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30 juillet 2015 4 30 /07 /juillet /2015 15:00
 Messine, hiver 1918...

Quand Jean-Paul Tribout, fort de son amitié pour le metteur en scène, Hervé van der Meulen, et de la grande estime qu’il a pour son travail, a inscrit Beaucoup de bruit pour rien à l’affiche du 64e Festival des jeux du théâtre, cette comédie de Shakespeare qui, paraît-il, n’est pas souvent montée, était en cours de préparation. Je ne l’ai pas vue parce que c’est une création, m'expliquait-il en juin dernier, et les répétitions viennent tout juste de commencer. Mais, avec Shakespeare au texte, Hervé van der Meulen à la mise en scène, et la troupe de comédiens qu’il a recrutée, ça devrait être un beau moment de théâtre.

Inaugurale pour moi qui, tout juste arrivée, prenait en marche le train du festival pour ne monter à bord qu’au cinquième arrêt, aussi bien que pour la place de la Liberté qui accueillait ce mercredi 22 juillet le premier des trois spectacles dont elle doit être l’écrin, cette représentation me laisse un souvenir resplendissant. J’ai été conquise par la mise en scène et l’interprétation irréprochable des comédiens; la place quant à elle, s'il fallait lui reconnaître la faculté d'éprouver des sentiments, aurait très probablement ronronné de satisfaction tant les belles ressources environnementales qu'elle offre au théâtre ont été admirablement exploitées par les artistes qui ont su non seulement profiter des beautés du lieu mais aussi tourner les difficultés en atouts. Une appropriation de l'espace d'autant plus remarquable qu'aux contraintes inhérentes au plein air et à la brièveté du temps de répétition permis par la structure même du festival sarladais, il faut ajouter que le spectacle est en tout début de carrière. Il y eut paraît-il quelques couacs, aux dires d'Hervé van der Meulen, mais, de mon siège de spectatrice, je n’ai vu rien autre qu’un formidable spectacle dont on eût dit qu’il avait été répété des semaines durant et tout exprès pour la place de la Liberté.


Je découvrais Beaucoup de bruit pour rien l’esprit nu de toute référence, n’ayant avant de prendre place sur les gradins vu aucune adaptation, ni scénique ni cinématographique. À peine avais-je lu la pièce, dont je savais qu’elle était située au palais du gouverneur de Messine, à une époque difficile à déterminer faute de détails suffisamment précis mais que l’on pouvait supposer être quelque moment du haut Moyen Âge. J’avais néanmoins pu percevoir que son attrait résidait davantage dans la virtuosité des dialogues que dans l’intrigue proprement dite – des aléas amoureux, dramatisés de manière assez banale. De fait, je fus très vite frappée par ces conversations charmantes et alambiquées (Germaine Landré*), qui m’évoquèrent ces rutilantes joutes verbales auxquelles se livreraient, des décennies plus tard, les Précieux pour qui la conversation était un art en soit et qui se mesuraient les uns aux autres à l’aune du sel dont ils savaient assaisonner la moindre de leurs répliques.
À Messine donc, le gouverneur Leonato, avec sa fille Héro, son frère Antonio et la fille de celui-ci, Béatrice, accueille don Pedro, prince d’Aragon. Celui-ci est accompagné de son serviteur Balthazar, de deux de ses plus proches favoris, Claudio le Florentin et Bénédict, de Padoue, ainsi que de son frère naturel, don Juan, lui-même suivi de Borachio et de Conrad. Cette fière compagnie vient de remporter une guerre – dont il n’est rien dit – et prévoit de prendre ses quartiers chez Leonato pour un mois. Héro et Claudio se plaisent mais n’osent se déclarer l’un à l’autre – aussi don Pedro propose-t-il à son favori de courtiser Héro comme pour lui-même et de demander sa main mais à seule fin de la gagner aux sentiments du jeune Florentin pour que celui-ci puisse l’épouser. Parallèlement à ce stratagème s’en déploie un autre visant à amener Bénédict et Béatrice à s’épouser alors même que tous les deux font assaut d’hostilités verbales pour se dissimuler à quel point ils sont attirés l’un par l’autre. Tout cela paraît bien devoir se résoudre selon les désirs de chacun mais, dans l’ombre, don Juan qu’une obscure rancune ligue contre son frère travaille à ruiner ces bonheurs en préparation. La tragédie se profile, à toucher de son aile funeste les protagonistes… Mais la pièce appartient au corpus shakespearien des comédies, la fin est donc heureuse: les amoureux finissent par s’unir selon leurs inclinations tandis que l’éminence noire est arrêtée dans sa fuite, et promise à un châtiment exemplaire.

