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19 février 2025 3 19 /02 /février /2025 12:30

Si longtemps! ô certes voilà beau temps que je suis devenue coutumière des intermittences, des silences prolongés – comme si, d’année en année, je tâchais de m’effacer petit à petit en réduisant à presque rien mon écriture, de me détruire, en me taisant, comme la fameuse bande magnétique du générique culte de Mission impossible (la série télévisée) mais à beaucoup plus petit feu qu’elle, étalant mon autoconsumation sur des années et des années quand elle disparaît en fumée au bout de cinq secondes.

Je n’ai cessé de répéter que je tenais par l’écriture et la photo et ce sont elles deux que peu à peu je gomme de ma vie, n’ayant plus dans l’un et l’autre domaine que de vagues intentions, incandescentes quand elles se forment puis presque aussitôt ternies, éteintes, frappées de nullité, jugées minables et vaines, bonnes pour la poubelle.

Le sempiternel «à quoi bon» toujours vainqueur. Malgré ici et là des sursauts, comme celui-ci, suscité par un curieux surgissement: deux courriels me sont arrivés hier et avant-hier m’informant que j’avais reçu un message dans la boîte de réception de mon blog. Personne ne m’a plus contactée par là depuis des années et des années (car je compte pour rien les bizarreries tombées dans cette messagerie qui me proposaient dans un anglais de cuisine des remèdes miracles à la baisse de libido... ou libellées en caractères cyrilliques qui bien sûr m’étaient incompréhensibles) et ces deux courriels m’ont fait l’effet d’un coup de tisonnier dans un tas de cendres. Tous ces textes, ces mots, ces images tassés là, qui persistent et persisteront tant que je paierai mon abonnement annuel mais que plus personne ne réveille de leur torpeur et que moi-même j’abandonne à leur sort puisque, ne publiant plus (ou presque plus: la preuve aujourd’hui que c’est un «presque» qui doit faire foi), je n’ai plus la constance de lancer assez régulièrement l’hameçon du «dernier article» auquel pourrait s’accrocher au moins un lecteur qui, de là, aurait peut-être envie d’explorer les tréfonds de ce très vieux blog (né en 2009!). 

Donc ces messages? Eh bien rien du tout – ma messagerie nykthéenne est vide. Pas même une de ces «bizarreries» décrites plus haut. Alors oui je suis un peu déçue: en dépit de tout mon défaitisme, je garde quelque part, loin là-bas dans un recoin profond où sont réfugiées les petites étincelles encore vives attestant que je n’ai pas, à ce jour, atteint le point de non-retour des renoncements, cette conviction que ce blog héberge du sens, et du sens qui ne regarde pas que le cercle étroit de ma petite intériorité ratatinée radotant à longueur de Brèves d’un jour et d’Introscopies ses obsessions, ses peurs, les érosions de ses désirs et le vert-de-gris de ses intentions laissées pour compte.

Ce coup de tisonnier aura eu au moins pour effet de me ramener concrètement ici – je veux dire scripturalement, par la textification. Jusqu’à quel point est-ce salutaire, si la cendre retombe de nouveau pour plusieurs mois...

 

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30 octobre 2024 3 30 /10 /octobre /2024 13:21

Au fond de ma poche un marron, terne et ratatiné, que je roule machinalement entre paume et doigts dès que ma main le trouve. Ramassé il y a des jours, au temps de sa splendeur, tout luisant et lisse, comme verni, encore tenant à sa bogue entrouverte – un geste réflexe qui revient à chaque automne en hommage à mon enfance et à cette phrase que me dit ma mère un jour où je lui montrais ce que je tenais, alors, pour un trésor, une poignée de marrons récoltés au bois de Vincennes et choisis pour leur brillance, leur poli et leur rotondité à mes yeux parfaite: «Ils sont rudement beaux!»

Ô ce mot «rudement», comme il avait accroché mon oreille d’enfant! aujourd’hui à plus d’un demi-siècle de là il continue de résonner avec une consonance particulière, doté qu’il est d’un statut un peu spécial parmi tous les mots que répertorie désormais mon dictionnaire intérieur: y adhère, à jamais, le souvenir sonore de la voix de ma mère quand elle l’avait prononcé.

Avec, indissolublement liées dans ma mémoire, l’ineffable déception et l'abyssale tristesse ressenties au bout de quelque temps en constatant que les marrons avaient perdu tout ce qui m’avait séduite, tout ce qui avait poussé ma mère à dire «ils sont rudement beaux!»: leur brillance, leur poli et jusqu’à leur rotondité, flétrie alors par un ratatinement dont à aucun moment je n'avais pu  pensé qu’il surviendrait. Vint le jour où il ne resta plus, en guise de «trésor», qu’une poignée de choses noirâtres, ternes et cabossées, desséchées et sans attrait que l’on jeta sans que je m’y oppose – je n’avais de toute façon plus de trésor.

