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17 décembre 2024 2 17 /12 /décembre /2024 11:44

En dépit de mon inclination à la mélancolie, voire au désespoir, qui tend à s'installer, il y a en moi une petite flamme vitale qui persiste à brûler vaille que vaille: la curiosité. Non pas celle, malsaine, qui pousse à fouiller dans les boues de ses contemporains pour en tirer calomnies et rumeurs diffamatoires, celle des commères et des harceleurs, des espions au petit pied qui observent leurs voisin à la dérobée depuis leur fenêtre... Non: la curiosité qui m'anime est celle qui, sur un mot, une allusion, une note infrapaginale... va allumer dans la pensée un désir irrésistible d'apprendre ce que l'on est sûr d'ignorer – cette curiosité sous l'effet de laquelle l'internaute va systématiquement cliquer sur le lien contenu dans l'invite « pour en savoir plus » dès qu'il la rencontre.

Curieuse de beaucoup de choses, certes, mais aussi un rien paresseuse, rétive à l'effort soutenu de longue haleine tant que nulle nécessité ne m'y contraint, je suis devenue une adepte de ces «cours en ligne pour tous», gratuits, et prétendument «accessibles sans prérequis», que ne sanctionne aucun diplôme et offrant une grande liberté de fréquentation – ces fameux MOOC, sigle commode mais pas assez français à mon goût pour dire clairement ce dont il s'agit. Depuis les premiers diffusés en France, je me suis ainsi initiée à la géologie, à la botanique, à l'histoire de Carthage à compter de ses origines phéniciennes, à l’œuvre et à la vie de Picasso, à la naissance de l'impressionnisme... Autant de sujets auxquels je me suis intéressée à différents moments de ma vie; en renouant avec eux par le truchement de ces cours si faciles d'accès n’avais-je pas, plus ou moins consciemment, le sentiment de revenir en arrière et de réécrire un peu mon histoire? Rien de tel avec ces «Fondamentaux de l'état civil» que j’ai explorés ces dernières semaines car jamais je n'ai eu le moindre attrait pour ce qui regarde le droit (quoique... à force de lire des polars, de regarder des séries télévisées où sont souvent convoqués les arcanes juridiques, n'était-il pas fatal qu'un jour où l'autre j'en vienne à me pencher dessus...): je me suis inscrite à ce cycle de cinq séquences diffusé par la plateforme FUN parce qu'en décidant de m'initier, l'an dernier, à la paléographie, j'ai pris conscience de l'étendue de mes ignorances, en ce qui regarde l'Histoire en général, et l'histoire juridique en particulier. Ce cours n'allait pas beaucoup m'aider sur le plan historique mais, au moins, allais-je être un peu plus au fait de ces lois actuelles que nul n'est censé ignorer. En outre j'allais gagner un savoir que je pourrais mettre en perspective avec ce que m'apprennent les vieux documents proposés au déchiffrement par le formateur, dont certains remontent au XIIIe siècle.

 

Ce n'est pourtant pas la réflexion introspective sur ma curiosité qui a décidé de l'écriture de cette page mais, une fois de plus, une boîte à livres. Une de ces boîtes à trésors où tant de trouvailles ont surgi fortuitement – d'autant plus formidables qu'elles sont, justement, fortuites.

Ainsi mon regard – surattentif dès que je suis dehors, prêt à épingler toute boîte à livres qui se présente – a-t-il repéré, alors que je venais tout juste de commencer à suivre ce cycle d'initiation, un exemplaire du code civil édition 2024, encore enveloppé de sa pellicule plastique attestant qu'il avait été mis là sans même avoir été consulté une seule fois! Rien de surprenant car c'est le genre d'ouvrage qui se périme très vite pour ceux qui en ont besoin: les étudiants en droit, les candidats aux concours exigeant des connaissances en droit civil se doivent d'utiliser l'édition la plus récente et, en novembre 2024, c'est déjà l'édition 2025 qui sert de référence. Mais pour moi qui n'ai pas à connaître les ultimes éléments de jurisprudence, ce volume restait une aubaine qui m'offrait de nouveau ce délectable aléa du quotidien: la rencontre inopinée d'une circonstance toute personnelle et d'un élément extérieur qui s'emboîte avec elle aussi étroitement que les deux pièces d'un puzzle réunies par leurs formes complémentaires.

 

