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14 juillet 2010 3 14 /07 /juillet /2010 12:42

Il y a toujours, entre le vécu d’un écrivain et le contenu de son œuvre – fût-elle ouvertement autobiographique – un écart creusé par le travail d’écriture. Un écart plus ou moins grand, que beaucoup d’auteurs ne cherchent guère à mesurer. D’autres en revanche, quelque difficulté qu’ils aient d’abord à parler de manière analytique du dernier livre qu’ils ont écrit, s’efforcent de cerner la distance qui sépare leur expérience de leur texte. François Emmanuel est de ceux-là qui, sollicités, tâchent de décrypter à l’intention des esprits curieux leur façon d’écrire. Ce décryptage a été l’objet de quatre conférences qu’il a prononcées en 2007 à la chaire de poétique de la Faculté de philosophie et lettres de l’université catholique de Louvain, publiées ensuite aux éditions Lansman sous le titre Les Voix et les ombres.

Parmi les divers aspects de la genèse de ses livres, il aborde au cours de la dernière de ces conférences la question des rapports que nouent dans [sa] propre existence le roman et la psychothérapie question qui lui a maintes fois été posée puisque, écrivain, il est également psychothérapeute et qu’il a souvent convoqué dans ses œuvres les figures de la folie ou du trouble mental. Après avoir posé clairement ce qu’exige de lui d’une part le roman, et d’autre part la séance de thérapie, il peut ainsi répondre que ce sont des activités profondément différentes. […] qui ne communiquent qu’au travers de filtres tellement distinctifs qu’il n’est pas faux d’affirmer qu’elles n’ont rien à voir l’une avec l’autre – si même elles peuvent parfois offrir l’une à l’autre une résonance.


Patients et lecteurs ne rencontrent donc pas la même personne. Les seconds, à moins de compter aussi au nombre des patients, ne connaîtront jamais de François Emmanuel, à travers lectures et rencontres, que son "être littéraire". Une connaissance qui, pour moi, tient encore de l’approche – je suis loin d’avoir lu tous ses livres.
Je me souviens de ma toute première découverte, Le Vent dans la maison…  J’ai très vite aimé, avant d’être subjuguée, ses phrases peu narratives qui enlacent, coulent, louvoient et s’étirent en longues énumérations où les mots se juxtaposent sur plusieurs lignes tandis qu’ailleurs elles se réduiront à un seul mot et se plairont aux élisions. Phrases-rythme, phrases-souffle qui portent le sens comme le vent les oiseaux, négligeant souvent les trop fortes articulations logiques de la langue au profit de sa musicalité.

Elles respirent. Souffle et vie – âme.


Nous nous sommes rencontrés quelquefois – pour une interview, à titre amical autour d’un café, dans le cadre de soirées-lecture – et à chaque fois je retirais de ces moments d’échange des impressions profondes, indéfinissables cependant, analogues à celles que me laissaient en alluvions ses textes. Ces impressions ont fini par cristalliser en ces quelques notes filées, frêles tentatives essayant de mettre en mots ce que je crois percevoir de "l’être littéraire" de François Emmanuel…
Autant sa poignée de main est ferme, et d’une franchise rayonnante son sourire, autant sa voix, un peu grenue, est douce, pastel et sablonneuse. Son débit posé et sans accident, qui marque peu les intonations – s’infléchissant à peine aux points finaux, ne se relevant guère plus aux points d’interrogations – rappelle celui d’un fleuve aux flancs larges dont le cours tranquille et puissant charrie sans troubles les navires. C’est une voix qui pousse les mots sans heurts et sans bruit – étale.
Il arrive qu’une phrase s‘interrompe en cours d’énonciation. Un silence suit qui se prolonge en une infinité de points de suspension et la voix comme la pensée paraissent s’absenter tandis que les yeux se détournent, au loin, vers un horizon qu’il est le seul à apercevoir. Puis il reprend le fil de la conversation, revient au monde comme rappelé par un gong. Souvent au détour des mots il rit – et rien n’est émouvant comme ces rires effleurés, pastels eux aussi. Mais à aucun moment ces retraits et silences, ces coups d’estompe sur certains mots n’affectent le sens ni la clarté des propos – rien ne demeure abscons d’une argumentation ou d’une explication; tout s’entend parfaitement, et même, en creux dans ces "absences" justement, résonnent ces infimes suppléments signifiants qu’éteignent les discours trop explicatifs, trop pédagogiques. Sa parole est similaire à son écriture: rythme et respiration y sont pareillement importants. À condition de savoir tendre l’oreille – et l’ouïe de l’œil quand on le lit.