Si Hervé van der Meulen n’a pas «adapté» à proprement parler le texte de Shakespeare – il a simplement fondé son travail sur une nouvelle traduction signée Gil Delannoi et dans laquelle il a opéré des coupes, sans quoi la représentation aurait duré quatre heures mais ces coupes concernant pour l’essentiel les jeux de mots intraduisibles dont le texte est jalonné, nous dit-il, avec ici et là d’infimes ajustements appelés par sa mise en scène – il a en revanche transposé la pièce en hiver 1918, soit juste après la signature de l’Armistice.

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Hervé van der Meulen
(cité d'après les propos tenus à Plamon):
«Notre effort a consisté à respecter au plus près le mélange de tons, qui va du comique au tragique – et dans le comique même il y a plusieurs registres, depuis la finesse verbale jusqu’à la quasi farce – qui imprègne le texte original et fait, selon moi, tout l’intérêt dramatique de la pièce. D’ailleurs la plupart des comédies de Shakespeare sont comme ça. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi l’après-Première Guerre mondiale comme contexte: c’est une époque entre deux mondes; toute une société a été engloutie par la guerre, une société disparaît… C’est aussi une époque que je trouve très belle, très élégante, dont l’esprit me paraît s’accorder avec la pièce, et j’avais le sentiment qu’elle était un juste milieu entre notre temps et celui où est censée se dérouler l’intrigue – déjà anachronique quand Shakespeare a écrit sa pièce mais il se fichait manifestement du cadre, dont on sent bien qu’il est une construction fantaisiste. Car ce renvoi à la guerre de 14 rend certaines choses lisibles pour nous aujourd’hui : certains éléments shakespeariens sont encore vivaces pendant ces années-là – par exemple ce qui relève du code de l’honneur, ou du respect de la virginité avant le mariage. Cette transposition m’a, entre autres, permis de faire de Borachio un maître d’hôtel qui épie tout et, par là, de développer un peu son personnage qui, dans le texte original, a un rôle assez court. Et puis je crois que la transposition a aussi étoffé pas mal de choses, a créé d’autres rapports qui, selon moi, sont plus clairs ici que dans la pièce telle qu’elle a été conçue par Shakespeare.»

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La guerre dont rien n’est dit dans le texte sinon que don Pedro et les siens l’ont gagnée prend ainsi la consistance poignante de la Grande Guerre, et ce que notre imaginaire reconstitue autour de cette référence tisse à la pièce un «avant-récit» puissamment évocateur qui explicite les relations entre les personnages. L’évocation de ce contexte d’immédiat après-guerre est construite dans une grande unité esthétique, depuis les costumes bien sûr qui sans être strictement mimétiques signifient immédiatement à l’esprit la période des Années folles jusqu’à la bande son qui habille les scènes de bal mais aussi les semi-noirs pendant lesquels les comédiens reconfigurent le décor en complétant d’accessoires divers un ensemble de colonnes mobiles qui ne quittent jamais le plateau.