Ai-je par la suite continué de ressentir le besoin de ramasser des marrons luisants chaque automne tant que j’étais enfant et de m’attacher à ces trésors de hasard alors que je savais à quoi ils seraient inéluctablement réduits sous peu? Rien n'est moins sûr – il en va là comme de tous les souvenirs: il y entre un petit éclat de réel et une part plus ou moins grande de reconstruction où se mêlent désirs informulés et forces inconscientes – ces grands modeleurs et transfigurateurs… Pourtant, ce geste de ramasser des marrons tout juste sortis de la bogue reste inscrit en moi tel un étendard de toute une enfance heureuse, comme s'il avait été un rituel immuablement reconduit.

Quoi qu’il en soit, toujours les marrons luisants d’octobre ramènent à la surface la voix de ma mère et le sourire qu’elle avait eu en la disant. Avec l’âge cette réminiscence seule est convoquée, laissant derrière elle déception et tristesse devant la défaite, pour devenir l’un de ces doudous mémoriels dont le besoin se fait plus pressant à mesure que la vieillesse se profile et que se multiplient les moments où l’âme telle une ramure en deuil ploie si bas, si bas qu’elle frôle le fond de la tombe.  

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19 septembre 2024 4 19 /09 /septembre /2024 11:46

Face à ce désastre aranéeux qu’était le grenier de Meyraguet, cet antre de la ruine rédhibitoire et des préservations ratées, des souvenirs flétris réduits en poussières suffocantes, l’immense et opaque tristesse, tenace, fétide et corrodée de vaine colère qui, depuis des années, toujours me submergeait à seulement y songer, s’est indurée en une masse compacte faisant obstacle à tout autre émotion et que rien ne semblait devoir fissurer. Pourtant, si dense et oppressante qu’elle ait été, cette muraille amère se trouva soudain fissurée par une vision des plus inattendues. Tandis que je vidais à grands gestes les étagères d’un vieux placard encombrées de paperasses sans intérêt (flopées de billets de train usagés, listes de courses, tickets divers et variés dont l’utilisation remontait à plus de quarante ans...) je fus arrêtée net dans ma rage expurgatrice* par deux petits étuis de plastique reconnaissables entre tous: des films argentiques!

Avant même que d’avoir ouvert les petits étuis tout mon être fut inondé d’une vague et dulcifiante plénitude, sans doute cette extraordinaire sensation qui rend à la vie et doit être ce que l’on nomme «joie». Aussitôt j’émergeai de l’insidieux mal-être qui me tenait enlisée et ma pensée photographique se mettait en branle, confuse, luxuriante, questions et hypothèses se superposant à toute allure – en infiniment moins de temps que n’en demande la piètre tentative de les transcrire: ces films étaient-ils neufs ou utilisés mais demeurés non développés? Quand ont-ils été remisés ici et par qui? Dans quel état sont-ils? En tout cas, ils sont certainement périmés, mais depuis quand? Et quel aura été l’effet des mauvaises conditions de conservation… La fébrilité jubilatoire s’accrut lorsque, en ouvrant les étuis, je découvrais deux films couleur neufs: des Kodak Gold Ultra 400 ASA 24 poses...

Les utiliser devint d'autant plus impératif que j'étais aiguillonnée par l'incertitude du résultat, inhérente à leur plus que probable péremption, et au moins autant, sinon plus, par la claire conscience que j'aurai à modifier ma posture à la prise de vue: il me faudrait réfléchir non plus à ce que serait le rendu en nuances de gris de la chose vue mais à la façon dont en elle jouent les couleurs. Autrement dit, laisser les critères chromatiques présider seuls (enfin, presque seuls...) au geste déclencheur. Éprouver ce désir pressant de photographier, le ressentir comme une nécessité de premier plan m’électrisa et me fit considérer ces deux films pour de véritables trésors. Le mythe du «grenier-lieu-de-trouvailles» – un cliché s’il en est! – tenait donc sur ses pieds; il n’avait pas été entièrement terrassé par l’état pitoyable de celui que je devais encore continuer de vider ni par son corollaire, l’insondable mélancolie où plonge la ruine de ce à quoi l’on a été lié dans son enfance.

J'aurai malgré tout attendu plusieurs semaines avant de glisser un film dans l'un de mes boîtiers. Le Minolta SRT101 car je prévoyais de photographier des fleurs, donc de recourir à ma lentille macro et seule l'optique 50 mm du Minolta l'admet. En deux heures de balade scrutatrice autour de mon immeuble cristollien le film fut terminé puis rembobiné et rangé dans son étui dûment étiqueté.

 

Il est aujourd'hui toujours en attente de développement. Entre-temps, le second film a été inséré dans le Topcon cette fois qui lui n'est utilisable qu'avec son optique 50 mm nue. Le projet était de travailler les reflets de vitrines avec une approche strictement chromatique. L'après-midi ensoleillée du dimanche 15 septembre devait m'ouvrir de formidables voies d'exploration. Ainsi me suis-je métroportée* Place d'Italie pour marcher jusqu'à la Bastille, l’œil aux aguets. Ce fut une enthousiasmante promenade ponctuée de multiples arrêts-prise de vue – mais, en réalisant que le déclencheur continuait de fonctionner alors que le compte-vue avait dépassé le chiffre 30 (il aurait dû se bloquer à 24 ou 25) je compris que, malgré mes précautions, le film n'avait pas été correctement mis en place, et que rien de photographique ne subsisterait de mon expédition.