Je n'ai pas hésité une seconde: sitôt achevé un rapide examen m'assurant qu'au premier abord il n'y avait pas de défaut rédhibitoire je m'emparai de l'imposant volume (pas moins de 7 cm d'épaisseur, et plus de 3600 pages). Puis je l'ai déballé, feuilleté, m'arrêtant çà et là sur certaines pages… et, contre toute attente, ce n’est pas à la praticité de consultation que je me suis essentiellement arrêtée – ou, plutôt, m’attachant à expérimenter celle-ci, à observer dans le détail comment un tel ouvrage pouvait être organisé et, entre eux, les différents niveaux d’information, bien plus nombreux et complexement liés les uns aux autres que dans n’importe quel usuel (à ma connaissance du moins), je me suis rendu compte que les concepteurs avaient dû se préoccuper d’esthétisme et que leur souci d’efficacité pratique avait sans aucun doute été corrélé à des considérations d’agrément à la fois visuel et tactile. Et ce dès la couverture: son bleu profond où brille la minuscule tache rouge du logo de l’éditeur, la manière dont sont disposés et composés, sur le premier plat, le titre et le nom du directeur d'annotation qui leur confère, dans une impeccable harmonie, une parfaite lisibilité, la matière et la «main» enfin de la reliure, semi-souple, plus douce au toucher qu’un banal pelliculage mat et dont le simple contact incite à la consultation… tout cela, perceptible de prime abord, signale, selon moi, que l’on s’est véritablement soucié de rendre l’ouvrage attrayant et son utilisation plaisante autant que pratique. Une conviction dans laquelle j’ai été confortée en compulsant ce code pour y trouver tel ou tel article mentionné dans le cours: l’on a habilement joué sur les ressources de la typographie pour hiérarchiser les informations (variation de polices et de corps, alternance gras/maigre et romain/italiques…), le papier bible des pages est un délice sous les doigts et sa blancheur où se détache le texte procure une lecture très confortable. En outre, l’ouvrage peut rester ouvert à n’importe quel endroit sans se refermer et, ultime élégance dépassant la simple praticité, les deux signets permettant le marquage simultané de deux passages sont de couleurs différentes mais assorties au chromatisme général, l'un est bleu et l'autre gris pâle.

 

Au fil des séquences de mon «initiation aux fondamentaux de l’état civil», je me suis reportée à ce code chaque fois qu’une référence était faite à l’un de ses articles. La compréhension du cours ne l’exigeait pas ni mon statut de simple apprenante curieuse mais le plaisir que j’avais à manipuler le volume, augmenté de cette senteur propre aux livres neufs, ne cessait de m'y pousser. Et je suis à peu près certaine que, s'il m'avait fallu consulter le code civil en ligne je ne l'aurais pas arpenté aussi souvent et me serais contentée des indications données dans les fiches du cours, amplement suffisantes pour répondre aux questionnaires.

 

Tout cela pour dire que, nonobstant l'aide inestimable prodiguée par la somme documentaire accessible en ligne, je reste, viscéralement, attachée au bon vieux livre imprimé, aux pages que l'on tourne, aux couvertures que l'on prend le temps de contempler avant d'entamer la lecture.

 

 

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22 septembre 2024 7 22 /09 /septembre /2024 13:52

Fruit d’un désœuvrement tenace que vint un jour imperceptiblement déchirer une petite velléité d’écriture d’où émergea un texte impossible à ranger dans l’une ou l’autre des catégories existantes mais que je tenais à inscrire ici, celle ci-nommée «sans nom» fut ouverte afin de l’y accueillir et, à sa suite, ceux qui à sa semblance me paraîtraient inclassables mais dignes d’être fixés et publiés. Trois, avant celui qui était en train de s’ébaucher quand me vint l’idée de rédiger ce chapeau, ont été comme lui suscités par mon attirance incoercible pour les boîtes à livres et en ont reçu une intitulation toujours identique où seul change le numéro d’ordre. Cela ressemble de plus en plus, à fur et mesure que croît l'ordinal, à un nom de catégorie. Mais peu confiante dans ma constance à tenir le rôle de mes trouvailles dans ces boîtes, je m’en tiens, pour ce texte encore, à l'ordinal qui seul distingue.

***

Je n’ai pas, à ce jour, traversé d’affres si noires ni senti mes pensées prises dans un tel étau que mon intérêt pour les boîtes à livres en ait été éteint. S’en présente-t-il une sur mon chemin que mon regard s’arrête – assez longuement pour en explorer le contenu, à peine le temps d’identifier l’objet «boîte à livres» si celui-ci se réduit à quelques étagères offertes aux intempéries ou s’il montre un entassement trop désordonné et peu propice à préserver les ouvrages. Quant à cerner ce qui motive mon geste de saisie... parfois le titre du livre, parfois le nom de l’auteur – et de temps en temps, mais beaucoup plus rarement, l’identité visuelle du volume m’indiquant son appartenance à une collection bien particulière, ou encore en première de couverture un nom de préfacier accompagnant celui de l’auteur, la mention d’un appareil critique remarquable… tous facteurs me murmurant que ledit volume mérite de venir doubler un exemplaire du même titre déjà en ma possession.

Ayant retrouvé une petite dizaine de polars signés Charles Exbrayat dans les bibliothèques familiales – et parmi eux un ou deux que je me souvenais d’avoir lus à l’adolescence, quand je m'étais lassée des séries policières de la Bibliothèque verte, mais sans les avoir véritablement appréciés ni en avoir été marquée d’une façon ou d’une autre –, j’avais entrepris il y a quelques mois, de redécouvrir cet auteur qui, voici plus de trente ans, m’avait laissée indifférente. Je commençai par un des romans que j’étais certaine de n’avoir jamais lus – La Nuit de Santa Cruz; puis ce fut Un joli petit coin pour mourir et, peu après, Dors tranquille Katherine. Cela me fit comprendre à la fois pourquoi je n’avais pas «accroché» à 15 ans… et pourquoi, aujourd’hui, j’étais conquise. J’avais découvert un style, une langue soignée exempte de fautes grossières, une subtilité dans la manière de construire l’intrigue autant que le récit lui-même en jouant habilement de la digression et du rebondissement, un talent pour doter les personnages d’une psychologie dense et complexe qui me ravissaient – autant d’aspects ressortissant de la narratologie et de la stylistique auxquels on ne peut être sensible qu’à la condition de savoir les identifier et les apprécier, que l’on y ait été éveillé académiquement ou qu’on sache les repérer grâce à sa seule intuition naturelle. À 15 ans, je ne me souciais guère d’analyse littéraire et n’avais d’yeux que pour l’«histoire». Digressions et monologues intérieurs m’ennuyaient profondément, quant à l’humour dans un polar qui n’était pas un San A., il m’agaçait.

