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6 janvier 2022 4 06 /01 /janvier /2022 18:30

Au printemps 2021, histoire de retrouver un peu d'oxygène mental grâce à l'écriture mais n'ayant plus aucune motivation pour me risquer aux «introspcopies», et pas davantage pour muser en «petites errances», je me suis dit que la meilleure voie était de tenter un retour à la chronique: une «écriture sur» qui engage, contraint à ne pas abandonner en cours de route – je serai tenue. Aussi ai-je humblement demandé à Julien Védrenne de me rouvrir les portes de k-libre. Ce qu'il fit le plus amicalement du monde, sans émettre le moindre reproche pour mes longues années d'absence. Depuis, je reçois régulièrement des ouvrages en service de presse et, parmi ceux-là, deux petits volumes des éditions 10/18 signés Patricia Wentworth, issus d'une même série de la collection «Grands détectives», les Enquêtes de miss Maud Silver. Auteur et personnage m'étant inconnus, je me suis livrée à de rapides investigations avant même que de commencer mes lectures. Bien moins de trouvailles que je l'espérais (l'une cependant mérite d'être signalée: un passionnant article paru dans la revue en ligne Textes et Contextes, signé Françoise Dupeyron-Lafay). Ce que je découvre ne laisse pas de m'étonner. Patricia Wentworth a écrit presque autant de romans policiers qu'Agatha Christie, miss Silver a commencé d'enquêter avant miss Marple et cette dernière lui emprunterait bien des traits... J'ai pourtant l'impression qu'un abîme sépare la réception de ces deux romancières – l'une a été intronisée «reine du crime» et la bibliographie secondaire la concernant est pléthorique,  l'autre a eu pour seule couronne celle de «Teacake Lady», n'a manifestement pas eu droit à la moindre biographie, même en anglais (mais je me dois de rester extrêmement prudente à cet égard: ce constat ne se fonde que sur de premières recherches peu approfondies), et je ne sache pas que miss Maud Silver ait vu ses enquêtes portées à l'écran aussi souvent que sa consœur.

Peut-être les romans de Mrs Wentworth pâtissent-ils de faiblesses qui expliqueraient cela? Les deux «enquêtes» rééditées en novembre dernier – Un troublant retour et La Dague d'ivoire – ne vont en tout cas nullement en ce sens: ces récits sont particulièrement bien ficelés, saupoudrés d'humour (parfois mordant mais toujours discret), composés avec un sens aigu des rythmes narratifs et du suspense, où les personnages sont finement campés. Ils m'ont assez séduite pour que j'aie envie de lire d'autres enquêtes de miss Silver, en commençant par la première, Grey Mask (1928). Il se trouve qu'une traduction a paru en 1930, chez Firmin-Didot*. Et... si j'essayais de m'en procurer un exemplaire? Un excellent prétexte pour satisfaire, en même temps que ma curiosité pour cette demoiselle forte en tricot et sa créatrice, un goût pour les vieux bouquins, ceux qu'on lit en sentant passer sous les doigts, à chaque page tournée, le vibrato des ans, celui, aussi, d'intangibles  traces qui sont, peut-être, les ondes muettes gravées dans la substance du papier jauni et laissées en dépôt, tels de vagues messages codés fantomatiques,  par  les lecteurs successifs.

En quelques clics je trouve le volume rêvé sur AbeBooks (avec Livre Rare Book, mon site favori pour chiner des éditions anciennes): prix accessible, état d'usage avec «léger manque en coiffe de pied». Et puis cette indication: le volume proposé à la vente comporte «un envoi du traducteur** au romancier et critique Jacques des Gachons». Je ne suis pas collectionneuse de dédicaces ni assez bibliophile pour apprécier la valeur d'un tel envoi mais le nom «des Gachons» m'interpelle: une mienne cousine a publié une thèse d'histoire de l'art sur André des Gachons***, un artiste-peintre qui est le frère du «romancier et critique»! Un signe. Quelque chose à n'en pas douter se noue. J'ignore quoi; qu'est-ce donc qui serait ainsi fléché? Cela se révélera le moment venu. Pour l'heure, il s'agit de d'acquérir ce livre et de découvrir miss Silver dans ses premières œuvres. Je le reçois deux jours après l'avoir commandé...

 

* Patricia Wentworth, L’Homme au masque gris (adapté de l’anglais par M.-L. Chaulin), Paris, Firmin-Didot, 1930.

 

** Le «traducteur» est en fait une traductrice; les initiales «M.-L.» sont celles du prénom Marie-Louise. Ce masculin est venu sous la plume même de Marie-Louise Chaulin qui rédige ainsi son envoi: «à monsieur Jacques des Gachons, hommage du traducteur M. L. Chaulin» – sans doute le vendeur s'est-il contenté de reprendre les termes de l'envoi pour écrire son descriptif. Après quelques recherches tâtonnantes, avec divers mots-clefs lancés à la volée dans mon moteur de recherche, j'ai fini par découvrir enfin à quoi correspondaient ces initiales et, de là, que Marie-Louise Chaulin a été distinguée par l'Académie française qui lui a décerné en 1938 son prix Langlois pour sa traduction de The Lives of a Bengal Lancer (Les Trois Lanciers du Bengale) publié en 1930 par l'écrivain britannique Francis Yeats-Brown (1886-1944). Il serait intéressant de savoir si le critique et romancier a honoré cet hommage d'un article... (à creuser).

 

*** Delphine Durand (préface de Jean-David Jumeau-Lafond), André des Gachons et la modernité fin de siècle, Presses universitaires de Rennes, coll. «Art & société (Rennes)», 2014.

 

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Dans les brumes d'automne...

Après avoir passé plus de quatre ans à voyager de par le monde, Charles Moray revient à Londres prendre possession du legs dont il est l'unique bénéficiaire – un siège au Parlement, et une vaste demeure, Thorney Lane, laissée pendant son absence aux bons soins du couple Lattery. Il récupère les clefs de la maison par un morne soir d’octobre mais ne prévoit de s'y rendre que le lendemain matin. Il passera la nuit à l'hôtel après avoir dîné avec son vieil ami Archie Millar. Mais celui-ci est retenu; Charles prend son repas seul, puis décide d'aller à Thorney Lane. Contre toute attente, le portail du jardin est ouvert et le hall éclairé... Des voix résonnent... Sur ses gardes, Charles se dissimule et tend l'oreille tandis qu'il observe la pièce d'où émanent les voix. De curieuses silhouettes se désignant par des numéros, parmi lesquelles il identifie Margaret, son amour de jeunesse, complotent rien moins qu'un assassinat. Quelle est donc cette société de «gens invraisemblables», présidée par un Masque Gris? Bouleversé, il fait part de sa mésaventure à Archie, qui lui conseille de s'en remettre à une certaine miss Silver, «une véritable merveille qui rendrait des points à Sherlock Holmes». Dans le même temps, une jeune fille de 18 ans, Margot Standing, tout juste revenue de son pensionnat suisse à la suite du décès de son père, surprend une conversation laissant entendre qu'on projette sinon de la tuer, du moins de l'enlever afin de capter son héritage.

 

Comme on peut s'y attendre, les deux branches du récit ne tardent pas à se conjoindre. De complexes intrications se révèlent petit à petit, plongeant en des antériorités extradiégétiques ramenées dans le fil de la narration par le truchement de souvenirs refluant à la faveur de réminiscences intériorisées, de découvertes fortuites, ou au détour d'une conversation – un très habile entre-tissage chronologique par quoi le récit est d'emblée, et jusqu'à son terme, densifié de mystérieuses épaisseurs que l'on explore pas à pas, avec délices. À fur et mesure que l'on va d'une strate l'autre, que l'on suit la trame si adroitement ourdie par la romancière, les secrets se fissurent; se dévoilent alors des liens de cousinage tous azimuts, des identités cachées, des filiations douteuses, des amours blessées et, dessous tout cela, des richesses convoitées motivant toutes sortes de menées malveillantes. Ce sont à l'évidence les ressorts convenus d'innombrables intrigues criminelles – en particulier, à ce que j'ai pu entrevoir, beaucoup de celles auxquelles est confrontée miss Silver. Mais la matière est ici fort bien travaillée... et pas seulement en ce qui regarde la maîtrise du suspense.

 

Car l'atmosphère du roman a des notes bien singulières. D'une tonalité résolument sombre et trouée de béances abyssales, esquissée dès l'incipit – la familiarité des lieux s'ébrèche (la nuit est tombée, la brume règne, le jardin est «plongé dans l'obscurité», l'on approche avec le personnage d'une maison restée inhabitée pendant de longues années) puis se mue en inquiétante étrangeté lorsque se manifestent des présences incongrues et peu amènes –, elle s'éclaire dès que la jeune Margot entre en scène. Dotée d'un «teint de lys et de roses, [de] cheveux dorés aux ondulations naturelles» et d'yeux bleus «les plus beaux du monde», elle reste d'une humeur légère et rieuse à peine ombrée lorsqu'elle pleure son «pauvre Papa» ou tente d'échapper à de sinistres poursuivants, et troque vite les larmes contre des rires sonores, des bavardages frivoles, heureuse dès qu'elle peut sortir, choisir des vêtements... et grignoter des chocolats. Sa situation est-elle périlleuse, voire tragique – elle la juge «follement romanesque»... Une attitude peu crédible dont je ne suis pas sûre qu'elle ait pour fonction d'instiller un rehaut de drôlerie; en revanche, par la légèreté ainsi opposée aux noirceurs, les séquences visitées par la jeune fille deviennent des sortes d'intermèdes-bonbonnières dont la couleur et le ton ménagent un puissant effet de clair-obscur. Les phases les plus noires de l'histoire, fortement accusées, deviennent plus impressionnantes, comme un visage acquiert du caractère quand ses reliefs sont affûtés par certaines incidences lumineuses.

 

Quant à miss Silver, elle possède, dès cette première enquête, quelques-uns des traits qui la caractériseront quand elle deviendra l'enquêtrice attitrée de Patricia Wentworth, une dizaine d'années après cette apparition inaugurale: elle tricote, cite Tennyson, elle est petite, frêle, d'aspect insignifiant... mais perd à plusieurs reprises sa mine rassurante, au point de provoquer «une sorte d'effroi» (p. 106), voire «une peur effroyable» (p. 119) lorsque, par ses remarques et ses questions, elle montre à son interlocuteur qu'elle a percé à jour ses dissimulations. On la voit, en outre, suivre son client sans qu'il s'en aperçoive, surgir brusquement à ses côtés dans l'obscurité puis disparaître tout aussi soudainement telle une créature désincarnée... La voilà nimbée d'une aura sinon surnaturelle du moins un tantinet inquiétante, qui l'apparente presque à une créature féerique.

 

Effleuré par l'aile de l'étrange sans en être véritablement touché même aux heures les plus glaçantes de l'histoire – qui ne manquent pas! – l'on baigne dans une sorte de noirceur merveilleuse. Les effets, excellemment ménagés, semblent primer sur la vraisemblance mais l'on tombe malgré tout sous le charme terrifique de ce roman aux accents mélo-terrifiques; on sursaute, on s'émeut, le cœur bondit et l'on éprouve ce délicieux frisson que procure toute forme de « peur-en-canapé ».

 

[aparté]

Il y a un je-ne-sais-quoi de daté dans cet Homme au masque gris – peut-être parce que certaines tournures récurrentes sont devenues rares, «souhaiter de» précédant un infinitif, par exemple? Est-ce la traduction qui a ce parfum de temps jadis? Ou la fiction elle-même? Pour en avoir le cœur net – vraiment net – il faudrait lire le roman en anglais et confronter la traduction de Marie-Louise Chaulin à la nouvelle, parue en 1995 – dont le titre marque déjà une différence: Le Masque gris. Et puis ce détail de formulation: il n’est pas indiqué «traduit de l'anglais par...» mais «adapté de l’anglais par...». Est-ce une simple formule éditoriale, d'un usage courant autrefois, ou bien la marque d'un choix délibéré? On peut alors se demander quels sont les écarts, les libertés prises avec l'original qui justifient le terme «adapté» plutôt que «traduit». Mais il se peut aussi que cette sensation de désuétude me soit en partie communiquée par l'aspect du volume, bien défraîchi, avec ses pages rêches et marquées de rousseurs, aux bords irréguliers trahissant une coupe hâtive et que je sens si fragiles en les tournant... En tout cas, la sensation est au diapason de l'ambiance du roman, à laquelle je me suis si volontiers abandonnée après avoir poussé le portail du premier chapitre et mis mes pas dans ceux de Charles Moray...