Dépitée, abattue au point de ne pas même être en colère après moi, je finis par penser que ce ratage signifiait probablement que le film devait servir (au sens destinal) un autre projet – ce qui acheva de me détourner de l'idée première qui m'avait traversée: refaire, un prochain dimanche, le même parcours et m'efforcer aux mêmes prises de vue pour autant que la lumière soit semblable. Non... ce qui n'a pas été fait est perdu. Il me faut penser, et voir ailleurs.

 

*: termes ne figurant à ma connaissance dans aucun dictionnaire mais utilisés à dessein...

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10 septembre 2024 2 10 /09 /septembre /2024 17:54

Je viens d’être confrontée à l’obligation de vider le grenier de la vieille demeure familiale qu’il m’a fallu vendre – une épreuve dont je savais qu’elle serait cauchemardesque, et que j’avais pensé m’éviter en précisant que je vendais «en l’état». Regrettable précision qui fut source de malentendus et d’une succession de décisions malheureuses – qui en outre ne me dispensa nullement de vider – en partie seulement. Mais, tout partiel qu’il ait été, le vidage fut aussi éprouvant que je l’avais redouté. Moralement surtout parce qu’il m’a fallu contempler, autrement qu’à travers l’écran tendu entre l’âme et la réalité par les imaginations forgées hors sol, dans la secrète fabrique de la pensée sans que se soit d’abord imposée la pure et crue concrétude, l’irrémédiable ruine des choses entassées là, lentement détruites dans leur inertie pluriannuelle par le passages du temps et leur exposition aux intempéries – ce grenier étant logé sous une simple toiture de tuiles, il n’aura jamais offert qu’une protection bien précaire: en dépit des armoires, malles et autres étagères où tout a été, au moment de la relégation, soigneusement rangé sous des bâches de plastique et étiqueté, les variations incessantes de température et d’hygrométrie se sont avérées d’implacables ennemies.

 

Avant même que d’entreprendre la moindre investigation afin de déterminer ce qui devait impérativement être enlevé et ce que je pouvais emporter, j’étais contrainte regarder en face – au fond des yeux oserais-je écrire – ce désastre, ce lamentable et monumental chaos. «Chaos» car, sous les coups de boutoir des ajouts sans cesse opérés d’année en année, l’ordre des premiers «rangements» s’était considérablement brouillé. Caisses, cartons, malles, vieux éléments de placards… s’étageaient en masses instables revêtues du triste habit d’abandon qu’avaient tissé ensemble la poussière, les cadavres d’insectes, les débris de matériaux divers entièrement désagrégés et les vieilles toiles d’araignée, mêlées si épaisses que par endroits elles formaient des amas laineux.

Ici et là des cartons effondrés, dévoilant par leur ouverture béante leur contenu bousculé et voilé de souillures pulvérulentes. Depuis quand le fragile abri s’était-il ainsi brisé, exposant à toutes les atteintes livres, menus bibelots, poupées en tenues folkloriques…? toutes choses qui eussent eu leur place sur de dignes étagères et qui gisaient désormais décaties, salies – définitivement marquées au coin meurtrier d'une injuste mise au rebut.

Partout, telles des flaques après l’averse, des parcelles de plastique effrité qu’un souffle suffisait à disperser: les restes pitoyables des sachets transparents ou opaques dont avaient été enveloppés à des fins de protection des poupées, des peluches… Autant de morceaux de mon enfance qui s’étalaient blessés et tachés  – tout mon être s’en trouvait démis. Il n’est rien de plus désolant que de voir ainsi cadavérisés des objets jadis aimés.

Oh je soupçonnais bien ce qui régnait là-haut pour avoir dû m’y aventurer à plusieurs reprises, en quête de telle ou telle chose dont on m’assurait qu’elle s’y trouvait forcément et sur laquelle, bien sûr, je ne parvenais presque jamais à mettre la main – lorsque je ne découvrais pas rapidement ce que je désirais je renonçais sans beaucoup m’entêter, «chercher» étant, ici, synonyme de trop d’obstacles à déplacer. Mais affronter concrètement ce grenier fut bien plus qu’une épreuve vaguement déprimante pour l’esprit et épuisante pour le corps. Ce fut, par le truchement de ces choses stockées là, une plongée vertigineuse dans de torses complexités – celles de mon rapport au temps, à l’enfance, à ce que sont le souvenir, la réminiscence, la remémoration ou la seule mémoire. Complexités qui exigeraient d’être sinon démêlées – comment pourrais-je prétendre démêler ce à quoi des cohortes de philosophes et de penseurs continuent de consacrer force pages et ouvrages? – du moins énoncées, dites. Or la difficulté pour le moment me dépasse

 