Bref – aujourd’hui au seuil de la vieillesse je lis différemment; Charles Exbrayat est devenu un auteur que je recherche assez pour décider de compléter petit à petit la série de ses polars que je possède. Mais «à la chineuse», en m’en remettant aux surprises des boîtes à livres ou des étals de bouquinistes qui offrent cette merveilleuse possibilité du surgissement, ce piment du promeneur qui relève de son inimitable piquant les plus mornes errances.

C’est ainsi que je piochai, d’abord, Les Messieurs de Delft. Non pas seulement mue par le nom de l’auteur mais parce que je me souvenais d’avoir vu, enfant, à la télévision une série intitulée Ces messieurs de Delft (la différence de déterminant doit être signifiante, je suppose...) Sans en avoir de souvenir plus précis que cette subsistance du titre. De rapides investigations sur Internet me donnèrent quelques informations qui, cependant, ne ravivèrent rien dans ma mémoire mais attisèrent mon appétit de lecture. Puis, ce mardi 13 août, de passage à Brive entre deux trains et bien que préoccupée par l’absence de plan qui m’eût permis de repérer le chemin à suivre pour atteindre la rue où je devais me rendre, j’ai succombé instantanément à l’attrait de la petite boîte à livres implantée au sortir de la gare, que je trouvai peu garnie, donc vite explorée. Et là... Un Exbrayat. Sûre que Le Clan Morembert manquait à ma collection, je m’en suis emparée.

Je n’ai lu ce roman que bien plus tard (j'y ai aussi croisé des messieurs que je n’ai pu m'empêcher de comparer à ceux de Delft; cette orientation comparatiste s’est vite étendue à d’autres points du récit et perdura tout au long de ma lecture dont elle fut comme l’ombre portée), mais l’allégresse que son... surgissement me procura s'est avérée suffisamment persistante et motivante pour nourrir cette page.

 

 

 

 

 

 

 

 

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11 août 2024 7 11 /08 /août /2024 12:00

Ce matin vers 11 heures je voyais de très près – presque d'assez près pour croiser son regard – pour la première fois de ma vie (à 60 ans révolus!) une chauve-souris. Une minuscule petite bête blottie derrière la pendule murale de ma cuisine lotoise dont la présence m'a été révélée par l'attitude bizarre de ma chatte Fleur-de-Nuit: je l'ai vue tout d'un coup s'approcher du radiateur au-dessus duquel est accrochée la pendule, sauter sur la table attenante et s'étirer autant qu'elle le pouvait, les yeux rivés derrière cette pendule et se mettre à claquer de la mâchoire en poussant de petits miaulements saccadés comme lorsqu'elle traque un insecte ou une araignée. Rien à première vue qui justifie pareille agitation... Je m'approche à mon tour du radiateur, en tâchant de porter mon regard au même endroit que Fleur-de-Nuit, suivie entre-temps dans son curieux manège par Elléas qui, lui, resté au sol, se bornait à tourner sur lui-même, et j'aperçois alors, entre mur et pendule, une petite masse sombre et velue que, pendant une fraction de seconde, j'ai prise pour une énorme araignée. Je suis certes incapable de reconstituer, a posteriori, comment cette identification sommaire a été battue en brèche mais je sais qu'elle l'a été très vite pour, aussitôt, être supplantée par la certitude que je voyais là une chauve-souris – peut-être parce qu'à un moment, une infime apparition de «doigts» débordant du cadre de la pendule m'a confortée dans cette idée? Ou, plutôt, me suis-je souvenue d'une bouleversante publication sur Facebook vue quelques jours auparavant, à savoir deux photos dont une m'avait presque tiré une larme d'émotion: le visage de l'animal apparaissait de telle manière qu'on l'imaginait parler, comme s'il avait été saisi par le photographe pendant qu'il disait le texte d'accompagnement – une sorte de prière censée transmettre la parole de la chauve-souris, rédigée à la première personne, où elle demandait aux humains de ne pas avoir peur d'elle et de ne pas la tuer, arguant qu'elle ne suçait pas leur sang ni ne s'accrochait à leurs cheveux et qu'en outre elle mangeait les moustiques.

