Gris, gris... ô par la fenêtre tout ce gris
Et dès le matin l'âme se meurt
Du sentiment que tout déjà est fini
Gris, gris... ô par la fenêtre tout ce gris
Et dès le matin l'âme se meurt
Du sentiment que tout déjà est fini
Essayer de trouver
Dans la faille des cieux
Une raison de ne pas haïr la vie
Qui fait de nous des êtres-pour-la-mort
Premiers frimas et jours abrégés…
Pas à pas l’automne languide s’incline telle une ombre finissante
Dans la clarté ouatée des jours sans soleil
– ô le beau reposoir pour l’âme triste
Aspirant à s’endormir pour toujours,
Expurgée de tout remords
Plus immarcescible que l’éternité
Et définitivement quiète.
Dès le matin écrasée d’aboulie
Je reste recroquevillée dans l’angle mort
Du temps qui passe.
Rien ne se meut
Qui me raccrocherait à l'élan du soleil levant.
Et je scrute et je scrute les heures
Chutant l’une après l’autre
Dans l’insondable abîme du jamais-plus.
À me perdre dans leur nuit
Peu s'en faut qu'à mon tour
Je verse dans le Grand Rien
Nette? Vraiment?
Un peu d'espace se dégage, des boîtes changent de place, les formes géométrique régulières des empilements me rassurent: quelque chose a été accompli.
Un soulagement me gagne – je viens de passer à la déchiqueteuse de vieux tirages remontant à l'époque où, fraîchement initiée au tirage argentique (très fraîchement: même pas deux ans d’initiation!), je prétendais «faire œuvre» dans ma salle de bain obscurcie, parce que je disposais d’un agrandisseur et du matériel minimal nécessaire au tirage. J’étais pressée de mettre en pratique mon savoir tout neuf et de l’intensifier par ce travail à domicile en même temps que je continuais de suivre des cours. Mais je n’avais aucune conscience de l’étendue de mes ignorances techniques, heureusement comblées aujourd’hui pour ce qui regarde les plus handicapantes d’entre elles (par exemple l’art d’utiliser les filtres et de jouer sur leurs effets pour obtenir des images équilibrées ou au contraire hyper contrastées, ou de positionner sa feuille de papier dans le margeur). Se sont ainsi accumulées d’impressionnantes quantités de tirages que j’avais qualifiés d'«aboutis» et conservés…
Quelle présomption, quelle vanité! à vingt ans de distance, et surtout après six ans (ne comptons pas l’année de confinements qui a soustrait de ma formation plus d'une saison d’enseignement…) d’enrichissements à tous niveaux auprès de Dan Aucante (centre Rébeval de la Ligue de l’enseignement) regarder aujourd'hui ces tirages me les montre sous leur vrai jour: ils sont affligeants. Et pathétique, lamentablement pathétique, ce soin que j’avais mis à les ranger, classer, préserver dans leurs boîtes comme des choses précieuses!
C’est donc une trentaine de tirages, dont certains sur papier baryté dûment séchés «à bords tendus» (je ne doutais vraiment de rien), que j’ai déchirés en bandes grossières feuille après feuille – le format 24x30 cm est trop large pour ma petite machine qui atteint ses limites avec le A4 – et, ainsi défaits, passés à la déchiqueteuse. Ce n’est pas tant la médiocrité du travail photographique que, ce faisant, j’ai annihilée – oui, annihilée, car déchiqueter en minces bandelettes, c’est bien plus que jeter, c’est le degré le plus élevé de destruction juste avant l’ultime sommet en la matière, savoir la réduction en cendres par le feu – mais cette incommensurable vanité qui m’a fait croire, au moment où je réalisais ces tirages, qu’ils avaient un quelconque intérêt. Cette annihilation, qui n’est venue à bout que d’une infime part de ce qui mériterait d’être annihilé, c’est un peu un piétinement de moi-même – du moins le piétinement de ce qu’aujourd’hui je ressens comme une part méprisable de moi-même.
Mais la zone de terrain à dépolluer reste immense, et ce n’est pas une aussi petit séance de ménage qui y pourvoira.
