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12 septembre 2023 2 12 /09 /septembre /2023 14:11

Parfois, sans que rien se soit produit d'identifiable qui fût de nature à passer l'âme au noir de fumée, l'on se retrouve jeté dans un boyau sombre empuanti de moisissures... On vient d'entrer dans un long tunnel dont on n'entrevoit pas l'issue et, dès lors, chaque matin ressemblera à un pensum: l'on se réveille avec au fond de soi comme un sanglot coincé, une masse de ouate dans la tête qui fait obstacle à toute pensée et ne laisse subsister de cérébral que ce qui est de l'ordre du réflexe. Au physique, on est aussi ratatiné qu’un vieux cep tordu, desséché à force d’avoir rôti au soleil… L'on est enfoui dans ces sensations poisseuses comme dans un cocon qu'une armée d'araignées aurait tissé pendant des siècles. L'on s'éteint là à petite vitesse, ne pensant plus à rien autre qu'à son petit confort et à la satisfaction de ses besoins physiologiques, heureux simplement de ne souffrir de rien et de sentir son corps flexible, réactif – qui ne traîne pas la patte ni ne renâcle aux commandements du cerveau. Et à force, si l'on n'y prend garde, on atteint le niveau ultime du rétrécissement mental, celui de non-retour où l'on se résume à un point infinitésimal.

Telle est l'humeur joyeuse qui fut la mienne ces dernières semaines – je traversais un de ces longs tunnels aranéeux que mes états d'âme connaissent bien pour y macérer souvent et dont je sais, par habitude, que je finis par sortir avant de m'être racornie tout à fait... Un moment arrive, tôt ou tard, où ma léthargie vole en éclats au contact d'une de ces infimités qui pullulent en continu et auxquelles, quand on est normalement éveillé, on est infiniment sensible… un insecte en train de butiner. Un air à la radio qui accroche l'oreille. Ou encore un mot inconnu lu au détour d’un texte: poussée vers le dictionnaire pour en découvrir le sens, l'étymologie, l'évolution, je réalise que je ne suis pas si éteinte puisque je jubile d’avoir ressenti le désir d’en savoir plus et une joie intense d’avoir trouvé réponse à mon interrogation.

Une seule étincelle de cette sorte et me voilà rassurée: je ne suis pas irréversiblement ratatinée. Petit retour sur la plus récente...

Arrive la dernière semaine d'août. Cela fait plus d'un mois que je n’ai pas écrit. Ni ici ni ailleurs, pas même une de ces petites dépêches pour k-libre qui me maintiennent dans un état de lucidité scripturale à peu près satisfaisante car, sans requérir un registre de langue particulièrement soutenu – on n'écrit pas une dépêche informative le petit doigt en l'air et l'imparfait du subjonctif à la boutonnière – elles exigent du soin tout de même dans le choix des mots, de l’attention, de la réactivité, et surtout cette minuscule aiguille d’enthousiasme qui convainc dans la seconde suivant un constat que l’info aperçue doit absolument être partagée. Cette «minuscule aiguille d'enthousiasme» qui est justement l’une des premières choses à disparaître quand je déprime... Et il y a bien plus longtemps encore que je n’ai plus photographié. Je n'évoluais plus qu'à la surface de l'existence, confinant celle-ci aux soins domestiques et au maintien d'un confort physique minimal.

Tout ce dont j'aurais pu dire qu'il relevait de la «nécessité intérieure» était enseveli sous la cendre et rien n’était plus sorti de cette cinérarité généralisée quand, à la faveur d’une balade boulevard Mainiol à Gourdon – une balade au pas de charge, yeux rivés au sol et pensées verrouillées sur l’effort que je voulais optimiser – un panneau à l’extérieur de la librairie Des livres et vous a percé contre toute attente l’épaisse paroi derrière laquelle je me pensais emmurée vive (auto-emmurée pour être juste). Y était affichée l’annonce de la prochaine venue d’une autrice dont le nom m’était familier pour l’avoir bien souvent croisé lors de mes contributions au fil d’actualité de k-libre (mais sans que j’aie encore rien lu d’elle): Sophie Loubière. Ce nom à l’extrême périphérie d’un champ visuel dont j’avais délibérément limité l’étendue a suffi pour couper court à mes pas. Je fais halte et prends le temps de lire toute l’affichette. Deux dates, les 15 et 16 septembre; deux lieux, la bibliothèque municipale et la librairie devant laquelle je suis à l’arrêt, un titre de livre enfin, À la mesure de nos silences.

«Il faut absolument rédiger une dépêche!» ai-je aussitôt pensé et, dès lors, cette intention occulta tout sur son passage! Elle s’imposa ainsi jusqu’à ce que j’aie l’accord de Julien V. pour la rédaction du billet qui, ainsi, fut mis en ligne le 7 septembre. Une intention moins anodine qu’il n’y paraît: elle témoigne d’abord qu’en dépit de mes incapacités répétées de rédiger une chronique décente, rien de ce qui pouvait intéresser k-libre ne m’était devenu indifférent. Ensuite, elle m’a amenée à l’intérieur de la librairie pour questionner un peu le libraire sur la rencontre à venir – je retrouvai un comportement de chroniqueuse curieuse, c’était donc un peu de vie qui brasillait de nouveau – et, enfin, m'a incitée à acheter le roman et à le lire… Ma curiosité poursuivait son chemin, se déployait au-delà du seul accroc au regard: le peu-de-vie brasillant devenait flammèche. Je cessais de tâtonner dans la nuit – le long tunnel obscur se moirait de clartés...

J’ai acheté À la mesure de nos silences toutes ailes dehors – je veux dire avec, à son endroit, une totale liberté: ne l’ayant pas reçu en service de presse, je ne lui dois rien; qu’il me séduise ou pas, peu importe que je ne trouve pas les mots pour l’évoquer, je n’éprouverais aucune culpabilité de n'en rien écrire.
Mais voilà... à peine lues les premières pages, l’écriture me subjuguait déjà  – non, non... le mot n’est pas trop fort: ces «premières pages» ont été l'ancre qui a durablement amarré mon attention dans les profondeurs du texte, dans son intimité... en lisant je retrouvais goût à cette façon singulière de «lire dans les recoins» qui est celle de la chroniqueuse mais aussi, à quelques variantes près, de la correctrice (saurai-je lire tout à fait autrement?) Ce roman m’a réconciliée avec cette lecture-là, avec la lecture tout court et, par là, je peux dire sans détour que je lui dois les prémices d’une résurrection intérieure.

[à suivre...]

 

 

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13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 16:59

