est penchée de près sur la question du nu pictural et que le rapport dessin/mouvement la passionne je sais que rencontrer ces œuvres en sa compagnie sera une expérience rare et hors de toute ornière. Quelques souvenirs bien ancrés dans ma mémoire de conversations diverses me le soufflent...

Samedi 17
Ce sera une nouvelle «journée totale», avec travail sur le motif le matin dans un musée et prolongation après le déjeuner à l'atelier Grenelle, soit en reprenant les esquisses du matin pour aboutir à une création achevée, soit en empruntant une voie propre à la séance d’atelier mais en contigüité avec ce qui aura été expérimenté précédemment. Pour cette première «journée totale» de l'année, le rendez-vous est fixé à 10 heures au musée d’Art moderne de la ville de Paris, dans la salle des peintures de Robert Delaunay et Gleizes. Selon le sujet que proposera Marie-Annick et si sa leçon en laisse le loisir, peut-être qu’aller faire un pas de côté vers l’exposition «Sonia Delaunay, les couleurs de l’abstraction», qui est visible jusqu’au 22 février, nourrira la réflexion plastique des élèves qui suivront le cours?

LES LIEUX
Galerie Berthet-Aittouatès
29 rue de Seine
75006 Paris
Tél: 01 43 26 53 09

Musée d'Art moderne de la ville de Paris
11, avenue du président Wilson
75116 Paris
Tél: 01 53 67 40 00

Atelier Grenelle
7 rue Ernest Psichari
75007 Paris

Pour des renseignements plus précis, et connaître les tarifs, contacter Marie-Annick au 06.85.67.25.44. Sans oublier de visiter son blog, par ici...

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9 septembre 2012 7 09 /09 /septembre /2012 17:07

Depuis juin cela couvait. Un magma bouillonnait en moi sans trouver de cheminée par où s'écouler depuis ces jours de juin au cours desquels j'ai lu, presque à la file, deux textes de Richard Millet, Intérieur avec deux femmes, et De l'antiracisme comme terreur littéraire.

Il me faut tout d'abord confesser qu'avant d'être confrontée à ces textes je ne savais pas qui était Richard Millet – je me rappelais juste avoir croisé son nom au détour d'une lettre d'information de prixlitteraires.net annonçant qu'il avait reçu le prix des Impertinents 2011 pour Fatigue du sens. Je me souvenais aussi qu'alors le titre m'avait assez agréablement chatouillée car j'ai tendance à penser que l'on baigne dans une espèce de n'importe-quoi généralisé qui, par exemple dans le domaine artistique, fait se pâmer de beaux esprits devant des étrons soigneusement emballés dans des discours spécieux les érigeant en "œuvres d'art", et crier au génie dès qu'une création, quelle qu'elle soit, s'avère parfaitement hermétique – "C’est conceptuel, voyez-vous… Comme c’est profond, comme c’est grand… Abyssal!!" (id est: "extraordinairement génial"). C’est en effet comme si la signifiance, trop lasse, s’en était allée se cacher pour mourir…

 

Comment en serait-il autrement quand les mots eux-mêmes sont vidés de leur capacité à signifier par des usages abusifs – lorsqu’on qualifie de "tueries" ou de "massacres" des affrontements occasionnant deux ou trois victimes, comment doit-on évoquer ceux qui se soldent par des centaines voire des milliers de morts? Je ne crois pas que le lexique français courant offre rien qui aille, en termes d'ampleur et de gravité, au-delà du "massacre". On peut tenter le "bain de sang", ou encore l’"hécatombe"… mais ces mots restent d’une intensité similaires à ceux que l’usage a épuisés… Cinq morts ou plusieurs centaines, cela n’est évidemment pas pareil. Pourtant les discours ambiants se tiennent "comme si".

Bref: ayant supposé que Fatigue du sens abordait ce type de problématique, je m’étais intéressée au livre. Mais la lecture de sa présentation m’avait vite douchée: j’y avais senti le vilain parfum d’un nationalisme peu ragoutant – je veux dire: qui ne me ragoute pas – et avais aussitôt renoncé à le lire. Richard Millet fut relégué au fin fond de ma mémoire, suffisamment loin pour que j'aborde sans aucune prévention ces deux textes.

