Depuis le 4 novembre et jusqu'au 30
décembre, les vendredi et dimanche soirs de chaque semaine, la compagnie Messaline joue une adaptation de la pièce de Heiner Muller, Ciment, au théâtre Pixel, dans le 18e arrondissement de Paris.
J'ai vu le spectacle dimanche dernier et, comme il ne reste plus que deux représentations programmées – les vendredis 23 et 30 décembre (le théâtre fait relâche le
dimanche 25) – j'écrirai brièvement. Peu de
phrases, juste l'essentiel, pour tâcher de convaincre ceux qui les liront d'aller voir Ciment. Je les espère nombreux, ces convaincus, mais il faut préciser que la jauge de la salle est,
à vue de nez, d'une cinquantaine de places. Dire peu, donc, sans m'arrêter sur le texte ni sur ce qui, dans la mise en scène, m'a séduite – car j'aurai l'occasion d'y revenir sous peu.
Le sujet: après la guerre civile, en Russie, le soldat bolchevik
Gleb Tchoumalov rentre dans son village. La cimenterie où il travaillait n'est plus en activité, et sa femme, Dacha, a confié leur fillette Niourka au foyer des enfants pour pouvoir être plus
active au sein de la "commission des femmes", qu'elle a rejointe afin d'œuvrer à la réussite de la Révolution. Au fil des scènes, on voit se développer les conflits entre bureaucrates et
militants – les idéologues sont confrontés aux principes de réalité, les "spécialistes" aux travailleurs. L'opposition n'est plus seulement entre bourgeoisie et prolétariat. Le pouvoir soviétique
naissant doit faire face à la misère, aux tensions qu'elle génère. Au milieu de ce contexte chaotique des drames privés se creusent dans les foyers; on assiste, surtout, à la désagrégation du
couple que formaient Dacha et Gleb, alors même qu'ils sont tous deux profondément communistes.
Les idéaux révolutionnaires autant que l'avenir de la révolution sont questionnés, et les engagements individuels, et la notion de famille… Des interrogations qui dépassent le moment historique
que ressuscite la pièce. Celle-ci est sombre, dure, et les comédiens de la compagnie Messaline invitent cette âpreté sur la scène avec une puissance d'incarnation exceptionnelle. On s'empoigne,
on se jette à terre, on se fusille du regard sans retenue... mais c'est encore quand, à voix brisée, quasi blanche – parfois à peine un murmure – sont évoqués les tortures, les viols, les
souffrances de toutes sortes fussent-elles d'humbles tourments, que les interprètes parviennent à faire vibrer le plus intensément l'extrême violence véhiculée par le texte.
La pièce de Heiner Muller a, par bien des aspects, une dimension
épique. Marion Descamps la met en valeur par sa mise en scène, et les comédiens, par leur formidable interprétation, la renforcent encore. Ils sont treize pour faire courir le souffle de l'épopée
sur le plateau… Leur performance est d'autant plus remarquable que la scène est minuscule. Ils y font tenir leur décor, leur énergie, et tirent un admirable parti de cet espace restreint, de
surcroît dépourvu de coulisses.
J'ai quitté la salle enthousiaste. Tout en me disant que ce spectacle mériterait bien d'être accueilli sur une scène plus vaste et
d'être vu par un large public. J'espère que ces représentations "pixelles" vont amorcer une belle carrière pour ce Ciment-là...
Ciment
d'après la pièce éponyme de Heiner Muller
(traduction française de Jean-Pierre Morel, publiée aux éditions de Minuit)
Mise en scène et scénographie:
Marion Descamps
Avec:
Paul Besson, Vincent Cheikh, Stéphane Dennu, Marion Descamps, Cécile Galissaires, Vivien Guarino, Florian Laforge, Mélodie Le Blay,
Charlotte Paumelle, Solenne Rodier, Margaux Rossi, Elie Taïeb, François Telombre
Costumes:
Emmanuelle Ballon
Création lumières:
Florian Laforge
Durée:
1h30
Le spectacle s'est joué du 4 novembre au 30 décembre 2011 les vendredis et dimanches à 19h30 au théâtre Pixel – 18 rue Championnet, 75018 Paris.