Le 6 juillet 2023 il a fallu t’endormir définitivement, un mois jour pour jour après une seconde opération dont tu avais in fine bien récupéré malgré un probable AVC postopératoire et donc une convalescence moins rapide qu’en décembre quand il avait fallu, par une première intervention, t’enlever une tumeur mammaire qui s’avéra être un carcinome «très agressif de grade 2». Cette seconde opération fut la dernière étape d’un long parcours thérapeutique, initié voici quelque dix-huit mois après que l’on eut découvert des ganglions intestinaux. Un lymphome de bas grade doublé d'une hyperthyroïdie ancienne et d'une fragilité rénale tout aussi ancienne, toutes deux bien contrôlées grâce à des médicaments que tu prenais, ma foi, sans trop d'encombres… Ce fut alors le début d’un traitement alourdi, sans cesse ajusté car ponctué d’examens réguliers et fréquents, d’une surveillance quotidienne de ton appétit, de ton comportement général – d'une vigilance extrême de tous les instants. Ô combien d’alarmes au vu d’une diarrhée, d’un refus de nourriture, d’un rejet alimentaire! aussitôt ton vétérinaire en était informé qui à distance me conseillait sur la conduite à tenir… et jusqu’à ce fatal 6 juillet, toujours une parade était trouvée.
Mais là non. Je m’étais pourtant levée rassurée ce matin-là en constatant que tu avais mangé dans la nuit ta ration de croquettes et je t’avais administré tes médicaments comme d’habitude, en pensant déjà au bilan encourageant que j’allais communiquer à ton vétérinaire lors du prochain rendez-vous – le 10 juillet – qui devait permettre d’organiser ton séjour lotois et l'aménagement du suivi pour l’été. Une heure plus tard je te trouve allongée sur le flanc, bavant et suffoquant. Aussitôt je t’amène à la clinique où l’on te garde en observation. Et à midi, le diagnostic tombe: une masse de 2 centimètres s’est développée en haut de l’œsophage qui comprime la trachée et t’empêche de respirer. L’on t’a mise sous oxygène en t’administrant un antidouleur afin de te soulager. Mais cette masse n’est ni opérable, ni curable – une fois l’effet de l’antidouleur estompé et l’assistance respiratoire supprimée, tu recommenceras à suffoquer, à baver – à souffrir le martyre. Donc pas question de te ramener à la maison: cela reviendrait à te laisser agoniser dans la douleur. Il faut t’euthanasier. Un rendez-vous est fixé dans l’après-midi. Une longue demi-heure d’explications dans une salle de consultation à l’étage, où je vais pouvoir rester avec toi pendant que l’on prépare les produits nécessaires au protocole d’euthanasie. On part te chercher au chenil et tu arrives dans les bras d’une infirmière enveloppée d’un plaid bleu ciel, si voluptueux qu’il m’évoque un nuage; elle te pose sur la table d’examen avec une infinie douceur, s’éclipse sans un bruit, m’adressant juste un petit mot plein de gentillesse qu’elle chuchote. Tu halètes, cherches ton souffle… et sembles complètement rencognée dans ta souffrance car tu ne marques aucune réaction à mes caresses, à aucun moment tu ne me regarderas ni ne tendras la patte vers moi comme tu avais coutume de le faire lorsque tu venais te blottir dans mes bras, tel le nouveau-né serré contre sa mère et qui tend la main vers son visage (une posture qui a très tôt été la tienne, que tu as gardée jusqu’au bout et qui n’appartenait qu’à toi car je ne l’ai, jusqu’à présent, rencontrée chez aucun de mes félins). Je reste là à te cajoler, en murmurant des minauderies que je sais ridicules («ma bichoune», «ma petite bichounette», «ma pauvre petite Mélithys»…) mais sans pouvoir m’empêcher de les répéter en litanie, comme si elles pouvaient rendre plus doux encore le plaid-nuage.
Arrive le moment. Le vétérinaire m’explique qu'il va procéder en deux temps. Une première injection pour t’endormir profondément – l’effet est quasi instantané: tu cesses de haleter, ta respiration devient régulière et lente, par instants tes pattes frémissent, et aussi tes moustaches. «Elle rêve…» me dit le vétérinaire à voix basse. Un sommeil qui a l’air normal… Mais il faut maintenant aller au terme du processus – une seconde injection, lorsque la sédation sera estimée assez profonde, va arrêter ton cœur. Peut-être s’est-il écoulé une dizaine de minutes avant que le vétérinaire me demande «on y va?». Ce fut un «oui» bien difficile à articuler mais comment attendre davantage… et dès que la seringue fut vide, tout ton corps s'affaissa dans une tranquille immobilité. Tu avais cessé de vivre. Je passai encore presque une heure avec toi figée quiètement dans ton plaid-nuage, à te parler en te cajolant comme si tu étais toujours là. L’on m’apporta des papiers à remplir, puis l’on t’emmena hors de la pièce aussi précautionneusement qu’on t’y avait amenée, lovée dans ton nuage de tissu, en me disant «on va bien s’occuper d’elle». Étant donné la délicatesse des gestes dont tu as été entourée de bout en bout, je n’avais aucun doute sur ce point: même morte tu allais être traitée avec beaucoup d’égards.

C’était il y a plus de cinq semaines. J’avais été plus rapide à écrire la nécrologie de Nyssiah, de Mysstykk, de Sweetie… seulement, aujourd’hui, je ne sais plus comment ajuster les mots, les phrases, aux mouvements de mon esprit et de mon âme – je ne sais plus écrire! est-ce temporaire ou une aridification définitive… je ne sais mais quoi que vaillent ces lignes, je ne pouvais te laisser sans une épître d’adieu.

Maintenant que la voilà faite, je peux y ajouter cette longue ressouvenance par laquelle j’avais commencé, que je laisse dans son état d’inachèvement…

Mélithys…
Ton nom m’est venu comme une révélation; au lever, un matin j’ai eu ces syllabes en tête et j’ai su que tel serait ton nom. Lorsque tu es née il y avait dix autres chatons avec toi – Mysstykk, Sweetie et Nyssiah avaient mis bas quasi en même temps. Je savais que l’un d’eux resterait à la maison, mais comment choisir… Onze chatons et trois mères allaitantes dans un appartement, cela exige un entretien colossal, et empêche de consacrer à chaque petit assez de temps d’observation pour sentir chez lui tel ou tel trait de comportement qui fera chavirer la décision. Je me laissai donc guider par le pelage – mais par le sexe d’abord : je voulais une femelle de façon à ce que la lignée puisse se perpétuer une fois que Mysstykk, puis Sweetie et Nyssiah seraient stérilisées – par ordre d’ancienneté – en décidant de garder celle des chatonnes qui aurait une robe différente de mes trois chattes (toutes étaient noir et blanc mais les deux couleurs en des proportions très dissemblables) et qui, aussi, serait à mes yeux peu banale. Il y avait des chatons noir et blanc, des tigrés noir sur fond gris… et deux offraient un aspect que je trouvais assez singulier: toi, et une de tes sœurs – deux petites chattes donc : mon choix se ferait entre vous. Dominante de blanc, avec pour l’une des taches gris pâle – un gris d’une étonnante tonalité rosée, presque mauve, d’une infinie délicatesse – striées de gris plus foncé mais de cette même tonalité délicate et, pour l’autre (toi), de larges plages d’un gris plus classique où l’on entrevoyait un sous-poil roux, rayées de noir, une queue particulièrement fournie tout annelée de noir… et une truffe rose foncé avec des pointes gris foncé. Peut-être avais-tu déjà un caractère bien affirmé tandis que ta sœur semblait plus effacée, plus craintive? Je ne me souviens pas vraiment – mais je sais que très vite je l’avais baptisée intérieurement (sans jamais faire usage de ce nom puisque je n’étais pas certaine de la garder elle) Fleur-de-Gris tant elle m’évoquait, par son pelage, son comportement, ses grands yeux où je lisais de la timidité, la grâce fragile d’un pétale. Mon cœur balançait entre vous deux, je ne parvenais pas à choisir – la solution eût été de vous garder toutes les deux mais cela eût porté à cinq le nombre de félins dans un appartement: ce n’était pas raisonnable et, raisonnable, il faut bien l’être de temps en temps. Je m’en remis donc au sort… Lorsque venaient à la maison les personnes souhaitant adopter un de mes chatons, je disais toujours que vous étiez «déjà réservées». Et quand il ne resta plus que vous à n’être pas adoptées je n’avais toujours pas décidé qui resterait avec moi. Enfin si, un peu quand même: insensiblement, j’avais fini par pencher pour toi – la raison m’échappe – mais sans oser aller jusqu’à l’arrêt sans appel; aussi ai-je attendu que les derniers adoptants – un couple avec une petite fille d’une dizaine d’années – m’aient signifié leur choix. Le jour convenu pour la visite, je vous présentai toi et ta sœur, en glissant peut-être (mais je n’en suis pas si sûre) dans mes commentaires deux ou trois éléments susceptibles d’infléchir leur décision. Et, de fait, la petite fille jeta son dévolu sur ta sœur… en proclamant qu’elle l’appellerait Tartine (ou Galipette, peut-être?). Ainsi les dés furent-ils jetés – sur lesquels, me semble-t-il, j’avais un peu soufflé avant que la main du Destin fasse son office. Cependant, tu n’avais pas de nom. Mais tu n’en fus pas longtemps dépourvue… peu après cet arrêt du sort, je me levai un matin avec en tête «Mélithys», un mélange de Mélite (une pièce de Corneille que pourtant je n’avais pas lue ni vue représentée et dont je ne savais rien autre que le titre – et que je ne connais toujours pas à presque vingt ans de distance!), d’améthyste, de mellifère peut-être aussi? Bref, j’ignore quelles curieuses transmutations se sont opérées dans mon esprit, athanor parfois fantasque, et à partir de quels métaux premiers, mais toujours est-il que tu fus ainsi baptisée: Mélithys.
À fur et mesure que tu grandissais, des singularités sont apparues; la couleur de tes yeux, désertant peu à peu le vert de ceux de ta mère Mysstykk, s’est arrêtée sur un gris incertain qui gardait ainsi comme une trace fantôme du bleu myosotis de ceux de ton père, Bambi – un croisé siamois tigré beige et sable négligé par ses propriétaires et qui trouvait refuge à la Croix de Pierre, qui t’a en outre légué l’aspect fourni et annelé de sa queue. Une queue que tu tiendras jusqu’à tes derniers jours de manière très caractéristique quand tu te déplaçais – un peu plus haut que l’horizontale, avec l’extrémité légèrement repliée. Ta démarche aussi, légèrement dandinante, dès l’enfance un peu lourde – toujours une patte arrière était à la traîne quand tu sautais sur la table ou sur quelque autre point élevé – et, en vieillissant, demeurée pesante et déhanchée, avec quelques signes d’arthrose. Ce qui ralentissait assez tes esquives pour que je puisse t’immobiliser quand il fallait te donner les médicaments – et ce qui était sans doute un handicap pour toi me facilitait bien la vie, il me faut l’avouer…

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Post-scriptum
Cette nécroféline serait bien incomplète si je n'adressais pas de chaleureux remerciements à toute l'équipe de la clinique vétérinaire du Mesly, à Créteil. Et plus particulièrement au Dr Stofleth, mon vétérinaire référent, qui a si bien accompagné Mélithys. Tout le monde a été aux petits soins pour elle, je ne crois pas qu'elle aurait pu être en de meilleures mains.