 

Dès les premières pages d'Intérieur avec deux femmes les remugles qui m’avaient effleuré les narines quand j’avais survolé la présentation de Fatigue du sens me revenaient à la figure par larges bouffées pour continuer de m'incommoder, et me poursuivre bien après que j'eus franchi le point final – et spermatique – de ce "récit". Ce malaise qui le prend dans une gare de R.E.R parce qu'en début d'après-midi, il constate qu'il est entouré de voyageurs à l'épiderme trop foncé à son goût; sa vision des Roms – il a toujours été, écrit-il, fasciné par la laideur de cette ethnie… Que l'on se sente incommodé des bavardages à voix excessivement hautes dans un espace public confiné, que l'on réagisse vigoureusement à des postures, des paroles agressives, à des impolitesses, des actes violents, de vandalisme ou de délinquance, soit. Mais que l'on puisse être gêné aux entournures par une couleur de peau, non, cela dépasse mon entendement. Et je ne comprends pas davantage que l'on soit capable de réduire un groupe humain à une appréciation esthétique, beauté ou laideur. Cela m’a révoltée, et dans la suite du livre les motifs d’indignation ont continué de pleuvoir – par exemple sa répulsion obsessionnelle pour les mosquées s’élevant depuis peu dans les cieux européens ou encore son ennuyeuse complaisance à se présenter comme un "écrivain infréquentable" (mais il publie beaucoup, et chez plusieurs éditeurs… il est plutôt bien reçu pour un "infréquentable). Je n’avais pas fini de bouillir que son pamphlet tirant à boulets ardents sur l’antiracisme et le multiculturalisme accroissait ma colère.

 

Cependant ces réactions restaient confuses; violentes mais confuses, et je ne parvenais pas à aller jusqu'au bout de cette colère, à la verbaliser. Quelque chose se dérobait; je me rendais compte que "ça n'allait pas", que la lettre des textes, leur premier degré si l'on veut, m’entraînait sur un terrain d’indignation qui n’était pas le bon… sans me donner d’autre prise que cette lettre-là pour réagir. Ainsi m’était-il impossible de ne pas m’insurger contre son aspiration à préserver une "pureté culturelle" – selon moi cette idée même de "pureté culturelle" est un non-sens puisque, s’il existe bien des cultures singulières qu’il faut évidemment respecter, chacune de ces singularités a l’épaisseur diachronique d’une Histoire particulière, stratifiée de mille diversités s’étant conglomérées au fil des temps; c’est le mouvement, la dynamique d’une humanité qui, depuis qu’elle a commencé de se développer, ne cesse de migrer, de faire souche ici pour ensuite s’en aller ailleurs, assimilant au passage un peu de chaque lieu et de ses occupants (croyances, coutumes, langues…) Un mouvement général s’effectuant presque toujours dans la douleur par le truchement de conquêtes, d’assujettissements puis de révoltes contre les oppresseurs, des soubresauts historiques qui, aussi tragiques fussent-ils, déposent dans les mémoires des alluvions formant peu à peu les cultures, les civilisations – tout en ayant l'intuition que je me trompais de combat. Et sans parvenir à déceler où pouvait bien gésir mon erreur.

 

Cela s'énonçait en moi mais je ne me reconnaissais aucune légitimité pour l'exprimer – ni historienne, ni sociologue, en nulle matière érudite, je ne pouvais que déployer des arguments  intuitifs, émotionnels, bâtis sur des savoirs glanés au hasard et peut-être mal assimilés; de plus, on m'avait expliqué qu'en réalité la pensée de Richard Millet était autrement plus complexe que ce que j'en avais compris, qu'il était important de la recontextualiser dans l'histoire personnelle de l'écrivain, son parcours littéraire et, surtout, qu'il me fallait explorer ses autres livres – à cet égard, il y a peu de chances que je suive la recommandation: ce que j'ai lu dans Intérieur avec deux femmes et De l’antiracisme comme terreur littéraire a dressé pour l’heure un mur infranchissable entre ma curiosité et le reste de son œuvre. De plus, rien dans ces deux livres – j’insiste: dans ces deux livres, les seuls que j’aie lus – ne m’a inclinée à estimer "immense" son talent; peut-être l’est-il ailleurs mais, selon moi, pas là. Certes la langue est bien maniée mais j’ai parfois trouvé des phrases obscures et j’ai souvent eu l’impression, dans quelques passages d'Intérieur avec deux femmes, d’avoir sous les yeux de vagues imitations proustiennes mais de petite pâte, qui ne m'ont pas incitée à la gourmandise…