[aparté] non, à la réflexion, ce n'est pas vraiment la difficulté de conceptualiser puis de mettre en phrases un état émotionnel singulier entremêlé d'intellectualisations brouillonnes qui «me dépasse» (encore qu'elle soit réelle, ressentie comme quasi insurmontable) et me tient loin d'une écriture solidement empoignée, maîtrisée, et menée enfin à bout de texte. Me cloue dans l'immobilisme, bien plutôt, la conscience éprouvée avec une acuité inédite d'être tout entière et jusqu'en mes tréfonds ramenée à l'état de déchet, de rebut laid, ratatiné, racorni, mangé d'usure – à l'image de toutes ces pauvres choses tragiquement défaites quand on avait cru les préserver, comme si elles étaient autant de moi-mêmes. Connaître par cœur la formule tu es poussière et tu redeviendras poussière est une chose (un savoir d'ordre intellectuel); se sentir intérieurement et par sa propre conscience en plein état d'appréhension, un repoussant détritus, une pulvérulence à jeter alors qu'au physique on n'en est pas encore à vaciller de toutes parts, est une sensation glaçante qui paralyse mieux que le pire des venins arachnéens. Et désormais, plus que jamais auparavant, mon à-venir m'apparaît telle une immense porte d'obsidienne (un nom de roche en étroite fraternité sonore, et sans doute étymologique, avec «obsèques», «obsessions» et bien sûr «obscurité»…) dont à peine quelques pas me séparent et derrière laquelle se tiennent tapies d’infâmes créatures aux puissantes mâchoires claquant dans le vide. Combien de jours ou de mois avant que je sois dépecée, déchiquetée, pulvérisée?

CUT...

 

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11 août 2024 7 11 /08 /août /2024 12:00

Ce matin vers 11 heures je voyais de très près – presque d'assez près pour croiser son regard – pour la première fois de ma vie (à 60 ans révolus!) une chauve-souris. Une minuscule petite bête blottie derrière la pendule murale de ma cuisine lotoise dont la présence m'a été révélée par l'attitude bizarre de ma chatte Fleur-de-Nuit: je l'ai vue tout d'un coup s'approcher du radiateur au-dessus duquel est accrochée la pendule, sauter sur la table attenante et s'étirer autant qu'elle le pouvait, les yeux rivés derrière cette pendule et se mettre à claquer de la mâchoire en poussant de petits miaulements saccadés comme lorsqu'elle traque un insecte ou une araignée. Rien à première vue qui justifie pareille agitation... Je m'approche à mon tour du radiateur, en tâchant de porter mon regard au même endroit que Fleur-de-Nuit, suivie entre-temps dans son curieux manège par Elléas qui, lui, resté au sol, se bornait à tourner sur lui-même, et j'aperçois alors, entre mur et pendule, une petite masse sombre et velue que, pendant une fraction de seconde, j'ai prise pour une énorme araignée. Je suis certes incapable de reconstituer, a posteriori, comment cette identification sommaire a été battue en brèche mais je sais qu'elle l'a été très vite pour, aussitôt, être supplantée par la certitude que je voyais là une chauve-souris – peut-être parce qu'à un moment, une infime apparition de «doigts» débordant du cadre de la pendule m'a confortée dans cette idée? Ou, plutôt, me suis-je souvenue d'une bouleversante publication sur Facebook vue quelques jours auparavant, à savoir deux photos dont une m'avait presque tiré une larme d'émotion: le visage de l'animal apparaissait de telle manière qu'on l'imaginait parler, comme s'il avait été saisi par le photographe pendant qu'il disait le texte d'accompagnement – une sorte de prière censée transmettre la parole de la chauve-souris, rédigée à la première personne, où elle demandait aux humains de ne pas avoir peur d'elle et de ne pas la tuer, arguant qu'elle ne suçait pas leur sang ni ne s'accrochait à leurs cheveux et qu'en outre elle mangeait les moustiques.

Sitôt la chauve-souris identifiée, je me suis empressée de chasser mes chats hors de la cuisine et d'en fermer la porte. Mais que faire? Comment m'assurer qu'elle n'était pas blessée? Comment l'aider sans l'effrayer? Comble de malchance, c'est dimanche, et je ne peux donc pas appeler la clinique vétérinaire du coin pour être guidée quant à la conduite à tenir. J'ai alors ouvert la porte-fenêtre donnant sur l'extérieur, puis me suis contentée d'observer. La chauve-souris n'a guère tardé à quitter son refuge – ô quelle émotion de la voir tout entière, et si minuscule! – puis s'est mise à tourner longtemps dans la pièce sans parvenir à en sortir. Pensant qu'elle n'avait aucune blessure je l'ai laissé faire sans intervenir, de crainte de la troubler davantage. Puis elle s'est enfin trouvée dehors.

Cette brève aventure m'a emplie d'allégresse. J'ai eu le sentiment, indiciblement profond mais obscur, indéfinissable, que c'était une véritable visitation, que cette frêle créature, par sa courte présence, m'avait invitée à renoncer à la colère fondamentale qui m'anime depuis mon plus jeune âge à l'égard de l'existence, que je tiens pour une suite ininterrompue de chausse-trappes et de souffrances quand bien même on est privilégié à tous égards, matériels et affectifs, comme je l'ai toujours été et continue de l'être – les privilégiés ne sont-ils pas, comme n'importe quel être humain, exposés aux deuils, aux maladies, au naufrage du vieillissement lorsqu'ils consentent à atteindre un âge avancé et, à terme, à la mort?

