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9 avril 2024 2 09 /04 /avril /2024 17:22

…et mettre en ligne une page de journal écrite le matin même.

De retour à Gourdon et prise dans les lises infiniment visqueuses des démarches, des paperasses, des formalités dont je ne savais pas un traître mot jusqu’à ce que la mise en vente du Barry Bas m’en révèle le nombre, l’étendue, la complexité et qui par là me deviennent encore plus haïssables qu’elles ne l’étaient quand je les percevais comme de simples signes me parvenant, très vaguement, d’une face de l’existence dont je refusais d’entendre parler et de tenir compte (surtout parce que les échos de cette face, de ce versant tout entier voué à la matérielle, aux factures, aux papiers-à-remplir… étaient répercutés par la seule voix de mon père,  incarnation d’une «loi» à laquelle je tentais à toute force de me soustraire mais en vain car cette loi-carcan avait pour corollaires une affection, un amour indéfectibles dont je n’aurais su me passer, et dont il me faut bien aujourd’hui me passer, la mort ayant fait son œuvre), perdue, donc, devant ce vaste horizon de chantiers en cours (mentaux et matériels) sans que j’en voie la ligne tant elle est éloignée, je me suis réfugiée comme souvent dans la quête photographique.

J'ai en effet quitté Créteil munie de mes deux reflex, Topcon et Minolta, car je m’étais promis de «faire des photos», sachant qu'ainsi je pourrai peut-être desserrer un peu l’étau horrible où m’emprisonne la «maison-à-vider», ce Barry Bas tant aimé mais devenu un étouffoir saturé d’objets (et à travers eux de souvenirs) cantonnés au grenier dans l’immobilité d’un sommeil jamais dérangé, censé les préserver alors qu’ils se corrompaient doucement, inéluctablement, sous leur linceul, épaissi d’année en année, de poussière, de toiles d’araignées et d’entassements supplémentaires… Objets défaits, puant le moisi avec quelques arrière-notes de naphtaline – l’odeur de charogne des choses momifiées – dont la rencontre équivaut à recevoir l’immonde baiser de l’implacable corrosion universelle qui, où qu’on la relègue (grenier ou cave, placard enfoui dans une pièce close à  double tour…), ne manque jamais de suinter, de sourdre jusqu’à vos pieds de vivants pour s’élever à l’assaut de votre âme, l’étreindre tel un constrictor et mieux vous rappeler que des pans entier de vous sont déjà morts et pourris tandis que le peu restant est en instance de tomber en ruine.


Les circonstances incitaient à la photo: à 9 heures le soleil brillait après une nuit de précipitations abondantes, faisant luire mille lueurs adamantines sur les feuilles et fleurs d’un jardin en pleine luxuriance car non entretenu depuis des mois, où donc la nature a libre cours. Dès hier j’avais vu que le pied de pivoine dont j’avais si étroitement suivi l’évolution durant les mois confinés portait encore deux ou trois fleurs, certes quasi fanées mais photogéniques tout de même. Et les voilà magnifiées, perlées de ces innombrables gouttes de pluie! j’ai donc inséré une pellicule de 100 ASA dans mon Minolta puisque lui seul accepte ma lentille macro. Et c’est une dizaine de pivoineries qui en une demi-heure furent fixées sur pellicule. La pensée requise par la prise de vue m’occupe tout entière – absorption bienvenue!
Avant même que de me concentrer sur la pivoine, j’avais décidé d’aller voir où en était ce site découvert pendant le confinement (toujours lui… si mal vécu dans son présent mais dont je vois bien, à quatre ans de distance, qu’il s’avère pour moi photographiquement bénéfique) et que j’avais baptisé «le Banquet des spectres» puis dont j'avais ensuite observé le devenir à chacun de mes séjours lotois.

Photo prise au smartphone un matin d'été 2021

Arrivée sur place, je vois qu’il n’a pas changé depuis Noël: le petit bouquet mortuaire de roses artificielles qui m’avait fait penser en l’apercevant «ça y est, le Banquet des spectres est définitivement terminé, le site est mort» est à la même place; les chaises et tables de jardin, privées de certains éléments initiaux telle cette nappe de plastique bleue et blanche en parfait état quelles que soient les intempéries, ont conservé leur disposition d’alors, au premier plan de cette enclave de prairie, ainsi ramenées à un petit amoncellement mis au rebut quand, dans leur première apparition, elles semblaient attendre des convives prêts à pique-niquer. Seul l’environnement s’est modifié: la végétation a sa vêture printanière que valorise l’incidence de la lumière. J’aperçois, tout autour du bouquet mortuaire et largement en avance, les clochettes des premiers muguets. Et tout à côté, deux tulipes, une incongruité que ces fleurs de culture au milieu de cet espace ensauvagée (au même titre que cet étrange mobilier de jardin).

Un peu plus tard, sur le chemin du retour, j’entrevois une biche – nos regards se croisent le temps d’un éclair puis elle détale.

 


Le muguet précoce et la biche: les deux bonheurs du jour. Deux sourires de hasard dans cet océan de vase où j’ai le sentiment de me noyer.

 

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9 avril 2024 2 09 /04 /avril /2024 13:14

Serai-je sortie vivante du voyage?

Malgré ce sentiment de mort imminente, qui rend toutes choses futiles, dérisoires, risibles (au premier chef desquelles ces microscopiques réalisations que l'on tient pour si importantes parce qu'en elles tient, croit-on, sa raison d'être) et qui ne laisse pas de me tenailler avec une cruelle acuité quand se profile un départ (et qui, aussi, me pousse à de grands accès de jetages précipitant au vide-ordures quantités de paperolles, de brouillons, d'esquisses que je me croyais capables d'utiliser mais que j'ai laissés gésir sous la poussière des inaccomplissements) je sauve de la destruction ce feuillet que j'ai rempli en quelques minutes tandis que, carrée dans un siège de l'Intercités me conduisant à Souillac, le 19 mars dernier, j'attendais que le train s'ébranle vers sa destination.

Pourquoi ce sauvetage, et aujourd'hui? sans doute parce que, quoi que je feigne de penser, reste ancrée en moi la conviction que ma vie ne se densifie dans sa singularité  que par ma capacité à faire tenir ensemble des mots qui fassent texte, et qu'aujourd'hui tout spécialement ce sauvetage exige un effort qui me détourne de l'angoisse, cauchemardesque, paralysante - haïssable. Je n'oublie pas cet autre fil auquel je sais que tient ma vie, la photo et son pouvoir d'arrêter un peu d'éphémérité dans les rets du déclencheur. Mais là, aujourd'hui, c'est l'effort scriptural qui me garde droite...

19 mars 2024, 8h15, gare d'Austerlitz, Paris.