Pour que tout se débonde il aura fallu qu’explose "l’affaire Millet", un véritable ouragan de tollés et de contre-tollés autour d’un texte d’une petite vingtaine de pages au titre provocateur, Éloge littéraire d’Anders Breivik, à l’évidence choisi pour embraser des passions d’autant plus inflammables que ledit texte (publié dans un volume avec un autre texte intitulé Langue fantôme) a surgi sur les étals presque en même temps qu’était prononcée la sentence condamnant le tueur norvégien à vingt et un ans de prison ferme, soit la peine maximale encourue par un criminel en Norvège. Le titre est si provocateur qu’il a paraît-il entraîné des journalistes à écrire de violentes diatribes contre M. Millet sans avoir lu le pamphlet incriminé… La perche était tendue aux défenseurs de l’écrivain pour s’indigner à leur tour – à juste titre d'ailleurs car il n'est guère honnête de commenter un livre qu'on n'a pas lu et d'extrapoler à son sujet – et dénoncer de nouveaux méfaits de la mauvaise foi bien-pensante, la tentative de musellement d’un grand auteur, etc., etc. La machine ne cesse de s’emballer depuis la sortie du livre – articles de presse, interventions sur la Toile, émissions de radio, de télévision… – et la rituelle "rentrée littéraire" d'être tout entière dominée par "l'affaire": une petite vingtaine de pages aussi dévastatrice que le fameux "battement d'aile du papillon". Quelques réactions me sont tombées entre les oreilles sur France Culture (par exemple la première partie de La Grande table le 7 septembre), et sous les yeux ici et là sur la Toile dont un texte signé J.M.G. Le Clézio… Quelle mise en vedette! M. Millet n’en espérait sans doute pas tant. Et je crois que cela continue d'enfler, hors de toute raison…

 

Je n’ai pas lu l'Éloge honni et n'ai aucune intention de le faire. Mais tout ce qu’il provoque, notamment l’article de J.M.G. Le Clézio, et celui que Pierre Jourde a publié sur le site du Nouvel Observateur, m’a amenée à reconsidérer les deux livres qui m’on tant troublée. C’est une sorte de sidération: je me dis que ce battage nous ramène à ce point déplorable où une œuvre n’existe plus qu’à travers ce qui se dit d’elle, où un homme ne se sent exister qu’à travers ce que les circuits médiatiques font de lui. Et que ces écrits qui rendent Richard Millet prétendument "infréquentable" ne sont pas tant des "textes d’opinion" mais des attracteurs de foudre, rédigés à dessein par un auteur cherchant davantage à être fustigé pour pouvoir se poser en victime qu’à faire valoir ses idées, ou son talent de littérateur. Ce qui expliquerait ce sentiment étrange que m’ont laissé mes lectures, cette violente nausée, cette allergie de contact spontanée et un peu primaire dont je pressentais qu’elle n’était pas tout à fait adéquate…


In fine me vient l’envie, en sortant de cette ronde dans laquelle je suis entrée comme trop d’autres, de pousser une grosse gueulante, et de dire "MERDE" à la bien-pensance autant qu’à l’obligation qui nous est faite de la mépriser, de dire "MERDE" à cette habitude que l'on a de considérer comme suspect tout individu qui l’ouvre – vous proclamez-vous altermondialiste et vous voilà au pire soupçonné d’hypocrisie, au mieux taxé de minable bien-pensant, propagateur d’une "pensée droit-de-l’hommiste" désormais décrétée insupportable (mais par qui au fait? Quelles sont donc ces instances sociales, politiques, qui décident du "bon ton" et du "condamnable"? peut-être au fond est-ce seulement "l’usage" qui décide donc vous et moi, nous tous confondus en masse – "confondus": c’est bien le mot; tout, son contraire et son contre-contraire étant à la fois objet de haine et de vénération), ne l’êtes-vous point et vous voilà rangé parmi les affreux réacs pillards de planète… Affirmez-vous que vous êtes partisan d’un enseignement moral et l’on vous immole sur le bûcher promis aux psychorigides corseteurs d’esprits, êtes-vous frileux devant la morale que l’on vous accusera d’être un de ces dangereux laxistes par lesquels le chaos, un jour, arrivera… Et ainsi de suite.

 

M ais on est DÉJÀ, me semble-t-il, dans le chaos, ou plutôt dans la confusion – ce n’est pas tout à fait pareil, le premier est séisme, la seconde simple brumasse!

Il serait peut-être temps de retrouver le sens du sens, de réapprendre à écouter, à observer puis à entendre les choses, les faits, les gens… non pas pour formuler des réponses – forcément péremptoires parce qu’une réponse, c’est comme une solution: toujours exclusive de mille autres – mais pour retrouver, en même temps que celui de la signification, le chemin du questionnement. Et se tenir à l’écart de celui des assertions.

 

Qu'aurait donc pensé de cette "affaire" un auteur comme Philippe Muray, dont je découvre, par toutes petites bribes, les textes décapants? Sûrement quelque chose de très caustique, de très drôle – et d'infiniment pertinent.