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Hervé van der Meulen:
«C’est Isabelle Pasquier, une costumière qui a l’habitude de travailler avec la scénographe, Claire Belloc, et avec qui j’ai déjà travaillé sur plusieurs spectacles, qui s’est occupée des costumes. Il n’en fallait pas moins de 70 pour cette pièce… Nous n’avions ni le temps, ni les moyens de tous les créer, alors nous avons puisé dans notre stock, qui représente quelque 5 000 costumes ‒ nous avons récupéré un gros fonds de Jean-Louis Martin-Barbaz, qui codirige avec moi le studio d’Asnières, à quoi s’ajoutent les costumes accumulés depuis vingt-deux ans que nous fabriquons des spectacles, ceux qu’on nous donne, ceux que nous achetons, ici où là, à l’Opéra, à la Comédie-Française, pour des bouchées de pain, etc. Seules les robes de Béatrice et de Héro ont été réalisées exprès pour la pièce.
«Quant au décor, il fallait trouver un moyen de signifier tous les lieux de la pièce, qui sont très nombreux, et très différents, avec des éléments qu’on puisse facilement et rapidement moduler. Nous avons donc imaginé cet ensemble de colonnes mobiles qui permettent de créer tous les espaces distincts dont on avait besoin. Notre décoratrice s’est inspirée de celles du cinéma Le Louxor, à Paris, qui date des années 1920 et s’inscrit dans la vogue néo-classique qui caractérise cette époque, tout imprégnée d’un engouement pour l’antique suscité par les découvertes archéologiques. Au sujet de la musique, tous les morceaux que l’on entend pendant le spectacle sont représentatifs de cette période ; le jazz bien sûr mais aussi la musique savante: toutes les liaisons musicales qu’on entend pendant les noirs où l’on change le décor sont empruntées à des compositeurs tels que Richard Strauss ou Stravinsky qui ont écrit de la musique néo-classique – comme de la musique “classique” mais avec quelque chose qui “grince derrière”. Enfin, je dirai que, pour mes choix esthétiques, je me suis beaucoup inspiré d’une série télévisée qui était diffusée au moment où je préparais le spectacle, Downtown Abbey…»


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Au bout de ce travail un spectacle éblouissant de plus de deux heures, mené par dix-sept comédiens exceptionnels et en effet d’une merveilleuse cohérence esthétique. Nul doute qu’il aura conforté Jean-Paul Tribout dans la grande estime qu’il a pour Hervé van der Meulen et l’inclinera à lui renouveler sa confiance «à l’aveugle» ‒ d’autant que, le lendemain à Plamon, les spectateurs qui se sont exprimés ont témoigné d’un enthousiasme sans réserve.


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* William Shakespeare, Le Marchand de Venise; Comme il vous plaira; Beaucoup de bruit pour rien (traductions de François-Victor Hugo; préface et notices de Germaine Landré), Flammarion, coll. «GF», 1964.

BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN
Comédie de William Shakespeare. Traduction de Gil Delannoi.
Mise en scène:
Hervé van der Meulen, assisté de Elisa Habibi.
Avec:
Étienne Bianco, Geoffrey Dahm, Paul Delbreil, Maylis de Poncins, Charlotte Desserre, Robin Goupil, Louise Grinberg, Guillaume Jaquemont, Martin Karmann, Théo Kerfridin, Jean-Michel Meunier, Augustin Passard, Laurent Prache, Éric Pucheu, Luc Rodier, Laurène Thomas, Hervé van der Meulen.
Scénographie:
Claire Belloc.
Costumes:
Isabelle Pasquier, avec la participation de l’Atelier costumes du Studio d’Asnières.
Maquillages:
Audrey Million.
Lumières:
Stéphane Deschamps.
Chorégraphie:
Jean-Marc Hoolbecq.
Chansons:
Jean-Pierre Gesbert.
Régie générale:
Arthur Petit.
Durée:
2 h 15.

Représentation donnée le mercredi 22 juillet, place de la Liberté.

Pour connaître les dates des représentations à venir, et découvrir le CFA (Centre de formation des apprentis) des Comédiens - le seul qui existe en France, homologué par le ministère de la Culture en septembre 2014, voir le site du Studio d'Asnières.

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25 juin 2015 4 25 /06 /juin /2015 13:06
Sarlat 2015: le rideau se lève (enfin presque) - I

Disons que ce n'est, encore, qu'un lever de rideau partiel, comme le montre l'illustration de couverture du programme. Si, suivant le calendrier habituel, l'affiche du 64e Festival des Jeux du théâtre est établie depuis longtemps – elle a été mise en ligne dès la mi-avril sur le site du festival, sitôt donnée la conférence de presse qui présentait la liste définitive des spectacles – l'on ne commence à entrer dans le vrai vif des choses que depuis le mercredi 24 juin, jour d'ouverture de la billetterie aux abonnés et aux membres actifs de l'Association du festival. Les autres spectateurs devront attendre le lundi 29 juin. Les informations pratiques (horaires, tarifs, etc.) concernant les réservations se découvrent ici. Elles sont aussi détaillées qu'est agréable à lire le programme, où chacun des dix-sept spectacles est fort bien résumé, accompagné d'un petit extrait critique judicieusement choisi pour tenter tout pérégrin de la Toile qui aurait quelque inclination pour le théâtre.