 

Ayant eu le courage de défier ses fantômes, il les vit peu à peu disparaître dans l’ombre. Fier de cette victoire, il continua sa route, et se trouva bientôt à lentrée du jardin; sa satisfaction se changea alors en colère: le portail était ouvert... (p. 4)

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1 octobre 2019 2 01 /10 /octobre /2019 04:01

Au début de ce mois [septembre - N.d.A.] qu’une fois de plus j'aurais échoué à rattraper par les basques de sa veste avant qu’il ne tombe définitivement dans l’abîme du passé, je recevais un message d’Obéline Flamand me signalant qu’elle allait exposer ses toiles dans la galerie de l’Association des ateliers d'artistes de Belleville dont elle fait partie (sise au n° 1 de la rue Francis-Picabia: un signe pour une artiste liée de si près au surréalisme et au symbolisme…) du 19 au 29 septembre. Bien qu'Obéline ait déjà exposé à plusieurs reprises je n’avais encore jamais vu ses œuvres autrement qu’à la faveur des visites que je lui rends de temps à autre, quand avec une insigne générosité elle prend le temps de me montrer quelques toiles qu’elle doit dé-ranger pour les offrir à la vue dans la petite pièce où nous nous trouvons – et ce sont alors de délicieux dialogues autour des techniques, des compositions, du choix des couleurs… Souvent, aussi, elle ouvre ses cartons à dessins où sont rangées ses études préparatoires, d'autres travaux, aboutis mais de formats plus modestes, sur papier – dessins à l’encre, collages… – que je suis même autorisée à prendre en main. Et bien sûr, pour certaines d’entre elles, reproduites dans les recueils de son mari, le poète Élie-Charles Flamand. Les voir réunies dans un véritable lieu d’exposition – je veux dire, une galerie en dur, qui ne fût pas virtuelle car Obéline, comme aujourd’hui la plupart des artistes, a son site internet – manquait à mon expérience et je me réjouissais à la perspective de pouvoir enfin combler cette lacune. Pourtant, fidèle à mes mauvais penchants in-extrémistes, j’ai laissé filer les jours jusqu’au dimanche 29, jour de clôture de l’exposition. Au moins n’aurai-je pas, une fois de plus, péché par dérobade…

Pendant dix jours, donc, Obéline a exposé quinze toiles, mêlées à celles d’une amie peintre qu’elle a invitée, Maryse Béguin, dont je découvre le travail. Des œuvres réunies sous le titre «Par-delà le visible». Et ce dimanche, les deux artistes sont là qui assurent la permanence… passées la surprise et la joie de voir Obéline puis d’avoir été présentée à Maryse, la conversation s’engage, se soldant par deux bonnes heures d’échanges, moi ne me lassant pas de poser des questions, elles s’abandonnant volontiers aux réponses, aux commentaires et réflexions… Et tout autour de nous les toiles, tel un chœur entonnant le chant muet d’une présence forte, diffuse, drapant nos paroles.
Des œuvres radicalement différentes mais dont on peut d'emblée dire qu'elles parlent un langage formel et chromatique déployé en des compositions ne renvoyant à d'autres référents qu'elles-mêmes. En termes plus familiers (outrageusement simplificateurs mais permettant tout de même d'indiquer à peu près de quoi il retourne) l'on contemple de «l’art abstrait», de ces œuvres par lesquelles il faut se laisser emporter (happer plutôt?)  sans chercher à rejoindre artificiellement sa zone de confort en entrant dans le jeu des évocations forcées – «on dirait... » un oiseau, un chapeau, une colline, etc.; «ça ressemble à... » un arbre renversé, une maison, un clocher, etc. – comme s’il n’y avait de sens dans l’œuvre  que celui suscité en chaque spectateur par associations d’idées. Comme si contempler une œuvre «abstraire» revenait à passer un test de Rorschach. Or sa clé de sens est en elle, non dans ce qu’elle suggère de déjà-connu (quoiqu’il faille bien considérer que cette part adjacente de déjà-connu prêtée par chacun en fonction de sa propre histoire participe de sa signifiance).

Des œuvres radicalement différentes donc, mais accrochées de telle manière que leur côtoiement les rend indispensables l’une à l’autre – ce ne sont pas seulement des harmonies, ou des complémentarités visuelles visant à la seule agréabilité qui se perçoivent mais des liens plus profonds, plus mystérieux aussi entre les œuvres, comme si leur proximité leur donnait à chacune un surcroît de sens qui rende plus lisible leur signifiance première. Sans doute cet effet se peut-il comparer à celui que produit le geste poétique, par lequel les mots prennent une dimension que le langage ordinaire ne leur conférera jamais. Peut-être cette osmose singulière a-t-elle sa source dans une même nécessité intérieure et spirituelle qui meut les deux artistes, une similarité si prégnante qu’elle se manifeste comme une évidence par-delà des visualités que de prime abord on tend à opposer…


Pureté rigoureuse du tracé de motifs et de lignes géométriques chez Obéline, une rigueur éblouissante, assouplie tant par l’élégance du mouvement que donnent à chaque toile d’admirables courbes dont la distribution détermine l’élan général de l’œuvre, que par le travail des couleurs – des couleurs vives, intenses, tantôt traitées en de très subtils dégradés souvent rehaussés de petits reliefs créés au couteau, ou mêlés d’infimes poudroiements, tantôt appliquées en à-plats sans nuances, au lissé parfait. Des jeux de contraires toujours repris mais interprétés différemment d’une toile l’autre et chacune d’elles s’offrant ainsi comme la saisie singulière d’un moment arrêté dans une circulation cosmique inaltérablement mouvante. Un moment arrêté mais par une visualité dynamisée par ses chromatismes et ses formes: dans cette tension gît, sans doute, l'essentiel du charme des toiles d’Obéline.

Dans les toiles de Maryse c’est aussi d’élan et de mouvement qu’il semble être question. Mais point de lignes au tracé strict: les formes naissent du seul voisinage de masses colorées se diluant à leurs pourtours et dans lesquelles bruissent mille nuances, – ce travail dans la non-uniformité de la couleur imprime au motif peint une vibration ténue et persistante, telle une mélopée d’arrière-plan, qui donne de l’ampleur aux mouvements plus larges que suggère la manière dont ces masses sont disposées sur la toile. Parfois un contour ferme limite la plage de couleur et la teinte est alors plus dense, plus ramassée – moins nuancée, comme pour faire bloc – et même voit-on en quelque endroit un très discret tracé cerner une forme – comme pour faire bloc aussi mais à l’intérieur la teinte semble parcourue d'un infime friselis. Fussent-elles précisées au trait ou émergeant de la libre envolée des couleurs, les formes gardent un caractère que je dirais pluripotent, capables de renvoyer qui les regarde à d'innombrables référents – pas forcément visuels. Ainsi ai-je eu la sensation de voir une transcription picturale de la rumeur marine, qu’elle soit tumulte tempétueux de vagues se brisant contre les écueils ou calme respir de la mer d’huile effleurant la grève. Mais… ai-je songé cela avant ou après l’avoir entendue évoquer son «atelier en Bretagne»? dans le premier cas, perception spontanée d’un sens, dans le second, il n s’agit plus que de suggestion...

Ces oppositions visuelles correspondent à deux attitudes créatrices elles aussi opposées: parcours très méthodique chez Obéline, ponctué par un minutieux travail préparatoire sur papier, au trait et souvent par le texte, fondé sur une réflexion intense autour d’un symbole qu’elle choisit comme point-origine de la peinture à venir. Une application extrême, comme sont nettes les lignes qu’elle trace et strictement apposées les couleurs, unies ou nuancés. Maryse, elle – je me fie là à ce que j’ai retenu de notre conversation – ne procède à aucune étude préalable, pas de croquis, pas d’esquisse. Mais une réflexion permanente, alimentée par les incessants percepts de la vie; et de longs moments de contemplation face à la toile vierge. Jusqu’à ce que survienne une image intérieure dont elle sent qu’elle correspond très exactement à ce que sera l’œuvre finie. Et dès lors elle peint… directement, à même la toile, pleinement maître de ses gestes, des matériaux, des procédés… ne s’octroyant d’autre interruption que celles dictées par les contraintes techniques. Pas de repentir possible! et l’élan créateur maintenu sans faiblir jusqu’à ce que s’impose le sentiment d’avoir achevé le voyage…


Et dans le bel espace de la galerie bellevilloise, à travers cet accrochage dont j’ai écrit plus haut combien il était réussi, ce sont ainsi deux expressions esthétiques qui se sont vivifiées l’une l’autre, non pas en «dialoguant», ni en «se complétant» mais, plutôt, en dessinant un pas de danse comme l’arbre peut en esquisser avec le vent quand ils se transforment et se magnifient réciproquement sans se blesser.
Que l’on consente au compagnonnage des toiles d’Obéline ou de Maryse, c’est un même accueil que l’on fait aux puissantes énergies cosmiques, dont chacune montre à sa manière singulière les manifestations. Des énergies qui taillent leur voie jusqu’aux tréfonds puis remontent jusqu’à la surface de la sensibilité – là où l’on croit comprendre quand il s’agit, plus vraisemblablement, d’obéir à une simple inclination d’âme, une ouverture subreptice du cœur à ce qui échappe, se dérobe, mais par quoi l’on sent bien que l’on est mû. Au fil de la visite, on n'aura pas été seulement amené «par-delà le visible» mais en des confins bien moins définissables, là où mène toute œuvre forte, même figurative…

 

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24 mars 2019 7 24 /03 /mars /2019 18:23

Avec l'ouverture, hier samedi 23 mars, de l'exposition-événement à la Grande Halle de la Villette consacrée aux trésors de Toutankhamon, il est impossible de n'être pas pris, d'une façon ou d'une autre, dans le déferlement égyptomaniaque qui submerge tout. Et le terrain était préparé de longue date: dès l'automne dernier les billets étaient en prévente. D’ordinaire exaspérée par ce genre de battage médiatique, j'ai néanmoins succombé… De vieux restes de fascination enfantine pour les civilisations antiques sont encore bien vivaces en moi et sans que ceux-là m'aient sinon guidée vers des professions qui m'eussent permis d'être en étroit contact avec elles ‒ archéologue, historienne, sémiologue spécialisée dans les langues anciennes… ‒ du moins transformée en amateur éclairé compulsant les ouvrages «de référence» et courant les musées, je reste sensible à toute évocation des Antiquités. Donc, dès novembre, j'achetai en ligne mon droit d'entrée pour le samedi inaugural, soupçonnant évidemment que j’aurai à subir de ces bains de foule dont je m’accommode de plus en plus mal mais me disant, aussi, que la somptuosité des objets exposés méritait bien que je consentisse à cet inconvénient.

Et au lendemain de ce grand jour, c'est une amère déception mâtinée d'indignation qui m'habite. Les prémices étaient pourtant prometteurs: tandis que je débouchais sur l'esplanade de la Grande Halle, moins encombrée que je ne le redoutais, j'étais tout émue à l'idée de vivre un moment exceptionnel et certaine que malgré l'affluence, je saurai m'abstraire assez du flot de visiteurs pour contempler les trésors et tourner autour d'eux comme l'avait recommandé  l'un des commissaires de l'exposition entendu sur France Culture. Mais à l'entrée déjà, un détail égratigna cette heureuse disposition. Empruntant la file que déterminait la tranche horaire inscrite sur mon billet, j'aperçus à proximité des portes d'accès, tel un check point, une colonne de carton-pâte flanquée d'un guetteur et derrière laquelle émergeait un clavier d'ordinateur que tapotait un autre guetteur chaque fois qu'une personne franchissait le passage. Sans doute est-on photographié à des fins de contrôle ai-je pensé... Que nenni! L’on propose en fait aux arrivants de réaliser une photo-souvenir sous la forme de leur portrait capté après qu’ils ont pris la pose devant le fond vert fluo ménagé à cet effet puis collé numériquement sur un arrière-plan de «pyramides en décor naturel»… qu’ils auront tout loisir d’acheter à la sortie. Ce shooting n’ayant aucun caractère obligatoire, je me suis empressée de m’y soustraire – mais je n’en avais pas fini avec le ridicule.


Avant d’accéder à l’exposition, il faut s’entasser dans une sorte de sas où, passées les informations d’usage – pas de photos avec flash, services divers, etc. – l’on est préparé à la visite par une brève projection vidéo assortie d’une harangue énoncée d’une voix à la solennité surfaite débitant un discours singulièrement enflé. L’on y promet aux entrants un fabuleux parcours, sur les traces du pharaon défunt entamant son long voyage dans l’au-delà jusqu'au paradis. Enfin les portes s’ouvrent, sur des salles baignant dans une pénombre bleutée. Et c’est la cohue… par flux et reflux l’on s’agglutine en grappes compactes autour des caissons de présentation – à l’intérieur desquels, bien protégés par d’épaisses vitres, les objets sont magnifiquement mis en valeur, disposés de telle manière que l’on peut TOUT en voir à condition de se donner la peine de faire le tour des caissons qui le permettent et d’aller chercher le détail, le cartouche minuscule, la gravure infinitésimale – le nez quasi collé à la paroi transparente… quand on n’a pas le bras armé de l’incontournable smartphone shootant à qui mieux mieux. Voit-on, regarde-t-on seulement ce que l’on photographie avec tant d’avidité? Parfois de brèves décrues s’opèrent, dont je profite aussitôt pour m’approcher et regarder – pas «contempler», non… dans une atmosphère à ce point saturée de bruits il est impossible, fût-ce avec la meilleure volonté, de se mettre en état de contemplation. Du moins ai-je vu assez pour avoir par intermittence le clair sentiment d'entendre, en découvrant l'insigne finesse des ciselures et des inscriptions portées sur de minuscules accessoires ou en levant les yeux vers l'imposante majesté des sculptures monumentales, quelque chose qui pourrait être le murmure des siècles écoulés, ou peut-être les soupirs vagues du pharaon voués à arpenter les temps telle une brise éternelle. Mais il m'en a coûté bien de la concentration pour percevoir ces minces bribes, moins empêchée par la foule que par la «musique d'ambiance» répandue en flots continus…

Comme dans un vulgaire supermarché, on évolue d’une salle à l’autre enveloppé par une siruposité d’un mauvais goût confondant et diffusée à un niveau sonore assez puissant pour surmonter la rumeur de la multitude… Sonoriser de la sorte une exposition me semble non seulement superflu mais nuisible et dérangeant: comment, déjà gêné par l’abondance des visiteurs, nouer un rapport durable et de quelque profondeur avec ce qui est exposé, éprouver un tant soit peu d’émotion quand on a de surcroît dans les oreilles pareille étoupe? Ce bruitage eût été non pas agréable mais à la rigueur supportable si, au moins, l’effort avait été fait d’offrir en fond sonore une musique composée puis jouée à partir des vestiges et connaissances dont on dispose, qui eût alors suggéré au public ce que l’on écoutait à la cour de Toutankhamon. Comble du pathétique: ce sirop kitschissime et on ne peut plus contemporain est vendu enregistré sur CD...