Le train est à quai, bientôt il va partir. Les abords du wagon sont désormais déserts, tous les voyageurs sont à bord. Nul bruit extérieur ne sourd; seule court la vague rumeur, ouatée par la moquette au sol et le rembourrage des fauteuils, des vêtements que l'on quitte, des bagages que l'on installe ou des sacs à main que l'on ouvre et ferme après y avoir puisé de menus accessoires. Dans l'encadrement de la fenêtre j'observe une femme que la pénombre ambiante dissimule à demi. Je ne vois que son pull vert foncé, son épaisse chevelure frisée - sa main frêle qui tient un portable collé à l'oreille. Debout, immobile, mais hochant la tête avec force, de haut en bas, à droite, à gauche... Aucun doute: la conversation est houleuse. Vive et probablement colérique. Une indéfinissable étrangeté se dégage de cette entrevision (trop fugace, trop subrepticement aperçue pour mériter le nom de «scène»): tant d'énergie et, oui, de bruit (même inaudible la colère fait du bruit) en émane sans même qu'un son ne me parvienne. Un très court-métrage muet que n'accompagnent pas les staccati du piano... Un romancier eût probablement saisi là l'amorce d'une fiction (roman? nouvelle? Novella?...) ou, pourquoi pas, l'incipit d'un voyage introspectif.

Et moi j'attrape au vol un croquis de mots. Rien en termes de substance mais, pour moi, un caillou blanc à verser au panier des gestes scripturaux amorcés puis aboutis. Un signe, aussi, que n'est pas morte dans le brasier de la matérielle ma sensibilité à ces petites écailles de réel qui, çà et là, allument l'attention et génèrent tantôt l'esquisse phrastique, tantôt  l'intention photographique.

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7 avril 2024 7 07 /04 /avril /2024 11:51

Demain je pars.

Une fois de plus, seule et au volant, le trajet en voiture vers Gourdon. Et toujours la même terreur, la même sensation d'aller vers l'abîme. Certes justifiée désormais par le danger, réel, que représente un parcours routier pour une conductrice fort peu aguerrie, peureuse de nature et lente à réagir quand il faudrait être plus instinctif, surtout plus rapide. Mais qui dans sa nature profonde, un peu obscure et indéfinissable, est bien antérieure au décès de mon père qui jusque-là était mon chauffeur, celui entre les mains de qui étaient remis mon sort et celui de mes chats tant qu'il s'agissait de «prendre la route». 

Cet abîme dont je sens qu'il rôde, à l'approche du départ, au pourtour de mes jours tels ces monstres que l'on se figurait jadis tapis le long des rives ultimes d'une Terre supposée plate et prêts à engloutir les navires qui, lancés sur les océans, finiraient immanquablement leur course dans leur gueule béante, quel est-il? Sans doute rien autre que l'antre des fantômes auxquels mon existence est indissolublement liée, ces êtres en allés qui m'ont tant choyée, et protégée, et aimée quoi que je leur aie fait subir; ces êtres-remparts qui m'ont tenue éloignée des échardes de la vie, toujours là pour me rassurer alors que j'ai si souvent ressenti cette ultra-protection comme un carcan dont il convenait de se défaire. Et Dieu sait que je me suis ébrouée, violemment parfois et en blessant ceux qui m'aimaient sans me libérer moi-même de ce qui me semblait étouffant.

Ne me restent maintenant que des remords, des regrets, une insondable culpabilité, le tout couronné par un sentiment de mort imminente qui donne à mes rêves inaccomplis et à mes innombrables renoncements un relief aigu, tranchant.

Mourir à l'état de petite chose insignifiante, rabougrie, qui aura toujours eu des pensées incommensurablement plus vastes que ses minables réalisations.

Tel un embryon de fleur qu'un brusque accès de gel aura brûlé avant son éclosion.

Mots testamentaires. Ci-gisant comme une épitaphe.

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4 avril 2024 4 04 /04 /avril /2024 13:56

Une fois abandonné le roman de Thierry Jonquet Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte c’est à une autre trouvaille tirée de sa boîte en février dernier que je me suis attaquée: un roman de Fred Vargas en édition de poche – J’ai Lu –, Pars vite et reviens tard. Le nom de l’auteur a suffi à me pousser au geste (d'ailleurs, j'ai sans doute entraperçu le titre de prime abord, sans le comprendre ni même m'interroger sur son étrangeté): je le connaissais pour l’avoir maintes fois croisé au fil de mes collaborations au site k-libre, et vu mentionné au générique de ces téléfilms crépusculaires réalisés par Josée Dayan et diffusés sur France 2 à partir de 2008 dont je ne me souviens pas qu’ils m’aient enthousiasmée, ne me donnant à percevoir qu’un climat, une atmosphère transpirant d'une lumière toujours bleutée, là où j’espérais une histoire. À la surface de ma mémoire surnagent cependant, avec une grande netteté, les personnages incarnés par Jean-Hugues Anglade et Jacques Spiesser; la silhouette dégingandée de Corinne Masiero (et son inénarrable  voix), le passage fugace de Charlotte Rampling, le long et hypnotique flux des Suites pour violoncelle seul de Bach (traversée éphémère d'un épisode, je crois...) – mais rien qui ressemblerait aux banderilles que ne manquent pas de planter dans la masse molle des souvenirs un récit mémorable. En tout cas, absence totale de référence littéraire: je n'avais jusqu’alors lu aucun de ses romans.

Ce que me tendait la boîte à livres était donc une aubaine: j’allais pouvoir découvrir le fondement livresque de ce qui, à l’écran, ne m’avait pas vraiment plu et m’avait laissée «sur ma faim» comme cela se dit – non pas indifférente mais perplexe car, si j’avais été indifférente, je me serais contentée de bouder un second épisode après avoir été déçue par le premier, au lieu qu’en fin de compte, je les ai tous suivis pour autant qu’il m’en souvienne. La perplexité m’avait donc rendue curieuse – sans en être levée pour autant ni muée en enthousiasme.

Ainsi l’appel du livre, par-delà la petite porte vitrée de la boîte, fut irrésistible. Je voyais bien pourtant que ce n’était pas une de ces «premières éditions» comme j’aime à les chiner en ligne ou dans les bouquineries physiques – pour moi, le nom de Fred Vargas se liait d’emblée aux éditions Viviane Hamy, à leur collection «Chemins nocturnes» et à ses couvertures dont l’esthétique à elle seule peut justifier l'achat (comment n’avoir pas envie de s’aventurer sur des chemins si bien nommés? l'invite est trop belle pour ne pas risquer un pas sur les sentiers annoncés, voire de s’y perdre, de ne plus les quitter…). Mais à ce stade de la saisie livresque – une approche-découverte – je ne m’attarde guère sur l’édition pour ne me soucier que de l’état du volume que je m’apprête à emporter. Bon, pour ce qui était de ce «J’ai Lu» - il rejoignit donc ma bibliothèque.