Du samedi 18 juillet au lundi 3 août, Sarlat vibrera donc au rythme de ces spectacles à représentation unique qui vont se succéder pendant dix-sept jours, scandés, chaque matin, par les fameuses "rencontres de Plamon" où artistes et spectateurs échangent à leur sujet en toute convivialité. Un tel afflux d'émotions et de réflexions subséquentes aux débats étourdit très vite mais on se laisse entraîner dans cette farandole sans beaucoup résister tant est puissant son effet enivrant, euphorisant toujours même lorsque – cela arrive! – certaines pièces déçoivent.

Dix-sept spectacles, dont une lecture, représentés en alternance au jardin des Enfeus, dans la cour de l’abbaye Sainte-Claire et sur la place de la Liberté avec un petit écart au jardin du Plantier pour un spectacle de tréteaux: les éléments-piliers du festival sarladais demeurent inchangés. Et toujours servis par une équipe aussi soucieuse d'agencer avec une subtile pertinence au sein des différentes contraintes grands spectacles et petites formes, mises en scène classiques et celles dont l’audace alimentera les discussions du lendemain, comédies et pièces plus graves, moments de pure réjouissances et spectacles en prise directe avec les grandes questions existentielles ou sociétales… C’est ainsi, d’édition en édition, une même esthétique de la marqueterie poussée à son point d’excellence.

En 2015 on retrouvera les deux auteurs-phares du festival, Shakespeare et Molière, presque toujours de la fête; pour leur tenir compagnie, une belle cohorte d’auteurs, sinon vivants, du moins contemporains, dont quelques-uns sont déjà des «classiques», tels Ionesco ou Queneau. Quant aux spectacles proprement dits, beaucoup sont tous neufs qui ont été créés en début de saison. Enfin, un regard attentif permet de repérer une pléiade de comédiens et de metteurs en scène bien connus des festivaliers…

Grande privilégiée, j'ai à nouveau pu être informée en direct de la teneur du programme grâce à l’amicale gentillesse de Jean-Paul Tribout – le directeur artistique du festival – qui m'a accordé une chaleureuse entrevue autour d’un café. En à peine plus d'une heure, prélevée sur un emploi du temps que je devine surchargé (en même temps qu'il s'occupe du festival de Sarlat, il tourne deux spectacles, Monsieur chasse! et Le Mariage de Figaro, qu'il a mis en scène et dans lesquels il joue, tout en songeant à un nouveau projet... Quel agenda!), il m'a brossé de chaque spectacle un portrait des plus engageants, tout animé de cet enthousiasme un peu vif-argent qui rehausse ses énoncés et fait aussi merveille lors des "rencontres de Plamon"

Mais avant de s'arrêter à chacune des dix-sept stations de ce nouveau chemin de théâtre, il a évoqué les difficultés d'organisation, qui hélas vont croissant à proportion que les subventions diminuent – car en 2015 elles ont encore diminué et continueront de chuter en 2016 – et, partant, la situation catastrophique de la culture en France...
[Propos recueillis le
dimanche 14 juin].

Jean-Paul Tribout:

Comme on s’y attendait, le festival a reçu encore moins de subventions que l’année dernière. Et ce sera pire l’an prochain car le ministère de la Culture, à travers la DRAC, se retirera totalement du financement du festival de Sarlat – comme il se retire de tous les festivals qui, au contraire d’Avignon ou des Vieilles Charrues, par exemple, n’ont pas pour lui d’intérêt «national». Le ministère considère que le festival de Sarlat est «patrimonial» et donc qu’il doit être subventionné par les collectivités locales. Or celles-ci sont elles-mêmes victimes de coupes drastiques dans les dotations de l’État et ont leurs finances dans le rouge. Ces collectivités ont en charge d’autres secteurs qui eux aussi sont exigeants en termes d’investissements : entretenir et développer les infrastructures, gérer les établissements scolaires… la culture n’est qu’un élément parmi d’autres de leur politique générale. Chaque collectivité décide de ses priorités, qui ne seront pas forcément culturelles ni artistiques… Heureusement, ce n’est pas le cas à Sarlat, où l’on bénéficie toujours d’un soutien politique – de la part de la ville, du conseil départemental, de la région, de l’ADAMI… mais hélas pas de la part de l’État. Il faut quand même souligner qu’en 2015, c’est une centaine de festivals qui ont été supprimés en France, supprimés totalement. À Sarlat, on peut continuer; donc on fait avec ce qu’on a, et on verra bien jusqu’où on tiendra. Théoriquement, financer la culture devrait être du seul ressort du ministère, il ne devrait s’occuper de rien d’autre – malheureusement, il s’en occupe peu, ou mal ; il se retire de partout, la «politique culturelle» est, sinon inexistante, du moins catastrophique. Et pas seulement par manque d’argent mais plutôt par défaut de véritable volonté.
Certes, on est habitué, au théâtre, à manquer d’argent mais dans le cadre d’un festival comme celui de Sarlat, ces restrictions budgétaires sont très frustrantes : pour des raisons purement économiques, on se retrouve obligés de ne pas inviter des spectacles qu’on trouve de très grande qualité et dont on aimerait faire profiter les festivaliers. Donc, on s’en passe… Je conviens que les restrictions ont souvent pour avantage de rendre plus imaginatif, de pousser à aller plus loin dans la recherche de l’inattendu mais elles ont cela de douloureux qu’elles obligent à compter toujours davantage sur les recettes, c’est-à-dire à raisonner selon une optique commerciale qui prend systématiquement en considération le «potentiel de remplissage»: face à deux spectacles de qualité équivalente mais dont l’un pèche par manque de vedettes, ou ne traite pas d’un thème «porteur», tandis que l’autre présente des garanties plus élevées d’attirer les foules eh bien c’est le second qui sera choisi. Alors on tâche de se consoler en se disant qu’en privilégiant ici le vedettariat – d’auteur, de comédien, de metteur en scène… ‒ on peut, là, se montrer plus audacieux. Et puis les artistes font preuve d’une grande générosité ; beaucoup viennent à Sarlat en acceptant une compensation financière minimale – «dis-nous combien tu peux nous donner, et on viendra!». Grâce à des gestes comme celui-là, et aux réseaux qu’ont tissés d’année en année l’estime et l’amitié, je n’ai jamais jusqu’à présent – je touche du bois pour que ça continue! – été contraint de renoncer à programmer un spectacle que je trouvais vraiment exceptionnel. Inversement, je n’ai jamais eu à inviter un spectacle à mes yeux médiocre mais avec lequel je pouvais être à peu près certain de remplir entièrement les gradins… Mais il ne faut pas perdre de vue que la perception de chacun vis-à-vis d’un spectacle reste extrêmement subjective. Cependant, comme les réactions des spectateurs témoignent globalement d’une belle satisfaction, je pense que je ne me trompe pas trop…

[Aparté personnel:
En écho à ces propos, je signale un numéro du «Choix de la rédaction», diffusé le vendredi 19 juin après le journal de 18 heures sur France Culture. Un «Choix» certes de saison, au seuil des festivals estivaux mais qui dépasse la seule problématique de ces événements ponctuels et récurrents. Je souligne aussi que la page web de l’émission est un indispensable complément à l’écoute: on y trouve une carte des lieux culturellement sinistrés, terrifiante. Que dit-on d’un pays qui saborde ainsi sa sphère culturelle et artistique? pas beaucoup de bien, sans doute. Mais comme toujours en situation de péril aigu, il y a toujours des îlots de résistance qui permettent à quelques irréductibles d’échapper au naufrage général. À Sarlat, par exemple, où la 64e édition du festival est, encore une fois, bien séduisante comme
nous l’allons voir…