Cela dit, cette petite opération de «vidation» a une autre vertu: me protéger de l’angoisse, de l’insurmontable angoisse de me sentir là-tout-de-suite en «instance-de-mourir», de disparaître à jamais maintenant sans avoir réalisé aucune de mes aspirations, fussent-elles parfaitement anodines. «Dégager de l’espace», c’est prévoir de l’occuper autrement «plus tard»; c’est donc me projeter, m’imaginer demain, me donner un à-venir.
M’oublier là-tout-de-suite mortelle. Donc vivante, encore un peu.
... qu'il en serait presque une mise au tombeau. Car de ce réveil imaginé le 12 septembre dernier à la faveur d'un livre lu, sitôt aimé et accompagné de foultitudes de notes jetées çà et là en cours de lecture puisque je prévoyais, en croyant dur comme fer la chose possible, de rédiger ici une chronique (et non sur k-libre car l'ouvrage en question, À la mesure de nos silences, ne relevait plus assez de l'actualité) au point que je notais en bas de page un [à suivre] - de ce réveil, donc, il n'y eut rien. Le [à suivre] demeura sans suite, le roman de Sophie Loubière sur mon bureau bien en évidence avec les paperolles de notes le garnissant comme si, demain - au pire après-demain ou le surlendemain - j'allais enfin «m'y mettre», et ces Terres restèrent désertes. Plus RIEN!
Puis vint le deuil – mon père partait subitement en octobre, lui le dernier pilier du quatuor d'amour total et indéfectible que formaient depuis ma naissance mes parents et les parents de mon père, m'entourant d'un cocon douillet, protecteur, à l'épreuve de toutes les balles de la vie et dont j'ai profité de manière éhontée (sans jamais les remercier de l'amour qu'ils étaient en droit d'espérer), au point de n'avoir pas vraiment franchi le pas de l'âge adulte à 60 ans d'âge biologique. Une vieille petite chose ratatinée sur ses échecs, ses intentions avortées, ses exécrations rancies et autres ressassements fétides, qui continue à formuler des intentions et des rêveries en sachant fort bien qu'elle ne fera rien pour les accomplir, les vivre, avant de mourir et qui de là n'en est que plus aigrie: voilà le portrait en pied de ce «moi haïssable»... que je découvre nument maintenant que je suis orpheline et à force d’introspections (expéditions spéléologiques de plus en plus fréquentes, prenantes, obnubilantes), sans plus aucun bouclier pour me protéger – je veux dire, sans plus personne pour supporter mes lamentations et tout me pardonner. La vie est exécrable dès lors qu’on fait tout pour la rendre telle.
C'est aujourd'hui me dernier jour de l'année 2023. Je n'ai jamais tenu pour fondamentales ces dates-jalons dont on borne le cours du Temps (anniversaires, premiers et/ou derniers jours de...) histoire de s'imaginer avoir vue sur lui alors qu'il s'écoule, têtu et aveugle, sans que l'on y puisse rien, indifférent à nos décomptes ridicules – ridicules car emplis de la présomption qu'on peut contrôler quelque chose de ce Temps alors qu'il est seul maître à bord, consumant tout sur son passage quoi qu'on fasse ou pense. Pourtant, je suis encore assez imprégnée de ces habitudes mentales bien que je les sache hochets stupides pour me pousser à écrire tout spécialement pour «ce jour-là». En ce dimanche 31 décembre, je ne me prépare pas à «fêter l'an nouveau» – comment le fêter avant même son aurore alors qu'il peut s'avérer d'une noirceur abominable... non, je porte le deuil de l'année bientôt finie, comme chaque soir je porte le deuil du jour achevé en me disant que venait de passer autant de temps qu'il fallait ôter à mon solde vital. Mais une fois de plus et sans escompter de véritable reprise, c’est en ce 31 décembre que je travaille à laisser une nouvelle trace ici. À quand la prochaine…
© Photo: Yza R., 2019. Ci-gît l’année finie.
L'obscur et abyssal silence a de nouveau figé mes petites pages de Toile dans les grandes glaciations.
L'indicible nuit des mots fuyants, qui ne viennent plus s'ordonner comme l'exigerait l'"écriture" mais errent de-ci de-là, flottant en ordres dispersés et qu'aucune injonction ne peut rendre à la raison - à la logique scripturale veux-je dire: ils sont là et pèsent en moi de tout leur-être-là sans que pour autant je puisse les maîtriser assez pour "écrire".