À ce degré de scénarisation, l’exposition vire à l’indécence. D’autant qu’il s’agit, faut-il le rappeler, d’objets sacrés qui avaient pour rôle d’accompagner le défunt dans son voyage par-delà sa vie terrestre. Cela me semble de nature à exiger un certain recueillement que ne permet justement pas cette surabondance de décorum sonore et visuel.
Un dernier panneau me fit quitter les salles le cœur un peu moins chagrin où l’on voit en gros plan la photographie du visage momifié de Toutankhamon jouxtée de cette précision: la momie du pharaon a été laissée dans son sarcophage, à l’intérieur de son tombeau dans la Vallée des rois. Il y a donc tout de même un semblant de respect qui persiste à imposer de préserver des restes sacrés de cette disneysation généralisée affectant aujourd'hui tout ce que l’on veut montrer au public et ce jusqu’aux vestiges les plus anciens, fragiles, précieux – les plus émouvants.

Enfin la «boutique de l’exposition», que l’on est forcé de traverser pour gagner l’extérieur. Configuration mercantiliste s’il en est. Et quelle boutique! tout un fatras d’articles divers et variés, depuis le dromadaire en peluche coiffé d’un némès à la reproduction grandeur nature du masque funéraire de Toutankhamon – un «bijou» à 26 000 euros! – en passant par les inévitables scarabées en pierre, faïence, métal doré… bref, autant de gadgets dignes des plus banales échoppes à souvenirs touristiques. Mais de livres point,  en dehors du catalogue. Pas même le numéro spécial de Connaissance des Arts consacré au Trésor du pharaon. Pour en savoir plus sur  l'épopée d'Howard Carter, sur le Livre pour sortir au jour dont tant de citations émaillent les cartels explicatifs, pas la peine de compter sur ce bazar à broutilles: il faut s'en remettre à sa bonne vielle librairie.

Je crois que cette exposition, désespérément bling-bling, a atteint des sommets en termes de mercantilisme et de mise en scène grotesque. C’est affligeant: à tant verser dans un excès de clinquant confinant à la vulgarité dès lors qu’on affiche l’ambition de s’adresser «au plus grand nombre», on n’est pas près d’éveiller les sensibilités. Le «plus grand nombre» mérite quand même mieux que ça, et nos trésors du passé aussi. Car enfin, on peut vulgariser sans être vulgaire – les exemples abondent en ce sens – et non seulement on le peut mais on le doit. C’est impératif si l’on veut que le beau mouvement, en constante expansion, mobilisant les énergies qui œuvrent à «favoriser l’accès de tous à la culture» ait quelque chance de porter des fruits.


Avant de me rendre à La Villette, je me promettais de ne pas rater, à l’automne, le prochain «grand événement» culturel de l’année, l’exposition majuscule consacrée à Léonard de Vinci dans le cadre de la célébration du 500e anniversaire de sa mort. Maintenant, je crains le pire… qu’aura-t-on inventé autour des œuvres du Maître pour se mettre au diapason d’un public hélas croissant qui semble ne plus savoir s’émerveiller à la seule vue d’une œuvre ou d’un objet et qui est devenu incapable de se confronter à l’art et/ou à l’histoire sans que le propos scientifique soit enrobé des oripeaux d’un décorum de pacotille? Pour l’heure, il semble que seules les expositions-événements aient à souffrir de cette inflation d’artificialité et que les collections permanentes de nos musées échappent à cette gangrène. L’on peut encore parcourir des salles dans le silence et s’informer par de simples cartels sans être abreuvé d'intempestives fictionnalisations vidéo. Mais jusques à quand???  

 

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25 novembre 2018 7 25 /11 /novembre /2018 18:34

Le 21 juillet dernier, je prenais en marche le train du 67e Festival des jeux du théâtre de Sarlat en entrant dans La Ronde. Sans avoir lu le texte, ni vu son adaptation cinématographique, pourtant fameuse, par Max Ophüls, n'ayant au sujet de cette pièce aucune connaissance hormis la présentation qu'en donnait le programme du festival et ce que j'avais glané en quelques surfs rapides sur la Toile. Il n'y aurait donc, entre la pièce d'Arthur Schnitzler et moi, que l'objet dramatique auquel j'allais assister.

En bord de scène un personnage était là cane à la main, portant cape et haut-de-forme, qui présentait le thème, le lieu, l’époque, l’ambiance: nous sommes à Vienne, en 1900, une capitale exceptionnellement brillante où se croisent, en cette période-charnière entre les XIXe et XXe siècles, quelques-unes des figures majeures de la vie intellectuelle et artistique européenne: Zweig, Freud, Schiele, Kokoschka, Rilke, Strauss, Mahler, Klimt, Altenberg… Dans cette atmosphère effervescente des anonymes se désirent, se séduisent, s’unissent au gré d’une «ronde» qui ne doit pas s’interrompre, le tout «sur un air de valse, comme il se doit»…
Sont ainsi exposés à la fois un contexte historique, la pièce elle-même, et le spectacle tel qu’il va mettre en scène cette dernière. Le narrateur, participant aussi bien de l’espace dramatique proprement dit – dont à Sarlat on voyait d’emblée l’ensemble du dispositif  tandis qu’au Théâtre 14 le rideau demeure baissé tant que le narrateur parle – que de son en-dehors, tisse le lien entre le public et le plateau; ne sût-on rien, comme moi, de ce dont il retourne l’on est pris par la main et parfaitement préparé à entrer dans la ronde.

Pas d’intrigue à proprement parler qui progresserait en tenant ensemble un groupe de protagonistes d’un bout à l’autre du drame mais une succession de dix tableaux déclinant autant de nuances d’un schéma toujours identique ‒ un homme et une femme se manifestent l’un à l’autre leur désir, l’assouvissent en un coït explicite puis traversent un «après» plus ou moins désenchanté avant de se séparer. Se constitue pourtant une indissociable totalité, où la fragmentation du récit en tableaux est contrebalancée par une construction circulaire faisant transiter les personnages d’un fragment à l’autre: l’on voit d'abord une prostituée aguicher un soldat, qui l’abandonne au seuil d’un bal où il invite une jeune domestique à danser que l’on retrouve au troisième tableau lutinée par le fils de la maison, lequel la laisse à ses tâches pour aller honorer sa maîtresse, une femme mariée qui, peu après, doit répondre au désir de son mari… et ainsi de suite jusqu’à ce que la prostituée du premier tableau revienne en scène aux côtés cette fois de l’aristocrate qu’une comédienne avait séduit puis délaissé dans le tableau précédent. La ronde se ferme… Au gré des couples qui se font et se défont l’on voyage à travers divers lieux – un coin de rue, une salle de bal, la chambre d’une maison bourgeoise ou d’un hôtel, un cabinet particulier… ‒, plusieurs âges et classes sociales. Transversalité qui ne nuit pas à la ronde, dont la forme résonne dans le décor – son élément principal est un plateau circulaire blanc placé au centre de la scène, semé en son pourtour de petites ampoules… rondes – et imprègne la mise en scène qui semble tout entière pensée à l’aune de la fluidité – le spectacle ne s’arrête qu’à la toute fin; pas de noirs ni de rupture entre les tableaux mais des «passages de relais», et des reconfigurations d’éléments plutôt que des changements de décor, opérées à vue qui plus est, en musique: ce sont des intermèdes chorégraphiés participant entièrement de la dramaturgie.
Ainsi, pris par la main dès le début l’on est, par la suite, maintenu dans le cercle: des narrateurs différents, tels des maîtres de jeu, se passent la parole d’un tableau l’autre, interpellent à l’occasion les personnages pour qu’ils ne rompent pas la ronde, et formulent des commentaires qui signalent les évolutions, les changements de lieu, les ellipses temporelles en allant, parfois, jusqu’aux méta-remarques. Par exemple quand il s’agit de la jeune femme que l’homme marié invite dans un cabinet particulier: comment la désigner? Plusieurs termes sont lancés pour enfin s’arrêter sur celui de «grisette». Un mot qui, au passage, témoigne assez de la difficulté de traduire; en effet, dans le texte original, la jeune femme est appelée «das süsse Mädel», littéralement, «la fille douce», ou «la fille sucrée» (Süsse est aussi, je crois, un surnom affectueux comme en français «mon chou», «mon trésor»). Autrement dit, cette jeune femme est la friandise, le dessert de l’homme marié et, sans doute en écho à cette dulcité, elle déguste… de la crème fouettée.

La fluidité est donc le maître-mot du spectacle. Un mouvement d'ensemble d'autant plus enveloppant que sa fluence est rehaussée de ruptures bien marquées, ces moment-clefs que sont les coïts vécus par chaque couple qui, loin d'être passés sous rideau, éludés ou métaphorisés sont au contraire fortement… mis en lumière: avec une synchronisation de très haute précision, la rampe lumineuse ceignant le sol du plateau central s'allume à l'instant où les amants se figent en pleine extase, accompagnés par quelques notes de piano. Et l'arrêt sur geste se prolonge assez pour que l'on n'ait aucun doute quant à l'acte accompli. Une véritable trouvaille que cette mise en scène qui évite l'élision artificielle sans tomber dans la monstration complaisante: si le coït est explicitement joué, les effets à l'entour sont si appuyés que la scène prend une tonalité comique des plus savoureuses, lui ôtant par là même toute dimension scabreuse. D'autant que l'on reste pudiquement vêtu de ses dessous… tout en s'étant copieusement effeuillé avant de se glisser sous les draps. Ici s'imposent les plus ardentes louanges aux costumes: ils sont splendides, inspirés, ai-je lu, par la peinture viennoise des années 1900. Ils n'ont pas, d'ailleurs, pour seul rôle de signaler l'époque, la classe et/ou le statut de ceux qui les portent – non, ils habillent littéralement la gestuelle des comédiens, surtout, bien sûr… quand ils s'en défont! Et ce avec grand art: il y a beaucoup de variété dans les effeuillages et la manière dont les pièces de vêtement sont lancées de-ci de-là crée une chorégraphie textile changeante qui contribue, justement, à mettre en valeur la somptuosité des tenues et des étoffes – lancer loin derrière soi ce superbe gilet, laisser tomber à ses pieds après l’avoir dégrafée d’un geste ample cette jupe apparemment coercitive mais dont il est si facile de se dépouiller, sous laquelle se révèlent de délicates culottes satinées… n’est-ce pas une manière de les montrer davantage encore que de les simplement porter sur soi?

Ce qui précède pourrait laisser penser que la ronde vire à la gaudriole rieuse – mais c’est une pente qu’il faut se garder de suivre. Certes le ton, le rythme, le jeu exhalent une indéniable joie à séduire, à s’offrir… et à prendre. Mais l’interprétation est assez subtile pour que sous la gaîté affleure la gravité – on l’entend au détour de quelques répliques, on la sent par moments prête à surgir quand un regret s’exprime ou que s’esquisse une supplique. Une part d’ombre qui appartient au texte, lequel, de l’aveu même de Jean-Paul Tribout, peut être joué de manière beaucoup plus sombre qu’il n’a enjoint à ses comédiens de le faire. D’ailleurs, cette Femme assise, genoux pliés de Schiele illustrant l’affiche, qui n’a rien de bien rieur et paraît au contraire ployer sous le poids des amours tristes, n’annonce-t-elle pas cette gravité sous-jacente ?

Le spectacle est encore riche de tout ce que lui apporte un décor à la fois ingénieux dans sa conception – outre le plateau central il se compose de cinq parois réfléchissantes légèrement déformantes qui peuvent aussi devenir transparentes et d'un grand lit dont on voit bien qu'il est le pivot de l'ensemble, autant d'éléments mobiles pensés en fonction d'une dramaturgie qui inclut les reconfigurations scéniques dans sa dynamique – et prêtant à mille rêveries symboliques autour du regard, à la croisée de ce qui est en jeu dans les rapports de séduction montrés dans la pièce et dans le pacte théâtral liant tacitement le public (les spectateurs) et les artistes.

Sur la scène des Enfeus, c'était les tout débuts du spectacle qui, tout frais sorti des répétitions, venait d'être créé au Festival d'Anjou. Il arrive à Paris fort de quelques dates supplémentaires ici ou là en différents festivals... Déjà magistral à Sarlat, il m'est apparu magnifié à Paris ‒ par l'effet «boîte noire» à coup sûr et le meilleur relief qu’en retirent les jeux de lumière, sans doute aussi par la patine que l'accumulation des représentations confère au fil du temps, mais il y avait autre chose que je ne parvenais pas à nommer, un vague ressenti qui me comblait davantage et dont je n’aurais su dire sur quoi il se fondait, craignant même d’avoir une mémoire trop floue de la représentation sarladaise pour pouvoir justifier de ce ressenti. Un petit mot du metteur en scène m’a donné la clé: «Nous avons beaucoup retravaillé depuis cet été, notamment les passages de relais entre les meneurs de jeu, les personnages, pour aller vers davantage de fluidité.» Objectif atteint!


L'enthousiasme des comédiens et l'inflexion résolument joyeuse que Jean-Paul Tribout a donnée à la pièce irradient; j'en ai été toute traversée. Emportée de bout en bout dans cette Ronde si magistralement interprétée, dont la richesse scénographique m'a de nouveau époustouflée, je ne m'en trouve pas pour autant plus perméable qu'avant aux problématiques amoureuses et/ou de séduction (qui continuent de m’indifférer assez) mais ce spectacle ‒ ce spectacle: ce qui est donné de la pièce de Schnitzler ‒ compte, désormais, parmi les plus mémorables qui, d'année en année, contribuent à me conforter dans une théâtrophlie grandissante, laquelle doit presque tout au festival sarladais.