Dès les premières lignes j'ai éprouvé cette «joie de lire» unique, reconnaissable entre toutes les émotions positives que peut susciter un texte – ce fut, cette fois, bien plus qu’un plaisir de lectrice: j’étais en train de vivre la preuve que mon goût pour la lecture n’était pas éteint ni exsangue mon aptitude à m’émouvoir esthétiquement pour un tissu de mots; que se ranimait, aussi, un embryon de désir d’ «écrire sur»... Même si l’embryon peine à se développer, ces lignes témoignent de ce que je ne renonce pas; un non-renoncement plein de balbutiements, de repentirs et de corrections corrigées, de circonvolutions phrastiques qui ressemblent à ces battements de bras désordonnés qu’on tente lorsque, tombé à l’eau sans savoir nager, on lutte pour sa survie. Mais au fait... Pourquoi ce besoin de «dire» un livre me tenaille-t-il à ce point? Pourquoi suis-je hantée d'intranquillité (une hantise confinant à l'obsession) tant que je ne suis pas parvenue à exprimer ce qu'un texte m'a fait vivre alors même que je suis quasi convaincue, depuis longtemps,  de ne plus posséder ce «savoir-dire» un livre? Aujourd’hui, tout particulièrement aujourd'hui et sur ce roman de Fred Vargas, il me faut essayer, seulement essayer ce dire pour ne pas me sentir morte. Essayer ce dire même s'il doit être bancal, au pire inepte mais prendre ce risque de l'insatisfaisant pour relever un peu la tête.

Ce qui m'a séduite? l'atypisme des personnages, sur le fond (l'un est conseiller en choses de la vie, un autre Crieur de nouvelles exerçant au carrefour Edgar-Quinet/Delambre et dialoguant occasionnellement avec un de ses aïeux lui-même Crieur... mais à l'aube du XIXe siècle...) mais surtout sur la forme: le Crieur [remise] ses haines nostalgiques dans la doublure de son esprit, le commissaire Adamsberg lorsqu'il se met à méditer [lâche] rapidement la rampe et [touche] à un vide proche de la somnolence... Et puis tout de suite ces phrases sublimes sur le papier, la chose écrite où se meut la poésie sous la mince couche d'incongruité:

[...] le procès-verbal, la rédaction, est à la naissance de toute Idée.  Pas de papier, pas d'idée. Le verbe hisse l'idée comme l'humus hisse le petit pois. Un acte sans papier et c'est un petit pois de plus qui meurt dans le monde.

Cela posé, il était indubitable que son adjoint Danglard qui aimait le papier sous toutes ses formes, des plus hautaines aux plus humbles – en liasses, en livres, en rouleaux, en feuillets, de l’incunable à l’essuie-tout – était un homme à vous fournir du petit pois de qualité.

Poursuivre la lecture s'est, ainsi, imposé d'emblée. L'écriture est presque toujours métaphorique, et met un point d'honneur à filer la métaphore. Mais ne verse jamais dans l'acrobatie syntaxique (pas de chahuts à la Céline, ni d'excessives recherches cultivant les figures de styles rares dont beaucoup, sans la caution de la licence poétique, seraient rien moins que des barbarismes) ni dans le culte du mot rare, désuet ou savant (le lexique reste simple, souvent même familier). Au fil des pages, cette écriture si typée qui me touche tant s'est avérée servir une histoire à la fois étrange, peu réaliste mais historiquement informée (et hautement documentée), convoquant symboles superstitieux, légendes et érudition historique et, surtout, parfaitement architecturée. Je tournais le dos au réalisme sociétal de Thierry Jonquet et c'était exactement ce que j'espérais d'une lecture romanesque.

Conquise par cette «offrande de boîte» je me suis mise en quête des autres romans de Fred Vargas. Dans leurs premières éditions, neufs ou d'occasion peu importe mais en suivant mes voies ordinaires: en chinant, en ligne, ou en boutiques.

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31 mars 2024 7 31 /03 /mars /2024 13:20

Nette? Vraiment?

Un peu d'espace se dégage, des boîtes changent de place, les formes géométrique régulières des empilements me rassurent: quelque chose a été accompli.

Un soulagement me gagne – je viens de passer à la déchiqueteuse de vieux tirages remontant à l'époque où, fraîchement initiée au tirage argentique (très fraîchement: même pas deux ans d’initiation!), je prétendais «faire œuvre» dans ma salle de bain obscurcie, parce que je disposais d’un agrandisseur et du matériel minimal nécessaire au tirage. J’étais pressée de mettre en pratique mon savoir tout neuf et de l’intensifier par ce travail à domicile en même temps que je continuais de suivre des cours. Mais je n’avais aucune conscience de l’étendue de mes ignorances techniques, heureusement comblées aujourd’hui pour ce qui regarde les plus handicapantes d’entre elles (par exemple l’art d’utiliser les filtres et de jouer sur leurs effets pour obtenir des images équilibrées ou au contraire  hyper contrastées, ou de positionner sa feuille de papier dans le margeur). Se sont ainsi accumulées d’impressionnantes quantités de tirages que j’avais qualifiés d'«aboutis» et conservés…

Quelle présomption, quelle vanité! à vingt ans de distance, et surtout après six ans (ne comptons pas l’année de confinements qui a soustrait de ma formation plus d'une saison d’enseignement…) d’enrichissements à tous niveaux auprès de Dan Aucante (centre Rébeval de la Ligue de l’enseignement) regarder aujourd'hui ces tirages me les montre sous leur vrai jour: ils sont affligeants. Et pathétique, lamentablement pathétique, ce soin que j’avais mis à les ranger, classer, préserver dans leurs boîtes comme des choses précieuses!

C’est donc une trentaine de tirages, dont certains sur papier baryté dûment séchés «à bords tendus» (je ne doutais vraiment de rien), que j’ai déchirés en bandes grossières feuille après feuille – le format 24x30 cm est trop large pour ma petite machine qui atteint ses limites avec le A4 – et, ainsi défaits, passés à la déchiqueteuse. Ce n’est pas tant la médiocrité du travail photographique que, ce faisant,  j’ai annihilée – oui, annihilée, car déchiqueter en minces bandelettes, c’est bien plus que jeter, c’est le degré le plus élevé de destruction juste avant l’ultime sommet en la matière, savoir la réduction en cendres par le feu – mais cette incommensurable vanité qui m’a fait croire, au moment où je réalisais ces tirages, qu’ils avaient un quelconque intérêt. Cette annihilation, qui n’est venue à bout que d’une infime part de ce qui mériterait d’être annihilé, c’est un peu un piétinement de moi-même – du moins le piétinement de ce qu’aujourd’hui je ressens comme une part méprisable de moi-même.