La nuit, aussi, des pensées qui cessent de sourdre le long de phrases ondoyant assez pour se laisser lire et se bornent à enfler puis à s'affaisser tels les flux et reflux d'une mer houleuse, jamais en paix, jamais étale - dans la tourmente toujours.
L'ombre dense de cette étouffante mutité se fissure enfin: une curieuse synchronicité s'est produite le dimanche 1er janvier qui se textualisait lentement mais sûrement. C'est elle qui eut raison de la longue période glaciaire. Mais il me semblait que je ne pouvais pas mettre en ligne ce petit récit sans avoir au préalable esquissé quelque chose qui eût l'air d'un seuil (pourquoi donc, à bien y réfléchir...). Deux ou trois phrases pour me délier les doigts, qui me fassent "sortir au jour"... ces phrases qui précèdent et auxquelles j'assigne une police différente afin qu'elles se montrent pour ce qu'elles sont - une entrée en matière, et une sortie de nuit.
***
Le 27 novembre dernier - un dimanche morne et pluvieux comme celui qui a ouvert l'année nouvelle - je sortais en milieu d'après-midi avec le projet de marcher au moins pendant une heure à un rythme soutenu, hors de mes "parcours de confort". Mais j'ai tant et si bien évité les lieux familiers qu'à force de m'en détourner je suis arrivée à un point où j'avais perdu tout point de repère. Un peu de réflexion et de déduction est venu à bout de ce bref moment de désorientation et de panique. Je pus alors savourer pleinement la découverte faite un peu plus tôt...
Au début de ma balade, alors que je venais de m'engager dans l'avenue Laferrière sans véritablement regarder autour de moi, une infime perturbation dont je n'eus pas conscience affecta assez mon champ visuel pour que mon attention soit arrêtée par une haute clôture à barreaudage plein dont la peinture était écaillée et les panneaux troués par endroits, arborant quelques lésions de rouille. Dépassant de cette clôture, le sommet d’un toit, et dessous un mur de pierre, une fenêtre dépourvue de volets dont l’aspect suggérait que la maison était abandonnée et m'évoquait, je ne savais pourquoi – maintenant si, je sais (enfin, à demi): j’étais renvoyée à des souvenirs télévisuels d’intrigues policières (Les Brigades du Tigre peut-être?) et de récits fantastiques (l’adaptation de La Poupée sanglante?) – la charnière des XIXe et XXe siècles… ce sont bien évidemment ces vagues réminiscences qui ont parlé plutôt que de quelconques connaissances architecturales, lesquelles me font défaut. Alors j’ai cherché à en voir davantage. Ici et là, à travers des trouées plus conséquentes, une bribe de jardin en friche, des détritus entassés dans un coin... et, de la maison, c'est le perron que je voyais, d’autres fenêtres sans volets ou n’ayant plus qu’un seul des deux battants pendouillant à ses gonds… L'effet est immédiat: je pense "photogénie du lieu" et le désir de faire des photos s’impose. À qui s’adresser pour pouvoir entrer en toute légitimité? Une pancarte avertit que la propriété est "sous surveillance vidéo" - assez curieux pour une maison dans cet état… mais cela signifie qu’il y a des propriétaires suffisamment attachés à leur bien pour le sécuriser ainsi; il me faut donc les rechercher, les contacter puis leur demander l’autorisation de photographier sinon l’intérieur de la maison du moins ses extérieurs et le jardin. Dès lors je ne pense plus qu’à cela et aux différents moyens que je pourrais employer pour identifier ces propriétaires. En même temps que je réfléchissais je ne pouvais m’empêcher d’imaginer qu'elle était peut-être hantée... C’est probablement à cause de ce brouillamini mental assez confus que je n’ai pas fait attention aux rues traversées… et que j’ai fini par me sentir tout égarée.
Une fois mes pénates enfin regagnées, je concrétisai la première idée que j’avais eue en postant un message relatant ma découverte sur le site Nextdoor. Je reçus très vite plusieurs réponses de Cristolliens qui connaissaient l’endroit, mais pas les propriétaires. L’un de mes correspondants me signala que l’on pouvait consulter en ligne le plan cadastral national. Ce que je fis mais, hélas, je n’ai pas su me repérer au vu du seul tracé des parcelles… un peu découragée – et, surtout, requises par des préoccupations plus prégnantes, je cessai mes recherches.
