À la faveur d'une interview qu'elle m'a récemment accordée (qui
sera prochainement mise en ligne), l'éditrice Diane de Selliers, abordant le problème des livres dits
"défraîchis", a évoqué une polémique qui a été soulevée à la fin de l'année dernière, lors de la braderie annuelle qu'organise chaque année au début du mois de décembre l’École nationale des beaux-arts de
Paris.
Cette manifestation permet aux éditeurs d’art de vendre
directement au public et à prix réduit les livres que les libraires leur ont retournés – parmi eux les exemplaires non vendus qu’ils ne peuvent stocker, et "les défraîchis", qui sont des ouvrages
neufs mais abîmés: des manipulations peu soigneuses ont endommagé les reliures, enfoncé des coins, lésé les dos… une exposition prolongée en vitrine a gâté les couleurs du coffret ou de la
couverture… Parfois les blessures atteignent le livre malgré le film protecteur qui n’a même pas été ôté – des éraflures, une déformation des plats qui ont trop brutalement rencontré d’autres
livres… Ces lésions, qui pourront n’être pas trop graves pour un volume d’édition courante destiné à une vie de baroudeur – trimballé au fond d’un sac, dans une poche de veste, partout où son
lecteur voudra l’emmener – sont des dommages irréparables pour un livre d’art, font de lui une "gueule cassée" que l’on ne peut plus vendre au prix fort parce que ce prix, généralement élevé et
certes justifié par la noblesse des matériaux, la qualité de fabrication, le temps que sa réalisation a exigé, donne à l’acheteur le droit de l’attendre irréprochable. Pourtant, une balafre sur
un coffret n’empêche pas l’ouvrage qui se trouve à l’intérieur de demeurer magnifique. Mais ce sont là des subtilités auxquelles, semble-t-il, les urgences et les exigences, souvent aberrantes,
du système économique empêchent de s’arrêter. Alors les invendus, s’ils n’ont pas la chance de rejoindre le circuit des solderies, sont pilonnés. Une horreur pour quiconque aime les livres et qui
frémira à la seule idée qu’un mauvais roman à trop gros tirage imprimé sur du mauvais papier habillé d’une méchante couverture puisse être pilonné. Comment, alors, ne pas se révolter à l’idée que
des ouvrages d’art puissent être pilonnés! Diane de Selliers a toujours refusé que ses livres connaissent ce triste sort:
Chez les diffuseurs, il y a, pour les livres comme les nôtres, un service spécial, qui reprend tous les livres un par un et qui, en
fonction de leur état, tâche de les reconditionner. Alors nous fournissons des réserves de codes barre, des coffrets vides… autant d’éléments pour que l’on puisse restaurer nos livres. Si la
restauration est impossible, on nous les renvoie parce que nous ne voulons pas qu’ils soient pilonnés: chaque livre qui sort de notre maison est aimé, respecté; non seulement il est beau, mais il
est le fruit de longues recherches, d’un travail extrêmement minutieux. C’est insupportable de savoir des livres comme ceux-là – et tous les livres en général, même médiocres – promis au pilon.
Mais alors que faisons-nous de ces livres? Les caves se remplissent vite! Et la loi nous interdit, sauf dans des conditions extrêmement précises, de les vendre directement à prix réduit. Alors
nous en donnons aux hôpitaux, aux bibliothèques, aux libraires qui ont besoin d’exemplaires de démonstration… Et cette braderie de l’École des Beaux-arts est pour nous une magnifique opportunité
de rendre accessibles à des lecteurs peu fortunés – des étudiants notamment – des livres encore beaux malgré qu’ils soient "défraîchis".
La dernière braderie, qui a eu lieu les 3 et 4 décembre
derniers, a déchaîné la colère des libraires parisiens qui ont crié à la concurrence déloyale: c’est en effet en novembre et décembre, à l’approche des fêtes de fin d’année, qu’ils réalisent la
quasi totalité de leurs ventes de beaux-livres. Sans ce chiffre d’affaire, leur situation se précarise encore quand elle est déjà difficile pour beaucoup d’entre eux. Comment vendre au "prix
éditeur" ces livres d’art si, pendant cette période qui est pour ainsi dire la seule où ils peuvent espérer les vendre, le public trouve à côté de leurs boutiques les mêmes ouvrages à moitié
prix? À quoi Diane de Selliers a répondu:
J’entends tous vos arguments, et je suis très sensible aux difficultés des libraires mais alors que faisons-nous de nos livres
défraîchis si nous ne pouvons ni les vendre à prix réduit, ni les stocker, ni accepter de les faire pilonner?
La solution qu’elle a proposée serait d’organiser la braderie à
une autre période de l’année. La clientèle habituelle des librairies continuerait ainsi à y acheter ses cadeaux de fin d’année tandis que les lecteurs qui achètent de toute façon des livres d’art
quelle que soit la période pourraient bénéficier de ces prix cassés sans lesquels nombre de ces ouvrages précieux pour eux leur resteraient inaccessibles.
Sa proposition sera-t-elle entérinée? En attendant qu’une décision soit arrêtée qui satisfera les libraires, les éditeurs, les lecteurs
désargentés… et le législateur, Diane de Selliers vend à prix réduit, pendant quelques jours encore dans sa boutique*, ses livres défraîchis qui ne sont plus
commercialisés.
* L'offre prendra fin le mercredi 29 février. Pour en profiter, il faut se rendre au 20 rue d'Anjou, 75008
Paris. Tél.: 01.42.68.09.00.
Une visite à la boutique permet de voir les livres, de feuilleter les exemplaires de démonstration – l'on prend ainsi la mesure de leur exceptionnelle qualité. Une exploraion préalable du
site internet de la maison fournira un bel aperçu du catalogue tant sont belles, précises et développées les
présentations concoctées pour chaque ouvrage.