© Photo : Yza R., musée Bourdelle, 4 novembre 2022.

Afin d’être quelque peu éclairée sur ce «sentiment visitationnel», je me suis enquise des symboles attachés à la chauve-souris et j'ai découvert, notamment sur ce site, qu'elle représentait, entre autres, le changement, à la fois intérieur et dans le cours de la vie (les deux allant en général de pair). Eu égard à la période particulièrement compliquée que je traverse il n'y a aucun doute pour moi: j'ai bien été visitée ce matin, et j’ai vraiment vécu un important épisode symbolique.

Le seul fait que je revienne ici et renoue avec l'écriture en consacrant mon énergie scripturale à autre chose qu'aux courriers administratifs ou de réclamation est déjà un signe – la chauve-souris m'a prise par la main, à moi de ne pas la lâcher.

Et si… j’avais fait connaissance, ce matin, avec mon animal-totem?

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29 avril 2024 1 29 /04 /avril /2024 11:06

Le besoin – le besoin, non le désir, ou l’envie, ni même la pulsion au sens d’inclination incontrôlée quasi pathologique – de former des phrases, un texte, qui emprisonnent des fulgurances (constats, sentiments/sensations, pensées, résurgences, développements introspectifs, etc.) persiste dans sa force, et se mue plus souvent qu’à son tour en tourment. En véritable tourment, tel un rapace prisonnier de ma boîte crânienne qui tournerait là inlassablement, déployant ses lentes, régulières, oppressantes girations jusqu’à ce que je franchisse le seuil de l’acte scriptural. Soit en saisissant un stylo et une feuille de papier, ou bien en ouvrant le capot de mon ordinateur afin de jeter sur un «fichier word» ces mots et phrases accumulés dans le désordre jusqu’à déborder et exigeant impérieusement d’être mis en forme – i.e. ordonnés en une composition à la fois signifiante et qui fût pourvue de quelque intérêt esthétique. Il devrait en résulter un soulagement, un semblant de paix intérieure, dût-elle être temporaire… pourtant je bloque. Je laisse, de plus en plus longtemps, ces mots et phrases, passer en rangs serrés, planer ou au contraire stagner des jours et des jours en moi sans leur donner un semblant d’issue – une publication ici, fût-ce sous forme d’une «brève d’un jour», voire d’un «sans nom», ma dernière trouvaille catégorielle pour tâcher d’offrir une case acceptable à ces jets que je ne parvenais pas à ranger ailleurs mais sans pour autant savoir les jeter, les détruite. Une catégorie que je suppose mieux à même que les autres de ne pas rester déserte trop longtemps. À tort, ou à raison...

Mais où donc est le danger de telles publications, dans un blog aussi confidentiel que celui-ci? Faut-il qu’il soit immense pour que je me dérobe aussi souvent!

Je ne fais que répéter là (et en des termes différents je l’espère) un questionnement obsessionnel, un désarroi – un cri silencieux qui n’en hurle pas moins – maintes fois exprimé ici même et pourtant je me laisse aller une fois de plus à contempler cette étreinte sourde et maléfique qui enserre mon geste dans un étau avant qu’il aille à son terme afin d’essayer, une fois de plus, de m’en libérer. Mais c’est chose vaine car ces mots et phrases trouvés pour dire cette incarcération n’ordonnent nullement les profondeurs obscures que la lumière d’un texte dissiperait enfin. À sans cesse textifier autour de l’impossible écriture je me soulage à pas si bon compte que cela puisque «le dur», ce qui résiste contre vents et marées à la textification, continue de se lover immobile en moi tel un increvable abcès.
Je circonvolue inlassablement sans oser de pas décisif… je me sens très probablement mieux protégée d’un quelconque effondrement cataclysmique par l'empêchement imputable à cette angoisse qui littéralement me «prend aux tripes» chaque fois que je consens à «écrire» (alors qu’il n’y a objectivement pas le moindre enjeu) que par le consentement à l’écriture solutionnante, celle qui textifierait significativement cette masse molle, mouvante, dense et incandescente comme du plomb en fusion qui se meut tout au fond de mes abysses intérieures.

 

Voici une dizaine de jours, tandis que je lisais Le Donjon de Lonveigh de Philippe Le Guillou (j'y reviendrai [enfin... j'ai l'intention d'y revenir et une ébauche est écrite qu'il me faut étoffer, compléter, affiner - en d'autres termes remanier afin qu'elle prenne sens et s'ajuste au vouloir-dire qui est l'humus du texte]), une fulgurance m'a traversée qui m'a détournée un moment de la lecture, le temps de retourner la bande-test photographique devenue marque-page et d'y inscrire ceci, en lignes onduleuses et mal raboutées, au crayon:

Voir apparaître l’image au fond du bac de révélateur me donne le sentiment de vivre un moment lustral. Une épiphanie lustrale. En tirant – en travaillant en chambre noire –, je porte sur les fonts baptismaux mes douleurs et mes failles, mes fautes irrémissibles (que je n’identifie pas de manière certaine mais dont je sais qu’elles gisent là quelque part dans l’obscurité de mes pensées – et de mes peurs). Je les lave de leurs lèpres corrodantes et leur donne une légitimité de lumière, en noir et blanc, sur la feuille de papier baryté aux tons froids des hivers de l’âme.