Sitôt la chauve-souris identifiée, je me suis empressée de chasser mes chats hors de la cuisine et d'en fermer la porte. Mais que faire? Comment m'assurer qu'elle n'était pas blessée? Comment l'aider sans l'effrayer? Comble de malchance, c'est dimanche, et je ne peux donc pas appeler la clinique vétérinaire du coin pour être guidée quant à la conduite à tenir. J'ai alors ouvert la porte-fenêtre donnant sur l'extérieur, puis me suis contentée d'observer. La chauve-souris n'a guère tardé à quitter son refuge – ô quelle émotion de la voir tout entière, et si minuscule! – puis s'est mise à tourner longtemps dans la pièce sans parvenir à en sortir. Pensant qu'elle n'avait aucune blessure je l'ai laissé faire sans intervenir, de crainte de la troubler davantage. Puis elle s'est enfin trouvée dehors.

Cette brève aventure m'a emplie d'allégresse. J'ai eu le sentiment, indiciblement profond mais obscur, indéfinissable, que c'était une véritable visitation, que cette frêle créature, par sa courte présence, m'avait invitée à renoncer à la colère fondamentale qui m'anime depuis mon plus jeune âge à l'égard de l'existence, que je tiens pour une suite ininterrompue de chausse-trappes et de souffrances quand bien même on est privilégié à tous égards, matériels et affectifs, comme je l'ai toujours été et continue de l'être – les privilégiés ne sont-ils pas, comme n'importe quel être humain, exposés aux deuils, aux maladies, au naufrage du vieillissement lorsqu'ils consentent à atteindre un âge avancé et, à terme, à la mort?

© Photo : Yza R., musée Bourdelle, 4 novembre 2022.

Afin d’être quelque peu éclairée sur ce «sentiment visitationnel», je me suis enquise des symboles attachés à la chauve-souris et j'ai découvert, notamment sur ce site, qu'elle représentait, entre autres, le changement, à la fois intérieur et dans le cours de la vie (les deux allant en général de pair). Eu égard à la période particulièrement compliquée que je traverse il n'y a aucun doute pour moi: j'ai bien été visitée ce matin, et j’ai vraiment vécu un important épisode symbolique.

Le seul fait que je revienne ici et renoue avec l'écriture en consacrant mon énergie scripturale à autre chose qu'aux courriers administratifs ou de réclamation est déjà un signe – la chauve-souris m'a prise par la main, à moi de ne pas la lâcher.

Et si… j’avais fait connaissance, ce matin, avec mon animal-totem?

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9 avril 2024 2 09 /04 /avril /2024 13:14

Serai-je sortie vivante du voyage?

Malgré ce sentiment de mort imminente, qui rend toutes choses futiles, dérisoires, risibles (au premier chef desquelles ces microscopiques réalisations que l'on tient pour si importantes parce qu'en elles tient, croit-on, sa raison d'être) et qui ne laisse pas de me tenailler avec une cruelle acuité quand se profile un départ (et qui, aussi, me pousse à de grands accès de jetages précipitant au vide-ordures quantités de paperolles, de brouillons, d'esquisses que je me croyais capables d'utiliser mais que j'ai laissés gésir sous la poussière des inaccomplissements) je sauve de la destruction ce feuillet que j'ai rempli en quelques minutes tandis que, carrée dans un siège de l'Intercités me conduisant à Souillac, le 19 mars dernier, j'attendais que le train s'ébranle vers sa destination.

Pourquoi ce sauvetage, et aujourd'hui? sans doute parce que, quoi que je feigne de penser, reste ancrée en moi la conviction que ma vie ne se densifie dans sa singularité  que par ma capacité à faire tenir ensemble des mots qui fassent texte, et qu'aujourd'hui tout spécialement ce sauvetage exige un effort qui me détourne de l'angoisse, cauchemardesque, paralysante - haïssable. Je n'oublie pas cet autre fil auquel je sais que tient ma vie, la photo et son pouvoir d'arrêter un peu d'éphémérité dans les rets du déclencheur. Mais là, aujourd'hui, c'est l'effort scriptural qui me garde droite...

19 mars 2024, 8h15, gare d'Austerlitz, Paris.

Le train est à quai, bientôt il va partir. Les abords du wagon sont désormais déserts, tous les voyageurs sont à bord. Nul bruit extérieur ne sourd; seule court la vague rumeur, ouatée par la moquette au sol et le rembourrage des fauteuils, des vêtements que l'on quitte, des bagages que l'on installe ou des sacs à main que l'on ouvre et ferme après y avoir puisé de menus accessoires. Dans l'encadrement de la fenêtre j'observe une femme que la pénombre ambiante dissimule à demi. Je ne vois que son pull vert foncé, son épaisse chevelure frisée - sa main frêle qui tient un portable collé à l'oreille. Debout, immobile, mais hochant la tête avec force, de haut en bas, à droite, à gauche... Aucun doute: la conversation est houleuse. Vive et probablement colérique. Une indéfinissable étrangeté se dégage de cette entrevision (trop fugace, trop subrepticement aperçue pour mériter le nom de «scène»): tant d'énergie et, oui, de bruit (même inaudible la colère fait du bruit) en émane sans même qu'un son ne me parvienne. Un très court-métrage muet que n'accompagnent pas les staccati du piano... Un romancier eût probablement saisi là l'amorce d'une fiction (roman? nouvelle? Novella?...) ou, pourquoi pas, l'incipit d'un voyage introspectif.