Par sa voix autant que par son regard, ses gestes ou ses postures, François Emmanuel a la présence poète, à la fois évanescente et dense, insaisissable et prégnante.
Il est poète.
Je ne vois pas comment dire autrement ce que j’ai perçu de son "être littéraire".

 

Dordogne_Etre-litteraire.jpg

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15 juillet 2009 3 15 /07 /juillet /2009 17:32
J'ai franchi le seuil de l'univers de Pascal Garnier en ouvrant Comment va la douleur? Et depuis, je lis ses livres au fur et à mesure de leur publication. La Théorie du panda, Lune captive dans un oeil mort, la sortie au Livre de Poche des Hauts du bas puis, dernièrement, la réédition, chez Zulma, de L'A26... D'un roman l'autre j'ai retrouvé, nuancés par les exigences propres à chaque oeuvre, une écriture à la fois épurée et riche en formules imagées, des personnages pathétiques quand ils ne sont pas pitoyables mais invariablement attachants jusque dans leurs perversions, des histoires échappant à la banalité alors même qu'elles sont ancrées dans un quotidien ordinaire confinant souvent au sordide... Se mêlent toujours, à la lecture, le plaisir purement littéraire que procure son style très affirmé et l'émotion profonde, mal définissable cependant, qu'éveillent les désespérances qu'il dépeint - une noirceur qu’il sait alléger tout en la densifiant grâce au tact avec lequel il instille dans son texte cet humour que l'on dit "noir".

Le 17 février dernier m’était proposé de rencontrer Pascal Garnier pour une interview; rendez-vous fut pris au Train Bleu, le fameux café-restaurant de la gare de Lyon. Connaissant fort mal la topographie des lieux, je m’étais satisfaite d’indications sommaires - l’heure, et ce nom, Le Train Bleu - pensant qu’elles suffiraient. Une fois sur place, je me trouvai fort embarrassée de ce qu'il y avait deux niveaux. Où m'attendait donc l'écrivain? Heureusement, nous étions l’un et l’autre équipés de téléphones portables… mais les choses n’en furent pas facilitées pour autant: je n’entendais rien de ce que m’expliquait Pascal Garnier de l’autre côté du petit boîtier de plastique plein de touches tassées en rangs serrés que je collais à mon oreille. Confuse d’être aussi piètre correspondante, haïssant in petto ce maudit engin que je manipule avec tant de maladresse, je songeai que l’entretien s’engageait mal… Lorsqu’à mes excuses balbutiées le romancier me répondit en riant qu’il n’aimait pas les téléphones mobiles - bien sûr, c’est utile, pour confirmer des rendez-vous, ou dire à ma femme que je suis bien arrivé. Mais quand ça se met à sonner, ça me fait des frissons partout, et puis c’est comme une bête morte au fond de ma poche… - je me sentis un peu rassurée de ce que nous partagions une exécration commune... S’en suivirent deux grandes heures de conversation qui tinrent davantage de l’échange amical que de l’interview professionnelle. Cinq mois plus tard, j’en vagabonde encore, entre gares et voyages, vieux Paris et rengaines de rue…