 

À n’en point douter il y a là une clef. Quelque chose de fondamental qui se dit de mon rapport à la pratique photographique, sans quoi je n’aurais pas pris le risque – car il s’agit bien, dans cet acte d’écriture, d’une prise de risque même si je ne vois pas ce qui le revêt d’une telle gravité – de l’arrêter ici dans sa forme native presque sans retouche, telle que je l’ai notée sous le coup de son irruption, en ayant soin de surcroît de noter, aussi, les circonstances de son émergence (lesquelles doivent donc tout autant valoir clef).

De même doit valoir clef l'image que j'ai choisie pour accompagner ce texte. Elle était déjà épiphanique lors de la prise de vue: en 2004, au musée Bourdelle, dans ce qui était le logement du sculpteur, un grand crucifix médiéval en bois était exposé, face à un tableau protégé par un verre. Je cherchais, une nouvelle fois, comment capter, avec mon reflex Minolta, cet ineffable qui, dans le visage christique, me fascinait et que je n'avais pas encore réussi à fixer sur la pellicule en dépit de tentatives répétées (cadrage difficultueux, incidence lumineuse toujours insatisfaisante... et, de ma part, manque de cette habileté technique qui m'eût permis de jouer efficacement sur les réglages). Soudain, je perçois son reflet dans la vitre protectrice... j'élève mon appareil, je cadre, mets au point, déclenche... Une seule prise de vue. Comme on dit, ça passe ou ça casse. Au développement, le négatif semble correct. Et le tirage confirme: j'obtiens exactement ce que j'espérais – une image à la fois assez explicite, et nimbée d'étrangeté, autant que de douceur, sans bruit intempestif. J'ai néanmoins essayé plusieurs fois de reprendre la même vue, chaque fois que je me trouvais dans cet espace avec une lumière analogue (et ce jusqu'à ce que de récents travaux chamboulent les configurations du musée, et que l'on déplace ce crucifix dans l'atelier) en espérant capter autre chose, un supplément quelconque, mais jamais, je dis bien jamais, je n'ai revu dans mon viseur ce qui, alors, avait passé sur la pellicule. Là aussi, dans cette unique manifestation, quelque chose se dit (que je ne décrypte pas. Pas encore)...

 

Voilà désormais vingt ans que cette image conserve à mes yeux son pouvoir de signifiance.

Elle est donc «réussie», à l'exacte confluence de l'acceptable technique et de l'intention esthétique.

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27 avril 2024 6 27 /04 /avril /2024 10:44

Plantée au cœur de la nuit

L’insomnie.

Le vaste blanc du sommeil interrompu – sans brutalité, comme cela… avec une douceur de voile qu’on soulève.

Corps délassé, souffle ample, cœur lent... mais de sommeil, point.

Yeux clos, sur le dos, je suis d'une immobilité quasi parfaite que plisse la seule alternance d’inspirations et d’expirations chacune d'elles profondes. Rien qui justifie ce plein éveil et pourtant…

Je suis là étendue, lasse et creusée de raideurs, érodée par ce manque délétère et qui se répète nuit après nuit: le sommeil qui se refuse et dont l’absence me prive de réconfort.

Quel est donc ce ressort secret qui demeure en tension continue, fait par là obstacle à toute paix, physique et mentale? Serait-ce une fissure par où se faufilerait, sûr de sa victoire à moyen terme, l’instinct de mort – le fil ténu d’une pulsion suicidaire longeant les tréfonds obscurs de mes angoisses et les strangulant peu à peu, comparable à l'inclination fatale qui pousse le dipsomane toujours plus avant dans sa quête de l’ivresse jusqu’à ce que mort s’ensuive sans qu’il ait à agir en toute volonté pour se faire disparaître?

Suprême lâcheté que ce suicide passif! mais au fond n’est-ce pas une lâcheté constante qui aura gouverné ma vie – dérobades, préférence donnée aux colères rentrées et lâchées dans les moments de solitude sur les refus clairement dits, les oppositions frontales?

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9 avril 2024 2 09 /04 /avril /2024 17:22

…et mettre en ligne une page de journal écrite le matin même.

De retour à Gourdon et prise dans les lises infiniment visqueuses des démarches, des paperasses, des formalités dont je ne savais pas un traître mot jusqu’à ce que la mise en vente du Barry Bas m’en révèle le nombre, l’étendue, la complexité et qui par là me deviennent encore plus haïssables qu’elles ne l’étaient quand je les percevais comme de simples signes me parvenant, très vaguement, d’une face de l’existence dont je refusais d’entendre parler et de tenir compte (surtout parce que les échos de cette face, de ce versant tout entier voué à la matérielle, aux factures, aux papiers-à-remplir… étaient répercutés par la seule voix de mon père,  incarnation d’une «loi» à laquelle je tentais à toute force de me soustraire mais en vain car cette loi-carcan avait pour corollaires une affection, un amour indéfectibles dont je n’aurais su me passer, et dont il me faut bien aujourd’hui me passer, la mort ayant fait son œuvre), perdue, donc, devant ce vaste horizon de chantiers en cours (mentaux et matériels) sans que j’en voie la ligne tant elle est éloignée, je me suis réfugiée comme souvent dans la quête photographique.