Mais la zone de terrain à dépolluer reste immense, et ce n’est pas une aussi petit séance de ménage qui y pourvoira.

Cela dit, cette petite opération de «vidation» a une autre vertu: me protéger de l’angoisse, de l’insurmontable angoisse de me sentir là-tout-de-suite en «instance-de-mourir», de disparaître à jamais maintenant sans avoir réalisé aucune de mes aspirations, fussent-elles parfaitement anodines. «Dégager de l’espace», c’est prévoir de l’occuper autrement «plus tard»; c’est donc me projeter, m’imaginer demain, me donner un à-venir.

M’oublier là-tout-de-suite mortelle. Donc vivante, encore un peu.

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24 mars 2024 7 24 /03 /mars /2024 11:32

[...] ces dispositifs qui se multiplient jusque dans les villages permettant de déposer commodément les livres dont on souhaite se séparer pour en prendre d’autres en échange écrivais-je il y a peu; il me faut développer un peu: outre que l'on fait ses dépôts de livres avec une facilité inégalable dans ces boîtes – lorsqu'elles sont assez proches de chez soi, et que l'on n'est pas trop soucieux de vendre les volumes dont on a décidé qu'ils devaient quitter leurs rayonnages pour d'autres havres – elles offrent aussi tous les avantages d'une bibliothèque municipale – possibilité d'emprunter sans frais pour expérimenter –  sans aucun de ses inconvénients – pas de formalités d'inscription, pas de délai imposé pour restituer et, surtout, surtout: possibilité de conserver si l'emprunt s'avère pépite...

Ainsi mon simple et instinctif geste de saisie s'est-il affiné au fil de ses réitérations. Je prends, me sachant libre d'entrer dans le livre quand j'en aurai le désir, fût-ce à plusieurs mois de là mais, de temps en temps, je rends à la boîte ce que je lui ai pris, à elle ou à l'une de ses sœurs, après qu'un début de lecture s'est avéré décevant.

Donc, pas plus tard que la semaine dernière (celle qui débutait le 11 mars) j’attrapai dans la boîte à livres postée juste en bas de mon immeuble un gros volume publié par Le Seuil: Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte. Un titre en soi particulièrement «appelant», signé Thierry Jonquet. Sitôt vu le nom de l’auteur le geste de saisie a été irrépressible – je me souvenais d’avoir lu et adoré Ad vitam æternam, trouvé dans la bibliothèque familiale et dont je m’étais emparée à l’occasion d’un de ces séjours estivaux qu’en général je mets à profit pour errer en lectures au gré de ce que je découvre dans ces alluvions du passé (sans avoir la moindre idée de qui avait amené là ce roman car en dehors d’un grand-père fort amateur de polars mais décédé en 1999, je ne voyais personne dans mon proche entourage susceptible de l’avoir lu puis ayant fait en sorte qu’il arrive en ces étagères; peut-être s’agissait-il d’une de mes lectures passées mais je n’en avais aucun souvenir). Je m’y étais plongée sur la seule connaissance du nom de l’auteur qui m’était devenu familier à force de collaborations aux «dépêches» de k-libre et d’assiduité aux diffusions des téléfilms de la série Boulevard du Palais dont le générique indiquait en substance «d’après les personnages créés par Thierry Jonquet».

J’ai commencé Ils sont votre épouvante...  avec jubilation, appréciant l’écriture en focalisation interne, les traits de causticité épinglant le fonctionnement (ou plutôt les dysfonctionnements!) de notre société actuelle, la densité des personnages, la construction narrative qui s'ébauchait… puis je me suis arrêtée. Trop mimétique, sur le fond (misère sociale, dérive djihadiste, crime antisémite…) et sur la forme (les dialogues où interviennent ces ados de banlieue [on est dans le «9.3»] frustes et bruts de décoffrage dans leurs réactions sonnent si juste que la transcription de leur parler approximatif et rude donne le sentiment qu’ils sont là autour de soi). Or quand j’ouvre un roman je signe pour une mise à distance de ce réel si difficilement supportable, pas pour cette impression désagréable d'y retrouver les manifestations les plus répugnantes de notre aujourd'hui occidental – racisme ordinaire, cette façon qu’ont les préjugés et les idées (mal) reçues de gouverner les actes de quelques personnes (bien trop nombreuses…). Ainsi ai-je été stoppée net au bout d’une cinquantaine de pages. Je sais bien assez que le monde actuel est haïssable, redoutable, et que n'y règnent pas en maîtres la pondération, la finesse de pensée, l'aptitude aux raisonnements profonds et subtils... point ne m’est besoin d’ouvrir un roman pour voir étalée cette vérité sous forme d’une fiction aussi acérée qu’une lame d’acier trempée. Sans qu’aucune faille dans l’art littéraire soit à incriminer, bien au contraire, sans quoi le récit ne m'aurait pas si puissamment impressionnée. Il n’y a d’autre raison à ma lecture interrompue que mon exécration de la réalité.

Le volume a bien vite sa place dans la boîte à livres. Un autre issu du même endroit a été commencé depuis – mais c'est une autre histoire!

 

 

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17 mars 2024 7 17 /03 /mars /2024 12:08

Je ne m'étais pas rendu compte que trois mois avaient passé depuis mon dernier passage ici. Oh, bien souvent des textes se sont ébauchés en pensée et plus d'une fois j'ai cru qu'une petite brève, sinon une chronique, prenait forme et puis très vite ce qui s'esquissait était jeté. Boule de papier mentalement froissée et lancée à la corbeille...  Malgré les frêles éclats de lumière (deux ou trois mots qui faisaient sens, une phrase bien-sonnante, un court paragraphe en étroite adéquation avec une sensation fugitive...) je n'avais avant aujourd'hui jamais pris la peine de remettre ces éclats bruts sur le métier pour les tailler à facettes. Je les ai tous laissés en état de s'éteindre puis de disparaître. Tant pis.
Je reviens aux mots par les livres, ce n'est pas un hasard!