Passant d'abord par la gare (autrement dit toutes les gares)... 
qui, fatalement, exerce sur les âmes enclines à la rêverie ou bien mélancoliques et un peu lasses, une fascination hypnotique, invasive, tournant vite à l’humeur nébuleuse. Quelles que soient l’architecture et l’histoire de l'endroit considéré, toujours s'y nouent d’étonnants jeux de lignes - rails, caténaires, quais, marquises, piliers, réverbères… Sans discontinuer les gens s’y croisent - les partants, les arrivants, les accompagnateurs qui, eux, ne seront pas du voyage : lignes encore. Une gare est métaphore de la vie, du temps que l’on passe sur Terre - on y transite sans s’y arrêter, sauf à être perdu, sans toit, et mieux au chaud tout près des évasions d’autrui qu’en un quelconque recoin de rue. La propension au voyage serait-elle contagieuse au point qu’un peu des partances de chacun se dépose dans le cœur de ceux qui restent et les réconforte? Une gare n’est jamais en repos; les minutes s’y talonnent plus vivement qu’ailleurs ; non que leur durée perde en secondes mais leur implacable écoulement s'y voit là plus crûment qui froisse sans cesse la surface mobile du tableau des arrivées et des départs.
La gare, confluent d'existences, est un peu la version mouvante du bistrot, lequel serait à la gare ce que le port est à l'océan. Tous lieux pourvoyeurs d'histoires, de fantasmes et de destinées - riches mines pour un romancier. Je ne crois pas cependant que ce soit cela, ni le nomadisme passé de Pascal Garnier qui m'ait conduite à errer ainsi en gare. Ces quelques lignes ont plutôt leur source dans ce long regard un peu désabusé qu’à un moment il tourna vers la vaste baie vitrée à côté de laquelle nous nous étions installés, s’attardant à contempler le paysage urbain qui s’y encadrait et la foule de gens qui se pressaient en contrebas, sur le parvis…
Jadis voyageur perpétuel maintenant sédentarisé dans la Drôme, natif de Paris, il ne se déplace plus guère que pour des raisons professionnelles. Je n’ai pas vraiment le temps de faire du tourisme. Mais J’aime bien revenir à Paris. C’est le côté cœur… comme si je retrouvais une vieille maîtresse. Elle a beaucoup changé, mais elle est restée belle… dit-il tandis qu’au-delà de la vitre se poursuit le ballet pressé des voyageurs et des véhicules encombrant les rues… Il me semble que dans la conjonction de ce regard et de ces mots prononcés comme dans un demi-rêve s’est révélé quelque chose d’essentiel qui lie indissolublement le ton de ses romans, son rapport à la vie et ce qui, dans une gare, invite à méditer.

pour ensuite se poser...
Le Train Bleu impressionne par son décor tout en dorures, ses lustres monumentaux, son mobilier cossu qui incite à baisser la voix - l’ambiance est en effet tranquille, feutrée malgré les va-et-vient. Le parquet porte beau encore en dépit des outrages que lui ont infligés les passages d’innombrables voyageurs halant derrière eux leur bagage : il subsiste de la noblesse dans ses lattes étroites disposées en chevrons et l’on a envie de ne marcher que sur la pointe des pieds pour ne pas l’abîmer davantage. Les banquettes de cuir rouge foncé sont profondes et basses ; çà et là l’usure a fané la couleur, érodé la peau luisante - tant de corps se sont posés là à la descente du train ou avant d’en attraper un au vol, pour boire, manger, attendre, espérer ou désespérer, conclure une affaire ou célébrer un événement… Hommes et femmes d’hier, d’avant-hier, d’aujourd’hui, pressés ou nonchalants, chaudement vêtus ou débraillés par les chaleurs estivales - toute une foule de vies qui ont dû laisser sur ces sièges de menues parcelles d’elles-mêmes tel un fleuve abandonnant au long de ses rives un peu des alluvions qu’il charrie.

le temps de croiser les mots.
Pascal  Garnier attablé devant un en-cas roboratif, compensant le petit-déjeuner qu’il n’a pas eu le temps de prendre et moi devant une théière fumante, le dialogue va son amble. L'on parle  de ses romans, de la manière dont il travaille, de sa peinture... de la vie aussi et de ses accidents, des détresses qu'il surmonte en empoignant une guitare électrique qu'il fait crier tant qu'elle le peut, des voyages qu'il n'a plus le goût d'accomplir - Le voyage, pour moi, ce n’est pas géographique, il me suffit de poser le pied sur mon paillasson et je suis en voyage… - sauf peut-être pour aller à Venise avec sa femme. A condition de prendre le train, et non l'avion. Et puis aussi du ciel, et des étoiles qui dans ses textes ont toujours une place de choix au fond des yeux de ses personnages, tantôt rideau bouffé aux mites, ou bien tissu de mensonges... - là où se cristallisent ces insolubles tourments existentiels que l'inoubliable Rita, dans La Théorie du panda, résume si bien :
Avant y a rien. Après, y a rien. Et entre, on se fait chier. Pourquoi? Pourquoi? 

