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9 avril 2024 2 09 /04 /avril /2024 17:22

…et mettre en ligne une page de journal écrite le matin même.

De retour à Gourdon et prise dans les lises infiniment visqueuses des démarches, des paperasses, des formalités dont je ne savais pas un traître mot jusqu’à ce que la mise en vente du Barry Bas m’en révèle le nombre, l’étendue, la complexité et qui par là me deviennent encore plus haïssables qu’elles ne l’étaient quand je les percevais comme de simples signes me parvenant, très vaguement, d’une face de l’existence dont je refusais d’entendre parler et de tenir compte (surtout parce que les échos de cette face, de ce versant tout entier voué à la matérielle, aux factures, aux papiers-à-remplir… étaient répercutés par la seule voix de mon père,  incarnation d’une «loi» à laquelle je tentais à toute force de me soustraire mais en vain car cette loi-carcan avait pour corollaires une affection, un amour indéfectibles dont je n’aurais su me passer, et dont il me faut bien aujourd’hui me passer, la mort ayant fait son œuvre), perdue, donc, devant ce vaste horizon de chantiers en cours (mentaux et matériels) sans que j’en voie la ligne tant elle est éloignée, je me suis réfugiée comme souvent dans la quête photographique.

J'ai en effet quitté Créteil munie de mes deux reflex, Topcon et Minolta, car je m’étais promis de «faire des photos», sachant qu'ainsi je pourrai peut-être desserrer un peu l’étau horrible où m’emprisonne la «maison-à-vider», ce Barry Bas tant aimé mais devenu un étouffoir saturé d’objets (et à travers eux de souvenirs) cantonnés au grenier dans l’immobilité d’un sommeil jamais dérangé, censé les préserver alors qu’ils se corrompaient doucement, inéluctablement, sous leur linceul, épaissi d’année en année, de poussière, de toiles d’araignées et d’entassements supplémentaires… Objets défaits, puant le moisi avec quelques arrière-notes de naphtaline – l’odeur de charogne des choses momifiées – dont la rencontre équivaut à recevoir l’immonde baiser de l’implacable corrosion universelle qui, où qu’on la relègue (grenier ou cave, placard enfoui dans une pièce close à  double tour…), ne manque jamais de suinter, de sourdre jusqu’à vos pieds de vivants pour s’élever à l’assaut de votre âme, l’étreindre tel un constrictor et mieux vous rappeler que des pans entier de vous sont déjà morts et pourris tandis que le peu restant est en instance de tomber en ruine.


Les circonstances incitaient à la photo: à 9 heures le soleil brillait après une nuit de précipitations abondantes, faisant luire mille lueurs adamantines sur les feuilles et fleurs d’un jardin en pleine luxuriance car non entretenu depuis des mois, où donc la nature a libre cours. Dès hier j’avais vu que le pied de pivoine dont j’avais si étroitement suivi l’évolution durant les mois confinés portait encore deux ou trois fleurs, certes quasi fanées mais photogéniques tout de même. Et les voilà magnifiées, perlées de ces innombrables gouttes de pluie! j’ai donc inséré une pellicule de 100 ASA dans mon Minolta puisque lui seul accepte ma lentille macro. Et c’est une dizaine de pivoineries qui en une demi-heure furent fixées sur pellicule. La pensée requise par la prise de vue m’occupe tout entière – absorption bienvenue!
Avant même que de me concentrer sur la pivoine, j’avais décidé d’aller voir où en était ce site découvert pendant le confinement (toujours lui… si mal vécu dans son présent mais dont je vois bien, à quatre ans de distance, qu’il s’avère pour moi photographiquement bénéfique) et que j’avais baptisé «le Banquet des spectres» puis dont j'avais ensuite observé le devenir à chacun de mes séjours lotois.

Photo prise au smartphone un matin d'été 2021

Arrivée sur place, je vois qu’il n’a pas changé depuis Noël: le petit bouquet mortuaire de roses artificielles qui m’avait fait penser en l’apercevant «ça y est, le Banquet des spectres est définitivement terminé, le site est mort» est à la même place; les chaises et tables de jardin, privées de certains éléments initiaux telle cette nappe de plastique bleue et blanche en parfait état quelles que soient les intempéries, ont conservé leur disposition d’alors, au premier plan de cette enclave de prairie, ainsi ramenées à un petit amoncellement mis au rebut quand, dans leur première apparition, elles semblaient attendre des convives prêts à pique-niquer. Seul l’environnement s’est modifié: la végétation a sa vêture printanière que valorise l’incidence de la lumière. J’aperçois, tout autour du bouquet mortuaire et largement en avance, les clochettes des premiers muguets. Et tout à côté, deux tulipes, une incongruité que ces fleurs de culture au milieu de cet espace ensauvagée (au même titre que cet étrange mobilier de jardin).

Un peu plus tard, sur le chemin du retour, j’entrevois une biche – nos regards se croisent le temps d’un éclair puis elle détale.

 


Le muguet précoce et la biche: les deux bonheurs du jour. Deux sourires de hasard dans cet océan de vase où j’ai le sentiment de me noyer.

 

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  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui
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