Les choses en sont restées là jusqu’au matin du dimanche 1er janvier 2023. Je sors marcher et, après avoir d’abord suivi une direction familière j’emprunte une rue que je n’ai pas l’habitude d’arpenter. Mais à peine engagée je la reconnais – c’est l’avenue Laferrière. Je vais donc retrouver la fameuse maison. Je pourrai en profiter pour noter d’autres détails… En quelques pas me voilà devant la mystérieuse clôture. Et je vois briller une lumière à l’entrée! le perron est éclairé… mais alors, abandonnée ou occupée cette maison? Sous le coup de la surprise, et tandis que mon regard s’attarde sur les jardinières crevées juchées au sommet des piliers encadrant le portail, sur l’un je vois un cartouche ornementé portant l’inscription "Castel Laferrière" et sur l’autre le numéro 112. Là, parfaitement visibles… La lumière d’abord puis ces indications précieuses qui m’apparaissent alors que je ne les avais pas vues le 27 novembre… sans oublier cette coïncidence frappante: 112 est aussi le numéro de mon appartement. Toutes ces clartés qui surgissent un 1er janvier, dissipant instantanément l’opaque grisaille du ciel pluvieux si bien en harmonie avec mon humeur morose… Aucun doute: c’est un signe. À lire au premier degré – ma curiosité à l’égard de cette maison étant ravivée, je vais pouvoir reprendre mes investigations munie désormais d’indices précis – ou bien de manière plus métaphorique: cette lumière inattendue au seuil d’un lieu qui m’attire m’intimerait-elle de ne pas renoncer à ce qui est intérieurement important pour moi quelles que soient les embûches?
Quoi qu’il en soit, cette synchronicité eut pour effet qu'à peine rentrée j’ai saisi "castel Laferrière à Créteil" dans mon moteur de recherche. Très vite je suis tombée sur un site que je ne connaissais pas: la Plateforme ouverte du patrimoine. Ô toutes ces ressources en accès libre et gratuit… quelle mine! Bref: ce castel est répertorié dans la base Mérimée (un signe de plus que ce renvoi littéraire…) et dispose de sa fiche. Peu d’informations mais une amorce de piste – j’ai envoyé aussitôt un message à la plateforme et, maintenant, j’attends la réponse. Tout en continuant à envisager d’autres voies à explorer, par exemple les Archives municipales du Val-de-Marne.
Il me semble, in fine, que je satisfais là une inclination générale à l’investigation, plus qu’une curiosité ciblée… et si la première lueur issue de cette "lanterne synchronique" aperçue au matin du 1er janvier 2023 était cette prise de conscience?...
***
Ceci n’est à l’évidence pas une "brève" et relève plutôt de l'introscopie. Mais reste "d’un jour", de ce jour en particulier, dimanche 1er janvier, car sans cet ancrage, la synchronicité perd une large partie d’elle-même.
De nouveau le désert, et l'insondable aridité. Aujourd'hui 15 novembre - qui est un jour devenu mémorable depuis 2020, un "anniversaire" donc, mais d'une amertume singulière qui n'a pas encore passé comme sont censées le faire, prétend-on, les plus grandes tristesses puisque, avec le temps va, tout s'en va. Mais ce ne sont que des mots - des mots de poète certes et, pourtant, rien autre que des mots impuissants à panser les béances du manque-de-toi. Toi maman, partie dans ton sommeil comme on quitte une pièce où dort un enfant, sur la pointe des pieds pour ne pas le réveiller.
Il m'aurait fallu dire - comment l'absence et la dureté du vide se substituent inexorablement à l'encore-présence que l'on croit entretenir par le souvenir, les feintes conversations (tiens, au fait, tu sais que je continue de suivre assidûment Un si grand soleil? Et vendredi dernier, alors que je quittais la rue Saint-André-des-Arts après avoir fait une petite provision de cafés chez Malongo, j'aperçois faisant la queue devant une crêperie le comédien qui interprétait le rôle d’Eliott. Un regard brièvement arrêté qui croise le sien, juste le temps de comprendre qui je voyais et je me suis éloignée. Le courage m'a manqué pour l'aborder! nous en aurions bien ri au téléphone. De ma couardise, et aussi de mon assiduité à ce feuilleton, sans doute...) et mille petites choses insignifiantes qui peu à peu se raréfient - mais comme toujours le vouloir-dire a buté, échoué, sombré dans le vaste impossible.