Le metteur en scène dit avoir été guidé dans son approche du texte de Schnitzler – […] parcourir avec joyeuseté la galerie de personnages […] et attester que […] si les codes changent la quête du plaisir est identique et sa réalisation voluptueuse ‒ par une phrase empruntée à Roger Vailland, «L’amour est aussi un plaisir». Et le spectacle d’avoir, outre ses grandes qualités théâtrales, cette vertu hautement appréciable de faire entendre une tonalité réjouissante, particulièrement bienvenue en ces temps où, depuis qu’ont éclaté «l’affaire Weinstein» et les différents scandales mettant en cause des prêtres pédophiles, il n’est plus guère question de désir autrement que sous l’angle du viol, du harcèlement, des violences faites aux femmes et aux enfants. Une bouffée d’air neuf qu’on respirera avec délectation…

LA RONDE
Pièce d’Arthur Schnitzler.
Mise en scène :
Jean-Paul Tribout, assisté de Xavier Simonin.
Avec :
Léa Dauvergne, Marie-Christine Letort, Caroline Maillard, Claire Mirande, Florent Favier, Laurent Richard, Xavier Simonin, Jean-Paul Tribout, Alexandre Zekri (musicien)
Lumières :
Philippe Lacombe
Décors :
Amélie Tribout
Costumes :
Sonia Bosc
Durée :
1h45 sans entracte.

Jusqu’au 31 décembre 2018 au Théâtre 14, 20 avenue Marc-Sangnier, 75014 Paris.
Représentations :
Lundi à 19 heures ; mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 21 heures, samedi matinée à 16 heures. Relâches le samedi soir, le dimanche, les 24 et 25 décembre.
Pour réserver : 01 45 45 49 77 du lundi au samedi de 14 heures à 18 heures.

 

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20 février 2018 2 20 /02 /février /2018 17:40

Lundi 15 janvier 2018, 19 heures, Théâtre 14.

Je vais enfin voir en son état final – avec son décor, ses costumes, et tous les mouvements, tous les détails scénographiques réglés à la mesure voulue par le metteur en scène selon l'environnement cette pièce qui, entendue en lecture à Sarlat, m’avait tant touchée. Michel-Ange et les fesses de Dieu enfin montée! La pièce enfin «chez elle», sur une vraie scène… Je prends place avec, en tête, quelques bribes de ce que j’avais noté lors de cette mémorable Journée des auteurs du 31 juillet 2016. Au sortir du spectacle, mon enthousiasme est total: ce que laissait présager la lecture est là, magnifié, porté à son meilleur – la chrysalide vue à Sarlat a bel et bien atteint le stade de créature parfaite…

20 janvier... et après.

L'émotion théâtrale perdure, elle tient au cœur et à l'âme tandis que me fuit la moindre «parole sur...». Je tente de la susciter en maintenant vive la pièce en moi par la lecture du texte. Étrange phénomène: ce n'est pas ma voix qui murmure intérieurement au fur et à mesure que lisent mes yeux mais celles des comédiens qui disent leurs répliques - c'est dire à quel point leur interprétation a été impressionnante, et justes leur ton, leurs inflexions. J'en avais d'ailleurs gardé un souvenir assez précis depuis la Journée des auteurs. Autre phénomène curieux: ce n'est que bien après avoir fini de lire le texte, en me déliant l'esprit par la transcription et le réagencement des enregistrements réalisés pendant les réunions de Plamon que je prends conscience du changement de titre. À Sarlat, c'était encore Michel-Ange ou les fesses de Dieu qui était annoncé. L'affiche, et la couverture du livre porte désormais Michel-Ange et les fesses de Dieu. Un changement de conjonction qui est, à coup  sûr, signifiant et mûrement réfléchi... Mon attention eût-elle été plus affûtée, j'aurais pu interroger Jean-Philippe Noël à ce propos qui, le 15 janvier, se trouvait assis juste derrière moi. Mais je n'ai su que lui dire, à la fin du spectacle, mon enchantement d'avoir vu si bien tenues les belles promesses de la lecture. Sans doute ne saurai-je rien de ce qui a mené du «ou» au «et». Mais au moins puis-je fixer, grâce à ce que j'ai conservé des réunions plamonaises, quelques informations précieuses. 

Rétrospection... en quête de petites clefs

Quelque part en 2106... [s.d.] comme on l'écrit dans les bibliographies

Un titre m'arrête dans le programme du 65e Festival des jeux du théâtre de Sarlat – celui de la pièce donnée en lecture en première partie de la Journée des auteurs, Michel-Ange ou les fesses de Dieu. Il m'intrigue, le synopsis m'éclaire:

Nous sommes en 1508. Le pape Jules II sait pertinemment que ni les intrigues politiciennes ni les combats qu’il mène l’épée à la main ne lui permettront de passer à la postérité. Alors il ordonne à Michel-Ange de réaliser une fresque de 800 m2 sur la voûte de la chapelle Sixtine. Durant quatre ans, les deux hommes vont s’affronter et leur confrontation va donner naissance à l’un des joyaux de l’histoire de l’art. Sur le panneau central de la Création, l’artiste a fait en sorte que Dieu tourne le dos pendant qu’il crée le soleil. Son manteau violet semble s’envoler et donne l’impression qu’il «montre ses fesses»…

Un artiste mondialement connu, un chef-d’œuvre mondialement connu, un lieu tout aussi fameux et, qui plus est, sacré… Une bibliographie abondante existe sur tout cela appuyée, me semble-t-il, sur quantité de documents d’époque… Comment une telle matière a-t-elle pu devenir une pièce de théâtre – et quelle pièce de théâtre est-elle devenue? Plus que son sujet en soi c’est, je crois, cette double question qui a enflammé ma curiosité. Je prendrai donc une place pour la lecture…

Dimanche 31 juillet 2016, 11h30 ou à peu près, Petit Plamon.

C'est la Journée des auteurs, point-clé du festival sarladais mettant à l'honneur des dramaturges vivants. Le moment est venu de présenter la lecture de la soirée. L'auteur, Jean-Philippe Noël, est présent; l’accompagnent le metteur en scène, Jean-Paul Bordes et les comédiens François Siener et Jean-Paul Comart. Tout ce que j'apprends concernant cette pièce au titre interpellant me rend impatiente de l'écouter...

Genèse

Jean-Philippe Noël: Je suis journaliste de métier et je collabore notamment aux Cahiers de Science & vie. C’est à l’occasion d’un dossier sur les liens entre pouvoir et religion que j’ai commencé à me documenter ; en explorant le sujet, je me suis rendu compte qu’il s’était sans doute joué quelque chose d’assez intense entre le pape Jules II et Michel-Ange. J’ai interrogé plusieurs spécialistes, je suis allé à Rome voir la chapelle Sixtine… C’est la représentation de ce Dieu complètement indécent dans la plus sainte des chapelles, ajoutée à ce que j’entrevoyais des relations entre l’artiste et le pape, qui m’a donné envie de travailler sur ces deux personnages hors du commun. Il faut quand même savoir que cela a intéressé beaucoup de monde et qu’il y a sur le sujet une bibliographie pléthorique… de même que sur les peintures de la voûte. C’est tellement irréligieux que l’on s’est acharné à expliquer, à décrypter… pourtant, aujourd’hui encore, personne n’est capable de déterminer de façon certaine si oui ou non Michel-Ange a peint cette voûte seul… 800 m2 de surface à peindre ça paraît infaisable pour un seul homme mais on n’a aucun indice attestant qu’il ait été aidé. Or Michel-Ange était un homme qui tenait très bien ses comptes; on a conservé tous ses papiers et il n’apparaît nulle part de trace témoignant qu’à un moment ou à un autre il ait entretenu une «école». Il est impossible qu’il ait tout peint seul mais il n’y a aucune trace de dépenses – même «au noir» ‒ pour l’entretien d’une école… Puis j’ai découvert qu’à l’exception de Gobineau [Joseph Arthur de Gobineau, auteur de La Renaissance, scènes historiques, un recueil de nouvelles publié en 1877. NdR] personne encore ne s’était emparé de cette période de quatre ans pendant laquelle le pape et Michel-Ange vont s’affronter, ce moment particulier où l’on est vraiment dans le théâtre, avec une unité de lieu et d’action Alors je me suis dit que Michel-Ange m’offrait un formidable cadeau, une belle matière dramatique…

[Aparté] Car il s’agit bien de cela: une «mise en situation dramatique» d’un donné historique, et non d’un documentaire théâtral ou d’une exégèse sur la chapelle Sixtine, l’art de Michel-Ange, ou encore la représentation du divin et de sacré…

Jean-Philippe Noël: Le «foyer» de la pièce, c’est la détestation de Michel-Ange pour la peinture – il veut n’être que sculpteur, ne veut que s’affronter au marbre et préférerait continuer à travailler sur le tombeau de Jules II que de peindre la voûte de la Sixtine – or c’est le pape qui lui commande cette peinture ! et quelle peinture! il ne peut donc pas refuser et, en plus, il va être très bien payé… De là ce face-à-face entre Jules II, figure emblématique de ces papes de la Renaissance qui aiment l’argent, les plaisirs de la vie, le pouvoir – ce sont des papes politiques, et l’on a dit de Jules II qu’il avait passé plus de temps à cheval l’épée à la main que dans une église – et Michel-Ange, convaincu que c’est Dieu qui lui a donné son talent et dont on peut dire qu’il porte la «vraie croyance». Et les deux hommes vont s’affronter sous le regard de Matteo, le seul personnage totalement fictif de la pièce qui a été imaginé à partir de ce que l’on sait des nombreux assistants qui ont accompagné Michel-Ange tout au long de sa vie d’artiste et l’ont aidé pour assurer le quotidien car Michel-Ange était totalement invivable, c’était un ascète du travail, qui ne prenait aucun soin de lui…
Jean-Paul Comart: Je suis Matteo, donc une synthèse de tous les assistants qu’a eus Michel-Ange et je trouve que Jean-Philippe m’a écrit un très très joli rôle; il a fait de moi une sorte de Sganarelle. Je suis un peu le lien entre ce qui se passe là-haut et ici-bas. Au départ je suis là parce que le peintre me donne à manger, et que je peux profiter de toutes les occasions pour boire le vin du pape… et à l’époque c’est déjà énorme d’être nourri. Mais Michel-Ange, c’est juste pour moi un type qui peint un plafond. Sauf qu’au fur et à mesure, comme le public, je me rends compte que ce qu’il fait est une sorte de miracle artistique.

Du titre…

Jean-Philippe Noël: Au départ la pièce s’intitulait Quelque chose à voir avec l’éternité, une phrase du texte [l’avant-dernière que prononce Jules II à la fin du sixième et dernier tableau de la pièce. NdR] que je trouvais très porteuse, mais pas vendeuse. D’ailleurs, quand je parlais de la pièce, personne n’était capable de me redire ce titre-là. Par contre, tout le monde me parlait de ces «fesses de Dieu». La décision de changer de titre a été prise assez vite. C’est donc un choix assez commercial, je l’avoue, mais aussi esthétique car ces fesses ‒ qui existent, et posent encore problème aujourd’hui, comme d’ailleurs l’ensemble des fresques toujours jugées indécentes : lors du dernier conclave, en 2013 il y a encore des cardinaux qui ont demandé à ce qu’on les retouche ‒ elles sont belles et c’est un formidable titre.


Et du parcours.

Jean-Paul Bordes: L’aventure a vraiment commencé quand, en 2013, dans le cadre du festival Théâtre en capsule [ce même festival qui avait initié la carrière du Porteur d’histoires, d’Alexis Michalik, avec le succès que l’on sait… NdR], Jean-Philippe a présenté la demi-heure de spectacle qu’il avait écrite. Suite aux encouragements qu’il a reçus, il a décidé d’écrire la totalité. Depuis, on se bat pour monter cette pièce et on n’y arrive pas… les difficultés des directeurs de théâtre se confrontent aux nôtres, les problèmes d’argent s’ajoutent au fait que de moins en moins de directeurs lisent les manuscrits qu’on leur envoie – ils ont besoin de voir plus qu’un manuscrit avant de se décider et attendent de notre part un travail plus fini, d’où cette lecture poussée au-delà de la lecture classique. Mais on a maintenant atteint le maximum de ce qu’on peut faire dans les limites qu’impose cette forme. Il y a déjà eu une diffusion radiophonique de la pièce sur France Inter dans l’émission «Le fil de l’histoire» mais on n’arrive toujours pas à trouver les moyens de la monter. On y arrivera un jour, j’en suis sûr, mais quand… en tout cas ce que vous verrez ce soir n’est pas une simple lecture – il y a de la mise en scène, une bande son… pas de costumes parce que ça coûte un peu de sous, pas de décor bien sûr mais on espère quand même vous permettre de voir et de ressentir ce qui est à voir et à ressentir: même en l’état la pièce reste visuelle.

 

Lundi 1er août 2016, 11 heures et des poussières, Petit Plamon.

L’équipe de Michel-Ange ou les fesses de Dieu est à nouveau présente. L’enthousiasme du public est unanime – à un petit détail près: l’épilogue qui suscite quelques réserves – certains spectateurs trouvent en effet que la pièce perd un peu de sa force en se poursuivant au-delà des mots que Jules II prononce à la fin du dernier tableau. À quoi Jean-Philippe Noël répond que l’épilogue l’embarrasse lui aussi…

Jean-Philippe Noël: cet épilogue a été un vrai problème… mais comment rendre hommage à cet artiste qui est mort à 89 ans, à ce qu’il a peint dans la chapelle Sixtine sans dire, d’une manière ou d’une autre, qu’il y est revenu plus de vingt ans après? C’est le rôle de l’épilogue mais comme il a déjà suscité des réserves semblables, peut-être qu’on ne le gardera pas, je ne sais pas… C’est à Jean-Paul [Bordes] qui a fait la mise en scène qu’il faudra en parler. En tout cas, il a eu une idée que je trouve magnifique pour cet épilogue: Michel-Ange est assis, muet, avec sur la tête ce chapeau où sont fixées des bougies qu’il portait pour s’éclairer pendant qu’il peignait – c’est d’ailleurs ce qui l’a rendu momentanément aveugle: la cire en coulant lui a brûlé les yeux – et, pendant que Matteo, debout, dit son texte, il mouche toutes les bougies une a une jusqu’au noir final. Ce geste me touche profondément chaque fois que je le vois et je n’ai pas envie qu’il disparaisse du spectacle. Or pour le conserver, il faut que je maintienne l’épilogue… autant j’assume pleinement le titre, autant je suis en difficulté avec cet épilogue.