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Samedi 18 juillet. 21h45, jardin des Enfeus.
On ne se mentira jamais!, d’Éric Assous. Mise en scène de Jean-Lu
c Moreau.
Jean-Paul Tribout :
Cette pièce, qui a été créée cet hiver au théâtre La Bruyère et dont l’auteur a obtenu le Molière 2015 du Meilleur auteur francophone, constitue un peu une première parce qu’il s’agit d’une pièce dite «de boulevard» et que l’on n’en programme pas très souvent à Sarlat, surtout en ouverture. Les pièces d’Éric Assous ne sont pas montées dans les salles subventionnées, pourtant, il est probablement l’un de nos meilleurs auteurs de boulevard. Ses pièces ont en général une dimension sociologique, au même titre que celles de Pinter qui, dans une certaine mesure, peut être considéré comme un auteur de boulevard. Et justement, je trouve que On ne se mentira jamais ! est une pièce très pinterienne… Elle met en scène un couple très largement quinquagénaire, qui a derrière lui une trentaine d’années de vie commune et des enfants déjà grands, et qui traverse une crise : comment un soupçon peut naître, comment l’épouse (qui peut être perçue comme emblématique de la femme dans un couple…) a tendance à gratter la plaie ouverte pour éviter qu’elle cicatrise, comment l’époux (lui aussi emblématique des attitudes masculines?) tâche de se défiler… L’histoire est assez banale, bien qu’il y ait quand même quelques coups de théâtre, mais elle vaut, surtout, par l’interprétation. C’est joué formidablement par Jean-Luc Moreau – qui signe aussi la mise en scène – et Fanny Cottençon qui sont tous les deux au sommet de leur talent d’acteur. Et puis on sourit beaucoup!
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Dimanche 19 juillet. Abbaye Sainte-Claire.
Journée des auteurs: carte blanche à la compagnie Arguia (voir ici la page Facebook de la compagnie e
t là son site web).

18 heures
Le Rendez-vous… (florilège de textes de Stéphan Wojtowicz).
19h3
0
Assiette périgourdine
21 heures
D’après Au début, de François Bégaudeau.

Cette année encore, la Journée des auteurs est mentionnée au programme amputée du label SACD: la société d’auteurs fondée par Beaumarchais a souhaité rester, une fois de plus, en retrait du festival. Mais le "principe architectural" de la Journée – une lecture suivie d’un échange avec les spectateurs, à laquelle succède l’intermède gastronomique de l’"assiette périgourdine" avant que ne soit représenté le spectacle de la soirée –, plébiscité par le public, s’est si bien installé dans la programmation qu’il demeure inchangé tout en se nuançant, d’une année sur l’autre, de quelques variantes sans jamais déroger à sa mission de défense des auteurs vivants et/ou des artistes régionaux.. Ainsi en 2015 la Journée sera-t-elle toute dévolue à une compagnie: la compagnie Arguia théâtre. Une compagnie régionale, basée à Dax qui, explique Jean-Paul Tribout,
... fait un très beau travail sur les auteurs contemporains, avec une metteuse en scène qui est déjà venue plusieurs fois à Sarlat, Panchika Velez. Les deux spectacles sont ainsi proposés par la compagnie Arguia théâtre ; outre cette continuité, la lecture et la pièce ont des similitudes formelles : la première est construite autour d’extraits choisis dans l’œuvre d’un même auteur, en l’occurrence Stéphan Wojtowicz – qui est aussi comédien – qui seront entrecoupés d’échanges avec le public, de mises en résonance avec d’autres œuvres qu’il a écrites dont une dizaine ont été montées (l’une d’elles, La Sainte-Catherine, a obtenu le Molière du meilleur auteur francophone) de manière à opérer une sorte de balayage de l’ensemble de sa création. La seconde, qui est une œuvre de commande, a une même construction morcelée : elle a été écrite à partir d’un choix de récits tirés d’un ensemble de propos de femmes recueillis par François Bégaudeau autour de la grossesse. Et l’on remarque que l’auteur est aussi interprète.

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Lundi 20 juillet. 21h45, jardin des Enfeus.
Zazie dans le métro, de Raymond Queneau. Adaptation et mise en scène de Sarah Mes
guich.
Jean-Paul Tribout:
Voilà la première œuvre non théâtrale du programme… Le texte de Queneau a un côté assez décousu, un peu curieux, et le film que Louis Malle en avait tiré, sorti en 1960, avait aussi, dans la forme, quelque chose de très haché. L’adaptation de ce texte qu’a faite Sarah Mesguich – la fille de Daniel et la sœur de William qui, elle, n’est encore jamais venue à Sarlat – est extrêmement astucieuse, et très amusante. Son défi a d’abord été de trouver une interprète pour Zazie et Sarah a recruté une comédienne magnifique pour ce rôle. Le spectacle, tout frais venu sur les planches puisqu’il a été créé cet hiver au théâtre du Lucernaire est très vif, très rythmé, avec des effets vidéo, des personnages hauts en couleurs… Il est esthétiquement plaisant, intellectuellement distrayant et théâtralement réussi.