J'ai en effet quitté Créteil munie de mes deux reflex, Topcon et Minolta, car je m’étais promis de «faire des photos», sachant qu'ainsi je pourrai peut-être desserrer un peu l’étau horrible où m’emprisonne la «maison-à-vider», ce Barry Bas tant aimé mais devenu un étouffoir saturé d’objets (et à travers eux de souvenirs) cantonnés au grenier dans l’immobilité d’un sommeil jamais dérangé, censé les préserver alors qu’ils se corrompaient doucement, inéluctablement, sous leur linceul, épaissi d’année en année, de poussière, de toiles d’araignées et d’entassements supplémentaires… Objets défaits, puant le moisi avec quelques arrière-notes de naphtaline – l’odeur de charogne des choses momifiées – dont la rencontre équivaut à recevoir l’immonde baiser de l’implacable corrosion universelle qui, où qu’on la relègue (grenier ou cave, placard enfoui dans une pièce close à  double tour…), ne manque jamais de suinter, de sourdre jusqu’à vos pieds de vivants pour s’élever à l’assaut de votre âme, l’étreindre tel un constrictor et mieux vous rappeler que des pans entier de vous sont déjà morts et pourris tandis que le peu restant est en instance de tomber en ruine.


Les circonstances incitaient à la photo: à 9 heures le soleil brillait après une nuit de précipitations abondantes, faisant luire mille lueurs adamantines sur les feuilles et fleurs d’un jardin en pleine luxuriance car non entretenu depuis des mois, où donc la nature a libre cours. Dès hier j’avais vu que le pied de pivoine dont j’avais si étroitement suivi l’évolution durant les mois confinés portait encore deux ou trois fleurs, certes quasi fanées mais photogéniques tout de même. Et les voilà magnifiées, perlées de ces innombrables gouttes de pluie! j’ai donc inséré une pellicule de 100 ASA dans mon Minolta puisque lui seul accepte ma lentille macro. Et c’est une dizaine de pivoineries qui en une demi-heure furent fixées sur pellicule. La pensée requise par la prise de vue m’occupe tout entière – absorption bienvenue!
Avant même que de me concentrer sur la pivoine, j’avais décidé d’aller voir où en était ce site découvert pendant le confinement (toujours lui… si mal vécu dans son présent mais dont je vois bien, à quatre ans de distance, qu’il s’avère pour moi photographiquement bénéfique) et que j’avais baptisé «le Banquet des spectres» puis dont j'avais ensuite observé le devenir à chacun de mes séjours lotois.

Photo prise au smartphone un matin d'été 2021

Arrivée sur place, je vois qu’il n’a pas changé depuis Noël: le petit bouquet mortuaire de roses artificielles qui m’avait fait penser en l’apercevant «ça y est, le Banquet des spectres est définitivement terminé, le site est mort» est à la même place; les chaises et tables de jardin, privées de certains éléments initiaux telle cette nappe de plastique bleue et blanche en parfait état quelles que soient les intempéries, ont conservé leur disposition d’alors, au premier plan de cette enclave de prairie, ainsi ramenées à un petit amoncellement mis au rebut quand, dans leur première apparition, elles semblaient attendre des convives prêts à pique-niquer. Seul l’environnement s’est modifié: la végétation a sa vêture printanière que valorise l’incidence de la lumière. J’aperçois, tout autour du bouquet mortuaire et largement en avance, les clochettes des premiers muguets. Et tout à côté, deux tulipes, une incongruité que ces fleurs de culture au milieu de cet espace ensauvagée (au même titre que cet étrange mobilier de jardin).

Un peu plus tard, sur le chemin du retour, j’entrevois une biche – nos regards se croisent le temps d’un éclair puis elle détale.

 


Le muguet précoce et la biche: les deux bonheurs du jour. Deux sourires de hasard dans cet océan de vase où j’ai le sentiment de me noyer.

 

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15 novembre 2021 1 15 /11 /novembre /2021 18:02

Cette photo de rose que j'avais choisie pour la soumettre au jury de Photovision lors des sélections pour l'exposition "Sur tous les tons", en pensant à toi et au jeu auquel nous jouions toutes les deux quand j'étais enfant, pendant les longs trajets en voiture qui nous emmenaient à Gourdon (ou nous ramenaient à Vincennes...). "Sans T cette fleur": il fallait non pas identifier une senteur mais trouver un nom de fleur qui fût dépourvu de la lettre T. "Rose" comptait parmi les réponses admises...