© Photo : Yza R., juillet 2021. Là, pas là…

Des boîtes à livres

Mes étagères regorgent de livres non lus. Beaucoup sont là depuis plus de vingt ans, acquis sous le coup d’une intention estudiantine (par exemple approfondir mes connaissances en littérature et civilisation médiévales, m’initier à la grammaire du moyen français…) à laquelle je n’ai jamais donné suite, ou bien parce que j’avais aperçu du coin de l’œil une allusion, un renvoi à l’un d’eux au détour d’une lecture et que je m’étais sur le moment promis d’emprunter ce chemin adventice dès la dernière page tournée de l’«ouvrage premier», mais chemin laissé pour compte par la suite – ne subsiste alors de cette promesse faite à moi-même qu’un volume rangé avec soin «en attente». «En attente» comme si l’avenir devait être sinon infini du moins assez large pour qu’aboutissent peu à peu toutes ces intentions abandonnées au fil des ans et ressuscitées ici ou là, au gré de telle ou telle «synchronicité» ramenant à la surface le souvenir d’un désir, d’une aspiration… et de son abandon – comme si je ne devais jamais mourir, ni me lasser de vivre et encore moins, à court terme, me trouver assez diminuée cérébralement pour n’être plus capable de penser. Et pourtant ! à soixante ans c’est bien à cela que je devrais songer. À cet âge où l’on est vieux déjà, s’imaginer pouvoir progresser, s’améliorer à quelque égard, voire échafauder un «projet de vie»… n’est-ce pas ridicule? surtout si la perspective de mélioration implique une vue «à longue échéance», et que l’on néglige les facteurs extérieurs d’empêchement. Car pour avoir une vue juste de l’à-venir, il faut avoir présente à l’esprit la probabilité de plus en plus proche de ses propres diminutions et racornissements et être pleinement conscient de ce dont le monde peut vous accabler – les guerres, les catastrophes, les épidémies… bref tout ce qui peut être versé de désastreux et destructeur au «cours des choses».

Il n’empêche: du temps que Pierre-Guillaume de Roux avait les bureaux de sa maison d’édition rue de Richelieu j’avais déjà pour habitude, chaque fois qu’il m’avait fixé un rendez-vous (oui, chaque fois, dussè-je être un peu en retard sur l’horaire prévu), de ralentir le pas devant la librairie Delamain. La vitrine exposant les ouvrages anciens disponibles à la vente me ferrait comme un aimant. Ainsi que les bacs extérieurs, qui font à la librairie une extension de choix aux mois d’été, où sont regroupés ouvrages de seconde main et livres neufs «à prix réduits» (quelle mine, comment n'y point laisser courir la main toute prête à saisir l'opportunité inratable!). Les «nouveautés» avaient aussi leurs attraits et, un temps, j’eus même une carte de fidélité, laquelle fut remplie à plusieurs reprises, avec à la clef une remise qui achevait de me pousser à l’achat. Combien de livres ai-je emportés sous l’impulsion de la «trouvaille»! Tous n’ont pas été lus depuis et ont augmenté la population d’ouvrages en attente. Et bien qu’il y ait désormais presque cinq ans que je ne me rends plus rue de Richelieu je continue de fréquenter avec assiduité les sites de livres anciens, pas toujours pour une recherche précise mais pour le seul goût de la sérendipité…

Comme si cela ne suffisait pas, je suis devenue en l’espace de deux ou trois ans, une maniaque des «boîtes à livres» – ces dispositifs qui se multiplient jusque dans les villages permettant de déposer commodément les livres dont on souhaite se séparer pour en prendre d’autres en échange mais qui, hélas, ne sont pas tous assez bien conçus pour protéger efficacement ce qu’on leur confie: beaucoup de ces «boîtes» sont réduites à de simples étagères ouvertes à tous les vents, averses comprises, ruinant ainsi à la moindre intempérie leur contenu… Maniaque, donc: je m’arrête avec une constance irrépressible devant chacune de ces mini-bibliothèques que je rencontre pour peu qu’elle soit assez fermée pour être protectrice. J’y ai déposé nombre de volumes auxquels je n’étais pas trop attachée et dont je savais que je ne les relirai pas. Mais je dois avouer qu’en nombre, j’ai emporté bien davantage d’ouvrages que je n’en ai déposé… Et combien de pépites! par exemple ces trois volumes reliés du Théâtre complet de Shakespeare, traduction de François-Victor Hugo, édition Garnier-Flammarion… Les trois volumes ensemble! dans la même boîte, en «état d’usage» mais sans lésion dommageable ni annotations surabondantes susceptibles de gêner la lecture! Irrésistible: à peine aperçus ils m’ont arrêtée; juste le temps de les prendre en main l’un après l’autre, de les feuilleter rapidement et ils furent embarqués sans autre forme de remords bien que je n'aie rien eu à offrir en contrepartie. Mais un peu plus tard, dans une autre boîte similaire qui a récemment fleuri au pied de mon immeuble, je déposai avec une pensée reconnaissante pour mon donateur anonyme et de hasard, les deux ou trois pièces shakespeariennes pareillement publiées par Garnier-Flammarion, en volumes isolés, qui trônaient dans la bibliothèque.

Ma provision de lecture est déjà imposante – mais il m’est toujours impossible de rester indifférente aux «boîtes à livres». Tout autant qu’aux rayons, physiques ou en ligne, des librairies d’anciens. Comme si je devais avoir mille vies de lectrice. Un fantasme bien sot, mais fi de la sottise... Rêver de l’impossible aide à rester debout quand les tempêtes intérieures font rage – et que l’on sent devoir éviter de trop se demander «à quoi bon vouloir rester debout».

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31 décembre 2023 7 31 /12 /décembre /2023 11:32

... qu'il en serait presque une mise au tombeau. Car de ce réveil imaginé le 12 septembre dernier à la faveur d'un livre lu, sitôt aimé et accompagné de foultitudes de notes jetées çà et là en cours de lecture puisque je prévoyais, en croyant dur comme fer la chose possible, de rédiger ici une chronique (et non sur k-libre car l'ouvrage en question, À la mesure de nos silences, ne relevait plus assez de l'actualité) au point que je notais en bas de page un [à suivre] - de ce réveil, donc, il n'y eut rien. Le [à suivre] demeura sans suite, le roman de Sophie Loubière sur mon bureau bien en évidence avec les paperolles de notes le garnissant comme si, demain - au pire après-demain ou le surlendemain - j'allais enfin «m'y mettre»,  et ces Terres restèrent désertes. Plus RIEN!

Puis vint le deuil – mon père partait subitement en octobre, lui le dernier pilier du quatuor d'amour total et indéfectible que formaient depuis ma naissance mes parents et les parents de mon père, m'entourant d'un cocon douillet, protecteur, à l'épreuve de toutes les balles de la vie et dont j'ai profité de manière éhontée (sans jamais les remercier de l'amour qu'ils étaient en droit d'espérer), au point de n'avoir pas vraiment franchi le pas de l'âge adulte à 60 ans d'âge biologique. Une vieille petite chose ratatinée sur ses échecs, ses intentions avortées, ses exécrations rancies et autres ressassements fétides, qui continue à formuler des intentions et des rêveries en sachant fort bien qu'elle ne fera rien pour les accomplir, les vivre, avant de mourir et qui de là n'en est que plus aigrie: voilà le portrait en pied de ce «moi haïssable»... que je découvre nument maintenant que je suis orpheline et à force d’introspections (expéditions spéléologiques de plus en plus fréquentes, prenantes, obnubilantes), sans plus aucun bouclier pour me protéger – je veux dire, sans plus personne pour supporter mes lamentations et tout me pardonner. La vie est exécrable dès lors qu’on fait tout pour la rendre telle.