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10 août 2023 4 10 /08 /août /2023 10:17

Des mois de désertion – huit, rien moins que cela. Huit mois pendant lesquels pourtant j’aurais «eu à dire», fût-ce simplement me plaindre de ne plus «savoir dire», justement! Comme si je voulais du renoncement faire ma bannière quotidienne et du dos tourné ma posture-signature. Et pourtant je reviens, comme si je voulais rattraper par la dernière bribe de sa manche prête à céder le triste vêtement du Temps qui passe dans l’espoir vain de le freiner un peu.

Espoir vain et qui cependant n’a pas encore cessé de vivre puisque je tente de nouveau l’effort d’écrire – id est: croire que je puis retenir emprisonné dans les rets des mots et des phrase quelque chose de ce que je vis, ressens, pense… alors même que je sais, jusque dans mes tréfonds, que rien, n’est à la maille et qu’il n’y a au fond de mes phrases, fussent-elles mille fois relues et amendées, qu’une pitoyable lie, un dépôt bien morne au regard de ce qui, tant que je suis vivante, foisonne dans mon âme et dans mon cœur. Une prise de conscience bien amère qui a été jusqu’à me débarquer de cette activité de chroniqueuse, celle-ci ayant fini par me paraître hors de mes compétences.

Toutefois la braise n’est pas morte – la preuve.
Peut-être arriverai-je de nouveau à «écrire sur»? ô comme je dois rester prudente, et me garder d’anticiper! il n’est question pour l’heure que d’une infime flammèche ranimée à la quasi-veille du jour où je vais devoir renouveler mon abonnement Premium – car en dépit de cette désertion je ne me demande pas une seule seconde si je vais ou non renouveler cet abonnement, quand bien même je cesserais définitivement de venir écrire en ces terres (ce à quoi je refuse de me résoudre en dépit des apparences, d’où la résolution de marquer ce refus par la «flammèche infime»de ce jour), que ce soit pour m’y lâcher au doigt mouillé ou pour tenter de les rendre à cet état de «site critique» qu’elles ont été lors de leur émergence, en 2009: être «abonné premium» revient à préserver ces pages, dussent-elles ne plus s’augmenter de la moindre ligne, de toute gangrène publicitaire.

Ce n’est pas que j’attache un grand prix à mes écrits – et à l’occasion il m’est arrivé d’en trouver certains si mal fagotés que je ne pouvais décidément pas les laisser sans correction: un mot, voire une phrase entière, biffé par-ci, une hénaurme faute corrigée par-là… et sans doute un jour irai-je à la suppression radicale de tel ou tel article tant son ridicule m’apparaîtra dans toute sa splendeur, laquelle me demeure cachée pour le moment – mais imaginer un espace que j’ai aménagé selon mes souhaits, et quelle que soit la nullité de ce qu’il abrite, infesté d’«annonces», de «pop ups» et autres atrocités mercantiles m’est insupportable. La «publicité», qui se glisse désormais partout dans le moindre interstice de la vie quotidienne, et plus vicieusement que les poussières brassées par les vents, est un véritable cauchemar et c’est à mes yeux une mesure de salubrité mentale, intellectuelle, de s’en protéger. Alors quoi qu’il advienne de mon «petit coin de Toile», quatorze ans après que je lui ai donné naissance et tant que l’hébergeur vivra, je me réabonnerai chaque année.
Une variante de la «protection de l’environnement et des paysages»: voilà au moins des terres que l’on n’artificialisera pas, un littoral que l’on ne bétonnera pas!

Reste que j’ai quelques dettes d’écriture à acquitter et que j'ai tracé ces lignes d’abord et avant tout comme un pianiste aurait fait ses gammes; je m’y dégourdis les doigts et la pensée scripturale pour tâcher d’affronter au moins deux de ces «écrits-que-je-dois». Une nécroféline (Requiescat in pace, ma petite Mélithys…) et un retour à Sarlat en trois pièces trois fois rien au regard des dix-neuf spectacles de l’édition 20203 mais trois pièces quand même que je ne saurais passer sous silence.

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26 août 2022 5 26 /08 /août /2022 09:07

Jamais jusqu’à présent le silence, le grand blanc de l’absence n’avait été aussi long – si long qu’à chaque tentative pour le rompre qui échouait au seuil de l’intention (se résumant à quelques fichiers inachevés fourrés dans un dossier «brouillons», pourvus d’un titre, parfois d’une image et de quelques lignes-fragments n’étant pas même la plupart du temps des phrases complètes), je me disais qu’il avait atteint son point de non-retour et que ce blog allait rester inerte, tel qu’abandonné le 23 avril 2022 quand déjà je signais un constat d’échec – j’y crois et puis j’oublie – et que j’allais me borner à renouveler au moins une fois ma cotisation annuelle afin de le maintenir exempt de publicités jusqu’à ce que je me lasse et laisse ces dernières peu à peu envahir mes pages comme les adventices un jardin négligé.


Laisser là à prendre poussière, cette lente et pesante poussière à valeur de linceul que déposent partout les jours qui filent, sans pour autant se résoudre à supprimer comme on devrait supprimer courageusement ce qui n’est plus utilisé, consulté, contemplé: voilà une ligne de conduite que, hélas, j’applique tous azimuts. Ni entretien qui conserve, ni utilisation qui vitalise, mais l’ineffable rien dont je recouvre les choses en me détournant d’elles afin, sans doute, de m’enivrer de cette illusion que je les tiens, et moi avec elles, à l’écart des corrosions du temps.


Pourtant aujourd’hui, deux jours après m'être acquittée de cet abonnement qui évite à ces Terres la pollution publicitaire, de nouveau je frappe du pied le fond de ces abysses où je me terrais en dormition scripturale depuis tant de mois. Avec cet espoir que je regagnerai durablement la surface, que ce retour sera plus durable que tous les précédents amorcés après chaque désertion qui très vite se trouaient de défections avant de déboucher sur un nouveau désert.

 

Les déserts sont, dit-on, propices à la méditation; l’on s’y retire quand s’impose à soi la nécessité de «faire le point», de «voir clair» dans quelque obscurité existentielle dont pâtit la moindre occupation quotidienne – quand il faut à tout prix se défaire de ce qui empêche. Aujourd'hui, au terme de ces quatre mois muets (muets ici, mais ô combien chaotiques dès lors que je les considère d'un point de vue introscopique...), je me dis qu'ils sont peut-être de la même espèce que ces absences sous lesquelles se jouent les grandes mutations. Car en effet ces Terres insensiblement ont muté depuis leur fondation... Je m'en suis rendu compte il y a presque deux ans (en plein confinement pour être exacte) et ce constat m'a fait couvrir des pages et des pages de ma petite écriture fébrile qui, courant après le sens et tâchant de coller à la pensée qui galope, se hâte sur la ligne sans pouvoir se tenir droite et dont le pas irrégulier ferait dire qu'elle est ivre pour, in fine, s'avérer illisible... j'examinais les probables pourquoi de ces désertions récurrentes mais sans que rien ne se fixe et, pendant ce temps, le désert ici étendait son emprise.