Et moi j'attrape au vol un croquis de mots. Rien en termes de substance mais, pour moi, un caillou blanc à verser au panier des gestes scripturaux amorcés puis aboutis. Un signe, aussi, que n'est pas morte dans le brasier de la matérielle ma sensibilité à ces petites écailles de réel qui, çà et là, allument l'attention et génèrent tantôt l'esquisse phrastique, tantôt  l'intention photographique.

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7 avril 2024 7 07 /04 /avril /2024 11:51

Demain je pars.

Une fois de plus, seule et au volant, le trajet en voiture vers Gourdon. Et toujours la même terreur, la même sensation d'aller vers l'abîme. Certes justifiée désormais par le danger, réel, que représente un parcours routier pour une conductrice fort peu aguerrie, peureuse de nature et lente à réagir quand il faudrait être plus instinctif, surtout plus rapide. Mais qui dans sa nature profonde, un peu obscure et indéfinissable, est bien antérieure au décès de mon père qui jusque-là était mon chauffeur, celui entre les mains de qui étaient remis mon sort et celui de mes chats tant qu'il s'agissait de «prendre la route». 

Cet abîme dont je sens qu'il rôde, à l'approche du départ, au pourtour de mes jours tels ces monstres que l'on se figurait jadis tapis le long des rives ultimes d'une Terre supposée plate et prêts à engloutir les navires qui, lancés sur les océans, finiraient immanquablement leur course dans leur gueule béante, quel est-il? Sans doute rien autre que l'antre des fantômes auxquels mon existence est indissolublement liée, ces êtres en allés qui m'ont tant choyée, et protégée, et aimée quoi que je leur aie fait subir; ces êtres-remparts qui m'ont tenue éloignée des échardes de la vie, toujours là pour me rassurer alors que j'ai si souvent ressenti cette ultra-protection comme un carcan dont il convenait de se défaire. Et Dieu sait que je me suis ébrouée, violemment parfois et en blessant ceux qui m'aimaient sans me libérer moi-même de ce qui me semblait étouffant.

Ne me restent maintenant que des remords, des regrets, une insondable culpabilité, le tout couronné par un sentiment de mort imminente qui donne à mes rêves inaccomplis et à mes innombrables renoncements un relief aigu, tranchant.

Mourir à l'état de petite chose insignifiante, rabougrie, qui aura toujours eu des pensées incommensurablement plus vastes que ses minables réalisations.

Tel un embryon de fleur qu'un brusque accès de gel aura brûlé avant son éclosion.

Mots testamentaires. Ci-gisant comme une épitaphe.

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4 avril 2024 4 04 /04 /avril /2024 13:56

Une fois abandonné le roman de Thierry Jonquet Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte c’est à une autre trouvaille tirée de sa boîte en février dernier que je me suis attaquée: un roman de Fred Vargas en édition de poche – J’ai Lu –, Pars vite et reviens tard. Le nom de l’auteur a suffi à me pousser au geste (d'ailleurs, j'ai sans doute entraperçu le titre de prime abord, sans le comprendre ni même m'interroger sur son étrangeté): je le connaissais pour l’avoir maintes fois croisé au fil de mes collaborations au site k-libre, et vu mentionné au générique de ces téléfilms crépusculaires réalisés par Josée Dayan et diffusés sur France 2 à partir de 2008 dont je ne me souviens pas qu’ils m’aient enthousiasmée, ne me donnant à percevoir qu’un climat, une atmosphère transpirant d'une lumière toujours bleutée, là où j’espérais une histoire. À la surface de ma mémoire surnagent cependant, avec une grande netteté, les personnages incarnés par Jean-Hugues Anglade et Jacques Spiesser; la silhouette dégingandée de Corinne Masiero (et son inénarrable  voix), le passage fugace de Charlotte Rampling, le long et hypnotique flux des Suites pour violoncelle seul de Bach (traversée éphémère d'un épisode, je crois...) – mais rien qui ressemblerait aux banderilles que ne manquent pas de planter dans la masse molle des souvenirs un récit mémorable. En tout cas, absence totale de référence littéraire: je n'avais jusqu’alors lu aucun de ses romans.

Ce que me tendait la boîte à livres était donc une aubaine: j’allais pouvoir découvrir le fondement livresque de ce qui, à l’écran, ne m’avait pas vraiment plu et m’avait laissée «sur ma faim» comme cela se dit – non pas indifférente mais perplexe car, si j’avais été indifférente, je me serais contentée de bouder un second épisode après avoir été déçue par le premier, au lieu qu’en fin de compte, je les ai tous suivis pour autant qu’il m’en souvienne. La perplexité m’avait donc rendue curieuse – sans en être levée pour autant ni muée en enthousiasme.