Quelles étaient les règles et comment nous jouions je ne le sais plus vraiment. Mais à jamais cette phrase ludique et toi, maman, êtes liées dans ma mémoire. Et les roses, toutes les roses car tu les aimais toutes. Celle qui a été mon modèle pour cette image venait de Meyraguet. Là où désormais tu reposes depuis un an aujourd'hui. La fleur, le vase où elle est, l'arrière-plan aussi bien que la photo elle-même et son tirage, tout cela tisse une histoire qui n'est pas étrangère au fait que je veuille te la dédier au bas de ces pauvres lignes. Mais en ce 15 novembre, il ne s'agit que d'une chose. Te dire ce que je n'ai pas été capable de te dire tant que tu étais là.

Maman je t'aime.

Et me demander une fois de plus pourquoi je n'ai pas su t'aimer à la hauteur de cette affection inconditionnelle que toi tu m'as donnée.

 

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14 novembre 2021 7 14 /11 /novembre /2021 19:01

Comment se fait-il que, dans un environnement sinon quotidien du moins très familier, sans qu'aucune circonstance particulière soit à noter, on remarque tout d'un coup un détail, infime mais qui pourtant accroche – accroche et fascine, moins par lui-même que de n'avoir jamais été remarqué auparavant... 

Voici quelques jours (l'avant-hier d'abord écrit n'est maintenant plus de saison: trop de temps a passé entre le moment où ce qui motivait l'écriture a eu lieu et celui où ce qui le traduit est effectivement écrit) j'allais musant – quel autre verbe choisir pour exprimer ce pas singulier de la promenade, adopté lorsque l'on voudrait ne s'appesantir sur rien, cesser de chercher des solutions à des questions sans réponses... quand on tâche d'expurger l'esprit de réflexion suivie, l'ouvrant tout entier à la seule captation des parfums, des sensations proprioceptives, des mouvements du vent sur le peu de peau à découvert... Je musai donc dans une rue bordée de voitures stationnées, toutes ornées de feuilles mortes que les courants d'air avaient dispersées et accumulées selon des configurations aux innombrables variantes. Rien de nouveau dans ces jeux de formes, de couleurs, que l'automne, effeuillant les arbres, allume tous azimuts et que le soleil oblique fait chatoyer. Irrésistiblement photogénique... surtout les reflets doublés d'ombres sur les carrosseries ou les pare-brise.

Les files de voitures à l'arrêt me font, évidemment, ralentir pour scruter d'aussi près que je peux ces compositions éphémères. Souvent le smartphone jaillit, par exemple pour attraper dans ses pixels cette feuille aux frêles dentelures que l'ombre étirée magnifie en une main gracile:

Je m'avise alors d'un curieux motif tout à côté que je regarde de plus près encore. Les contours fantomisés d'une autre feuille qui, sans doute, avait adhéré à la peinture sous l'effet de l'humidité avant d'être emportée par le vent. Alors j'observe plus attentivement ce capot clair couvert de salissures et décèle plusieurs motifs du même genre. Bien sûr je capte:

Ce n'est pourtant pas la première fois que je me penche ainsi sur des capots habillés par l'automne et ces traces doivent être un phénomène des plus ordinaires. Mais pourquoi ne l'ai-je constaté que cette année, ce jour-là en particulier, au point de le photographier?

Peut-être parce que ce n'est qu'à ce moment-là que ces motifs sont entrés en collision avec un moment d'enfance et qu'il fallait cette collision pour que je les remarque. Ils m'ont rappelé ces impressions de fougères préhistoriques que mon grand-père m'avait montrées à la surface des dalles dont il allait recouvrir la terrasse qu'il venait de construire. Des contours d'une netteté extrême, de brillantes couleurs dorées, noir-bleuté... semées d'infimes paillettes. Quel trésor pour moi qui, à cet âge (une dizaine d'années?) me passionnais pour la préhistoire, ce que l'on appelait alors les leçons de choses (ancêtres de nos Sciences de la vie et de la Terre)! Et mon grand-père de m'expliquer comment l'empreinte de ces plantes avait été prise dans la pierre, que les couleurs et les brillances allaient se ternir très vite à force d'être exposées à l'air. En effet... ces merveilleux motifs perdirent peu à peu leur éclat.

Quelque quarante années plus tard, les impressions étaient largement défraîchies, en partie disparues pour certaines. Mais je les "voyais" encore. En même temps qu'elles, c'est mon grand-père que je voyais, que j'entendais me parler des fougères, des lichens, des pigments, de l'oxydation. Dans ma mémoire brillait aussi comme au jour de son épiphanie ce rameau entier, tout dentelé et luisant comme de l'or qui m'avait tant émerveillée et que mon grand-père avait consenti à préserver lors de la taille: il allait tâcher d'utiliser la dalle sans trancher dans le motif, comme on dirait dans le vif.

Il n'y a plus aujourd’hui que du carrelage écru, bien régulier, facile à entretenir car la réfection de l'étanchéité de la terrasse a exigé que l'on dépose ces dalles où frémissait une mémoire millénaire. Augmentée de la mienne, de mes souvenirs fragiles, dont je ne sais même plus quel est leur exact rapport au réel et dont je me dis qu'ils sont in fine leur propre et unique référent.

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  • : Terres nykthes
  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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