 

La mutation? Celle du basculement vers l'intime. De plus en plus souvent je déposais ici des textes relevant de la seule écriture intime – page de journal, billet d’humeur, coup de gueule ou de cœur… de ces choses que jadis l’on consignait dans un cahier gardé par-devers soi parfois sous clef et qu’aujourd’hui, confondant dialogue intérieur, conversation entre amis et blablatage public, on publie sans vergogne sur le «mur» de son rézosocial préféré… – quand il ne s'agissait, en 2009, que de me ménager un espace d'expression critique, un coin de Toile bien à moi et configuré selon mes goûts où poursuivre cette «écriture sur» à laquelle je m'adonnais (avec délices!) sur d’autres supports. Mais les chroniques se sont raréfiées à fur et mesure que croissait mon impuissance à les écrire et, à proportion, ma propension à scruter mes seuls débats intérieurs dans le chaos desquels je croyais entrevoir des clartés dignes d’être textifiées afin qu’elles fussent fixées et, ainsi, m’éclairassent durablement.


Or cet «écrire-sur-soi», à tenir de plus en plus de place, m’a paru ne plus devoir la tenir, cette place. Car sauf à être artiste – quel que soit le mode d’expression –, c’est-à-dire savoir assez sublimer ses profondeurs et leurs singularités les plus aigües pour que d’autres y puissent retrouver quelque chose d’eux-mêmes, fût-ce une infimité dont ils n’auront pas conscience mais qui rend la vibration possible et sans quoi l’«œuvre» est frappée d’irrecevabilité, «écrire sur soi» revient, me semble-t-il, à de l’exhibitionnisme banal – ce dans quoi je ne veux verser à aucun prix et vers quoi, justement, j’allais tout droit et de plus en plus systématiquement, sous couvert de «paperolles photographiques», d’«épinglettes quotidiennes (ou presque)»… voire plus explicitement, d’«introscopies»…. Tandis que plus un mot ne sortait qui concernât un livre, une pièce de théâtre, une exposition ou une quelconque expérience que j'aurais eu à cœur de partager.


Alors il me faut rompre avec ce fil introspectif, assez mauvais pour que, telle Atropos, je le tranche – non à coups de ciseaux mais de silences prolongés. Que ces quatre mois de désert aient valeur de creuset d’où émergera quelque philosophalité… Et que cela ne reste pas un pieux vœu!

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23 avril 2022 6 23 /04 /avril /2022 12:58

Revenir à la vie en "écrivant sur"... J'y crois, dur comme fer, dès que j'ouvre un livre. Très vite naissent, plus ou moins fragmentaires, des pensées que je verrai s'infirmer ou se confirmer au fil des pages en tout cas se compléter, s'affiner, se développer puis s'articuler les unes aux autres. Puis la foi tombe quand je me risque à transposer à l'écrit le si bel ordonnancement mental...

Revenir à la vie en "écrivant sur"... Oui, j'y crois, envers et contre tout.

J'y crois et puis j'oublie.

Et l'oubli de durer, de s'enliser, de se fondre au loin, bien au-delà de la ligne d'horizon.

 

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30 avril 2019 2 30 /04 /avril /2019 18:39

D'ordinaire lorsque je reviens ici après un long silence j'invoque pour expliquer celui-ci des phases d'apathie mentale plus profondes que de coutume, des périodes durables d'inclination à l'àquoibonisme, une humeur aranéeuse et morne particulièrement invasive mais ce mois-ci que je rattrape in extremis par le fond de culotte de son dernier jour avant qu'il ne file au loin, les jambes à son cou, rien de tel - ce qui m'a tenue à l'écart de ces Terres ombreuses est, au contraire, une pensée sans cesse en état de crue, soumise aux feux croisés d'indignations multiples et foisonnantes qui n'ont cessé de la faire déborder et donc de la pousser continuellement hors du lit où elle doit se cantonner pour se muer en discours solidement articulé. En d'autres termes je me suis abandonnée presque chaque jour ce mois-ci à ces réaction épidermiques dont je me méfie de plus en plus, car ces dernières années j'ai eu à maintes reprises l'occasion d'apprendre que certaines des opinions, des intentions les plus louables cachaient toujours en leur sein un effet pervers, une aporie suffisant à les ruiner - et dans le même temps que des intentions, des opinions a priori abominables et condamnables sans appel pouvaient par un côté ou un autre sinon receler un "point positif", du moins être la résultante grimaçante d'une  de ces "intentions hautement louables". J'ai gagné en lucidité mais j'ai perdu en confiance... et en capacité à espérer. Comment en effet ne pas sombrer dans le désespoir le plus pesant en voyant surgir au cœur des causes les plus nobles et des principes les plus fondamentaux dont on se demande comment il peut se trouver des êtres se prétendant  humains pour les contester, des incohérences flagrantes, qui sitôt perçues brisent net l'adhésion que l'on pouvait spontanément éprouver pour ces causes et dont s'emparent avec jubilation les détracteurs pour aussitôt les amplifier, les dilater avec une partialité, une déloyauté, une perversité affligeantes jusqu’à la caricature?

Me méfiant des "réactions épidermiques" je n'ai pas pour autant la sagesse, le degré de détachement voulu pour être capable de les bannir tout à fait. Ces épidermismes à haute teneur en indignations m'ont assaillie tout au long du mois d'avril sans que je puisse les tempérer par un bon bain de "saine raison". Et sans que je puisse non plus les reléguer au loin tant ces indignations étaient tenaces. Incapable de les canaliser par la construction écrite mais tout aussi incapable de les traiter par le mépris et de ne plus m'en soucier, je me suis lâchée presque chaque jour sur les forums, les sites d'informations interactifs ou encore en laissant de longs messages chaque fois que je signais une pétition en ligne. Quelques mots ici, là, ailleurs, contre la maltraitance animale, contre les gaspillages éhontés, les vraies fausses mesures "en faveur de l'environnement"... peut-être ce faisant me suis-je attachée à de pauvres arbustes qu'il ne sert à rien de défendre et que des mal-intentionnés agitent à dessein juste sous nos yeux pour mieux cacher la forêt que l'on détruit en silence derrière. Mais tant pis. J'assume.

Et puis j'assume aussi d'écrire en vrac ces indignations qui, décidément, à cette heure me démangent trop...

De partout on réclame des "droits" - droit de manifester, droit de s’exprimer, droit de … et de… et encore de… mais pas une voix pour évoquer les devoirs. Veut-on "manifester" puisque c’est de cela dont il est surtout question en ce moment? Eh bien qu’on le fasse sans porter atteinte ni aux personnes, ni aux biens, ni aux édifices. "Manifester", "protester" n’a en aucun cas pour corollaire systématique la violence, n’en déplaise aux "Français en colère": pendant qu’à la périphérie des jaunissements hebdomadaires on agresse et détruit, il s’organise des manifestations bien plus massives et parfaitement pacifiques, comme celle des désobéissants civils qui par milliers ont bloqué les sièges des multinationales à La Défense sans qu’un seul geste violent soit esquissé et en conséquence de quoi les forces de l’ordre présentes n’ont rien eu à faire. L’équation est simple: pas de violences chez les manifestants = pas de violences policières. Point barre. Si "manifester", "exprimer son mécontentement" est en effet un droit que l’on devrait se réjouir de pouvoir exercer librement, détruire et agresser n’en est pas un – c’est un délit, puni par la loi, et le commettre expose à des sanctions.

Côté discours politiques, ils ne sont guère réjouissants: tous azimuts prolifèrent la brièveté de vue en tous domaines;  les certitudes assénées à grand renfort de contre-vérités et d’infox auxquelles on réagit au quart de tour sans même relever que l’on répond à des sottises; les avis péremptoires proférés par des juges autoproclamés qui ne se sont pas donné la peine de peser un tant soit peu leurs arguments et qui mettent dans leur voix une agressivité telle que si elle pouvait tuer l’on assisterait à des hécatombes… et, par-dessus tout, la mauvaise foi, le cynisme, l’incommensurable arrogance avec laquelle certains croient identifier les maux et "trouvent" les solutions…

D'autres rages démangent, le prurit n'est pas éliminé... mais ici le verbe sèche.

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7 janvier 2018 7 07 /01 /janvier /2018 14:59

Et tout d’abord, un ramassis de dates… qui firent date récemment dans mon petit paysage intérieur. En marche arrière, cela va de soi.