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3 mai 2012 4 03 /05 /mai /2012 17:31

rostam-et-sohrab_TN.jpgCoïncidences, reviviscence

 

En février dernier, quelques jours à peine après avoir découvert, à la faveur de ma rencontre avec Diane de Selliers, qu'un poète persan du XIIe siècle prénommé Farid avait écrit Le Cantique des oiseaux – le poème que précisément elle publiera à la rentrée de septembre dans sa Grande collection, illustré par des miniatures persanes – je recevais par courriel le dossier de presse présentant la prochaine création de la compagnie du Lierre, fondée et menée par Farid Paya. Je n'en étais pas vraiment surprise puisque, ayant un jour de décembre croisé par hasard en musant du côté du Louvre Joseph Di Mora, je savais qu'un projet se préparait du côté du Lierre. Joseph avait été vague, me promettant pour bientôt des nouvelles plus détaillées. Je me souviens que cela m'avait rendue tout heureuse car, depuis les derniers moments vécus par le vénérable entrepôt de la rue du Chevaleret que la compagnie du Lierre avait si chaleureusement converti en théâtre-salle d'exposition-coin social et qu'un plan d'urbanisme a livré en juillet aux démolisseurs, je m'étais souvent demandé ce qu'il advenait de la compagnie. J'avais beau savoir que de stupides décisions administratives l'avaient privée de foyer, le "nouveau théâtre" censé l'accueillir une fois détruit l'ancien ayant été attribué à d'autres gens de théâtre, je ne pouvais que l'imaginer survivante et portant mieux que jamais son nom – car le lierre est opiniâtre à survivre – mais où, et dans quelles conditions? Voilà que je la retrouvais, et sous le signe de la littérature persane: la nouvelle création en question a pour titre Rostam et Sohrâb. Le spectacle a été écrit par Farid Paya à partir d'un passage qu'il a lui-même traduit du Livre des rois, une épopée dont l'auteur est un poète du Xe siècle, Ferdowsi. Je voyais ainsi des fils se tendre et se rejoindre… et le jeu des nœuds s'est ensuite poursuivi...

 

Aux portes de Paris, la compagnie a trouvé une salle à louer où répéter en paix – c'est aux Lilas. Le Lierre a pour hôte un arbuste qui offre le plein de sa beauté et de son parfum au printemps. Un point d'ancrage printanier pour cultiver et mener à floraison une nouvelle création… Printemps encore, échos avec le passé: la première répétition publique de Rostam et Sohrâb était organisée le 20 mars, jour du printemps chez nous, et jour de l'An en Iran, le Nowrouz. Une même conjoncture s'était produite voici plusieurs années quand la compagnie du Lierre montait Laïos, le premier volet d'une tétralogie tragique, Le Sang des Labdacides. Il y avait dans le texte un Éloge au printemps, que Farid Paya lut à la fin de la répétition avant de nous inviter à partager un buffet servi autour d'une grande table qui avait été dressée à la semblance des tables iraniennes fêtant le Nowrouz – et, pour guider ceux qui ne connaissaient rien de cette très vielle coutume, Farid avait écrit un texte de présentation qu'il avait imprimé afin que l'on puisse l'emporter avec soi en partant… Encore enveloppé de sa housse de plastique, un costume soigneusement maintenu sur un cintre était accroché à un mur: c'était le premier à sortir des ateliers de confection. En ce 20 mars, c'était comme de voir plusieurs petites aurores se lever. Que cela soit faste à la compagnie, et à son nouveau spectacle.

 

En assistant à cette première répétition publique, j'avais l'impression de reprendre un voyage dont je n'étais plus très sûre qu'il s'était interrompu: je revoyais des comédiens que j'avais vus jadis rue du Chevaleret, je retrouvais Bill Mahder – le compositeur de musique – Joseph Di Mora, Evelyne Guillin – la créatrice des costumes – et, bien sûr, Farid Paya. Farid Paya et sa façon si particulière de guider les comédiens, de les conseiller, de leur donner les indications nécessaires pour qu'ils atteignent à un jeu organique, engageant tout le corps, et, ainsi, façonnent leurs gestes, leurs paroles au plus juste de ce que demande le personnage qu'ils doivent incarner... Je me souviens de plusieurs interventions qui m'ont émue au point que j'ai griffonné sur un bout de papier, à toute hâte, quelques mots qui me paraissaient lumière mais qui, relus aujourd'hui, hors de l'instant, ont un peu l'air de fleurs mises à sécher dans un livre et qui, tirées de leur abri de papier, ont perdu leurs couleurs. Ils ont gardé leur puissance de sens mais n'ont plus cette vibration que seule confère une énonciation "sur le vif" et dans l'énergie de l'échange. Mais je sais qu'il me suffira d'entendre à nouveau la voix de Farid Paya pour que ces souvenirs griffonnés reprennent sève.