Le regard franc et brillant derrrière les lunettes souvent se vaporise et part vers la fenêtre ou la ligne d'horizon que tracent les murs lourdement ornés du Train Bleu, comme rappelé au loin par de secrètes réminiscences dont on se doute qu'elles doivent jouer les phénix transfigurés dans les romans. Parfois la parole suit cette même direction buisonnière, s'éloigne du propos en cours - par exemple pour regretter l'époque pas si lointaine où il était encore possible de fumer dans les cafés et les restaurants. Appréciant tout au fond de moi de pouvoir désormais rester assise dans un bar sans en ressortir tout imprégnée de cette odeur tenace de tabac mal refroidi, je partage pourtant les regrets de mon interlocuteur ; qu'est-ce donc en effet qu'un fumeur en conversation privé de sa cigarette, de son cigare ou de sa bouffarde sinon un être amputé d'une partie de lui-même ? Il lui manque tout une gestuelle qui participe de sa personnalité autant que ses vêtements, sa voix, ses mimiques... et je ne parle pas de la superbe matière qu'offre au photographe le nimbe de fumée derrière lequel s'efface par intermittence le fumeur bouffée après bouffée. Côtoyer un adepte du tabac sans son apparat tabagique - le geste, la fumée, le briquet ou les allumettes, le cendrier cimetière-à-mégots... - reviendrait presque à contempler un portrait trafiqué, retouché. Heureusement les fonds d'âme ont cette force qui leur permet d'affleurer quand bien même leur est refusé l'un de leurs exutoires favoris.

Invisible arpenteur,
le temps a passé à notre insu, évanoui en... fumée - repas avalé, thé et pt'it noir bus, l'entretien doit prendre fin. Pascal Garnier rendosse son pardessus, remet sa casquette et saisit son sac. Il me semble sentir dans cette silhouette mince et sombre exhalant une étrange tristesse, alanguie mais dénuée de vraie morosité et pailletée d'éclats grinçants, les présences conjuguées de tous les protagonistes, principaux ou secondaires, que j'ai croisés dans ses romans. Sa casquette, sa voix, son accent gouailleur très "titi parisien" tempéré par d'infimes douceurs qu'il a pour prononcer certains mots m'emmènent, eux, vers un Paris d'autrefois incarné aussi bien par les photos de Robert Doisneau, les complaintes de Mouloudji ou Francis Lemarque, les poèmes de Prévert, Casque d'or - guinguettes, poètes-chanteurs, accordéon, refrains de rue, Apaches, mauvais garçons et "fortifs"... et brusquement, de toutes ces figures mêlées émerge celle de l'acteur Raymon Bussières - la casquette, et la gouaille, ce doit être ça...

Vint le moment d'échanger une ultime poignée de main,
avant d’emprunter chacun son chemin : lui a d’autres rendez-vous à honorer et je dois, de mon côté, assister à l’une des dernières répétitions publiques du Pas de l’homme au Théâtre du Lierre - une épopée poétique tâchant de raconter comment l’Homme, se frottant à l’aridité des déserts et aux puissances de la nature, s’est défait de sa sauvagerie pour la transfuser dans ses mythes. La distance est immense entre ce monde-là et l’univers que je quitte. Je me dis que la transition requiert un peu de marche, et je décide de rallier à pied la rue du Chevaleret, sous un ciel chargé de nuées grises que poussent par à-coups des bourrasques venteuses.
La rue du Chevaleret… Le Paris humble et populaire d’hier, tel un nageur épuisé tâchant de garder la tête hors de l’eau, y maintient encore quelques vestiges vétustes et écaillés au milieu des terrains boueux ceints de palissades derrière lesquelles s’affairent pelles mécaniques et bétonneuses - palissades branlantes et par endroits trouées, montrant gravats, excavations béantes, ébauches de murs hérissées de tiges rouillées. Dans le brouhaha tout d’un coup se distingue la rengaine d’un piano à bretelles - un accordéoniste se tient à l’entrée de la bouche de métro "Bibliothèque François-Mitterrand". Les notes perdurent et me suivent presque jusqu’à la porte du théâtre du Lierre, brodées au point de vent sur les bruits de chantier. Me reviennent à l'esprit en un chaos fugace, juste avant que je rejoigne les sables mythifères du Pas de l'homme, Raymond Bussières, Robert Doisneau, Prévert, Mouloudji, et Paris où y a la Seine... bref, tout ce qu'à l'entour de Pascal Garnier mon imagination a dessiné, à des années-lumière de cet univers que j'ai cru deviner sien à travers ses mots.

Je me dis alors que l’on rencontre moins les gens qu’on ne les rêve, et que l’on rêve autrui un peu comme on écrit sa part du roman que l'on est en train de lire, à l’encre de sa propre histoire - ce vieux fond inconscient où se tassent peurs, obsessions, et désirs, additionné des pigments du souvenir.