C'est aujourd'hui me dernier jour de l'année 2023. Je n'ai jamais tenu pour fondamentales ces dates-jalons dont on borne le cours du Temps (anniversaires, premiers et/ou derniers jours de...) histoire de s'imaginer avoir vue sur lui alors qu'il s'écoule, têtu et aveugle, sans que l'on y puisse rien, indifférent à nos décomptes ridicules – ridicules car emplis de la présomption qu'on peut contrôler quelque chose de ce Temps alors qu'il est seul maître à bord, consumant tout sur son passage quoi qu'on fasse ou pense. Pourtant, je suis encore assez imprégnée de ces habitudes mentales bien que je les sache hochets stupides pour me pousser à écrire tout spécialement pour «ce jour-là». En ce dimanche 31 décembre, je ne me prépare pas à «fêter l'an nouveau» – comment le fêter avant même son aurore alors qu'il peut s'avérer d'une noirceur abominable... non, je porte le deuil de l'année bientôt finie, comme chaque soir je porte le deuil du jour achevé en me disant que venait de passer autant de temps qu'il fallait ôter à mon solde vital. Mais une fois de plus et sans escompter de véritable reprise, c’est en ce 31 décembre que je travaille à laisser une nouvelle trace ici. À quand la prochaine…

 

© Photo: Yza R., 2019. Ci-gît l’année finie.

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12 septembre 2023 2 12 /09 /septembre /2023 14:11

Parfois, sans que rien se soit produit d'identifiable qui fût de nature à passer l'âme au noir de fumée, l'on se retrouve jeté dans un boyau sombre empuanti de moisissures... On vient d'entrer dans un long tunnel dont on n'entrevoit pas l'issue et, dès lors, chaque matin ressemblera à un pensum: l'on se réveille avec au fond de soi comme un sanglot coincé, une masse de ouate dans la tête qui fait obstacle à toute pensée et ne laisse subsister de cérébral que ce qui est de l'ordre du réflexe. Au physique, on est aussi ratatiné qu’un vieux cep tordu, desséché à force d’avoir rôti au soleil… L'on est enfoui dans ces sensations poisseuses comme dans un cocon qu'une armée d'araignées aurait tissé pendant des siècles. L'on s'éteint là à petite vitesse, ne pensant plus à rien autre qu'à son petit confort et à la satisfaction de ses besoins physiologiques, heureux simplement de ne souffrir de rien et de sentir son corps flexible, réactif – qui ne traîne pas la patte ni ne renâcle aux commandements du cerveau. Et à force, si l'on n'y prend garde, on atteint le niveau ultime du rétrécissement mental, celui de non-retour où l'on se résume à un point infinitésimal.

Telle est l'humeur joyeuse qui fut la mienne ces dernières semaines – je traversais un de ces longs tunnels aranéeux que mes états d'âme connaissent bien pour y macérer souvent et dont je sais, par habitude, que je finis par sortir avant de m'être racornie tout à fait... Un moment arrive, tôt ou tard, où ma léthargie vole en éclats au contact d'une de ces infimités qui pullulent en continu et auxquelles, quand on est normalement éveillé, on est infiniment sensible… un insecte en train de butiner. Un air à la radio qui accroche l'oreille. Ou encore un mot inconnu lu au détour d’un texte: poussée vers le dictionnaire pour en découvrir le sens, l'étymologie, l'évolution, je réalise que je ne suis pas si éteinte puisque je jubile d’avoir ressenti le désir d’en savoir plus et une joie intense d’avoir trouvé réponse à mon interrogation.

Une seule étincelle de cette sorte et me voilà rassurée: je ne suis pas irréversiblement ratatinée. Petit retour sur la plus récente...

Arrive la dernière semaine d'août. Cela fait plus d'un mois que je n’ai pas écrit. Ni ici ni ailleurs, pas même une de ces petites dépêches pour k-libre qui me maintiennent dans un état de lucidité scripturale à peu près satisfaisante car, sans requérir un registre de langue particulièrement soutenu – on n'écrit pas une dépêche informative le petit doigt en l'air et l'imparfait du subjonctif à la boutonnière – elles exigent du soin tout de même dans le choix des mots, de l’attention, de la réactivité, et surtout cette minuscule aiguille d’enthousiasme qui convainc dans la seconde suivant un constat que l’info aperçue doit absolument être partagée. Cette «minuscule aiguille d'enthousiasme» qui est justement l’une des premières choses à disparaître quand je déprime... Et il y a bien plus longtemps encore que je n’ai plus photographié. Je n'évoluais plus qu'à la surface de l'existence, confinant celle-ci aux soins domestiques et au maintien d'un confort physique minimal.

Tout ce dont j'aurais pu dire qu'il relevait de la «nécessité intérieure» était enseveli sous la cendre et rien n’était plus sorti de cette cinérarité généralisée quand, à la faveur d’une balade boulevard Mainiol à Gourdon – une balade au pas de charge, yeux rivés au sol et pensées verrouillées sur l’effort que je voulais optimiser – un panneau à l’extérieur de la librairie Des livres et vous a percé contre toute attente l’épaisse paroi derrière laquelle je me pensais emmurée vive (auto-emmurée pour être juste). Y était affichée l’annonce de la prochaine venue d’une autrice dont le nom m’était familier pour l’avoir bien souvent croisé lors de mes contributions au fil d’actualité de k-libre (mais sans que j’aie encore rien lu d’elle): Sophie Loubière. Ce nom à l’extrême périphérie d’un champ visuel dont j’avais délibérément limité l’étendue a suffi pour couper court à mes pas. Je fais halte et prends le temps de lire toute l’affichette. Deux dates, les 15 et 16 septembre; deux lieux, la bibliothèque municipale et la librairie devant laquelle je suis à l’arrêt, un titre de livre enfin, À la mesure de nos silences.