Samedi 23 septembre 2017
C’était, cette semaine, la reprise des cours à l’atelier photo argentique du centre d’animation Paris Rébeval. J’avais découvert cet atelier tout à fait par hasard fin 2016, en allant voir les créations que Marie-Annick exposait au centre – dessins et broderies dont un étonnant manteau dont je me dis aujourd’hui en écrivant ces lignes que, tout figé qu’il était sur son support à l’instar de n’importe quel vêtement offert à la vue de telle manière que chaque personne le contemplant puisse s’en imaginer vêtue et le croire fait pour elle, il avait quelque chose de vivant, qu’il «vivait en soi» indépendamment de qui le porterait mais, songeant dans le même temps au récit que m’avait brodé l’artiste autour de sa création et qui venait à l’entour de celle-ci l’enrichir au même titre que les coutures et les motifs retravaillés dans la matière même, je me dis qu’il s’agit moins de vie propre que d’histoire – un manteau doté d’une biographie en somme (bio-graphie: de la vie donc tout de même…).
C’est par le biais de la pratique photographique et du tatouage – autre fil d’encre, comme l’écriture du reste, tendu et plongeant dans les profondeurs de ma psyché que je sais fécondée par d’incessantes vibrations synchronistiques, mais ce serait partir trop loin que de tâcher, ici et maintenant, de le suivre fût-ce le long d’une seule de ses ramifications (mais peut-on, dans le foisonnement synchronistique, s’attacher à une seule ramification quand justement le propre de la synchronicité est de déployer une formidable prolifération d’échos?) et puis… ce n’est pas mon intention que d’aller dans cette direction – non: je veux juste rappeler que c’est à l’occasion de ma première initiation à la photographie argentique au centre Spéos, à une époque où je fréquentais régulièrement le studio All Tattoo de la rue Saint-Sabin, que j’ai rencontré Marie-Annick qui elle aussi venait au studio assez souvent mais pour prendre des photos, non pour se faire encrer elle-même. Depuis nous sommes restées amies et bien que je me sois quelque peu éloignée ces deux ou trois dernières années, je reste attentive à ce qu’elle fait, à ce qu’elle entreprend – et c’est ainsi qu’un soir je me suis emparée au vol d’une brève disponibilité pour aller voir ses créations au centre Rébeval. Quand j’y suis allée il y avait un cours et le labo était ouvert; comme je venais de dire à Marie-Annick que j’avais pus ou moins laissé tomber la photo depuis que l’animateur de la MJC de Créteil avait été licencié – n'ayant plus de maître pour me guider ni de condisciples qui m'eussent maintenue dans la dynamique d'un groupe constitué, je m’étais laissée lentement glisser vers l’apathie photographique, et ce bien que la direction m’ait offert en échange d’une simple cotisation la possibilité de profiter à ma guise du labo – elle m’a aussitôt incitée à discuter avec celui des deux enseignants qui était présent. Lequel m’a fait visiter les installations: six postes de travail répartis sur deux salles, des ustensiles et des produits impeccablement rangés… j’ai bien sûr demandé si je pouvais m’inscrire à l’une ou l’autre des sessions proposées mais non: tout était complet et je n’avais d’autre choix que d’attendre la rentrée prochaine pour m’inscrire à l’un des cours. Ouverture des inscriptions: juin. Bien entendu je m’y suis prise au dernier moment, comme si je voulais à tout prix rater le coche alors même que je savais ne pas vouloir abandonner la photo et ne pouvoir continuer qu’à la condition de rejoindre un groupe et d’être encadrée, guidée dans ma pratique. J’ai malgré tout fini par obtenir une place, la dernière qui restât – un signe: mes pulsions autodestructrices avaient cette fois été vaincues, in extremis mais vaincues tout de même! et c’est ainsi que ce 23 septembre 2017, je remettais les pieds dans un labo, avec cette irremplaçable sécurité qu’apporte l’accompagnement d’un enseignant. Autre signe : ce premier cours a eu lieu juste après une période où j’aurais eu beaucoup de difficultés à dégager une après-midi entière vouée à la photo. Tout semblait se liguer pour que mon renouement argentique s’accomplisse dans les meilleures conditions.
Jusqu’à ces gestes que j’avais contre toute attente si aisément retrouvés au cours de la semaine qui avait précédé ce premier cours: dans la perspective de cette reprise, je m’étais enfin décidée à développer ces quatre films réalisés en 2016 et que j’avais abandonnés à leur latence au point de ne plus même savoir ce qu’il pouvait y avoir dessus. Je m’étais donc procuré les produits idoines, avec toutefois cette crainte qu’ils fussent gâchés parce que, trop rouillée, j’aurais avant de les utiliser bousillé les films par suite de mauvaises manipulations. Mais le premier développement se fit au mieux, et les trois suivants pareillement. Mes doigts en effet se sont tout de suite déliés, refaisant avec une surprenante fluidité et comme si je n’avais pas traversé plusieurs mois sans toucher une spire, tous les gestes du développement, sans être le moins du monde gênée de devoir après une si longue interruption procéder dans l’obscurité totale, retrouvant même par réflexe le rythme des agitations à chaque étape du processus.
Mais pendant que ce déliement me rassurait, je devrais constater que cette autre voie ô combien étroite par laquelle je tiens au monde – l’écriture – allait s’étrécissant et jusqu’à une telle ténuité qu’elle valait disparition. Je perdais mon savoir-dire et mon aptitude à figer dans l’écrit ce qui vivait dans mes pensées. De plus en plus souvent j’ai senti les mots se terrer hors d’atteinte et les phrases d’abord forgées mentalement bien au clair se muer en fouillamini* dès qu’était tentée la moindre concrétisation. J’avais néanmoins, peu après ce constat, réussi à formuler cela:

Je perds la voie des mots mais écrire ce que l’on sait perdre n’est-ce pas croire qu’on le perd un peu moins? Croire qu’on le perd un peu moins, et non pas le perdre un peu moins! Un “croire” qui tient de la pensée magique!

Depuis bien des semaines ont passé, dont plusieurs en silence, l’écriture retirée loin comme une marée descendue si bas qu’elle ne pourrait plus remonter. Mais c’est aussi grâce à la photo que j’ai renoué avec elle – j’en veux pour preuve ces lignes mais, avant elles, c’est une multiplication de ces signes synchronistiques dont les surgissements m’interpellent constamment qui attisèrent les braises moribondes…
Notamment ce concours amateur d’un genre un peu particulier auquel je participe depuis l’édition 2012, Photovision, dont j’ai failli me détourner faute de disposer d’images «pertinentes au thème» à transmettre avant le 25 novembre 2017 ‒ ledit thème, «Vibrations», m’ayant inspiré beaucoup d’«idées» qu’aucune prise de vue n’avait concrétisées. Surtout j’avais présente à l’esprit la manière lamentable dont je m’étais sabordée lors de l’édition précédente: après avoir eu la joie de voir trois de mes photos retenues fin 2016 je m’étais débrouillée pour les déposer à la toute dernière minute, le dernier jour où il était encore possible de le faire de sorte qu’aucun responsable de l’événement n’était là pour les réceptionner; j’avais en outre gâté l’encadrement en découpant moi-même, prise par l’urgence, des marie-louise pitoyables qui de plus «servaient» des photos mal tirées (seule devant mon agrandisseur, j’avais complètement raté mes masquages et donc échoué à réaliser des tirages qui eussent été conformes aux images issues de mes négatifs scannés que le logiciel avait automatiquement rééquilibrées) au point que l’une d’elles n’a pu être accrochée. Consciente de ce jeu de massacre et écœurée d’un tel autogâchis, qui à coup sûr prendrait un relief accru à la vue des autres œuvres dont je savais qu’elles étaient remarquables pour avoir été membre du jury de sélection et qu’elles seraient merveilleusement mises en valeur par l’accrochage, je n’avais même pas eu le cran de m’y confronter: je ne suis pas allée voir l’exposition, je n’ai pas assisté au décrochage et, pour couronner le tout, je n’étais pas davantage allée retirer mes photos dans les délais impartis, abandonnant ainsi mes cadres au profit de l’association…
Pour l’édition 2018, pas question de réitérer ce contre-exploit; si je me résolvais à participer, il me fallait à tout prix prévenir pareil piétinement. Une fois décidée, j’ai donc envoyé la veille de la date de clôture des candidatures cinq photos dont une seule serait à tirer (je savais qu’en cas de sélection, je serais aidée au tirage), et cinq textes écrits à la hâte mais avec… oui, une certaine satisfaction! Ô la bouffée d’air qu’a été cette intention enfin menée jusqu’au bout, conclue par un acte concret! Cette participation manifestait aussi mon attachement à une association dont je voulais rester membre tandis que je n’avais plus pris part à aucune de ses activités depuis presque un an et, pour sceller cet attachement, j’acceptai de faire partie du jury convoqué pour le 1er décembre. À nouveau, moment délectable de socialité autour de la photo, considérations techniques et esthétiques mêlées composition… Et ce soir-là, tandis que la réunion prenait fin (avec à la clef une acceptation de mes cinq photos dont une sous condition de recadrage et deux autres à encadrer verticalement quand le sens initial de la prise de vue était horizontal – changement de «sens» à tous points de vue…), je recevais sur mon mobile un SMS de Marie-Annick m’invitant à passer chez elle le lendemain – un samedi de cours au centre Rébeval. Une tasse de thé chaud quand dehors le froid était rude, le bon sourire de son compagnon, Alexandre, poète à ses heures, vidéaste en quête de Mélusine et à leur côté des bouffées de ressouvenirs, de soirées où l’on fête le Nouvel an au feu des amitiés ravivées… Et enfin à plus d’un mois de distance je crois fixer dans ce flot de mots quelque chose du brasillement qu’ont provoqué ces moments entrechoqués – mais je sens bien que le cœur lumineux de ce brasillement, là où bat le sens, reste enfoui, encore à débusquer dans ce que je voudrais, pourtant, être la palpitation même de la signifiance et qui n’en est que l’ample mante.