 

 

La première...

 

Aura lieu le mardi 8 mai. Il n'y en a plus pour très longtemps. Depuis plusieurs jours déjà, les affiches du spectacle peuvent se  voir en maints endroits de Paris. J'imagine que les ultimes répétitions se déroulent dans une ambiance plus fébrile que de coutume, malgré le réconfort qu'apporte un travail mené avec des compagnons de route dont la plupart sont des fidèles de longue date car les questions doivent être nombreuses à préoccuper les membres de la compagnie: ce spectacle, qui sera comme un baptême de renaissance, portera-t-il les traces des tourmentes traversées, des difficultés, psychologiques et matérielles, qu'il a fallu vaincre pour parvenir à créer à nouveau? Le public sera-t-il présent qui n'a plus, comme au temps du Théâtre du Lierre, un lieu à portée de pas pour garder le contact avec les artistes et partager avec eux quelques moments de convivialité?

Avant même de voir Rostam et Sohrâb on peut s'informer sur l'actualité de la compagnie du Lierre grâce à ses coins de Toile: un site ici, et une page Facebook là.


 

Rostam et Sohrâb
Texte de Farid Paya, d'après le Livre des Rois, du poète iranien Ferdowsi
Mise en scène:
Farid Paya, assisté de Joseph Di Mora
Scénographie:
Farid Paya et Evelyne Guillin
Avec:
Vincent Bernard, Cédric Burgle, Guillaume Caubel, Marion Denys, Thierry d’Armor, Xavier-Valéry Gauthier, Jean-Matthieu Hulin et David Weiss
Musique:
Bill Mahder
Costumes:
conçus par Evelyne Guillin, réalisés par José Gomez

Maquillages:
Michelle Barnet
Lumières:
Jean Grison
Durée:
2 heures

 

Représentations du 8 mai au 6 juin au Théâtre 13 côté "Seine", 30 rue du Chevaleret - 75013 Paris.


NB – Pour réserver ses places, il faut s'adresser directement à la compagnie du Lierre soit par téléphone – au 01.45.86.55.83 – soit en passant par le site de la compagnie car, est-il précisé, "le Théâtre 13 n'assure pas la billetterie". 

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25 mars 2012 7 25 /03 /mars /2012 17:13

J’ai fait la connaissance de Sandra Zemor quand elle a exposé ses nus au théâtre du Lierre. Depuis nous nous voyons régulièrement – souvent, quand son travail le lui permet, elle m’accueille dans son atelier, où j’ai l’insigne plaisir de contempler ses œuvres. Elle possède, je crois, l'art de convier la lumière, qui sourd même de ses toiles noires: on ne la voit pas mais on la sent. Et aussi celui de pouvoir signifier sans se perdre dans l'ornementation: fi des superfluités – c'est une essence qu'elle fixe avec son pinceau. L'essence d'un instant, d'une pensée, d'une émotion… d'un corps, d'un paysage, ou d'une ville. Ses dessins m’ont souvent évoqué une calligraphie essentielle – qui signifie sans représenter, tels les mots – et ses toiles des nappes de brume où tour à tour la lumière et la nuit se seraient égarées avec, parfois, l’entaille d’une ouverture qui semble indiquer un chemin à prendre ou à laisser.

Lors de notre toute première rencontre ,tandis que nous devisions autour d’une tasse de thé je lui avais demandé s’il lui arrivait d’écrire. Je ne sais plus pourquoi la question m’était venue aussi naturellement alors que je conversais avec une artiste peintre – peut-être à cause de ces parcelles de papiers imprimés intégrés à certaines de ses toiles qui me suggéraient une sensibilité particulière au texte? Ou bien parce que j’avais vu, lors de cette exposition au Lierre, quelques exemplaires du livre Jérusalem ou la princesse disparue, où le texte de Rabbi Nahman de Bratslav est accompagné de ses dessins? Non, vraiment je ne sais plus. Je me souviens en tout cas que Sandra m’avait répondu qu’elle écrivait des poèmes mais n’avait encore jamais osé les montrer. Toiles et dessins oui, mais les poèmes, non. Pas encore. Plus tard, peut-être… Je crois me souvenir également– puisse-t-elle me pardonner si mon souvenir trahit ses propos – qu’elle m’avait expliqué s’exprimer en français, en anglais ou en hébreu selon ce qu’elle avait à dire car, pour elle, les particularités sonores, syntaxiques et graphiques de chaque langue assignent celle-ci à une "parole" particulière, la destinent à véhiculer un sens qui ne s’accorde pas avec n’importe quel "vouloir-dire".