Je suis quant à moi conquise par la fin telle qu'elle a été donnée: même en la sachant incomplètement aboutie d'un point de vue scénographique, j'ai été profondément touchée et j'espère ardemment revivre ce moment dramatique superbe le jour où je pourrai aller voir la pièce enfin montée....

****

Oui... L'épilogue a été conservé et, là, dans son accomplissement scénique, il m'est apparu plus indispensable encore à une juste «finition» du spectacle. C'est en soi un petit bijou d'habileté narrative ‒ Michel-Ange vieux est comme poussé hors du récit quand il vient s'asseoir avant de se taire tandis que le spectateur est, lui, poussé hors du drame par Matteo, le seul personnage fictif rappelons-le (qui, à ce titre, serait comme l'inscription physique et diégétique de la présence du dramaturge dans la pièce), qui prononce les dernières paroles où le temps s'abolit ‒ auquel Jean-Paul Bordes a donné son plein éclat et il eût en effet été dommage de le sacrifier. D'autant qu'il amène aussi le mot «éternité», comme cette ultime phrase dite par Jules II qui avait tant impressionné à Sarlat.


Voilà que déjà se profile la dernière représentation au Théâtre 14. Six semaines de halte parisienne que j'espère avoir été couronnées de succès s'achèvent tandis que plus d'un mois après avoir vu la pièce mes réflexions, à force d'abonder et de se presser, continuent de se brouiller, de se perdre, et mes formulations de se fracasser en retombant sitôt élevées de quelques mots une fois dépassé le commentaire de l'épilogue.


Mais peut-être est-ce le temps nécessaire pour parvenir à s’affranchir de la paraphrase descriptive par laquelle on tenterait, de toute façon en vain pour qui n'est pas hypermnésique, de dire à quel point le spectacle est parfait en reprenant un à un tous les éléments qui concourent à cette perfection. Au fil des jours et du vécu quotidien, les souvenirs se diluent, perdent en consistance et l'on ne peut plus guère se risquer à décrire tel ou tel moment sans s'exposer à l'erreur. Ne restent en mémoire que l'os, la substance la plus solide du sentiment et les menues considérations de fond qui lui demeurent agrégées. Au premier chef desquelles celle-ci: la justesse avec laquelle interprétation et mise en scène répondent au texte, à sa tonalité, à sa construction, ô combien rigoureuse ‒ six tableaux (il n'est pas jusqu'au choix de cette forme dramatique du «tableau» qui soit ultimement pertinent pour écrire une pièce dont l'enjeu, au-delà du sujet qui serait plutôt la confrontation de deux caractères, arbitrée par un tiers et centrée sur le rapport à l'art, à la survie à travers lui, est une œuvre picturale!) qui figent chacun et dans l’ordre chronologique un bref moment de l'histoire de cette fabuleuse fresque-en-voûte à travers de puissants dialogues, tableaux entre lesquels se glissent quatre intermèdes et qu'encadrent un prologue et un épilogue fermant la composition. Le rythme des échanges dialogues, des mouvements, l'organisation des présences en scène et la façon dont les lumières jouent sur les personnages, les éléments de décor... sans oublier le «plissé» sonore dont la bande son habille avec finesse le drame que les silences et les noirs, habilement distribués, font respirer: tout est réuni pour que vibre intensément la vie portée par la voix des comédiens. Et quelles voix! celle que Jean-Paul Bordes donne à Michel-Ange où s’entend toujours, dans les cris imprécatoires comme dans les plaintes désemparées un infime brisement qui fait affleurer l’insigne fragilité d’un artiste de génie en proie à toutes les affres; celle, de stentor, de François Siener qui lui fait camper un Jules II hénaurme, tonnerrique qui cependant se fissure et s’ouvre à la tristesse à l’évocation de sa sœur défunte, laissant alors se retirer sa voix jusque dans les basses eaux du quasi-murmure et celle, empreinte de familiarité, que Jean-Paul Comart prête à Matteo et qu’il module au gré des réactions de l’assistant, tantôt terrifié, soucieux de son bien-être, obséquieux face au pape… Par ces voix en si étroite cohérence avec le texte adviennent des personnages d’une rare densité humaine, tous trois d’ailleurs pareillement «construits dramatiquement», Matteo comme Jules II et Michel-Ange, la seule différence entre eux étant que le pape et l’artiste ont chacun leur unique référent historique quand Matteo, lui, en a plusieurs.


À cette pièce qui entretient des liens à la fois subtils et sans ambigüité par rapport à l’Histoire – à distance de toute dimension documentaire, elle se nourrit de données historiques, convoquées çà et là, pour déployer une «intrigue d’âmes», fondée sur l’interaction des caractères – le décor sied comme un gant. À l’évidence marqué au sceau du réalisme figuratif ‒ un échafaudage est monté, on manipule de vrais rouleaux de croquis, carafes et gobelets contiennent vraiment du liquide, on croque de véritables pommes; les costumes, somptueux, sont bien ceux de la Renaissance – il n’en est pas moins auréolé de symbolisme: le haut de l’échafaudage demeure toujours caché derrière de longs pans d’épaisse toile blanche, montrant ainsi, paradoxalement, la part de ce qui ne peut être vu.


D’ailleurs, à aucun moment n’apparaît le moindre élément des fresques de la chapelle Sixtine quand, techniquement, il eût sans doute été possible d’en projeter des images ‒ mais c’eût été de la feinte, du faux-semblant et non de la représentation, la représentation faisant la part du mystère et laissant au silence visuel ce qui ne mérite pas d’être trahi par l’imitation, en l’occurrence, ici, une œuvre d’art majeure, attachée au sacré qui plus est.

 

Ces lignes n'auront certes pas le rôle habituellement dévolu à une chronique théâtrale touchant à une pièce que l'on a appréciée, qui serait de lui amener quelques spectateurs supplémentaires. Mais je veux croire qu'elles auront encore cette vertu d'apporter aux artistes un peu de cette chaleur réconfortante qu'on tâche d'insuffler aux petits mots qu'on laisse au détour d'un Livre d'or.

 

 

Michel-Ange et les fesses de Dieu
Pièce de Jean-Philippe Noël
Mise en scène :

Jean-Paul Bordes, assisté de Dominique Scheer.
Avec :
Jean-Paul Bordes, Jean-Paul Comart, François Siener.
Scénographie :
Nils Zachariasen
Costumes :
Pascale Bordet, assistée de Solenne Laffitte
Créateur sonore :
Michel Winogradoff
Créateur lumières :
Stéphane Balny
Durée :
1h50

Jusqu’au 24 février au Théâtre 14 – 20 avenue Marc-Sangnier, 75014 Paris.
Réservations : 01 45 45 49 77
Représentations : lundi à 19 heures ; mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 20h45 ; samedi à 16 heures.

NB. L’on peut acheter le texte de la pièce, publié aux éditions Les Cygnes, au Théâtre 14 à la fin de la représentation.

 

 

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23 décembre 2017 6 23 /12 /décembre /2017 04:34

C'est une voix off qui ouvre le spectacle; celle d'un père s'adressant à ses deux fils et dont on comprend qu'elle sourd d'une lettre posthume, par laquelle il leur enjoint de mettre de l'ordre dans la maison qu'il leur a léguée avant de la vendre. Surtout au grenier, où ils ont tant joué quand ils étaient petits...

Sur le plateau le grenier est là, un archétype de grenier, avec son vasistas entrouvert, ses entassements chaotiques de choses érodées et flétries et sa poussière. Les deux frères devenus adultes entrent, allument le plafonnier, explorent le capharnaüm comme s'ils s'aventuraient dans la caverne d'Ali Baba. À petits coups de rires et de clins d'oeil, se précipitant d'un objet à l'autre, ils montrent qu'ils se souviennent. Mais au lieu de se raconter leurs souvenirs, ce sont les vers d'Homère qu'ils se disent plus exactement: ces vers tels que traduits en français par Jean-Louis Backès. Cela peut paraître de prime abord un bien curieux écrin scénique pour une œuvre de cette envergure mais avoir ainsi enchâssé le poème dans cet exercice de ressouvenance, lié à l'enfance qui plus est, fonde le spectacle sur ce que l'imaginaire de deux enfants a pu faire d'un tel poème, sur ce que leur mémoire d'adulte en peut encore faire, et non sur ce poème seul. Ainsi s'agit-il moins, me semble-t-il, de l'honorer que d'évoquer sa persistance culturelle à travers ce jeu d'enfant dédoublé dans le temps le jeu et le souvenir du jeu.

Longtemps les deux comédiens instillent avec finesse dans des vers a priori intimidants, et dont on imagine mal que des enfants puissent se les mettre en bouche à seule fin de jouer, ce brin d'élan empreint de drôlerie grâce auquel on reconnaît le ton du jeu. Sans ajouter un mot qui ne soit pas dans la traduction, donc sans faire apparaître autrement que par des mimiques, des postures, des intonations, ce fameux conditionnel ludique ("On dirait que je serais Achille...") par quoi les enfants s'immergent dans leur univers fictif, ils font sourire le texte par leur gestuelle et surtout le maniement à la vitesse grand V d'une quantité impressionnante d'accessoires ayant déjà en eux-mêmes un potentiel comique de par leur transformation en ce qu'ils ne sont pas vaisselle cabossée devenant casque, plumets de balai mués en cimiers, chaussettes-projectiles, vêtements défraîchis endossés de guingois tandis que le poème parle de beaux voiles ou de nobles cuirasses... Pour dire vrai, cette exubérance à la fois de gestes et d'objets, très juste du reste par rapport à un point de vue qui se veut enfantin, prend le pas sur ce qui s'énonce; le ploiement de cet environnement profus aux lois d'un conditionnel ludique tacite capte l'attention au détriment des mots prononcés: l'on s'ébahit davantage du devenir des choses entre les mains des comédiens qu'on ne s'émeut du texte. Mais au fur et à mesure que le terme de l'épopée approche le "temps du grenier" s'efface et les vers épiques semblent grandir puis occuper tout l'espace: la diction des deux comédiens perd de son entrain joyeux, gagne en gravité, fait éclore le tragique quand éclatent la colère d'Achille, sa douleur devant le cadavre de Patrocle, la noblesse d'Hector au combat puis la confrontation d'Achille et de Priam... Et quand sont célébrées les funérailles d'Hector, on a oublié les cuirasses de chiffons, les armes de pacotille, les bourrades brouillonnes de deux gamins feignant de se battre à mort en s'envoyant à la figure des poignées de vieilles chaussettes, on n'a plus à l'oreille que ce que la traduction donne à entendre de l’œuvre homérique. L'on se retrouve ainsi insensiblement porté d'abord par le théâtre d'objets puis par le poème seul, sans que l'on ressente la moindre rupture. Les rires qui au début fusaient souvent dans la salle se raréfient, puis disparaissent c'est dans un silence recueilli que l'épopée s'achève.

Sitôt celle-ci close, le "temps du grenier" revient, très brièvement: l'un des deux comédiens se juche sur les épaules de l'autre pour aller, bras tendu, éteindre le plafonnier, comme au début il l'avait fait pour allumer, une fois dite la lettre-incipit. On renoue avec l'histoire-cadre pour fermer le spectacle comme on dit, en photo, que l'on "ferme" une image en vignettant les angles pour resserrer la composition et empêcher le regard de fuir hors champ, perdant en route une partie du contenu signifiant que le photographe a voulu mettre dans le cliché.

Voilà un spectacle très habilement conçu, porté par des comédiens enthousiastes qui réussissent à ne jamais trahir ni la mise en valeur littéraire de cette traduction, ni la dimension cocasse et attendrissante du jeu d'enfant dans lequel ils l'ont inscrite une dimension d'autant plus attendrissante que ce n'est pas un jeu de premier degré mais un retour en enfance, consécutif à un deuil qui plus est, dont on imagine sans peine ce qu'il peut avoir d'émouvant pour deux adultes.

Je me de mande tout de même s'ils sont si nombreux que cela les enfants d'aujourd'hui un large "aujourd'hui" qui s'étendrait dans le passé jusqu'à l'enfance des deux personnages trentenaires se ressouvenant ici à conjuguer au conditionnel ludique un grand classique de la littérature comme l'Iliade. Je les imagine plus enclins à prendre un vieux manche à balai pour sabre laser en s'adoubant chevalier jedi qu'à revêtir une passoire de fer-blanc en guise de casque et à se rêver Achéen "aux belles chnémides"...D'ailleurs, je me demande même si les greniers poussiéreux ont encore beaucoup d'avenir en tant que refuge de jeu quand les enfants, pour jouer à être quelqu'un d'autre, n'ont besoin que quelques clics pour franchir les portes de tel ou tel univers virtuel et se forger des avatars à leur convenance qui mèneront la vie dont ils rêvent...

ILIADE
D’après le poème d’Homère traduit par Jean-Louis Backès (Gallimard, coll. «Folio classique», 2013).
Adaptation, mise en scène et interprétation:
Alexis Perret et Damien Roussineau
Chorégraphie:
Alexandra Leblans
Lumières:
Thomas Jacquemart
Son:
Emeline Aldeguer, Jacques Descomps, Pierre-Albert Vivet.
Costumes et accessoires:
Ghislaine Ducerf, Claire Bourbon, Nadia Léon, Sophie Musil
Construction:
Stéphane Petrov
Durée:
1h10

Jusqu'au 4 février 2018 au théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 PARIS
Informations et réservations: 01 45 44 57 34.