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Mardi 21 juillet. 21 heures, abbaye Sainte-Claire.
Confessions d’un enfant du siècle, d’Alfred de Musset. Mise en scène et interprétation par Nicolas Lormeau (sociétaire de la Comédie-Françai
se).
Jean-Paul Tribout :
Cette pièce est venue parce que je voulais créer un effet d’écho avec un autre spectacle, qui sera représenté un peu plus tard, George Sand, ma vie son œuvre et qui a été, si l’on veut, le «facteur déclenchant»: c’est parce que j’avais l’intention d’inviter George Sand que l’idée de convier Musset, à travers le spectacle de Nicolas Lormeau, s’est imposée… L’adaptation des Confessions d'un enfant du siècle qu’il a réalisée – il ne dit pas l’intégralité du texte mais un montage d’extraits ‒ est très belle et il l’interprète magnifiquement, seul sur scène. Ce petit pas de côté qu’il fait en dehors du Français mérite d’être vu: on a là un beau texte, un excellent comédien, et une petite forme parfaite pour l’abbaye Sainte-Claire.

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Mercredi 22 juillet. 21h30, place de la Liberté.
Beaucoup de bruit pour rien, de William Shakespeare. Mise en scène d'Hervé van der Meulen.
Jean-Paul Tribout :
Ah… le Shakespeare du festival! je ne pourrai pas parler de cette pièce puisque je ne l’ai pas vue! et je ne l’ai pas vue parce que c’est une création et qu’elle était en cours de montage au moment où nous avons établi la programmation du festival. Mais je connais très bien le metteur en scène, qui est venu plusieurs fois à Sarlat – notamment avec La Dame de chez Maxim’s – et qui codirige le Studio-théâtre d’Asnières. Cette comédie de Shakespeare n’est pas souvent montée parce qu’il faut beaucoup de comédiens – là, ils seront presque une vingtaine… Ils viennent tout juste de débuter les représentations et Hervé, que j’ai eu au téléphone tout récemment, est assez content du résultat. J’avoue que je suis impatient de voir ce spectacle : avec Shakespeare au texte, Hervé van der Meulen à la mise en scène, et la troupe de comédiens qu’il a recrutée, ça devrait être un beau moment de théâtre.

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Jeudi 23 juillet. 21h45, jardin des Enfeus.
Fumistes! et autres Zutistes, Jemenfoutistes, Incohérents, Hirsutes et Hydropathes de la Belle Époque. Pièce écrite et mise en scène par Jean-Marc Chotteau.

Jean-Paul Tribout:
L’auteur de cette pièce, Jean-Marc Chotteau, dirige une structure qui a la particularité d’être transfrontalière avec la Belgique – son nom le dit clairement: il s’agit du Centre transfrontalier de création théâtrale Mouscron/Tourcoing La Virgule; comme quoi, le festival n’est ni franco-parisien, ni régionaliste, ce qu’on s’efforce de montrer à chaque édition! – et qui était venu à Sarlat avec un spectacle très sociologique, et très réussi sur le plan théâtral, Appartements témoins.
[Aparté: c’était en 2012; Éric Leblanc, seul en scène, endossait tour à tour le rôle de chacun des habitants d’un immeuble HLM sur le point d’être démoli simplement en donnant sa voix à leurs propos, qu’ils échangeaient le long de conversations reconstruites en un recueil de témoignages. En écrin à la formidable performance du comédien qui restait narrateur tout en incarnant les individualités, on avait pu voir un dispositif scénique très astucieux qui présentifiait chaque personnage et avec lui son lien avec l’immeuble par un mur de boîtes aux lettres – ces enclaves privées, un peu secrètes, pourtant installées dans les parties communes et dont chacune, ici, semblait une boîte à trésor où se disait, par petits objets interposés, la vie des uns et des autres. Il y avait beaucoup d’émotion, des personnages attachants, une mise en scène magnifique et une interprétation qui l’était tout autant : un tel souvenir engage à venir découvrir cette nouvelle création de Jean-Marc Chotteau, a priori très différente – et justement parce qu’elle l’est …]
Cette fois, il a puisé des textes chez différents auteurs de la Belle époque, comme Alfred Jarry, Alphonse Allais, Charles Cros… ‒ que l’on peut considérer comme les pionniers du stand-up ‒, à partir desquels il a monté une sorte de cabaret imaginaire. Ces textes, déjà quasi surréalistes, presque dadaïstes, ont fait scandale en ce tout début du XXe siècle… on connaît le fameux Hareng saur sec, sec sec de Charles Cros.... Le spectacle – qui a été créé cet hiver – montre en première partie trois artistes de cette époque dans leur loge, en train de se préparer, et la seconde partie est constituée par le spectacle qu’ils donnent. «Un soir de printemps 1914…», est-il indiqué… Avec le recul on mesure ce que cela a de poignant quand on sait que, au mois d’août, commençait la grande boucherie… cela me rappelle un spectacle que j’avais monté il y a quelques années, Mettons l’écharpe Isadora le temps se gâte, qui couvrait la période 1870-1914. Et j’avais trouvé une chanson datée du début de 1914, qui était un vrai succès du temps et dont le refrain disait «j’arrive au bon moment, j’suis content, j’suis content…»