Aujourd’hui Sandra a franchi le pas: elle offre ses poèmes à lire. Grâce au soutien de la galerie vénitienne Eufemia – là même où elle a exposé ses œuvres en octobre dernier – elle publie un premier livre où ses vers côtoient ses dessins: Venezia. Cet ensemble est constitué depuis un certain temps déjà mais la conjoncture difficultueuse n’avait guère été favorable à l’édition d’un livre d’artiste… Maintenant il existe. Qu’à travers ces quelques lignes je sache remercier son auteur, et tous ceux qui ont œuvré à sa publication.
 

 

venezia-couvTN2.jpgUne courbe blanche est peinte dans le noir de la première de couverture – le cercle n’est que partiellement tracé – il ne faut pas le fermer pour que puisse entrer la vie, passer le souffle. Passage qui se paie au prix d’une perfection jamais atteinte mais visée, toujours à trouver. La nuit est entaillée de lumière: la voie s’ouvre pour que l’on entrevoie dans la nuit, et de très loin, Venise. La ligne est circulaire comme si un objectif en œil-de-poisson s’intercalait entre qui dessine en écrivant et l’horizon, dentelée de petites silhouettes. À l’orée du poème l’heure est à la flottaison. L’âme se cherche une voix, le ciel un chemin pour s’éloigner de la mer – de l’un à l’autre Venise, où se cherche l’autre, se tient en suspens au long d’un tracé d’encre qui en matérialise l’essence. Point de canaux ni de pallazzi figurés, ni de bateaux, mais ils sont , tout entiers tenus dans ces traits minces – si minces qu’ils esquissent à peine, si denses qu’ils signifient les choses avec une évidence lumineuse.
Puis, par lambeaux lents, l’obscurité de la nuit se détache – s’écoule, vaguement teintée de bleu, telle l’encre en surplus du pinceau que l’on égoutte, pour ne plus laisser visible, sur le blanc cru de la page, que les traces de la ville à l’horizon. De temps à autre des vers font entendre une quête, la conjuration d’une absence. Quand enfin le but semble atteint – I found you – alors des nappes de matière, textures et couleurs jouant ensemble, s’installent peu à peu dans le silence du blanc jusqu’au scellement des retrouvailles – You found me.

 

Les mots sont peu nombreux – trois ou quatre vers brefs, en divers endroits sur la page, humbles et n’attirant pas d’abord le regard que happe le dessin, tout entouré de ce blanc silencieux, éblouissant, qui règne. Les mots cependant s’imposent à l’esprit – ils sont murmures; ils habitent l’espace sans le troubler comme les paroles habitent la mélodie d’une chanson. Ces vers sont en anglais – sans doute parce que les sonorités fluides de cette langue, et ses constructions, moins contournées que celles du français, s’harmonisent à merveille avec leur ténuité qui épouse celle du dessin.

 

Je n’ai pas lu ce mince livre – je me suis recueillie en lui come je l’aurais fait assise en quelque lieu sacré.
Captation d’une attente, d’une quête, il est comme le temple d’un espoir. De la nuit à la matière densifiée de la présence enfin éprouvée en passant par l’éclatante blancheur du cheminement ponctuée de la trace à peine tangible de silhouettes entraperçues, de page en page Sandra écrit ici de cette même encre avec laquelle elle peint et dessine: celle qui d’un seul trait ou d’un seul mot fait advenir le sens et conjure le vide. Sans représenter, au-delà du leurre des apparences données.

 

 

Sandra signera son livre Venezia le mercredi 28 mars à partir de 20 heures au bar La Belle Hortense*. À cette occasion, quelques-unes de ses toiles seront accrochées qui resteront exposées jusqu'au 3 avril.

 

* La Belle Hortense
31 rue Vieille du Temple 
75004 Paris. Tél.: 01.48.04.71.60.

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26 février 2012 7 26 /02 /février /2012 14:53

À la faveur d'une interview qu'elle m'a récemment accordée (qui sera prochainement mise en ligne), l'éditrice Diane de Selliers, abordant le problème des livres dits "défraîchis", a évoqué une polémique qui a été soulevée à la fin de l'année dernière, lors de la braderie annuelle qu'organise chaque année au début du mois de décembre l’École nationale des beaux-arts de Paris.