Aujourd'hui bizarrement les synchronicités - ces étranges convergences surgissant quand devant soi, autour de soi, près de soi, on voit le monde se configurer en écho avec une pensée, un état intérieur et ainsi dessiner un glyphe dont on entrevoit le tracé sans en comprendre le sens - les synchronicités donc se sont multipliées. Tandis que, marchant d'un bon pas au bord du lac de Créteil, je tournais et retournais mentalement les mots par lesquels j'allais tenter de rendre compte d'un roman extraordinairement puissant, La Pointe de l'aiguille* (et je voulais absolument y arriver aujourd'hui, parce que, croyais-je, il entrait en résonance toute spéciale avec "aujourd'hui-15-novembre" mais en voulant écrire cette résonance je réalise qu'elle ne n'est pas pas tout à fait de l'ordre, ni de la nature que je lui prêtais, ces lignes peuvent donc se poursuivre sans que je sois parvenue à cette fin-là, "rendre compte de..."), j'aperçois en levant les yeux une flopée de pigeons arrivée par ma droite puis volant en cercles concentriques à quatre ou cinq reprises avant de rompre la spirale en une lente descente au sol. Je venais de voir effectué par ces oiseaux l'exact mouvement de mes pensées !
De même que le cercle de pigeons s'est rompu pour se poser, les pensées qui m'obsédaient s'étaient fixées dès hier en une image dont la vision de ce matin me dit qu'elle est juste, et mérite d'être écrite...
Nos existences ne sont rien autre que de longs abîmes au bord desquels nous marchons en équilibre toujours instable. De profonds et insondables abîmes où se meuvent d'innombrables fils parfois tordus en d'inextricables nouements dont nous ne voyons rien alors même qu'ils sont nos fondations. Parfois en de rares occasions l'un ou l'autre de ces nœuds, et une bribe plus longue des fils qui le constituent, se mettent à luire dans l'obscurité abyssale - et c'est une clé qui nous tombe entre les mains. Mais il y a tant de portes à ouvrir que ces trop rares clés glanées au cours de l'existence n'y suffisent pas. La nuit cesse-t-elle d'être nuit au moment du Grand Passage...
Je poursuis mon chemin et je croise Pierre, un membre de la défunte association Photovision, grâce à laquelle j'ai participé à mes premières expositions photographiques - la conversation s'engage, et voilà que remonte par vagues bien des souvenirs. Le passé toujours fait retour, et ce retour-là vient encore me murmurer à l'oreille que La Pointe de l'aiguille décidément résonne... mais bien plus amplement qu'avec ce seul "jour-de-novembre" désormais si spécial.
* La Pointe de l'aiguille. Nouvelle inachevée..., de Youri Maletski (traduit du russe par Marie Roche-Naidenov, avec deux photographies de Natalia Turine), Louison éditions, 2017.
Dix mois de silence - l'équivalent de ce qu'aura duré mon séjour "hors sol" - ma traversée des confinements: là-bas, en terre d'enfance, où je croyais être mieux armée pour supporter ces pelletées de cendre dont on nous a recouverts, décret après décret, depuis mars 2020. Et en effet des choses ont bougé, mes réflexions aiguisées et j'entrevoyais même les raisons profondes qui me tenaient éloignées de ces terres. Oh certes pas la seule "panne du mot juste" (qui est certes un frein d'importance) mais bien plutôt des mutations, des bouleversements dans ce qui pousse à l'écriture et dont je sentais que le fruit n'avait pas sa place ici - ce coin de Toile qu'après plusieurs années de chronniqu'ailleurs, j'entendais assigner à une continuation de la chronique tout en m'autorisant des pas de côté plus introspectifs. Ces derniers ont peu à peu envahi mon espace de pensécriture et, de ce fait, j'en suis venue à ne plus me reconnaître le droit de coucher ces mots ici.
Plusieurs fois j'ai balbutié - des brouillons ont pullulé que je tirais du papier: surtout ne pas me laisser nécroser par l'extinction du mot mort-né... ne pas devenir intérieurement semblable à ce bouton tardif que le gel brutal passé par-dessus un redoux intempestif a figé dans un devenir avorté... mais le silence a eu raison de tous ces frémissements.