Ainsi l’appel du livre, par-delà la petite porte vitrée de la boîte, fut irrésistible. Je voyais bien pourtant que ce n’était pas une de ces «premières éditions» comme j’aime à les chiner en ligne ou dans les bouquineries physiques – pour moi, le nom de Fred Vargas se liait d’emblée aux éditions Viviane Hamy, à leur collection «Chemins nocturnes» et à ses couvertures dont l’esthétique à elle seule peut justifier l'achat (comment n’avoir pas envie de s’aventurer sur des chemins si bien nommés? l'invite est trop belle pour ne pas risquer un pas sur les sentiers annoncés, voire de s’y perdre, de ne plus les quitter…). Mais à ce stade de la saisie livresque – une approche-découverte – je ne m’attarde guère sur l’édition pour ne me soucier que de l’état du volume que je m’apprête à emporter. Bon, pour ce qui était de ce «J’ai Lu» - il rejoignit donc ma bibliothèque.

Dès les premières lignes j'ai éprouvé cette «joie de lire» unique, reconnaissable entre toutes les émotions positives que peut susciter un texte – ce fut, cette fois, bien plus qu’un plaisir de lectrice: j’étais en train de vivre la preuve que mon goût pour la lecture n’était pas éteint ni exsangue mon aptitude à m’émouvoir esthétiquement pour un tissu de mots; que se ranimait, aussi, un embryon de désir d’ «écrire sur»... Même si l’embryon peine à se développer, ces lignes témoignent de ce que je ne renonce pas; un non-renoncement plein de balbutiements, de repentirs et de corrections corrigées, de circonvolutions phrastiques qui ressemblent à ces battements de bras désordonnés qu’on tente lorsque, tombé à l’eau sans savoir nager, on lutte pour sa survie. Mais au fait... Pourquoi ce besoin de «dire» un livre me tenaille-t-il à ce point? Pourquoi suis-je hantée d'intranquillité (une hantise confinant à l'obsession) tant que je ne suis pas parvenue à exprimer ce qu'un texte m'a fait vivre alors même que je suis quasi convaincue, depuis longtemps,  de ne plus posséder ce «savoir-dire» un livre? Aujourd’hui, tout particulièrement aujourd'hui et sur ce roman de Fred Vargas, il me faut essayer, seulement essayer ce dire pour ne pas me sentir morte. Essayer ce dire même s'il doit être bancal, au pire inepte mais prendre ce risque de l'insatisfaisant pour relever un peu la tête.

Ce qui m'a séduite? l'atypisme des personnages, sur le fond (l'un est conseiller en choses de la vie, un autre Crieur de nouvelles exerçant au carrefour Edgar-Quinet/Delambre et dialoguant occasionnellement avec un de ses aïeux lui-même Crieur... mais à l'aube du XIXe siècle...) mais surtout sur la forme: le Crieur [remise] ses haines nostalgiques dans la doublure de son esprit, le commissaire Adamsberg lorsqu'il se met à méditer [lâche] rapidement la rampe et [touche] à un vide proche de la somnolence... Et puis tout de suite ces phrases sublimes sur le papier, la chose écrite où se meut la poésie sous la mince couche d'incongruité:

[...] le procès-verbal, la rédaction, est à la naissance de toute Idée.  Pas de papier, pas d'idée. Le verbe hisse l'idée comme l'humus hisse le petit pois. Un acte sans papier et c'est un petit pois de plus qui meurt dans le monde.

Cela posé, il était indubitable que son adjoint Danglard qui aimait le papier sous toutes ses formes, des plus hautaines aux plus humbles – en liasses, en livres, en rouleaux, en feuillets, de l’incunable à l’essuie-tout – était un homme à vous fournir du petit pois de qualité.

Poursuivre la lecture s'est, ainsi, imposé d'emblée. L'écriture est presque toujours métaphorique, et met un point d'honneur à filer la métaphore. Mais ne verse jamais dans l'acrobatie syntaxique (pas de chahuts à la Céline, ni d'excessives recherches cultivant les figures de styles rares dont beaucoup, sans la caution de la licence poétique, seraient rien moins que des barbarismes) ni dans le culte du mot rare, désuet ou savant (le lexique reste simple, souvent même familier). Au fil des pages, cette écriture si typée qui me touche tant s'est avérée servir une histoire à la fois étrange, peu réaliste mais historiquement informée (et hautement documentée), convoquant symboles superstitieux, légendes et érudition historique et, surtout, parfaitement architecturée. Je tournais le dos au réalisme sociétal de Thierry Jonquet et c'était exactement ce que j'espérais d'une lecture romanesque.

Conquise par cette «offrande de boîte» je me suis mise en quête des autres romans de Fred Vargas. Dans leurs premières éditions, neufs ou d'occasion peu importe mais en suivant mes voies ordinaires: en chinant, en ligne, ou en boutiques.

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24 mars 2024 7 24 /03 /mars /2024 11:32

[...] ces dispositifs qui se multiplient jusque dans les villages permettant de déposer commodément les livres dont on souhaite se séparer pour en prendre d’autres en échange écrivais-je il y a peu; il me faut développer un peu: outre que l'on fait ses dépôts de livres avec une facilité inégalable dans ces boîtes – lorsqu'elles sont assez proches de chez soi, et que l'on n'est pas trop soucieux de vendre les volumes dont on a décidé qu'ils devaient quitter leurs rayonnages pour d'autres havres – elles offrent aussi tous les avantages d'une bibliothèque municipale – possibilité d'emprunter sans frais pour expérimenter –  sans aucun de ses inconvénients – pas de formalités d'inscription, pas de délai imposé pour restituer et, surtout, surtout: possibilité de conserver si l'emprunt s'avère pépite...