 

Cette manifestation permet aux éditeurs d’art de vendre directement au public et à prix réduit les livres que les libraires leur ont retournés – parmi eux les exemplaires non vendus qu’ils ne peuvent stocker, et "les défraîchis", qui sont des ouvrages neufs mais abîmés: des manipulations peu soigneuses ont endommagé les reliures, enfoncé des coins, lésé les dos… une exposition prolongée en vitrine a gâté les couleurs du coffret ou de la couverture… Parfois les blessures atteignent le livre malgré le film protecteur qui n’a même pas été ôté – des éraflures, une déformation des plats qui ont trop brutalement rencontré d’autres livres… Ces lésions, qui pourront n’être pas trop graves pour un volume d’édition courante destiné à une vie de baroudeur – trimballé au fond d’un sac, dans une poche de veste, partout où son lecteur voudra l’emmener – sont des dommages irréparables pour un livre d’art, font de lui une "gueule cassée" que l’on ne peut plus vendre au prix fort parce que ce prix, généralement élevé et certes justifié par la noblesse des matériaux, la qualité de fabrication, le temps que sa réalisation a exigé, donne à l’acheteur le droit de l’attendre irréprochable. Pourtant, une balafre sur un coffret n’empêche pas l’ouvrage qui se trouve à l’intérieur de demeurer magnifique. Mais ce sont là des subtilités auxquelles, semble-t-il, les urgences et les exigences, souvent aberrantes, du système économique empêchent de s’arrêter. Alors les invendus, s’ils n’ont pas la chance de rejoindre le circuit des solderies, sont pilonnés. Une horreur pour quiconque aime les livres et qui frémira à la seule idée qu’un mauvais roman à trop gros tirage imprimé sur du mauvais papier habillé d’une méchante couverture puisse être pilonné. Comment, alors, ne pas se révolter à l’idée que des ouvrages d’art puissent être pilonnés! Diane de Selliers a toujours refusé que ses livres connaissent ce triste sort:
Chez les diffuseurs, il y a, pour les livres comme les nôtres, un service spécial, qui reprend tous les livres un par un et qui, en fonction de leur état, tâche de les reconditionner. Alors nous fournissons des réserves de codes barre, des coffrets vides… autant d’éléments pour que l’on puisse restaurer nos livres. Si la restauration est impossible, on nous les renvoie parce que nous ne voulons pas qu’ils soient pilonnés: chaque livre qui sort de notre maison est aimé, respecté; non seulement il est beau, mais il est le fruit de longues recherches, d’un travail extrêmement minutieux. C’est insupportable de savoir des livres comme ceux-là – et tous les livres en général, même médiocres – promis au pilon. Mais alors que faisons-nous de ces livres? Les caves se remplissent vite! Et la loi nous interdit, sauf dans des conditions extrêmement précises, de les vendre directement à prix réduit. Alors nous en donnons aux hôpitaux, aux bibliothèques, aux libraires qui ont besoin d’exemplaires de démonstration… Et cette braderie de l’École des Beaux-arts est pour nous une magnifique opportunité de rendre accessibles à des lecteurs peu fortunés – des étudiants notamment – des livres encore beaux malgré qu’ils soient "défraîchis".


La dernière braderie, qui a eu lieu les 3 et 4 décembre derniers, a déchaîné la colère des libraires parisiens qui ont crié à la concurrence déloyale: c’est en effet en novembre et décembre, à l’approche des fêtes de fin d’année, qu’ils réalisent la quasi totalité de leurs ventes de beaux-livres. Sans ce chiffre d’affaire, leur situation se précarise encore quand elle est déjà difficile pour beaucoup d’entre eux. Comment vendre au "prix éditeur" ces livres d’art si, pendant cette période qui est pour ainsi dire la seule où ils peuvent espérer les vendre, le public trouve à côté de leurs boutiques les mêmes ouvrages à moitié prix? À quoi Diane de Selliers a répondu:
J’entends tous vos arguments, et je suis très sensible aux difficultés des libraires mais alors que faisons-nous de nos livres défraîchis si nous ne pouvons ni les vendre à prix réduit, ni les stocker, ni accepter de les faire pilonner?


La solution qu’elle a proposée serait d’organiser la braderie à une autre période de l’année. La clientèle habituelle des librairies continuerait ainsi à y acheter ses cadeaux de fin d’année tandis que les lecteurs qui achètent de toute façon des livres d’art quelle que soit la période pourraient bénéficier de ces prix cassés sans lesquels nombre de ces ouvrages précieux pour eux leur resteraient inaccessibles.
Sa proposition sera-t-elle entérinée? En attendant qu’une décision soit arrêtée qui satisfera les libraires, les éditeurs, les lecteurs désargentés… et le législateur, Diane de Selliers vend à prix réduit, pendant quelques jours encore dans sa boutique*,  ses livres défraîchis qui ne sont plus commercialisés.