Lundi 1er janvier 2018

L’année 2017 a pour moi la triste figure d’une friche décomposée et si je devais lui prêter un visage, ce serait celui-là, décoloré, déliquescent, dont on ne reconnaît plus les traits brouillés, que j’ai saisi sur une affiche vieille de plusieurs mois et mise à mal par les intempéries. 2017 ou le champ des gâchis – à ce concours Photovision haché menu par mes propres soins s’ajoutent ces myriades de projets avortés, de textes en brouillon plus nombreux que jamais dont l’amassement matérialise dans toute sa noire prégnance l’indigeste sentiment d’échec qui me plombe l’âme. Échec à voir, à entendre surtout – car je sais que tout texte achevé, même simple «chronique», vaut torche pour moi grâce à laquelle je déchire des pans entiers de brouillard. Et rien n’est plus amer que de sentir une clarté proche s’éteindre sitôt aperçue mais dont on va garder longtemps en tête la trace fantôme. L’amertume se remâche alors de jour en jour avec la persistance du souvenir de cette trace évanescente.
Qu’en sera-t-il de 2018? Un puissant signe synchronistique déjà marque cette journée inaugurale. Je suis à La Croix-de-Pierre, la maison de mes grands-parents où j’ai passé toutes mes vacances, et j’écoute la première «Matinale» de l’année sur France Culture. L’invité est Jean-Claude Carrière, interviewé à l’occasion de la parution de Du nouveau sur l’invisible – une série d’entretiens qu’il a eus avec Jean Audouze et Michel Cassé, reprenant le principe de l'ouvrage paru en 1988 Conversations sur l'invisible. Un titre pareil ne s’oublie pas et aussitôt je me suis souvenue d’avoir offert ce livre à mon grand-père – passionné d’astrophysique et de mathématiques, autodidacte de la plus belle eau, il consacrait une large part de son temps de retraité aux calculs, à l’étude, lisant beaucoup… il avait ainsi réuni au fil des années une petite bibliothèque scientifique restée intacte depuis sa mort voici presque vingt ans. Je m’y suis précipitée dès l’émission finie et, parmi ses livres, je retrouvai en effet sans peine celui-là, protégé par une couverture de plastique improvisée, taillée très probablement dans la poche même où le libraire avait glissé le volume lorsque je l’avais acheté – on y voit sur fond blanc le nom GALLIMARD en capitales rouges au-dessus duquel se tend, dessiné en noir et blanc, un avant-bras terminé par une main ossue tenant élégamment entre pouce et index une longue plume achevant de tracer NRF. À l’intérieur, sur la page de garde, deux numéros de page notés au crayon et renvoyant à une citation de Paul Valéry – mon écriture, attestant que j’avais dû tâcher de lire le livre – et plus bas sur cette même page, au crayon aussi mais de la main de mon grand-père, un renvoi à la page 169 avec ce mot, «autodidacte»; à ladite page un large paragraphe est crocheté en marge: une définition de l’autodidacte selon Jean Audouze. En maints autres endroits mon grand-père a crayonné des marques – croix, soulignements, crochets en marge signalant des paragraphes entiers) – et c’est sa voix que j’entends, charriant tous les remords que j’ai de ne pas avoir su l’écouter et profiter de son enseignement quand il était là.
À trente ans d’intervalle, trois hommes reprennent leurs Conversations sur l’invisible; le jour, la manière dont j’apprends l’existence de cette reprise et ce vers quoi elle me ramène: la synchronicité dans l’une de ses plus vives manifestations.

Mercredi 3 janvier 2018

Cette après-midi je rends visite à mon ami Otto K. Tandis que je m’apprête à prendre congé, il m’invite à passer dans son atelier avant de partir – une belle marque de confiance et d’amitié de la part d’un artiste… Nous bavardons encore un moment, puis il me tend l’une de ses œuvres récentes intitulée La Fée. «Tiens, je te l’offre…» Quel doux et bel instant... Passées les effusions de remerciement, je sens instantanément vibrer ma petite antenne synchronistique. Cette œuvre n’est pas seulement belle et source d’émotion esthétique: je la reçois comme une invitation à me réconcilier avec toute une part de moi que j’ai malmenée à coups de comportements névrotiques tout au long de ma vie d’adulte. C’est un faisceau de lumière qui m’est donné; plus que tout autre cette œuvre me prend par la main et me murmure de suivre une voie. Otto a dû lire en moi à mon insu!
 

La Fée est un photomontage – une photographie numérique qu’Otto a prise, plus ou moins retouchée puis imprimée sur laquelle il peint figures et motifs selon son inspiration du moment qui s’y trouvent, ainsi, mis en scène. Ici c’est une vieille souche de son jardin qui, voici quelques années, l'a mené sur les traces de cette petite fée. D’une masse ligneuse sèche et torturée, blanchie et fissurée par la nécrose son imagination et son talent de peintre ont fait naître cette superbe représentation génésique: la souche desséchée tout en creux et en reliefs a été parée de nuances bleutées, sa base prolongée de petites racines et prise jusqu’aux deux tiers par un fond brun quasi noir étoilé au fine grain. Le haut émerge dans une obscurité tout aussi dense mais nuée d’un liseré bleu clair. Et au cœur de cette forme dont je réalise, en écrivant, qu’il s’en faut de peu pour qu’elle devienne œuf, un creux qui évoque une matrice où se tient la fée, infiniment gracieuse dans pose souple, magnifiée d'une peau diaphane et luminescente, d'un visage paisible au doux souris et aux yeux clos, d'une longue, longue chevelure rousse – sa nudité tout en pudeur fait rayonner la gloire d'une beauté sereine.

Aujourd’hui, la souche est entièrement couverte de lierre – un lierre vigoureux, aux petites feuilles vert foncé trapues et abondantes, sous lequel a disparu le bois mort. Je songe à ces nymphes métamorphosées dont fourmille la mythologie grecque et me dis que sans doute la fée, bien protégée au sein du bois comme la chrysalide dans son cocon, a fini par sombrer dans le sommeil tandis que son corps coulait ses courbes douces hors des fissures pour, au terme d’une lente évolution, n’être plus que lierre…
 

Pour donner au concert synchronistique sa coda: cette première semaine de l’année 2018 au cours de laquelle a été scellée ma rencontre avec La Fée a été celle d’une autre célébration génésique – pendant quatre jours, Adèle van Reeth a consacré ses «Chemins de la philosophie» à la fameuse tétralogie cinématographique Alien, le premier volet étant «Naissance d'un monstre»...

 

 

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21 août 2017 1 21 /08 /août /2017 18:29

Trouver le chemin qui mène du percept, ou de la pensée, au texte puis en couvrir la distance de bout en bout… cela m’est chaque jour plus difficile. Et je ne fais guère plus que rêver mes phrases au lieu de les écrire – rêvées, encore intangibles, elles ont toujours fière allure mais à peine ai-je commencé de tracer, ou de taper un à un les caractères qui vont former les mots que déjà la phrase entière dont seul le début est pris dans la concrétude écrite se fissure, se met à grincer – à devenir sinon hideuse du moins ridicule…
Alors je persiste et rêve – de phrases courtes et ramassées où je saurais, en quelques signes à peine, silences compris, rassembler un concentré de sens à  haute densité mais aussi de phrases longues et étales, sans anfractuosité aucune où s’éraillerait le rythme, qui diraient par leur planéité même tout le poids oppressif du temps, celui que l’on a perdu, celui que l’on n’a plus, celui qui est compté d’une main si parcimonieuse et si prompte à en rompre le cours.
Le rêve tien bon, le geste demeure en suspens, au bord de cet insondable abîme qu’est le «texte à écrire».