NB. Homère et son œuvre ont été  les sujets d'une Grande traversée sur France Culture, soit cinq émissions diffusées entre 9 et 11 heures du 7 au 11 août 2017, Celui qu'on appelle Homère.

1. L’Iliade, par Philippe Brunet

Je me souviens d'avoir été particulièrement attentive ce matin-là: j'avais eu l'occasion de converser avec Philippe Brunet voici quelques années, tandis que je découvrais les Dionysies, un festival de théâtre antique qui a lieu chaque année à Paris depuis 2006 et dont il est le directeur. Plusieurs spectacles qu'il avait montés avec sa compagnie Démodocos étaient à l'affiche, dont une adaptation d'un chant de l'Odyssée un seul chant mais interprété dans son intégralité, où se tissaient sans heurt des alternances de vers traduits et de vers en grec ancien, soutenues par un accompagnement musical d'une exemplaire sobriété (je crois me souvenir que les instruments, percussions et cordes, étaient berbères, ou peut-être éthiopiens, je ne sais plus exactement mais en tout cas au vague parfum de sable et de soleil). Sans rien comprendre au grec ancien, j'avais pourtant été sous un charme puissant tout le temps qu'avait duré le spectacle, peu gênée par ces vers dont je ne saisissais pas les mots car les sons de la langue insue avaient malgré tout leur pleine force évocatrice, comme la musique. Un charme sans intellection...
Philippe Brunet a publié en 2010 aux éditions du Seuil sa traduction de l'Iliade. Elle est mentionnée sur cette page internet, où Claire Pacial évoque le travail de Jean-Louis Backès qu'ont utilisé Alexis Perrel et Daniel Roussineau
un article dense et passionnant, propre à alimenter toute réflexion sur l'acte de traduire.

2. L’Odyssée, par Pierre Bergounioux

3.  Les paroles s’envolent

4. Les écrits restent

5. L'histoire se répète

 

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3 juin 2017 6 03 /06 /juin /2017 18:06

Lucrèce Borgia est de ces figures historiques dont la littérature s’empare et qu'elle pare de telle manière que leur être littéraire supplante dans l’imaginaire collectif la personne réelle. Si «Lucrèce Borgia» est un nom qui à lui seul évoque une théorie de crimes au point d’affliger celle qui le porte d’une affreuse «difformité morale», sans doute faut-il l’imputer, pour l’essentiel, à la pièce que lui a consacrée Victor Hugo même s’il est vrai que la légende noire s’est attachée à la famille Borgia dès le XVIe siècle. Au regard des historiens d’aujourd’hui pourtant, la fille naturelle de Roderic Borgia, devenu pape sous le nom d’Alexandre VI, serait davantage une grande protectrice des arts qu’une criminelle aux mœurs éhontément dissolues… Mais l’on sait la fascinante puissance du verbe hugolien, invariablement envoûtant qu’il soit versifié ou en prose, dramatique, romanesque, ou développant un propos militant. On sait aussi le pouvoir du théâtre, et il n’y a rien d’étonnant à ce que le premier au service du second ait engendré une femme de drame qui prenne si facilement le pas sur la femme historique quoi qu’en disent les historiens.


Fervente empoisonneuse, adultère, présumée incestueuse: telle est la Lucrèce du drame hugolien. Mais ce n’est pas la banale monstration de ces noirceurs d’âme qui intéresse le poète et le motive à écrire sa pièce: il entend compléter Le Roi s’amuse d’un second volet dont il écrit dans sa préface qu’il a ses origines «au même moment, sur le même point du cœur», les deux formant une «bilogie […] qui pourrait avoir pour titre Le Père et la Mère». Ce sera Lucrèce Borgia : l’on y voit dépeinte une femme d’une grande beauté mais affectée de la «difformité morale la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète» en qui il va instiller «un sentiment pur, le plus pur, écrit-il toujours dans sa préface, que la femme puisse éprouver»: l’amour maternel, capable de rédimer tous ses crimes. Voilà donc Lucrèce poursuivant de fêtes en dîners Gennaro, son fils illégitime qu’elle a abandonné à la naissance et à qui elle souhaite désormais manifester son affection. Gennaro, élevé par un couple de modestes pêcheurs, a grandi dans l’ignorance de l’identité de sa mère puis est devenu «capitaine aventurier». Ainsi va-t-elle masquée et travestie car elle se sait haïe de tous, et de lui en particulier qui, vouant à sa mère inconnue une dévotion toute de tendre révérence, exècre la Borgia sans modération: Voilà donc son exécrable palais! Palais de la luxure, palais de la trahison, palais de l’assassinant, palais de l’adultère, palais de l’inceste, palais de tous les crimes, palais de Lucrèce Borgia! s’écrie-t-il à la scène 3 de l’acte I.


La Lucrèce hugolienne est tour à tour exhalaison de haine pure – par exemple lorsqu’elle fomente avec son éminence grise Gubetta un plan pour se venger de l’affront que lui ont infligé les compagnons de Gennaro au premier acte – et tout amour quand elle s’adresse à son fils – un amour autrement sincère et profond que celui dont, au deuxième acte, elle feint d’envelopper son époux afin de lui arracher la liberté de Gennaro. Mais quel que soit le versant de sa nature révélé par les circonstances elle demeure ardente, jusque dans ses détresses, jusque dans ses désespoirs et jusque dans ses plus humbles plaintes. Cette femme aux reliefs moraux si aiguisés, si tranchants et vibrant toute de passions est magistralement incarnée par Frédérique Lazarini qui parvient à exprimer par les seules modulations de sa voix, de ses intonations, toutes ces variations et la radicale opposition des émotions les plus paroxystiques. Son langage corporel vient à l'appui mais sa voix reste le véhicule majeur de ces terribles plissements d'âme: rauque; grinçante, comme charriant du sable raclé des profondeurs et que l'on dirait d'une abominable sorcière lâchant ses imprécations tels des crachats toxiques lorsqu'elle campe la cruelle, la vengeresse gonflée de haine, au contraire douce et lisse, soyeuse presque – une voix-cocon ‒ quand elle s'adresse à Gennaro et tâche de lui dire sa tendresse. Et quand Lucrèce touche les tréfonds de la détresse la comédienne sait blanchir sa voix jusqu'à la quasi extinction sans cesser d'être audible – quelle admirable maîtrise! Mais soyons juste: les autres comédiens ne sont pas en reste d'excellence, chacun joue superbement sa partie, et tous méritent d'être salués bas.

Ces comédiens remarquables évoluent sur un plateau nu, nu entièrement et il le restera du début à la fin du spectacle où l’on ne verra surgir que peu d’objets: de parcimonieux accessoires dont la présence est rendue indispensable par le texte – tel le plateau supportant le flacon d’argent et le flacon d’or, l’eau pure et le poison, ou bien l’ample corbeille emplie des bouteilles qui arroseront le souper fatal – et de brefs éléments de décor – un banc des plus rudimentaires à l’acte I où gît endormi Gennaro, un fauteuil curule à l’acte II où s’assoit le duc Alphonse d’Este, un banc encore au dernier acte mais avec dossier et accoudoir, de métal apparemment, et ornementé. À quoi il faut ajouter une curieuse structure grillagée montée sur roulettes apparaissant au début de l’acte III où se tient encagée la princesse Negroni: des éléments dont je me suis dit qu’ils véhiculaient très certainement une symbolique sous-jacente sans que je puisse la déterminer.


Cet espace sans décor n’en est pas vide pour autant et les comédiens ne sont pas les seuls à l’habiter: les lumières le peuplent quasi charnellement tant elles y jouent un rôle primordial, qui excède de loin celui qui leur est d’ordinaire assigné – éclairer ce qui seul doit être montré; donner une teinte aux ambiances, cerner en particulier un personnage à un moment-clef de l’intrigue... Ici elles parlent véritablement, tiennent un discours chromatique très riche dont l’essentiel s’écrit en variations colorées sur le grand écran blanc tendu en fond de scène mais dont quelques «mots» s’échappent en effets singuliers, appuyant ici un geste, là une attitude, ailleurs un visage d’où sort une parole fatidique...
À cette richesse font écho les costumes, somptueux et parlant eux aussi leur part de langage symbolique – les robes de Lucrèce surtout dont elle change d’un acte l’autre. Témoignant d’une grande recherche, ils signalent clairement deux époques, la Renaissance et le XIXe siècle, l’une étant celle de l’action et dont Lucrèce, le duc d’Este, Rustighello et Gubatta portent la marque, l’autre celle de l’auteur au moment où il écrit, dont Gennaro et ses compagnons arborent les couleurs.  
Costumes et lumières: une prodigalité visuelle et symbolique à la fois tangible et immatérielle qui foisonne à l’unisson des paroxysmes sans pour autant leur opposer d’obstacles comme ferait un décor trop «meublé» ‒  les objets parlent certes en silence à l’instar des lumières et des étoffes mais ils ont une force de corps que n’ont pas ces dernières et dont la densité risque de parasiter, ou de gauchir, le jeu des comédiens. Ainsi le choix de dénuder le plateau permet-il une totale expansion des voix et des gestes – de l’être jouant des comédiens – qui, ici, font merveilleusement exister les abîmes et saillances de l’âme que le verbe hugolien a portés à l’incandescence.

Dans cette belle cohérence pourtant, un hiatus, et de taille - du moins à mes oreilles: la musique. Pourquoi ces sonorités électonisantes? Elles disent une époque, des lieux à quoi rien ne correspond sur le plateau – plus exactement je devrais écrire que cette musique a éveillé dans mon imaginaire, assis sur des intertextualités qui me sont propres, des images qui n'avaient pas le moindre rapport avec ce que le texte, les comédiens, le décor me racontaient... Aux déclenchements de la bande-son je pensais anticipations intergalactiques, univers robotisés... or je n'ai pas vu que les rôles de Lucrèce Borgia avaient été confiés à des comédiens censés incarner des droïdes ou des humanoïdes standardisés, créatures que je ne peux m'empêcher d'associer au type de musique choisi pour accompagner le spectacle. Encore n'est-ce là qu'une considération de pure subjectivité.Mais la musique a, selon moi, un autre défaut: souvent elle est lancée ou interrompue hors de propos. Si, la plupart du temps, elle habille les noirs, assure un lien d'ambiance d'une scène à l'autre, soutient la teinte émotionnelle d'un échange ou d'un silence, il arrive qu'elle démarre ou s'arrête sans justification narrative, voire qu'elle recouvre les répliques.

Dommage... sans ce hiatus, j'aurais rangé cette représentation parmi mes meilleurs souvenirs théâtraux...

 

Lucrèce Borgia, de Victor Hugo.
Mise en scène:

Henri Lazarini et Frédérique Lazarini, assistés de Lydia Nicaud.
Avec :
Emmanuel Dechartre, Louis Ferrand, Hugo Givort, Clément Heroguer, Pierre-Thomas Jourdan, Marc-Henri Lamande, Frédérique Lazarini, Kelvin Le Doze, Didier Lesour, Adrien Vergnes.
Lumières :
Cyril Hamès
Éléments scéniques :
Pierre Gilles
Musique :
John Miller
Durée du spectacle :
1 h 40.

Jusqu’au 1er juillet 2017 au Théâtre 14.
20, avenue Marc Sangnier – 75014 PARIS
Réservations : 01 45 45 49 77 du lundi au samedi de 14 heures à 18 heures.
Représentations : mardi, vendredi et samedi à 20h30 ; mercredi et jeudi à 19 heures ; matinée samedi à 16 heures.

 

 

 

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16 mai 2017 2 16 /05 /mai /2017 05:52

Les Universités populaires du théâtre sont nées en 2012 à l'initiative de Michel Onfray et de Jean-Claude Idée, avec l’ambition de ramener au cœur de la pratique théâtrale des textes où la réflexion philosophique est l'invitée d'honneur, fût-ce sous les atours de la comédie, afin d’éveiller les consciences. C’est autre chose que de châtier les mœurs par le rire  ou d’édifier les foules: il s’agit, sur le fond, d'amener les spectateurs, l'esprit délié par le seul plaisir d'assister à une représentation et rendus à une agilité de pensée jubilatoire, à réfléchir, à mettre en branle leur sens critique. À cet effet, l’équipe des UPT organise chaque année une saison regroupant autour d’un thème une série de «leçons-spectacles» ‒ un genre théâtral en soi, dont je ne saurais dire si le concept est propre aux seules UPT, que l’on peut décrire ainsi: de petites formes courtes, «mises en espace» plutôt que véritablement mises en scène, parfois arrêtées au stade de la lecture, et toujours données «encadrées», c’est-à-dire précédées d’une rapide situation du texte qui peut être théâtral ou non, dû à un auteur contemporain ou pas (ce dont il traite, les circonstances de son écriture...), puis closes par une discussion avec les spectateurs – qui seront représentées dans plusieurs salles partenaires à travers la France et la Belgique, soit isolément, comme cela avait été le cas au festival de Sarlat qui avait programmé en 2013 la lecture de Parce que c’était lui de Jean-Claude Idée, soit en grappe comme au Théâtre 14 à Paris qui accueille chaque année le «Festival de leçons-spectacles des UPT».


Outre ces particularités de nature des textes et des représentations proposés, l’aspect majuscule de ces saisons universitaires est la gratuité des spectacles, qui sont ainsi rendus «accessibles» dans tous les sens de cet adjectif. Voilà une forme idéale de théâtre engagé, qui ne sert aucune idéologie mais œuvre au mieux-être intellectuel de tous. Ni les gens de théâtre ni le public ne s’y sont trompés: d’année en année le succès des UPT grandit – davantage d’artistes, de salles partenaires, de spectateurs…En cinq ans, non seulement le nombre de leçons-spectacles dispensées au cours d’une saison a doublé mais l'on peut désormais se procurer des Cahiers plus ou moins annuels et le texte des pièces, tous publiés par les éditions Samsa, vendus en ligne sur le site de celles-ci, et sur les lieux de chaque représentation.