Ainsi mon simple et instinctif geste de saisie s'est-il affiné au fil de ses réitérations. Je prends, me sachant libre d'entrer dans le livre quand j'en aurai le désir, fût-ce à plusieurs mois de là mais, de temps en temps, je rends à la boîte ce que je lui ai pris, à elle ou à l'une de ses sœurs, après qu'un début de lecture s'est avéré décevant.

Donc, pas plus tard que la semaine dernière (celle qui débutait le 11 mars) j’attrapai dans la boîte à livres postée juste en bas de mon immeuble un gros volume publié par Le Seuil: Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte. Un titre en soi particulièrement «appelant», signé Thierry Jonquet. Sitôt vu le nom de l’auteur le geste de saisie a été irrépressible – je me souvenais d’avoir lu et adoré Ad vitam æternam, trouvé dans la bibliothèque familiale et dont je m’étais emparée à l’occasion d’un de ces séjours estivaux qu’en général je mets à profit pour errer en lectures au gré de ce que je découvre dans ces alluvions du passé (sans avoir la moindre idée de qui avait amené là ce roman car en dehors d’un grand-père fort amateur de polars mais décédé en 1999, je ne voyais personne dans mon proche entourage susceptible de l’avoir lu puis ayant fait en sorte qu’il arrive en ces étagères; peut-être s’agissait-il d’une de mes lectures passées mais je n’en avais aucun souvenir). Je m’y étais plongée sur la seule connaissance du nom de l’auteur qui m’était devenu familier à force de collaborations aux «dépêches» de k-libre et d’assiduité aux diffusions des téléfilms de la série Boulevard du Palais dont le générique indiquait en substance «d’après les personnages créés par Thierry Jonquet».

J’ai commencé Ils sont votre épouvante...  avec jubilation, appréciant l’écriture en focalisation interne, les traits de causticité épinglant le fonctionnement (ou plutôt les dysfonctionnements!) de notre société actuelle, la densité des personnages, la construction narrative qui s'ébauchait… puis je me suis arrêtée. Trop mimétique, sur le fond (misère sociale, dérive djihadiste, crime antisémite…) et sur la forme (les dialogues où interviennent ces ados de banlieue [on est dans le «9.3»] frustes et bruts de décoffrage dans leurs réactions sonnent si juste que la transcription de leur parler approximatif et rude donne le sentiment qu’ils sont là autour de soi). Or quand j’ouvre un roman je signe pour une mise à distance de ce réel si difficilement supportable, pas pour cette impression désagréable d'y retrouver les manifestations les plus répugnantes de notre aujourd'hui occidental – racisme ordinaire, cette façon qu’ont les préjugés et les idées (mal) reçues de gouverner les actes de quelques personnes (bien trop nombreuses…). Ainsi ai-je été stoppée net au bout d’une cinquantaine de pages. Je sais bien assez que le monde actuel est haïssable, redoutable, et que n'y règnent pas en maîtres la pondération, la finesse de pensée, l'aptitude aux raisonnements profonds et subtils... point ne m’est besoin d’ouvrir un roman pour voir étalée cette vérité sous forme d’une fiction aussi acérée qu’une lame d’acier trempée. Sans qu’aucune faille dans l’art littéraire soit à incriminer, bien au contraire, sans quoi le récit ne m'aurait pas si puissamment impressionnée. Il n’y a d’autre raison à ma lecture interrompue que mon exécration de la réalité.

Le volume a bien vite sa place dans la boîte à livres. Un autre issu du même endroit a été commencé depuis – mais c'est une autre histoire!

 

 

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17 mars 2024 7 17 /03 /mars /2024 12:08

Je ne m'étais pas rendu compte que trois mois avaient passé depuis mon dernier passage ici. Oh, bien souvent des textes se sont ébauchés en pensée et plus d'une fois j'ai cru qu'une petite brève, sinon une chronique, prenait forme et puis très vite ce qui s'esquissait était jeté. Boule de papier mentalement froissée et lancée à la corbeille...  Malgré les frêles éclats de lumière (deux ou trois mots qui faisaient sens, une phrase bien-sonnante, un court paragraphe en étroite adéquation avec une sensation fugitive...) je n'avais avant aujourd'hui jamais pris la peine de remettre ces éclats bruts sur le métier pour les tailler à facettes. Je les ai tous laissés en état de s'éteindre puis de disparaître. Tant pis.
Je reviens aux mots par les livres, ce n'est pas un hasard!