 

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5 mars 2017 7 05 /03 /mars /2017 13:08

Une fois de plus, poussée jusqu'au seuil de l'écriture par une nécessité impérieuse  parce que je ne vois pas d'autre issue, en même temps m'étreint l'affreuse angoisse de frôler l'abîme. Ô cette certitude que les mots ne peuvent rien sauver mais que sans leur secours on est voué à une noyeuse submersion! à moins qu'il suffise, pour ne pas suffoquer ni râler de désespoir, de ne pas attendre d'eux qu'ils préservent, ou restituent mais, simplement, qu'ils fassent barrage à la dissolution en inscrivant ce que l'on peut et sait dire dans la vibration du vivant, du labile, de l'impermanence toujours frémissante.

Lundi 27 février, 20h15.
Sweetie s’éteint doucement dans mes bras après avoir, quelques heures auparavant, adopté une posture qui hélas ne laissait plus espérer qu’elle pût se rétablir : au lieu de se tenir comme à son habitude lorsqu’elle se repose, ou dort, roulée en position fœtale ou à plat ventre les pattes repliées sous elle, la voilà qui s’allonge sur le flanc, pattes tendues, yeux ouverts. Je vois que sa respiration a perdu en ampleur mais ce qui m’avertit surtout est ce poignant vacillement qui l’affecte quand elle tente de se redresser. Je comprends qu’elle a épuisé toutes ses forces et qu’elle n’en a plus pour très longtemps alors je la prends contre moi – et je constate que ses pattes déjà sont toutes froides. Son cœur bat très vie, à coups minuscules tout serrés l’un contre l’autre… tandis que sa respiration demeure régulière, juste de plus en plus ténue. Je la tiens de la manière qui me parait être la plus confortable – ce ne sera jamais qu’un point de vue humain et non félin mais j’ose espérer qu’en ces circonstances-là, l’un et l’autre se sont confondus. Elle n’aura eu en tout cas aucune velléité pour se dégager – elle est partie en me laissant croire que j’avais pu lui donner ce que je tiens depuis longtemps pour la moins mauvaise façon de mourir : dans les bras d’une personne aimée ou, à défaut, en lui tenant la main tandis qu’on glisse progressivement vers l’ultime léthargie. Le matin juste avant que je me lève, elle avait, contre toute attente, repris une habitude qu’elle avait abandonnée depuis deux ou trois jours, ne venant plus me rejoindre sur mon lit mais se tenant dessous (témoignant par là, sans doute, qu’elle s’approchait de sa fin): elle était venue s’asseoir près de mon visage en ronronnant, les yeux rivés aux miens tandis que je lui murmurais des «mon petit Sweetounet» tout tendres. Posture qui m'avait si souvent fait dire qu’elle était ma conscience, et qu’elle veillait sur moi quand c’était elle qui avait besoin de moi… Curieusement, en même temps que se rallumait brièvement en moi le rêve fabuleux d'une guérison miraculeuse au vu de ce qui pouvait passer pour un léger éloignement de la fin certaine, je me suis dit avec la même évidence «elle vient me dire au revoir».

Mardi 28 février puis mercredi 1er mars
Je couvre des pages de cahier de notes jetées au fil du stylo, d’une écriture aiguë, mal formée – bien mal lisible: tout est tremblé, les lettres, les phrases qui ne sont pas achevées…  mais il me faut dans l’urgence déposer tout ce que je peux de ce que Sweetie m’aura enseigné pendant sa maladie. Les signes, les coïncidences, les prétextes, le sens et la portée véritables des conflits qui se sont jadis cristallisés autour d'elle et qui ne la concernaient pas directement...  tout se carre là, dans ces masses que je ne cherche même pas à éclaircir. Car ce tassement participe de ce que je dois apprendre et je sais que dans cette profusion exubérante, il manque des choses…

Jeudi 2 mars
Aux premières heures du jour, une fulgurance:
Sweetie aura été comme la baguette de verre dont on s’aide pour suivre sur un parchemin mystérieux des lignes de signes inconnus à fin de déchiffrement.
Salutaire Sweetie, ai-je écrit peu avant.

Et en ce dimanche 5 mars, à une semaine de distance jour pour jour de ce dimanche où j'avais eu un bref instant l’espoir fou que Sweetie allait miraculeusement guérir – elle avait donné trois coups de langue à la pâtée que j’avais servie à Elléas et Mélithys, après n’avoir plus rien avalé depuis dix jours; je m’étais alors prise à penser qu’elle avait, par son jeûne extrême, littéralement asséché son lymphome et que petit à petit, elle allait se réalimenter jusqu’à retrouver assez de réserves pour autoriser la reprise des soins – je prends la mesure du vide quasi terrifiant que sa mort a creusé. Moins par son absence qui taille pourtant une vacuité bien tangible que par l'extinction soudaine des foisonnements de pensées, de fantasmes, de craintes et de croisements réticulaires de menus faits qu'avaient suscités sa très longue maladie puis sa lente agonie. Tout d’un coup ma machine intérieure qui a carburé à si vive allure pendant des mois et s'est même emballée jusqu'à la folie au cours des dernières semaines se trouve en berne – et ce qui dans le surgissement me paraissait vital, incontestable, déterminant, aigu comme l'éclair… semble maintenant pâli, inconsistant, comme n’ayant jamais été pensé ni perçu. Pourtant, je reste persuadée que Sweetie aura été, à travers sa maladie et sa très lente agonie, à travers toutes les synchronicités que j’ai vu jaillir, tous les signes que j’ai cru percevoir puis que je me suis ingéniée à interpréter mais dont la liste n’a pas sa place ici, encore faudrait-il d’ailleurs qu’elle fût possible à établir, ce dont je doute! – à travers tous les récits, les discours, les fables que j’ai mentalement écrits de jour en jour mais dont je ne veux même plus tâcher de garder la trace hors de ce qui ici restera – Sweetie, donc, aura été le guide de mes verticalités: une lueur m’incitant à regarder plus encore que je ne le faisais jusqu’alors vers ce qui nous dépasse si absolument qu’il n’y a pas de nom pour cela et, à l’exact vis-à-vis de cette clarté, la bouche obscure de la voie menant au cœur de mes profondeurs, qu’elle a entrouverte alors que, voici presque trente ans, j’en condamnais l’accès en tournant prématurément le dos à une analyse censée m’aider à explorer ces tréfonds.
Sweetie plus-que-chatte, qui n’aura pris ce visage qu’à travers sa fin de vie.

Plus-que-chatte et, en regard de cela, la seule de mes chats et chattes dont j'ai décliné le nom en minauderies affectueuses: Sweetounette, et surtout Sweetounet, non par confusion de genre mais par contamination avec Oursounnet, le nom que j'avais donné, toute petite, à l'un de mes ours en peluche, tout en rondeurs comme Sweetie et, comme elle, ayant un pelage extrêmement doux et tout foncé...
Est-ce seulement une question de musicalité qui m'a entraînée sur ces déclinaisons?

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21 février 2017 2 21 /02 /février /2017 05:30

Une fois de plus il me faudra très bientôt inscrire ici une nouvelle nécroféline  après Nyssiah qu'une voiture a tuée, j'ose espérer sur le coup, en 2010 et Mysstykk emportée par un cancer fulgurant le 23 mars 2015 c'est maintenant Sweetie qui vit ses derniers moments, arrivant au terme d'une maladie diagnostiquée en juin 2016 comme chronique mais bénigne puis qui a finalement cédé le pas à un lymphome, pas franc du collier mais que l'on a quand même commencé à traiter par chimiothérapie. Celle-ci  hélas interrompue dès la deuxième séance: Sweetie n'a pas supporté le médicament et lorsqu'elle a fini par montrer des signes témoignant que les effets secondaires s'étaient estompés, laissant alors croire à la possibilité d'une alternative à la molécule qui n'était pas tolérée, son état s'est vite dégradé, sans plus aucune période faste instillant de l'espoir. Et aujourd'hui 21 février, voilà quatre jours qu'elle n'a plus absorbé la moindre nourriture solide. Elle boit, miraculeusement tient encore debout et se déplace d'un coin à l'autre de la maison même si elle ne quitte plus guère son coussin. L'issue fatale est imminente. Pour la première fois je tiens la défaite lente et la mort par la main jusqu'à présent il y a toujours eu entre moi et la maladie, puis la mort de mes proches, humains ou félins, assez de distance pour que je puisse me ménager la possibilité de me dérober, de ne pas m'attarder auprès du mourant et de de ne pas faire compagnie de trop près au désarroi radical que cause chez  les survivants la perte.