«Il faut absolument rédiger une dépêche!» ai-je aussitôt pensé et, dès lors, cette intention occulta tout sur son passage! Elle s’imposa ainsi jusqu’à ce que j’aie l’accord de Julien V. pour la rédaction du billet qui, ainsi, fut mis en ligne le 7 septembre. Une intention moins anodine qu’il n’y paraît: elle témoigne d’abord qu’en dépit de mes incapacités répétées de rédiger une chronique décente, rien de ce qui pouvait intéresser k-libre ne m’était devenu indifférent. Ensuite, elle m’a amenée à l’intérieur de la librairie pour questionner un peu le libraire sur la rencontre à venir – je retrouvai un comportement de chroniqueuse curieuse, c’était donc un peu de vie qui brasillait de nouveau – et, enfin, m'a incitée à acheter le roman et à le lire… Ma curiosité poursuivait son chemin, se déployait au-delà du seul accroc au regard: le peu-de-vie brasillant devenait flammèche. Je cessais de tâtonner dans la nuit – le long tunnel obscur se moirait de clartés...

J’ai acheté À la mesure de nos silences toutes ailes dehors – je veux dire avec, à son endroit, une totale liberté: ne l’ayant pas reçu en service de presse, je ne lui dois rien; qu’il me séduise ou pas, peu importe que je ne trouve pas les mots pour l’évoquer, je n’éprouverais aucune culpabilité de n'en rien écrire.
Mais voilà... à peine lues les premières pages, l’écriture me subjuguait déjà  – non, non... le mot n’est pas trop fort: ces «premières pages» ont été l'ancre qui a durablement amarré mon attention dans les profondeurs du texte, dans son intimité... en lisant je retrouvais goût à cette façon singulière de «lire dans les recoins» qui est celle de la chroniqueuse mais aussi, à quelques variantes près, de la correctrice (saurai-je lire tout à fait autrement?) Ce roman m’a réconciliée avec cette lecture-là, avec la lecture tout court et, par là, je peux dire sans détour que je lui dois les prémices d’une résurrection intérieure.

[à suivre...]

 

 

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13 août 2023 7 13 /08 /août /2023 16:59

Le 6 juillet 2023 il a fallu t’endormir définitivement, un mois jour pour jour après une seconde opération dont tu avais in fine bien récupéré malgré un probable AVC postopératoire et donc une convalescence moins rapide qu’en décembre quand il avait fallu, par une première intervention, t’enlever une tumeur mammaire qui s’avéra être un carcinome «très agressif de grade 2». Cette seconde opération fut la dernière étape d’un long parcours thérapeutique, initié voici quelque dix-huit mois après que l’on eut découvert des ganglions intestinaux. Un lymphome de bas grade doublé d'une hyperthyroïdie ancienne et d'une fragilité rénale tout aussi ancienne, toutes deux bien contrôlées grâce à des médicaments que tu prenais, ma foi, sans trop d'encombres… Ce fut alors le début d’un traitement alourdi, sans cesse ajusté car ponctué d’examens réguliers et fréquents, d’une surveillance quotidienne de ton appétit, de ton comportement général – d'une vigilance extrême de tous les instants. Ô combien d’alarmes au vu d’une diarrhée, d’un refus de nourriture, d’un rejet alimentaire! aussitôt ton vétérinaire en était informé qui à distance me conseillait sur la conduite à tenir… et jusqu’à ce fatal 6 juillet, toujours une parade était trouvée.
Mais là non. Je m’étais pourtant levée rassurée ce matin-là en constatant que tu avais mangé dans la nuit ta ration de croquettes et je t’avais administré tes médicaments comme d’habitude, en pensant déjà au bilan encourageant que j’allais communiquer à ton vétérinaire lors du prochain rendez-vous – le 10 juillet – qui devait permettre d’organiser ton séjour lotois et l'aménagement du suivi pour l’été. Une heure plus tard je te trouve allongée sur le flanc, bavant et suffoquant. Aussitôt je t’amène à la clinique où l’on te garde en observation. Et à midi, le diagnostic tombe: une masse de 2 centimètres s’est développée en haut de l’œsophage qui comprime la trachée et t’empêche de respirer. L’on t’a mise sous oxygène en t’administrant un antidouleur afin de te soulager. Mais cette masse n’est ni opérable, ni curable – une fois l’effet de l’antidouleur estompé et l’assistance respiratoire supprimée, tu recommenceras à suffoquer, à baver – à souffrir le martyre. Donc pas question de te ramener à la maison: cela reviendrait à te laisser agoniser dans la douleur. Il faut t’euthanasier. Un rendez-vous est fixé dans l’après-midi. Une longue demi-heure d’explications dans une salle de consultation à l’étage, où je vais pouvoir rester avec toi pendant que l’on prépare les produits nécessaires au protocole d’euthanasie. On part te chercher au chenil et tu arrives dans les bras d’une infirmière enveloppée d’un plaid bleu ciel, si voluptueux qu’il m’évoque un nuage; elle te pose sur la table d’examen avec une infinie douceur, s’éclipse sans un bruit, m’adressant juste un petit mot plein de gentillesse qu’elle chuchote. Tu halètes, cherches ton souffle… et sembles complètement rencognée dans ta souffrance car tu ne marques aucune réaction à mes caresses, à aucun moment tu ne me regarderas ni ne tendras la patte vers moi comme tu avais coutume de le faire lorsque tu venais te blottir dans mes bras, tel le nouveau-né serré contre sa mère et qui tend la main vers son visage (une posture qui a très tôt été la tienne, que tu as gardée jusqu’au bout et qui n’appartenait qu’à toi car je ne l’ai, jusqu’à présent, rencontrée chez aucun de mes félins). Je reste là à te cajoler, en murmurant des minauderies que je sais ridicules («ma bichoune», «ma petite bichounette», «ma pauvre petite Mélithys»…) mais sans pouvoir m’empêcher de les répéter en litanie, comme si elles pouvaient rendre plus doux encore le plaid-nuage.
Arrive le moment. Le vétérinaire m’explique qu'il va procéder en deux temps. Une première injection pour t’endormir profondément – l’effet est quasi instantané: tu cesses de haleter, ta respiration devient régulière et lente, par instants tes pattes frémissent, et aussi tes moustaches. «Elle rêve…» me dit le vétérinaire à voix basse. Un sommeil qui a l’air normal… Mais il faut maintenant aller au terme du processus – une seconde injection, lorsque la sédation sera estimée assez profonde, va arrêter ton cœur. Peut-être s’est-il écoulé une dizaine de minutes avant que le vétérinaire me demande «on y va?». Ce fut un «oui» bien difficile à articuler mais comment attendre davantage… et dès que la seringue fut vide, tout ton corps s'affaissa dans une tranquille immobilité. Tu avais cessé de vivre. Je passai encore presque une heure avec toi figée quiètement dans ton plaid-nuage, à te parler en te cajolant comme si tu étais toujours là. L’on m’apporta des papiers à remplir, puis l’on t’emmena hors de la pièce aussi précautionneusement qu’on t’y avait amenée, lovée dans ton nuage de tissu, en me disant «on va bien s’occuper d’elle». Étant donné la délicatesse des gestes dont tu as été entourée de bout en bout, je n’avais aucun doute sur ce point: même morte tu allais être traitée avec beaucoup d’égards.