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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 15:24

Je rencontrai Michel Host pour la première fois sur les traces d'un Petit chat de neige voici un peu plus d'un an. Avant d’atteindre le chaton mignon, il semait sur son chemin une cinquantaine de petites proses narratives délicieuses, qui allient à la puissance de l’aphorisme la densité émotionnelle d’une nouvelle qui, dans sa brièveté, contient suffisamment de matière pour que le lecteur puisse tout de même se sentir pénétré d’un univers. Y sont épinglés avec malice et humour  mais sans concession les travers des hommes et les faillites des sociétés occidentales contemporaines. Ces textes pourtant ne relèvent pas de la satire à proprement parler : ce sont des historiettes-billets d’humeur admirablement épurées, ou bien des portraits taillés au plus juste pour qu’en soient bien accusées les imperfections.
Le recueil m’avait été envoyé par Alain Kewes, un éditeur dont je voudrais, au passage, saluer le travail ;  il édite à Auxerre sous le label Rhubarbe, histoire d’annoncer, sous l’égide de cette plante à la saveur sauvage et qu’il faut savoir gustativement apprivoiser, qu’il aime les raretés littéraires aux perfections peu amènes pour le lecteur dépourvu d’exigence et de curiosités. Dans son catalogue se côtoient des ouvrages de genre et de registres si variés qu’il est impossible de décliner l’identité de Rhubarbe sinon en écrivant qu’elle n’en a aucune de précisément définie.
 

Là donc, entouré d’autres objets littéraires atypiques, le recueil de Michel Host… La chronique que je lui consacrai me valut un courriel chaleureux, qui initia une correspondance épisodique mais régulière. Nous nous rencontrâmes au Salon du Livre de Paris. Comme cela arrive rarement, je me trouvai en face d’un homme en qui je percevais l’exacte incarnation du ton de ses textes et de ses messages : je voyais en ce visage rayonnant d’où semble sourdre la générosité, encadré de cheveux blancs mi-longs, illuminé d’yeux clairs imperceptiblement plissés par le sourire et brillants d’un éclat relevé par les fines lunettes rondes le parfait écho de ce que j’avais perçu dans l’écriture – une fantaisie délicate, sérieuse presque mais qui incline inévitablement le lecteur à la bonne humeur. À des lieues de la grosse plaisanterie cache-drame, la fantaisie de Michel Host est pure finesse d’esprit et insigne adresse littéraire sachant donner aux épreuves et aux tragédies le tour plaisant qui tient le pathos à l’écart. Et cette voix douce, qui ne force pas son chemin pour se faire entendre, cette élocution assurée qui jamais ne bute ni n’hésite avec souvent au coin des phrases le rire qui s’esquisse… Je réalisai presque instantanément –pour cette première rencontre peu de mots furent échangés : séance de dédicace oblige, l’heure n’était pas aux papotages et  il lui fallut très vite gagner sa place derrière la table qui lui était attribuée – que l’écriture, le visage, la voix, le regard, composaient un ensemble merveilleusement harmonieux. Et je conservai de cette brève entrevue une impression lumineuse.

À quelque temps de là il me conviait à l’un des cafés-club qu’il anime tous les mois en fin d’après-midi au Vieux Châtelet, dans l’idée de prolonger aujourd’hui, modestement mais fermement, la tradition des "cafés littéraires" du XVIIIe siècle. Il y avait là des gens de lettres, un jeune photographe et une artiste peintre ; des photos circulèrent, des poèmes furent lus et de bien agréables propos tenus. Mais l’on ne s’en tint pas aux graves questions esthétiques et culturelles – l’on parla chats et j’appris que Michel Host, amoureux fervent de ces félins, avait fondé L’Ordre des Chevaliers du Mistigri dans le but d’assurer défense et sauvegarde de la gent féline – mais, n’étant pas sectaire, il étend cette protection à tout animal qui pourrait être menacé. Comptée comme membre bien que non encore officiellement adoubée – je n’ai toujours pas, ô infâme distraction, renvoyé au Maître mon Acte d’adoubement rempli – je reçois périodiquement Entre Chats, le bulletin de l’Ordre où se mêlent photos, anecdotes… et très-littéraires histoires de chats.