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Vendredi 24 juillet. 20h30, place de la Liberté.
Dom Juan, de Molière. Mise en scène d'Arnaud Denis.
Je
an-Paul Tribout :
Nous voilà avec le «classique obligé»… et, de plus, mis en scène par Arnaud Denis qui est désormais un habitué du festival – ce sera le troisième spectacle qu’il présente après Les Fourberies de Scapin et Autour de la folie, à quoi il faut ajouter sa présence l’an dernier en tant qu’acteur dans L’importance d’être sérieux, d’Oscar Wilde. Il propose une approche très personnelle de Dom Juan, très cohérente, dont on peut évidemment discuter, mais cette pièce fait partie de ces œuvres tellement riches qu’elles se prêtent à de multiples interprétations tout aussi pertinentes. Reste à savoir comment la mise en scène va s’accommoder du plein air: le moyen qu’il avait trouvé pour présentifier la statue du Commandeur, à l’aide de projections vidéo qui modelaient les traits d’un visage géant, ne pourra probablement pas être utilisé sur la grand-place. Mais ce qu’on perdra ici, on le gagnera là, de toute manière.

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Samedi 25 juillet. 21h45, jardin des Enfeus.
CAFI, texte de Vladia Merlet, mise en scène de Georges Bigot.
Jean
-Paul Tribout:

Georges Bigot, qui a beaucoup travaillé avec Ariane Mnouchkine, est désormais installé à Bordeaux; il met en scène un texte traitant d’un sujet assez mal connu, le sort des rapatriés d’Indochine après la bataille de Dien Bien Phu – d’ailleurs, le titre de la pièce, CAFI, est un sigle désignant un Centre d’accueil des Français d’Indochine. On a tout bonnement parqué ces gens dans des camps en attendant de décider de leur avenir; certains sont restés dans ces camps pendant des années. Il se trouve qu’il y avait un de ces camps à proximité de Villeneuve-sur-Lot – qui a d’ailleurs servi à «accueillir» les harkis après la guerre d’Algérie… Le texte qu’a écrit Vladia Merlet, inspiré par des témoignages vécus, retrace le parcours d’une de ces rapatriées, Louise, que l’on suit depuis le moment où, à 9 ans, elle quitte le Vietnam avec sa famille jusqu’à nos jours, quand elle est devenue vieille.
Dans ce récit, outre l’histoire individuelle de Louise qui recoupe celle de tous ceux qui, comme elle, ont été «rapatriés», s’entend bien sûr tout ce qui a trait à la perception de cette Asie arrivant en France au milieu des années 1950 mais aussi la réflexion sur ce qu’est la condition de migrant, quand on vient de terres lointaines et qu’on est confronté à un pays, à une culture dont on ne possède pas les clefs. Étant donné l’acuité actuelle de la question des migrations, je pense qu’un tel spectacle provoquera de belles discussions à Plamon!

[Telle la main sur la couverture du programme, j'interromps mon geste...On m'appelle en coulisse. À suivre donc, sous (très) peu…].

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  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui
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