Sweetie à travers sa maladie et maintenant son lent départ me confronte à l'impossibilité de fuir, à l'obligation de vivre intimement la "mort-de-toi" et d'en être atteinte jusque dans les tréfonds, de manière plus-que-charnelle  je dirais "atomique" et jusqu'à la dispersion cosmique [ah çà!  déraper ainsi, c'est déjà tenter la dérobade vers le délire conceptuel et l'ivresse des mots...] et non plus seulement intellectuellement, par le biais de rituels, de raisonnements et de transmutations discursives qui sont autant de mises à distance... Elle est devenue ma conscience; elle dont la placidité m'a souvent irritée au point de m'en moquer sans prendre la peine de l'apprécier, elle dont je disais parfois mais avec tendresse cette fois qu'elle avait un regard "Calimero", elle a immensément grandi au cours de ces derniers mois elle est bien ma Conscience! Me le fait dire surtout cette posture qu'elle a adoptée dès que je l'ai laissée venir dormir à mes côtés voici quelques mois, pensant que cela favoriserait sa guérison en comblant en partie l'absence de Mysstykk avec qui elle formait une sorte de binôme, pendant à celui constitué par Mélithys et Elléas: au terme de la nuit passée tranquillement blottie contre mes jambes au fond du lit, elle venait s'asseoir au petit matin tout près de mon visage pour me fixer des yeux en ronronnant  jusqu'à ce que je me lève...

Elle m'a aussi poussée dans les extrémités de la "pensée magique" je ne m'étendrai pas davantage là-dessus ni sur le détail des "gestes magiques" accomplis  sauf à écrire que l'inclination à la "pensée magique" est une pente qui a mes faveurs de longue date et, si je suis certaine que cela participe de sa mission je n'ai en revanche pas la moindre idée de la direction qui m'est ainsi montrée. En tout cas, par les soins dont elle aura eu besoin, elle a réussi à ce qu'enfin je jette bas mes petits égoïsmes mesquins, et la plupart de ces minables manies quotidiennes, quasi-TOC, réitérées comme des mantras à seule fin d'ériger des barrières derrière lesquelles je puis avoir l'illusion de me croire à l'abri de toute atteinte. Sweetie a ouvert de petites brèches, Sweetie, salutaire Sweetie.

Déjà, en juillet, elle m'avait éclairée sur quelques points. Rétrospection, en forme de confession qui n'ignore pas que l'autoflagellation est plutôt vaine...

Enfant, je me mordais l’un ou l’autre avant-bras jusqu’au sang lorsque j’étais dans les hauts grades de la colère. Je ne brisais rien, ne précipitais à terre aucun objet, ne déchirais pas non plus le moindre papier. Je me mordais simplement, aussi fort que je le pouvais comme si, n’osant pas expulser la rage, je me punissais à la fois de la ressentir et de ne pas savoir m'en délester vraiment. L’âge venant, j’ai cessé de me mordre. Cela ne signifie pas pour autant que je n’aie plus éprouvé de colère mais, au-delà de l’adolescence, je me suis peu à peu mise à exprimer celle-ci de manière plus classique, par des cris, des claquements de porte, des avalanches de mots orduriers hurlés entre les quatre murs de mon appartement comme si j’étais exilée sur une île déserte. Trop souvent, mes chats, ces compagnons que je me suis choisis et que je dis aimer (jusqu’à quel point suis-je capable d’amour vrai?), ont fait les frais de ces poussées de rage: ils ont subi plus souvent qu’à leur tour, terrifiés et se cachant sous les meubles, mes gueuleries lors même qu’ils n’en étaient pas les sujets; ils ont aussi essuyé des cris injustifiés simplement parce que j’avais les nerfs tendus à se rompre et que, se rompant, ils causaient des explosions dont le souffle les atteignait de plein fouet; pire: ils ont parfois été copieusement engueulés pour s’être comportés en félins quand j’attendais d’eux qu’ils marchassent dans des ornières que moi, humaine, j’avais tracées pour eux. Ces flambées stupides sont éminemment destructrices, quand bien même aucun coup ne tombe – je suis convaincue qu’il y a lors de ces éclats des émissions subtiles corruptrices, qui gâtent les corps en profondeur aussi sûrement qu’un poison lent tue à petit feu. Pourtant, j’ai malgré tout continué à m’abandonner, de-ci de-là, à ces accès. Et je suis aujourd’hui persuadée que ce cancer dont est morte Mysstykk il y a un peu plus de trois mois est une conséquence de cette atmosphère corrompue par mes colères dans laquelle elle a vécu; aujourd’hui chez Sweetie aussi on a soupçonné un cancer – heureusement, il n’en est rien mais je suis sûre que la maladie chronique dont elle souffre est, comme le cancer de Mysstykk, une efflorescence perverse poussée sur les exhalaisons de mes rages.
Je sais trop qu’aucun repentir d’aucune sorte ne peut réparer les destructions causées par mes accès coléreux et mes pensées sinon haineuses du moins dépourvues d’amour. Mais j’espère qu’en attestant par ces mots que j'ai conscience de leur atroce pouvoir, je fais les premiers pas qui me conduiront vers un meilleur contrôle et à canaliser mes colères de telle manière que leur violence ne puisse plus atteindre mes chats. Cela ne suffit pas: il faudrait aussi que, une fois contenue ma négativité, je sois capable de générer autour de moi une atmosphère adoucie et sereine, qui rende mes chats plus heureux. Ainsi me suis-je fabriqué un "Creuset des colères": un bocal où j’ai placé du riz, dont je me saisirai dès que je sentirai monter en moi le reflux puant de la colère et du dégoût afin de l’y déverser, dirigeant vers lui mes insultes. Pour que plus rien ne déborde et n’aille corrompre l’entour.

J’avais commencé d’écrire cela, le dimanche 3 juillet au soir, veille de la laparotomie que doit subir Sweetie, comme un croyant va brûler un cierge pour favoriser la guérison de ceux qu’il aime. À la différence du croyant, je ne m’en remets pas à Dieu mais à moi seule, pour tâcher de corriger les maux que j’ai moi seule causés.
J’y reviens ce 17 juillet, sachant désormais que Sweetie n’a pas de lymphome. Diagnostic heureux, qui n’enlève absolument rien à mes convictions concernant les effets néfastes de mes accès de colère, bien évidemment. Depuis ce 3 juillet, le "creuset des colères" en a essuyé quelques-unes, plutôt violentes. Aura-t-il été pour ces éclats ce que le paratonnerre est à la foudre?   
2 janvier 2017
Non, à l’évidence: le "Creuset" a été vidé, les grains de riz rincés et utilisés culinairement. Je n’ai pas su canaliser assez mes accès coléreux pour les déverser là à temps, je n’ai pas vu les grains pourrir de recevoir toute ma négativité, et Sweetie connaît des hauts, des bas et surtout des bas, malgré un traitement massif et des visites hebdomadaires chez le vétérinaire. Toujours pas de lymphome décelé mais demain, le 3, nouveaux tests. Qu’en sortira-t-il???
20 février 2017
Le lymphome a été diagnostiqué comme quasi déclaré au terme de ces tests de janvier – avec encore, toutefois, une nuance hypothétique… Une chimiothérapie a néanmoins commencé mais dès la deuxième séance, on a vu que Sweetie réagissait mal au médicament. Elle est maintenant squelettique. Il y a sept ans mois pour mois je m’effarai de ce que, laissée à la garde de ma grand-mère, fort généreuse en nourriture, elle avait pris beaucoup de poids. Sept ans! Sept!! quelle porte ouvre donc cette clef symbolique?
Curieusement, son état a commencé à se profiler irréversible après que, pendant ma course matinale, je me suis mentalement dit:
"Sweetie ne doit plus être le réceptacle de tes obsessions, de tes remords et conflits non résolus, et encore moins la bêche rêvée dont je puis, ô le beau prétexte, m’emparer pour continuer de plus belle cette entreprise d’auto-inhumation à laquelle je me livre depuis des années à petites pelletées subreptices: elle est juste une chatte malade dont il faut prendre le plus grand soin. Tes batailles contre toi-même doivent se livrer en dehors de tes chats…"
Je croyais naïvement qu’en ramenant mes putrides et noires laves intérieures à leur juste domaine, en mettant hors de leur emprise Sweetie elle allait enfin pouvoir vaincre sa maladie – et c’est le contraire qui est arrivé…

 

 

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