D’Entre Chats en courriels, nous nous écrivîmes régulièrement, mais nous vîmes peu.J’appris au fil des échanges que Michel Host écrivait pour la revue littéraire La Sœur de l’Ange, et que, dans ce même esprit à la fois sérieux et ludique qui préside à la rédaction d’Entre Chats, il avait entrepris d’écrire deux ou trois fois l’an un recueil de notes de lectures intitulé La Mère Michel a lu qu’il diffuse par courriel auprès de ses amis internautes. Dans cette petite dizaine de pages présentées en fichier Word s’exprime un facétieux goût du collage typographique – ce sont, pour chaque numéro, plusieurs couleurs et pas moins de quatre ou cinq polices différentes qui sont utilisées ! Papyrus, Book Antiqua, Copperplate Gothic Bold, Wingdings, Lucida Handwriting… Au fait, qu’est-ce qui, en elles, du nom ou du graphisme, a séduit notre écrivain ? Pour ébouriffer un peu plus lesdits fichiers, faisons apparaître les marques de mise en page – et c’est un feu d’artifice d’alinéas, de tabulations manuelles, de retraits marqués par une succession d’espaces : autant de figures variées qui se mettent à courir à travers les blocs de texte. Cela achève de peaufiner le poème graphique et pose l’ultime rehaut à cette fantaisie allègre que là encore je décèle.

Aimant le jeu mais n’étant pas Narcisse au point de trop priser le "je", il fait appel à son fidèle avatar la Mère Michel pour porter sa bonne parole de lecteur, qu’il dépose, comme le coucou, dans le nid de [ses] amis. Parmi eux certains disposent d’un site ou d’un blog et relaient ces notes de lecture – par exemple la revue Encres Vagabondes, et l’écrivain Jean Claude Bologne. Je vais désormais faire de même, puisque l’auteur m’en a donné l’autorisation – une autorisation qu’il ne m’a pas retirée quand je lui ai dit que j’allais sans doute tailler chaque bulletin en autant d’épisodes qu’il y a de chroniques, et que je ne pourrai pas conserver tels quels les jeux de police et de couleur du fichier Word.
Je l’en remercie car c’est un honneur que d’enrichir ces Terres Nykthes des humeurs livresques d’une Mère Michel toujours en quête de son chat et qui en oublierait (presque) de faire son ménage…

Le mot de la fin
Chaque chronique fera l’objet d’une mise en ligne distincte, suivant l’ordre de parution des bulletins et, dans ceux-ci, l’ordre que l’auteur a adopté. Le premier texte publié ici sera donc le premier article figurant dans le premier bulletin, paru en hiver 2007. Il y est question de voyage et de chats… Mais avant il faut encore citer le délectable incipit que porte chaque livraison de La Mère Michel a lu – reflets sans doute des dilections littéraires autant que des attitudes de lecture de leur auteur :


La Mère Michel a lu un livre ! Au lieu de faire son ménage ? Eh bien, c’est comme ça qu’elle l’a  perdu son chat !
Denis Diderot, Billet à Sophie Volland (coll. privée)

Les vrais livres doivent être les enfants non du grand  jour et de la causerie, mais de l’obscurité  et du silence.
Marcel Proust, Le Temps retrouvé

Notre vie est un livre qui s’écrit tout seul. Nous sommes des personnages de roman qui ne   comprennent pas toujours bien ce que veut l’auteur.
Julien Green, Adrienne Mesurat

Note brève & introductive.
Ne possédant ni site, ni blog, ni kloog ni kangourou apprivoisé transportant le courrier dans sa poche, la Mère Michel a décidé de s’en remettre à cette pièce jointe appelée à une parution relativement régulière et destinée à être aussi largement diffusée que possible aux amis, connaissances et même au Lecteur Inconnu.

Quant à la formule de clôture, elle est du même cru :
La Mère Michel a lu ce qu’elle a lu, et quand elle a pu : tout de même, elle doit faire son ménage, et quoi qu’on dise toujours elle cherche son chat. Elle ne lit pas à la manière des critiques – qui, selon le mot de Valéry, voudraient faire croire qu’ils peuvent nous donner bien plus qu’ils ne possèdent – mais en découvreuse, en amateur ou, comme qui dirait, en amoureuse. Amoureuse, la Mère Michel ! Vous m’en direz tant !

Après cela, le moyen de ne pas se pourlécher les yeux à l’idée de lire les notes de la Mère Michel ?

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  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui
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