La saison 2016/2017 explore la «complexité des rapports entre philosophie et politique». Cette thématique a bien sûr été choisie en lien avec les échéances électorales majeures qui scandent la période à travers le monde. Les neuf leçons-spectacles programmées au Théâtre 14 en offrent une illustration variée, traversant les époques depuis Socrate à l’immédiat aujourd’hui en passant par les XVIIIe, XIXe, XXe siècles:

Lundi 8 mai
17 heures
La Barre, cou coupé, de Christian Petr. Mise en espace: Jean-Claude Idée. Avec Mathieu Alexandre, Caroline Bertrand, Valérie Drianne, Benjamin Thomas.
19 heures
Aujourd'hui le monde, de Christian Petr. Mise en espace: Jean-Claude Idée. Avec Mathieu Alexandre, Frédéric Almaviva, Caroline Bertrand, Annette Brodkom, Valérie Drianne, Benjamin Thomas, Simon Willame.
21 heures
miMésis, montage d'après Rousseau, Marivaux, Proust, Ellis, Roth, Reinhardt... Mise en espace: Jean-Pierre Dumas. Avec Jean-Pierre Dumas, Karelle Prugnaud, Mathieu Métral, Lymia Vitte.

Mardi 9 mai
17 heures
La Proposition, d'Hippolyte Wouters. Mise en scène: Carlotta Clerici et Anne Coutureau. Avec Christophe Barbier, Anne Coutureau.
19 heures
Lettre ouverte à M. le futur président de la République - Conte de Noël, de Gérard Gélas. Mise en espace: François Brett. Avec Franck Etenna.
21 heures
Korczack, la tête haute, de Jean-Claude Idée. Mise en espace de l'auteur. Avec Emmanuel Dechartre, Katia Mirant...

Mercredi 9 mai
17 heures
La Résistance et ses poètes, d'après Pierre Seghers. Avec Frédéric Almaviva, Annette Brodkom, Jacques Neefs.
19 heures
Le Dictionnaire philosophique portatif, de Voltaire. Mise en espace: Jean-Claude Idée. Avec Mathieu Alexandre, Annette Brokdom, Yves Claessens, Jacques Neefs, Simon Willame...
21 heures
L'évasion de Socrate, d'Armel Job. Mise en espace: Jean-Claude Idée. Avec Jacques Neefs, Alexandre von Sivers, Simon Willame...

 

Eu égard aux principes directeurs des UPT, aux ambitions pédagogiques annoncées, l’on peut être certain que la programmation de ce festival a été mûrement pensée et construite pour fonctionner comme un tout, chaque leçon-spectacle se répondant l’une l’autre, toutes ayant entre elles des relations de contiguïté assez étroites pour que l’architecture d’ensemble fasse sens en elle-même – mais chacune pourvue en même temps d’une autonomie suffisante pour pouvoir être représentée isolément et porter ses propres fruits. Le sens profond de ces trois journées m’échappera cependant puisque je n’ai assisté qu’à une représentation – Le Dictionnaire portatif de philosophie de Voltaire.

Sur la scène, un dispositif réduit au minimum habituel aux lectures: des chaises alignées face au public et, dans un coin, hors jeu si l'on veut mais pas tout à fait, une chaise encore, avec une table. Là s'installera Jean-Claude Idée qui assumera la part pédagogique: d'abord prononcer l'introduction – un bref rappel des positions de Voltaire, une exposition à grands traits des modalités d'écriture de ce Dictionnaire dont la rédaction s'est étalée sur quelque quinze années et, pour clore ce liminaire, une citation de la préface mentionnant que le texte ne requiert pas une lecture suivie –, puis assurer les liaisons entre chaque interprétation – petit commentaire touchant à l'entrée qui vient d'être jouée, annonce de la suivante, justification éventuelle du choix opéré pour la succession des extraits – et, enfin, rapide conclusion avant que d'entamer la conversation avec les spectateurs...

Avec pour station initiale l'âme et pour terminus la vertu, Jean-Claude Idée nous fit parcourir une sélection d'entrées non pas à sauts et à gambades comme eût dit Montaigne mais en restant fidèle à l'ordre alphabétique intimé par la forme du dictionnaire élue par Voltaire, prenant soin d'expliquer la logique qui a sous-tendu ses choix. Par l’entrelacs de l’exposé et du jeu, cette architecture est habile à servir la pédagogie. À moi qui ne connaissais pas le Dictionnaire portatif, elle a beaucoup apporté, et plus commodément qu’une immersion dans une édition savante. Surtout, faisant entendre, juxtaposées, la voix «exposante» de Jean-Claude Idée qui était celle d’un guide, et la voix «jouante» des comédiens, elle donnait à sentir tout au fond de soi ce qui distingue ces deux voix et, de là, à apprécier combien est grand  le pouvoir de la voix «jouante». D'autant plus perceptible, ce pouvoir, qu'ici la voix «jouante» brillait sans l'appui mélodique des décors, de la gestuelle, voire de l'environnement sonore qu'offre une mise en scène pleine et entière. Et sans doute le mystérieux miracle du théâtre tient-il, pour l'essentiel, dans la puissance de cette voix «jouante» qui fait si bien sonner les cristaux secrets d'un texte.

Avant d'arriver au Théâtre 14 cette adaptation du Dictionnaire philosophique portatif n'avait été lue en public que trois ou quatre fois; elle s'est donc dévoilée en ses tout premiers états. C'est un spectacle à géométrie variable, a expliqué en substance Jean-Claude Idée au cours du débat qui a suivi la lecture: d'une part les entrées ne sont pas toujours les mêmes à être  interprétées, elles peuvent changer en fonction de l'actualité mais aussi des réactions des spectateurs, du lieu où l'on joue, du contexte... D'autre part, selon sa réception, les suggestions qui pourraient émaner des différentes rencontres, il est possible que la lecture débouche sur un spectacle abouti, sur la forme duquel, d'ailleurs, rien n'est arrêté. Jean-Claude Idée imagine même que pourrait être monté une sorte de récital à la carte, où les comédiens s'en remettraient  au public pour le choix des entrées.


 

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5 mars 2016 6 05 /03 /mars /2016 11:11
"Au cabaret des âmes perdues"

Lorsque je vais au théâtre voir une version scénique d'un roman, il me paraît toujours difficile d'avoir sur ce spectacle un regard pertinent si je n'ai pas moi-même lu ce roman. Je sais, cependant, que même une lecture fine restera très approximative en regard de la longue et minutieuse fréquentation à laquelle aura dû consentir le metteur en scène pour ourdir son adaptation – en conséquence de quoi certains choix peuvent n'être pas compris, et la perception s'en trouver gauchie. Concernant Le Portrait de Dorian Gray, il y a bien longtemps que j'ai lu cette œuvre et je doute d'en avoir gardé en mémoire assez d'éléments pour pouvoir apprécier à sa juste valeur le travail adaptatif qu'a fait Thomas Le Douarec. Malgré tout, «quelque chose» peut bien se dire sans qu'il y ait besoin de se reporter sans cesse au substrat romanesque: j'ai assisté à un spectacle théâtral, je puis donc le considérer en tant que tel, en sa seule théâtralité.

D'ailleurs, à en croire la «note d'intention» du metteur en scène, il n'est point question, pour lui, de roman:
Toujours intimement persuadé que Le Portrait de Dorian Gray est la plus grande pièce de théâtre que Wilde ait jamais écrite, je me lance à nouveau dans la quête d'en faire cette fois-ci une vraie pièce de théâtre.
La plus grande pièce? Assertion plutôt paradoxale pour qualifier, précisément, le seul roman que Wilde ait écrit... et qui compte sans doute parmi ces quelques fictions si fameuses qu’un très large public en connaît, sans les avoir jamais lues, sinon les protagonistes du moins l’histoire. C’est, ici, celle de Dorian Gray, un jeune Anglais de la fin du XIXe siècle, fort riche et appartenant à la plus haute société; d’une beauté incomparable, il est devenu le modèle du peintre Basil Hallward, qui réalise son portrait – la plus belle œuvre qu’il ait jamais peinte mais qu’il refuse obstinément d’exposer. Lors de l’ultime séance de pose, Dorian fait la connaissance de lord Henry, un dandy cynique et désabusé passé maître dans l’art de dire et dont la voix particulièrement agréable transforme la moindre réplique en une dentelle rhétorique où se succèdent aphorismes et paradoxes traduisant sa philosophie de la vie, que l’on pourrait à peu près résumer ainsi en termes d’aujourd’hui: «jouir sans entraves». Le vertigineux panégyrique qu’il fait alors de la jeunesse bouleverse Dorian au point que, contemplant le portrait que Basil vient d’achever, troublé à l’idée que la peinture gardera intacte cette beauté tandis que lui, l’être de chair, la verra s’altérer au fil du temps, il forme le vœu que la réalité s’inverse. Et en effet la réalité s’inversera: au fil des jours, puis des années, le portrait se gâte jusqu’à l’ignoble mais Dorian demeure jeune, merveilleusement beau. Et au long de ces mêmes années, sous l’influence de lord Henry, il tourne peu à peu au jouisseur absolu, toujours plus indifférent aux souffrances d’autrui, ne reculant même pas devant le meurtre. Moins que les stigmates du vieillissement, c’est de cet avilissement moral que le portrait s'avère le réceptacle.

La part très important qu’ont les dialogues dans le roman, et les mentions récurrentes du caractère harmonieux, profond, de la voix de lord Henry – elle est «fascinante»; l’on sent que le beau parleur lui doit l’essentiel de son charme et son discours son impact sur Dorian, sa voix fait donc de lord Henry une sorte de figure «sirénéenne», avec ce que cela comporte de maléfique – peuvent suffire à inviter à la transposition théâtrale car seule la scène de spectacle vivant permet aux voix et aux conversations de révéler leurs nuances. En revanche les nombreuses descriptions, les longs passages arpégés où sont décortiqués les sentiments, les monologues intérieurs, les plages narratives – ces lieux d’élection d’une littérarité qui n’acquiert son plein-être qu’au cœur du mystère suggestif des mots fondus dans le creuset du style ‒, sont de nature à dissuader de tenter l’adaptation tant il paraît illusoire, vain peut-être, de trouver à leurs spécificités littéraires des équivalents dramatiques qui les fassent convenablement entendre.

À moins de ne pas rechercher le mimétisme romanesque, et de parvenir à glisser le texte dans une narrativité propre au théâtre sans rien lui ôter de sa la littérarité. C’est exactement ce qu’a fait Thomas Le Douarec, qui a su reprendre ce que le roman a de plus théâtral – à savoir les dialogues rutilants, et les manifestations émotionnelles, décrites avec un luxe de détails tel qu’il y a là matière à nourrir maintes nuances de jeu ‒ en l’inscrivant à l’intérieur d’une architecture dramatique somme toute classique – une suite de scènes plutôt courtes, séparées par des noirs pendant lesquels une bande son continue de tisser l’ambiance tandis que, dans l’obscurité, on perçoit le va-et-vient de silhouettes furtives qui réaménagent le plateau. Mais il ne s’est pas contenté de cette reconstruction, en elle-même très habile: il y a ajouté des éléments de son cru, notamment des chansons, grâce auxquelles le récit peut garder sa cohérence tout en étant scéniquement abrégé – et qui ont en outre le mérite de théâtraliser davantage le spectacle en lui donnant un air de cabaret, celui des «âmes perdues» où l’on est, dès les premiers instants, convié à prendre place.

.Si les costumes sont nombreux et d’apparence luxueuse – conformes au milieu aristocratique et esthète où évoluent les protagonistes –, signalant non seulement les changements de personnage quand les comédiens incarnent plusieurs rôles mais aussi différents «moments de vie» l’on est, en matière de décor, dans le théâtre du presque-rien. Le plateau n’est jamais occupé que par quelques éléments qui semblent viser davantage à appuyer le jeu des comédiens qu’à camper un lieu: une estrade pour permettre la pose, un sofa où l’on peut s’abandonner pour converser… et que l’on escamote, déplace, rapporte selon les besoins pendant les noirs. Seul le portrait – l’objet-titre, et le point focal de l’intrigue où se cristallisent sa part fantastique et sa dimension morale – est omniprésent: il ne quitte pas la scène et demeure à la même place, significativement posé sur son chevalet, décentré, rencogné à gauche (vu de la salle). Mais il n’est jamais montré au public, à qui il n’est rendu visible que par le truchement de palpitations lumineuses dont les chromatismes varient en fonction des réactions qu’il provoque chez les protagonistes lorsque ceux-là le regardent. On exhibe sans faire voir: c'est à la plasticité expressive des comédiens qu'est dévolue la presque entière responsabilité de dessiner ce portrait aux yeux des spectateurs ‒ la voie est grande ouverte à l'imaginaire. Ce procédé suffirait à témoigner de l’art consommé avec lequel les ressources du théâtre sont mises à contribution pour, dans un même mouvement, montrer et suggérer.