 

* L'offre prendra fin le mercredi 29 février. Pour en profiter, il faut se rendre au 20 rue d'Anjou, 75008 Paris. Tél.: 01.42.68.09.00. 
Une visite à la boutique permet de voir les livres, de feuilleter les exemplaires de démonstration – l'on prend ainsi la mesure de leur exceptionnelle qualité. Une exploraion préalable du site internet de la maison fournira un bel aperçu du catalogue tant sont belles, précises et développées les présentations concoctées pour chaque ouvrage.

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20 décembre 2011 2 20 /12 /décembre /2011 18:10

ciment TNDepuis le 4 novembre et jusqu'au 30 décembre, les vendredi et dimanche soirs de chaque semaine, la compagnie Messaline joue une adaptation de la pièce de Heiner Muller, Ciment, au théâtre Pixel, dans le 18e arrondissement de Paris. J'ai vu le spectacle dimanche dernier et, comme il ne reste plus que deux représentations programmées les vendredis 23 et 30 décembre (le théâtre fait relâche le dimanche 25) –   j'écrirai brièvement. Peu de phrases, juste l'essentiel, pour tâcher de convaincre ceux qui les liront d'aller voir Ciment. Je les espère nombreux, ces convaincus, mais il faut préciser que la jauge de la salle est, à vue de nez, d'une cinquantaine de places. Dire peu, donc, sans m'arrêter sur le texte ni sur ce qui, dans la mise en scène, m'a séduite – car j'aurai l'occasion d'y revenir sous peu.

 

Le sujet: après la guerre civile, en Russie, le soldat bolchevik Gleb Tchoumalov rentre dans son village. La cimenterie où il travaillait n'est plus en activité, et sa femme, Dacha, a confié leur fillette Niourka au foyer des enfants pour pouvoir être plus active au sein de la "commission des femmes", qu'elle a rejointe afin d'œuvrer à la réussite de la Révolution. Au fil des scènes, on voit se développer les conflits entre bureaucrates et militants – les idéologues sont confrontés aux principes de réalité, les "spécialistes" aux travailleurs. L'opposition n'est plus seulement entre bourgeoisie et prolétariat. Le pouvoir soviétique naissant doit faire face à la misère, aux tensions qu'elle génère. Au milieu de ce contexte chaotique des drames privés se creusent dans les foyers; on assiste, surtout, à la désagrégation du couple que formaient Dacha et Gleb, alors même qu'ils sont tous deux profondément communistes.
Les idéaux révolutionnaires autant que l'avenir de la révolution sont questionnés, et les engagements individuels, et la notion de famille… Des interrogations qui dépassent le moment historique que ressuscite la pièce. Celle-ci est sombre, dure, et les comédiens de la compagnie Messaline invitent cette âpreté sur la scène avec une puissance d'incarnation exceptionnelle. On s'empoigne, on se jette à terre, on se fusille du regard sans retenue... mais c'est encore quand, à voix brisée, quasi blanche – parfois à peine un murmure – sont évoqués les tortures, les viols, les souffrances de toutes sortes fussent-elles d'humbles tourments, que les interprètes parviennent à faire vibrer le plus intensément l'extrême violence véhiculée par le texte.


La pièce de Heiner Muller a, par bien des aspects, une dimension épique. Marion Descamps la met en valeur par sa mise en scène, et les comédiens, par leur formidable interprétation, la renforcent encore. Ils sont treize pour faire courir le souffle de l'épopée sur le plateau… Leur performance est d'autant plus remarquable que la scène est minuscule. Ils y font tenir leur décor, leur énergie, et tirent un admirable parti de cet espace restreint, de surcroît dépourvu de coulisses.  

J'ai quitté la salle enthousiaste. Tout en me disant que ce spectacle mériterait bien d'être accueilli sur une scène plus vaste et d'être vu par un large public. J'espère que ces représentations "pixelles" vont amorcer une belle carrière pour ce Ciment-là...

 

 

Ciment
d'après la pièce éponyme de Heiner Muller  

(traduction française de Jean-Pierre Morel, publiée aux éditions de Minuit)

Mise en scène et scénographie:
Marion Descamps
Avec:
Paul Besson, Vincent Cheikh, Stéphane Dennu, Marion Descamps, Cécile Galissaires, Vivien Guarino, Florian Laforge, Mélodie Le Blay, Charlotte Paumelle, Solenne Rodier, Margaux Rossi, Elie Taïeb, François Telombre
Costumes:
Emmanuelle Ballon
Création lumières:
Florian Laforge
Durée:
1h30

 

Le spectacle s'est joué du 4 novembre au 30 décembre 2011 les vendredis et dimanches à 19h30 au théâtre Pixel – 18 rue Championnet, 75018 Paris.

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