C’était il y a plus de cinq semaines. J’avais été plus rapide à écrire la nécrologie de Nyssiah, de Mysstykk, de Sweetie… seulement, aujourd’hui, je ne sais plus comment ajuster les mots, les phrases, aux mouvements de mon esprit et de mon âme – je ne sais plus écrire! est-ce temporaire ou une aridification définitive… je ne sais mais quoi que vaillent ces lignes, je ne pouvais te laisser sans une épître d’adieu.

Maintenant que la voilà faite, je peux y ajouter cette longue ressouvenance par laquelle j’avais commencé, que je laisse dans son état d’inachèvement…

Mélithys…
Ton nom m’est venu comme une révélation; au lever, un matin j’ai eu ces syllabes en tête et j’ai su que tel serait ton nom. Lorsque tu es née il y avait dix autres chatons avec toi – Mysstykk, Sweetie et Nyssiah avaient mis bas quasi en même temps. Je savais que l’un d’eux resterait à la maison, mais comment choisir… Onze chatons et trois mères allaitantes dans un appartement, cela exige un entretien colossal, et empêche de consacrer à chaque petit assez de temps d’observation pour sentir chez lui tel ou tel trait de comportement qui fera chavirer la décision. Je me laissai donc guider par le pelage – mais par le sexe d’abord : je voulais une femelle de façon à ce que la lignée puisse se perpétuer une fois que Mysstykk, puis Sweetie et Nyssiah seraient stérilisées – par ordre d’ancienneté – en décidant de garder celle des chatonnes qui aurait une robe différente de mes trois chattes (toutes étaient noir et blanc mais les deux couleurs en des proportions très dissemblables) et qui, aussi, serait à mes yeux peu banale. Il y avait des chatons noir et blanc, des tigrés noir sur fond gris… et deux offraient un aspect que je trouvais assez singulier: toi, et une de tes sœurs – deux petites chattes donc : mon choix se ferait entre vous. Dominante de blanc, avec pour l’une des taches gris pâle – un gris d’une étonnante tonalité rosée, presque mauve, d’une infinie délicatesse – striées de gris plus foncé mais de cette même tonalité délicate et, pour l’autre (toi), de larges plages d’un gris plus classique où l’on entrevoyait un sous-poil roux, rayées de noir, une queue particulièrement fournie tout annelée de noir… et une truffe rose foncé avec des pointes gris foncé. Peut-être avais-tu déjà un caractère bien affirmé tandis que ta sœur semblait plus effacée, plus craintive? Je ne me souviens pas vraiment – mais je sais que très vite je l’avais baptisée intérieurement (sans jamais faire usage de ce nom puisque je n’étais pas certaine de la garder elle) Fleur-de-Gris tant elle m’évoquait, par son pelage, son comportement, ses grands yeux où je lisais de la timidité, la grâce fragile d’un pétale. Mon cœur balançait entre vous deux, je ne parvenais pas à choisir – la solution eût été de vous garder toutes les deux mais cela eût porté à cinq le nombre de félins dans un appartement: ce n’était pas raisonnable et, raisonnable, il faut bien l’être de temps en temps. Je m’en remis donc au sort… Lorsque venaient à la maison les personnes souhaitant adopter un de mes chatons, je disais toujours que vous étiez «déjà réservées». Et quand il ne resta plus que vous à n’être pas adoptées je n’avais toujours pas décidé qui resterait avec moi. Enfin si, un peu quand même: insensiblement, j’avais fini par pencher pour toi – la raison m’échappe – mais sans oser aller jusqu’à l’arrêt sans appel; aussi ai-je attendu que les derniers adoptants – un couple avec une petite fille d’une dizaine d’années – m’aient signifié leur choix. Le jour convenu pour la visite, je vous présentai toi et ta sœur, en glissant peut-être (mais je n’en suis pas si sûre) dans mes commentaires deux ou trois éléments susceptibles d’infléchir leur décision. Et, de fait, la petite fille jeta son dévolu sur ta sœur… en proclamant qu’elle l’appellerait Tartine (ou Galipette, peut-être?). Ainsi les dés furent-ils jetés – sur lesquels, me semble-t-il, j’avais un peu soufflé avant que la main du Destin fasse son office. Cependant, tu n’avais pas de nom. Mais tu n’en fus pas longtemps dépourvue… peu après cet arrêt du sort, je me levai un matin avec en tête «Mélithys», un mélange de Mélite (une pièce de Corneille que pourtant je n’avais pas lue ni vue représentée et dont je ne savais rien autre que le titre – et que je ne connais toujours pas à presque vingt ans de distance!), d’améthyste, de mellifère peut-être aussi? Bref, j’ignore quelles curieuses transmutations se sont opérées dans mon esprit, athanor parfois fantasque, et à partir de quels métaux premiers, mais toujours est-il que tu fus ainsi baptisée: Mélithys.
À fur et mesure que tu grandissais, des singularités sont apparues; la couleur de tes yeux, désertant peu à peu le vert de ceux de ta mère Mysstykk, s’est arrêtée sur un gris incertain qui gardait ainsi comme une trace fantôme du bleu myosotis de ceux de ton père, Bambi – un croisé siamois tigré beige et sable négligé par ses propriétaires et qui trouvait refuge à la Croix de Pierre, qui t’a en outre légué l’aspect fourni et annelé de sa queue. Une queue que tu tiendras jusqu’à tes derniers jours de manière très caractéristique quand tu te déplaçais – un peu plus haut que l’horizontale, avec l’extrémité légèrement repliée. Ta démarche aussi, légèrement dandinante, dès l’enfance un peu lourde – toujours une patte arrière était à la traîne quand tu sautais sur la table ou sur quelque autre point élevé – et, en vieillissant, demeurée pesante et déhanchée, avec quelques signes d’arthrose. Ce qui ralentissait assez tes esquives pour que je puisse t’immobiliser quand il fallait te donner les médicaments – et ce qui était sans doute un handicap pour toi me facilitait bien la vie, il me faut l’avouer…

************************************************************

Post-scriptum
Cette nécroféline serait bien incomplète si je n'adressais pas de chaleureux remerciements à toute l'équipe de la clinique vétérinaire du Mesly, à Créteil. Et plus particulièrement au Dr Stofleth, mon vétérinaire référent, qui a si bien accompagné Mélithys. Tout le monde a été aux petits soins pour elle, je ne crois pas qu'elle aurait pu être en de meilleures mains.

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  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui

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