Même lorsqu'un spectacle suscite, comme celui-ci, l'enthousiasme dans son entier, il y a presque toujours, sans que l'on sache forcément pourquoi, un moment qui fait saillie et reste en surplomb au milieu de souvenirs d'abord profus puis peu à peu estompés. Ce «moment» qui, de ce spectacle-là, reste au vif de ma pensée est une scène que je dirais centrale ‒ bien que je ne puisse en aucun cas être certaine qu'elle soit arithmétiquement «centrale» puisque je n'ai pas tenu le compte exact des scènes que comprend le spectacle ‒ parce qu'elle exprime une rupture dans la narration marquée par une ellipse temporelle, un axe de part et d’autre duquel se déploient deux phases nettement distinctes du récit et, aussi, parce que dans sa conception dramatique elle me semble témoigner excellemment de la démarche du metteur en scène. Chacun d'un côté de la scène, assis à califourchon sur une chaise et prenant appui sur son dossier, Basil et lord Henry se blanchissent méthodiquement la barbe, les cheveux, les sourcils, tout en racontant, à tour de rôle, ce qu’il advint de Dorian Gray (et de Basil, et de lord Henry) durant les quelque vingt années qui ont suivi le suicide de Sybil Vane. Ce faisant, ils quittent leur personnage, dont ils troquent la posture pour endosser celle de narrateurs extradiégétiques, mais demeurent dans l’espace dramatique, un peu comme un chœur antique participe à la fois de la scène et de la cité. Ils exposent aussi le temps qui passe à travers la corruption physique tandis qu’ils décrivent la dégradation morale de Dorian, lequel, présentifié par leurs paroles, se tient debout entre «Basil» et «Harry», torse nu, là non pas en tant qu'être humain mais comme «objet de discours», de récit autant que de rumeurs... «désubjectivé» en quelque sorte Ainsi droit et muet, immobile, il est, littéralement et l’état de son costume le dit, «mis à nu» par ceux qui l'évoquent. Cette scène fascinante, quasi hypnotique, répercute magnifiquement dans le drame la course des années que le roman condense en un chapitre.
Tout aussi impressionnant du point de vue de l'interprétation, ce passage où la comédienne incarnant les divers rôles féminins, vêtue de la robe rouge-passion signalant Sybil Vane, montre celle-ci passant de l'actrice de génie sachant insuffler à quelques vers shakespeariens la fraîche ardeur d'une Juliette amoureuse à la jeune femme si follement éprise de son Prince Charmant qu'elle s'abandonne à des gesticulations et des paroles désordonnées. Cette mutation dans l'être du personnage, brillamment exprimée par la rupture que la comédienne opère dans son jeu, les longues répliques de lord Henry (superbement incarné, soit dit en passant, par le metteur en scène), gagnent à quitter les pages imprimées pour la scène qui les augmente de la vibration vitale que seul l'art dramatique peut leur donner quand l’écriture littéraire, si loin qu'elle porte le style, laisse inertes toutes phrases. Car jamais un point d'exclamation tracé à l’encre, fût-il multiplié, ne pourra faire ressentir l’effroi, la joie ou l’extrême surprise comme l’expression muette d’un comédien qui hallucine son regard, bouleverse ses traits, fige ou anime sa posture jusqu’à ce point d’expressivité où son effroi, sa joie, ou son extrême surprise se peignent de telle manière qu’ils deviennent aussitôt ceux du spectateur.

Reste qu'au théâtre le talent des comédiens ne suffit pas à ourdir cette trame un peu magique où le public s'emprisonne de son plein gré pour partager avec les artistes une aventure dramatique le temps d'une représentation: il faut à ce talent un environnement propice à son déploiement ‒ des costumes, un décor, une mise en scène, des lumières, un accompagnement musical qui composent un ensemble cohérent.
C'est tout cela, sans exception, que j'ai vu à l’œuvre dans la petite boîte noire du Lucernaire: cette nouvelle pièce d'Oscar Wilde, pour reprendre les mots de Thomas Le Douarec, aussi magistralement montée qu'elle est excellemment interprétée m'a, à tous points de vue, comblée.

LE PORTRAIT DE DORIAN GRAY
D'après le roman d'Oscar Wilde.
Adaptation théâtrale et mise en scène:
Thomas Le Douarec
Assistante à la mise en scène:
Caroline Devism
e
Avec:
Valentin de Carbonnières (ou Arnaud Denis), Caroline Devisme (ou Lucille Marquis), Thomas Le Douarec, Fabrice Scott.
Décors et costumes:
José Gomez, d'après des dessins de Frédéric Pinneau
Musique originale et direction musicale:
Mehdi Bourayou
Paroles des chansons:
Thomas Le Douarec
Durée:
1h30.

Jusqu'au 3 avril 2016 au théâtre du Lucernaire (théâtre rouge), 53 rue Notre-Dame-des-Champs - 75006 PARIS. Réservations au 01.45.44.57.34.
Du mardi au samedi à 20 heures. Dimanche à 17 heures.

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3 janvier 2016 7 03 /01 /janvier /2016 12:55
Fourvoiement

En octobre dernier, l'ouverture, hautement médiatisée, de l'exposition Picasso.mania au Grand Palais avait donné lieu, entre autres initiatives touchant à cette figure majeure de l'art du XXe siècle qu'est Pablo Picasso (et l'on sait par ailleurs quelle icône il est devenu, inscrit désormais dans la mémoire culturelle du plus inculte des quidams ne serait-ce que du fait de l'association de son nom à un modèle d'automobile dont on se demande bien quel rapport celui-ci peut avoir avec les œuvres et les recherches esthétiques de l'artiste...), au lancement d'un de ces "cours en ligne pour tous" ‒ les fameux MOOC, (Massive Open Online Courses, en bon français) qui fleurissent en France depuis peu et semblent avoir d'emblée connu un immense succès. Assez mal contente de réaliser, moi qui me targue d'un intérêt prononcé pour les Beaux-arts et de me complaire à tous les questionnements qui de près ou de loin leur sont liés, que mes connaissances à l’endroit de Pablo Picasso n’excédaient pas celles du "grand public" ‒ je veux dire par là qu’elles se limitaient à un improbable faisceau mêlant, à deux ou trois œuvres emblématisées par les diffusions tous azimuts, quelques-unes de ces informations "people" dont on est pénétré sans avoir particulièrement cherché à les emmagasiner ‒ mais consciente, aussi, que cette ignorance résultait d’une affectivité peu émue par l’esthétique picassienne qui m’avait jusqu’alors détournée d’une œuvre pourtant capitale au regard de l’histoire de l’art, je me suis inscrite à ce cours à titre d'initiation.

Pour avoir déjà suivi de ces MOOC, pour la plupart d'ailleurs interrompus avant leur terme car il me semblait que, dans leur conception, le désir, et la nécessité, de vulgariser avaient abouti à de trop flagrants manques ou simplifications, je me doutais qu'il ne pouvait rien être de plus qu'une initiation mais c'était, précisément, ce dont j'avais besoin : un simple point d’appui à partir de quoi je pourrai, éventuellement, pousser ensuite plus loin mes explorations. De plus, ce type de cours, tout lacunaire qu'il soit, a pour moi cet avantage que s’en trouvent comblés ma curiosité et mon appétit de découverte en tant qu’ils sont inclination à apprendre "en passant", je veux dire hors de tout contexte spécifique d'apprentissage, par sérendipité souvent, et sans avoir à m'astreindre à la dure discipline de l'étude (que pourtant je vénère au plus haut point, peut-être justement parce que je me sais incapable de m'y plier sans y être de quelque manière obligée) sans laquelle on n’apprend pas...

J’ai retiré de ce cours le point d’appui que j’étais venue y chercher et me suis dit que la première des explorations dont il m’avait donné appétit pourrait être la visite de Picasso.mania. Outre que son caractère temporaire me commandait de me hâter et d’aller là avant même que de me rendre au musée Picasso dont les collections sont permanentes, j’avais été alléchée par les premiers mots de présentation: Cent chefs-d’œuvre de Picasso, dont certains jamais montrés… En ayant aussitôt déduit que c'était là une exposition à ne pas rater, je n’avais pas fait grand cas du petit bout de phrase glissé juste après les Cent chefs-d’œuvre…, indiquant que ceux-là étaient confrontés aux plus grands maîtres de l'art contemporain. J’étais persuadée qu'il ne s'agissait que d'une confrontation incidente, mettant ici ou là en correspondance, par l'accrochage, certaines œuvres de Picasso et leurs citations par quelques artistes des générations suivantes – faisant ainsi écho à cet art de la citation que lui-même, à l'instar de bien d'autres peintres, avait largement pratiqué en rendant de signalés hommages à ceux de ses prédécesseurs qu’il révérait tels Ingres, Manet, Velázquez… Pour dire à quel point m'avait été indifférente cette confrontation annoncée, je n'avais même pas pris le temps de déchiffrer la liste de noms égrenée ensuite, dont quelques-uns demeuraient attachés à des objets dont la vue ne m’avait pas inspiré grande estime.

Quelle n’a pas été ma déception en constatant très vite que la véritable vedette de l’exposition n’était pas Picasso mais… ses héritiers! Significativement, on est accueilli non par une œuvre de Picasso mais par une installation vidéo de dix-huit écrans montrant chacun le portrait en noir et blanc d’un des artistes exposés, portraits qui se colorisent à tour de rôle quand l’artiste filmé prend la parole pour expliquer ce que représente Picasso pour lui… Pour habilement conçue qu’elle ait été, cette installation ne m’a pas retenue longtemps: j’étais venue pour Picasso et, ayant aperçu du coin de l’œil, bien isolé par l’accrochage, l’Autoportrait de 1901.
Manifestement délaissé par les visiteurs, tous agglutinés devant les écrans dont je me détournais, il s’offrait tout entier à mon attention et j’ai profité de ce que pouvais m’en approcher au plus près pour m’y abîmer jusqu’à distinguer, selon l’angle sous lequel j’observais la surface peinte, les traces de pinceau. Voir ce genre de détail est extrêmement émouvant: c’est comme assister au surgissement de la main du peintre, vivante et au travail – quelque chose se met à vibrer dans la toile qui n’est plus tout à fait de l’ordre du visuel et ressemble beaucoup à une présence. Puis, tout d’un coup, j’ai vu, sans qu’elles s’évanouissent alors que je me déplaçais, d’infimes stries partant en faisceau de part et d’autre de l’entrœil – des moustaches de chat voilaient les deux yeux au regard si magnétique! Mirage? Ou réelle trace laissée dans la pâte?

M’arrachant enfin à la quasi hypnose où m’avait plongée ce tableau, j’ai poursuivi ma visite, de plus en plus déçue au fur et à mesure que je traversais les salles, ne voyant de Picasso que des œuvres représentatives d’une toute petite partie de son parcours, en effet confrontées à leurs citations – lesquelles m’ont paru manifester ce que l’art "contemporain" peut avoir de plus consternant dans sa facilité et son absence d’inventivité. Mais il y eut bien pire que l’ordinaire déception. La salle consacrée aux citations de Guernica allait me faire éprouver la plus profonde révulsion… Sur l’un des murs, un assemblage de dépouilles de loup! Des loups naturalisés! Je n’ose songer au nombre de dépouilles qu’il a fallu réunir pour constituer ce rectangle de quelque 3,5 mètres sur 7, censé reprendre les dimensions de la célèbre toile de 1937, ni à la façon dont l’auteur se les est procurées. Non seulement je trouve honteux de ravaler au rang de matériau des cadavres qui n’ont, ainsi, même plus la noblesse que l’on peut trouver, quelque opinion que l’on ait de la chasse, aux trophées, mais s’agissant en outre d’animaux que l’on s’efforce tant bien que mal de protéger et dont plusieurs espèces ont déjà disparu victimes de chasses abusives, cela devient proprement scandaleux. Le titre de la chose: Qui a peur du grand méchant loup? Ô quelle recherche! quel effort de symbolisation! Mais c’est affligeant!!! Plus scandaleux encore: personne ne semble s’indigner… Je risque d’être accusée de sentimentalisme stupide – après tout, ce ne sont que des bêtes… et puis, il est de bon ton aujourd’hui, dans certains "camps" idéologiques, de cracher sur tout ce qui se rattache de près ou de loin à un prétendu "boyscoutisme planétaire" et de vouer aux gémonies les organisations humanitaires – alors pensez donc: se préoccuper de la sauvegarde des animaux, quelle sottise, et de quelle mollesse tripale cela est-il le signe! Tant pis, j’assume. J’assume mon coup de gueule peu ciselé, je persiste, je signe, autant de fois qu’il le faudra. Et quand bien même je consentirais à ne m’en tenir qu’à des considérations plastiques, Qui a peur du grand méchant loup? se caractérisant par une totale absence de dépassement formel et de travail sur la matière, ce ne peut être autrement qualifié que de fumisterie.

Outre l'indicible révulsion causée par Qui a peur du grand méchant loup? qui ne s'amuit pas tandis que le temps passe ‒ et au contraire s'affûte dès lors que je l'évoque ‒ je retire de ma visite une immense déception, dont je dois bien admettre qu'elle est imputable à une colossale faute de lecture de ma part. Maintenant, le vif de ce désappointement s'atténuant, lui, tandis que le temps passe, je me dis qu'en définitive, j'ai simplement commis une erreur d'ordre chronologique et que cette visite, si elle avait été précédée d'une accumulation suffisante de connaissances, m'aurait tout de même dispensé une leçon, la seule au demeurant dont elle puisse être porteuse, à savoir une démonstration des plus instructives de ce qu'aura été la réception de Picasso après sa mort, de ce dont est capable de produire un certain "art contemporain" et, enfin, de ce que l'on entend aujourd'hui par "exposition-événement"...

PICASSO.MANIA
Exposition aux Galeries nationales du Grand Palais jusqu'au 29 février 2016. Plein tarif: 14,00€; tarif réduit: 10,00€.

PS. J’aurais aimé que ce texte soit le dernier déposé avant que s’éteigne 2015. Mais, l’ayant commencé le 31 décembre au matin, c’était chose impossible tant je consacre de temps aux multiples relectures, toujours, évidemment, assorties de repentirs incessants. Tandis que tournaient dans ma tête des phrases éparses que j’assemblais et désassemblais mentalement sans que rien se fixât sinon cette idée récurrente que j’avais manqué le coche du 31, j’entendais, ce vendredi 1er janvier 2016 sur France Culture, s’annoncer l’invité-mystère d’Adèle van Reeth, Philippe Domecq qui allait évoquer son livre Trente ans d’art contemporain (Pocket). Il eut à plusieurs reprises de ces propos limpides dont je sentais qu'ils éclairaient comme par magie quantité de ressentis qui se meuvent en moi comme de vagues magmas ‒ une fois de plus, je voyais se nouer d’opportunes synchronicités…

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