Et puis il y eut d'autres cendres, dont l'amertume, l'âcreté, auraient été mois étouffantes s'il n'y avait eu celles dont nous ont gavés l' "exécutif": la mort de maman dont je n'ai su dire rien autre que des pages et des pages de phrases incoercibles, impossibles à littérariser - peut-être parce qu'elles échappent à la "littérature" et ne peuvent, pour moi, que demeurer dans l'ordre de l'intime incommunicable (il faut être écrivain pour savoir sortir de cet antre obscur les mots qui s'y pressent, ce que je ne suis pas). Quelques mois plus tard cet autre décès, de l'éditeur-ami - à travailler pour lui seul pendant dix ans, des liens atypiques, à la fois étroits et très distanciés, s'étaient noués et avec eux une socialité elle aussi atypique, qui s'étendaient aux auteurs que j'ai côtoyés, une socialité choisie que je vivais comme un insigne privilège. Quelques mots pour lui sont venus néanmoins, qui me paraissaient tenir (et dont on m'a fait savoir qu'en effet ils tenaient). Mais, n'ayant rien su tirer de mes nuits pour toi, maman, comment allais-je m'autoriser, ici à dire les mots pour cet ami? A lui j'ai pu écrire ailleurs fort heureusement. Je veux croire qu'il me comprend (non, je suis sûre qu'il me comprend). Et toi aussi qui ne me liras plus, ne veilleras plus sur mes phrases pour qu'elles soient le moins fautives possible.
Les nuits sont noires et les lumières qui parfois les trouent ne sont pas toujours de celles qu'on voudrait voir. Mais les-mots-pour-toi viendront. Un jour. Là-bas loin à l'horizon. En attendant ils vivent fort et se meuvent sous tant de regrets qu'il me faudra pousser du coude.
Pour l'heure, la grande affaire étant de vaincre la cinérarité dont je me sens si prisonnière.
Les impostures n'ont pas cessé de me requérir qui grimacent de plus en plus hideusement, qui par là se rendent difficiles à portraiturer mais dans le même temps exigent plus fort d'être montrées. Mais avant que d'arriver à cette fin, je n'ai pas pu résister à ce petit détour d'investissement scriptural vers quoi m'a conduite une «alerte» France info…
«Les Français pourront partir en vacances en France au mois de juillet et au mois d'août», annonce le Premier ministre. Quelle excellente nouvelle aux oreilles des Parisiens, implicitement sommés d'aller voir en province si le ciel est plus bleu qu'à Paris: ils seront désormais les bienvenus là où en mars on les accueillait pour le moins… fraîchement.
En mars, pneus crevés et noms d’oiseau, en été tapis rouge et grands sourires. Ou quand les indésirables du printemps deviennent les très-désirés de l’été…
On leur en voulait en mars d’apporter avec eux le virus – en été on veut qu’ils apportent leur soutien à l’économie… donc leurs deniers de bobos urbains à ceux-là mêmes qui, quelques mois auparavant, les vouaient aux gémonies.
Pour peu qu’ils soient un peu rancuniers, les Parisiens qui auront eu à souffrir de ces chicanes préféreront sans doute en juillet et août s’assigner d’eux-mêmes à résidence dans l’appartement qu’ils ont voulu déserter au printemps quand la loi les y emprisonnait plutôt que de consentir à aller remplir les poches de leurs tourmenteurs. C’est du moins ainsi que je réagirais si je comptais parmi les malmenés de nos vertes campagnes.
Et le plan du gouvernement visant à «relancer le secteur du tourisme» aura alors un peu de plomb dans l’aile, malgré les 18 milliards d’euros promis à titre de compensations en tout genre ‒ tiens, encore de l’argent qui sort du bois, après les millions divers et variés déjà lâchés depuis le 16 mars, sans retenue et à grands renforts de déclarations solennelles? Mais comment donc se fait-il que la pompe à fric continue de cracher des euros en veux-tu en voilà alors qu’on nous répétait, avant (i.e. «avant l’épidémie»), que les caisses de l’État étaient vides et qu'il fallait se soumettre à l'austérité, aux économies tous azimuts? Par quel(s) miracle(s) l’exécutif peut-il se permettre d’arroser ainsi continument et d'accorder primes et autres revalorisations? À moins qu’il ne s’agisse que de promesses venteuses… et d’un marché de dupes.