© Photo : Yza R., juillet 2021. Là, pas là…

Des boîtes à livres

Mes étagères regorgent de livres non lus. Beaucoup sont là depuis plus de vingt ans, acquis sous le coup d’une intention estudiantine (par exemple approfondir mes connaissances en littérature et civilisation médiévales, m’initier à la grammaire du moyen français…) à laquelle je n’ai jamais donné suite, ou bien parce que j’avais aperçu du coin de l’œil une allusion, un renvoi à l’un d’eux au détour d’une lecture et que je m’étais sur le moment promis d’emprunter ce chemin adventice dès la dernière page tournée de l’«ouvrage premier», mais chemin laissé pour compte par la suite – ne subsiste alors de cette promesse faite à moi-même qu’un volume rangé avec soin «en attente». «En attente» comme si l’avenir devait être sinon infini du moins assez large pour qu’aboutissent peu à peu toutes ces intentions abandonnées au fil des ans et ressuscitées ici ou là, au gré de telle ou telle «synchronicité» ramenant à la surface le souvenir d’un désir, d’une aspiration… et de son abandon – comme si je ne devais jamais mourir, ni me lasser de vivre et encore moins, à court terme, me trouver assez diminuée cérébralement pour n’être plus capable de penser. Et pourtant ! à soixante ans c’est bien à cela que je devrais songer. À cet âge où l’on est vieux déjà, s’imaginer pouvoir progresser, s’améliorer à quelque égard, voire échafauder un «projet de vie»… n’est-ce pas ridicule? surtout si la perspective de mélioration implique une vue «à longue échéance», et que l’on néglige les facteurs extérieurs d’empêchement. Car pour avoir une vue juste de l’à-venir, il faut avoir présente à l’esprit la probabilité de plus en plus proche de ses propres diminutions et racornissements et être pleinement conscient de ce dont le monde peut vous accabler – les guerres, les catastrophes, les épidémies… bref tout ce qui peut être versé de désastreux et destructeur au «cours des choses».

Il n’empêche: du temps que Pierre-Guillaume de Roux avait les bureaux de sa maison d’édition rue de Richelieu j’avais déjà pour habitude, chaque fois qu’il m’avait fixé un rendez-vous (oui, chaque fois, dussè-je être un peu en retard sur l’horaire prévu), de ralentir le pas devant la librairie Delamain. La vitrine exposant les ouvrages anciens disponibles à la vente me ferrait comme un aimant. Ainsi que les bacs extérieurs, qui font à la librairie une extension de choix aux mois d’été, où sont regroupés ouvrages de seconde main et livres neufs «à prix réduits» (quelle mine, comment n'y point laisser courir la main toute prête à saisir l'opportunité inratable!). Les «nouveautés» avaient aussi leurs attraits et, un temps, j’eus même une carte de fidélité, laquelle fut remplie à plusieurs reprises, avec à la clef une remise qui achevait de me pousser à l’achat. Combien de livres ai-je emportés sous l’impulsion de la «trouvaille»! Tous n’ont pas été lus depuis et ont augmenté la population d’ouvrages en attente. Et bien qu’il y ait désormais presque cinq ans que je ne me rends plus rue de Richelieu je continue de fréquenter avec assiduité les sites de livres anciens, pas toujours pour une recherche précise mais pour le seul goût de la sérendipité…

Comme si cela ne suffisait pas, je suis devenue en l’espace de deux ou trois ans, une maniaque des «boîtes à livres» – ces dispositifs qui se multiplient jusque dans les villages permettant de déposer commodément les livres dont on souhaite se séparer pour en prendre d’autres en échange mais qui, hélas, ne sont pas tous assez bien conçus pour protéger efficacement ce qu’on leur confie: beaucoup de ces «boîtes» sont réduites à de simples étagères ouvertes à tous les vents, averses comprises, ruinant ainsi à la moindre intempérie leur contenu… Maniaque, donc: je m’arrête avec une constance irrépressible devant chacune de ces mini-bibliothèques que je rencontre pour peu qu’elle soit assez fermée pour être protectrice. J’y ai déposé nombre de volumes auxquels je n’étais pas trop attachée et dont je savais que je ne les relirai pas. Mais je dois avouer qu’en nombre, j’ai emporté bien davantage d’ouvrages que je n’en ai déposé… Et combien de pépites! par exemple ces trois volumes reliés du Théâtre complet de Shakespeare, traduction de François-Victor Hugo, édition Garnier-Flammarion… Les trois volumes ensemble! dans la même boîte, en «état d’usage» mais sans lésion dommageable ni annotations surabondantes susceptibles de gêner la lecture! Irrésistible: à peine aperçus ils m’ont arrêtée; juste le temps de les prendre en main l’un après l’autre, de les feuilleter rapidement et ils furent embarqués sans autre forme de remords bien que je n'aie rien eu à offrir en contrepartie. Mais un peu plus tard, dans une autre boîte similaire qui a récemment fleuri au pied de mon immeuble, je déposai avec une pensée reconnaissante pour mon donateur anonyme et de hasard, les deux ou trois pièces shakespeariennes pareillement publiées par Garnier-Flammarion, en volumes isolés, qui trônaient dans la bibliothèque.

Ma provision de lecture est déjà imposante – mais il m’est toujours impossible de rester indifférente aux «boîtes à livres». Tout autant qu’aux rayons, physiques ou en ligne, des librairies d’anciens. Comme si je devais avoir mille vies de lectrice. Un fantasme bien sot, mais fi de la sottise... Rêver de l’impossible aide à rester debout quand les tempêtes intérieures font rage – et que l’on sent devoir éviter de trop se demander «à quoi bon vouloir rester debout».

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  • : Terres nykthes
  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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