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2 août 2018 4 02 /08 /août /2018 18:55

Comme souvent cette année j’aurai assisté à un spectacle sans rien savoir de l’œuvre dont il est issu fût-elle, cette œuvre, des plus connues parmi les «classiques» de la littérature comme l’est Le Silence de la mer. Tout au plus connaissais-je le nom de l’auteur, et avais- je la vague sensation que l’argument m’était familier – pendant l’Occupation, un vieil homme et sa nièce se voient contraints d’héberger un jeune officier allemand. Peu enclins à la complaisance envers l’ennemi sans pour autant être des résistants actifs ils décident de marquer leur patriotisme en refusant systématiquement d’adresser le moindre mot au jeune homme. Or celui-ci n’a rien du nazi imbu de violence – non: c’est un fou de culture à la sensibilité exacerbée, francophile et francophone, musicien qui plus est… Et il va parler, parler beaucoup, de sa France rêvée, de belles lettres, de musique, tâchant de rompre le silence que lui opposent sans faiblir ses hôtes forcés en évoquant les auteurs français qu’il révère, les grands compositeurs allemands, Goethe... Il parle aussi de la guerre – il a endossé l’uniforme par fidélité à une promesse faite à son père agonisant qui lui enjoignait, bien que francophile lui aussi, de n’aller en France «que casqué et botté»; il est en outre intimement convaincu que de cette guerre, selon lui une formidable opportunité culturelle pour l’Europe, il ne pourra sortir que de grands biens pour l’Allemagne et pour la France…


Je devais apprendre le lendemain, à Plamon, que Le Silence de la mer a d’abord été une nouvelle publiée en 1942 – la première publication des Éditions de Minuit, cofondées à l'automne 1941 par Vercors, de son vrai nom Jean Bruller, et Pierre de Lescure – que l’auteur a lui-même adaptée pour le théâtre sept ans plus tard, en 1949. C’est cette version théâtrale que l’on a vue, mise en scène par Gilbert Ponté et interprétée par Joël Abadie (Werner von Ebrennac), Maryan Liver (la nièce) et Jacques Rebouillat (l’oncle). J’appris aussi qu’il y avait quelques écarts entre la nouvelle et la pièce, imputables à l’auteur lui-même – à un harmonium près, que la mise en scène a dû escamoter car Joël Abadie n’est pas musicien… il n’en a pas moins campé un Werner von Ebrennac époustouflant, mettant en parfaite cohérence ses postures, ses regards, sa gestuelle avec ses inflexions, faisant ainsi éclore à la perception du public toutes les nuances de ses sentiments, ses engouements, ses déceptions… Il faut au passage saluer sa diction: il a su trouver une manière de prononcer les mots qui donne clairement aux syllabes des accents germaniques sans tomber dans les exagérations caricaturales, prenant soin d’user çà et là de menues maladresses lexicales telles qu’un étranger même rompu à la pratique de notre langue en laisse malgré tout subsister dans sa façon de parler. Une sidérante justesse dont Joël Abadie nous dira qu’il la doit à l’immersion linguistique que lui a offerte une année passée en Allemagne quand il était étudiant et dont il a affiné les fruits en se faisant lire par un ami germanophone la traduction allemande de la pièce de Vercors puis en effectuant sans cesse des va-et-vient entre les textes français et allemand.


En réponse à ces monologues successifs, pas un mot ne sort de la bouche de l’oncle et de sa nièce, murés dans leur silence, retranchés dernière un livre ou bien ostensiblement tournés vers le poste de radio qui est de temps en temps mis en marche. Un silence obstiné, infrangible et pourtant il n’est pas abusif d’écrire que ces deux êtres donnent la réplique à Werner: leur mutité déjà est éloquente et l’est davantage encore grâce au formidable discours non verbal qui la soutient en permanence – un jeu élargi qui engage tout le corps, fondé sur des attitudes subtilement modulées, des variations très fines dans les mimiques, l’orientation et l’intensité des regards… Maryan Liver et Jacques Rebouillat jouent leur partition muette avec une magnifique force expressive, qui est exactement au diapason de l’interprétation remarquable de Joël Abadie.


Cette belle synergie d’acteurs s’inscrit dans une mise en scène sobre qui, à l’intérieur d’un décor très épuré, place au centre du jeu un poste de radio et des livres – point n’est besoin de s’attarder sur le sens symbolique que ces objets peuvent avoir par rapport à la parole, à l'échange… et sans doute cette dimension-là a-t-elle eu sa part dans les choix scénographiques. Au bout du compte un spectacle profondément émouvant porté par d'excellents comédiens, unanimement apprécié et applaudi.

LE SILENCE DE LA MER
Une pièce de Vercors.

Mise en scène: Gilbert Ponté
Avec: Joël Abadie, Maryan Liver, Jacques Rebouillat
Création lumières et sons : Kosta Asmanis
Régie lumière : Benoît Cornard
Durée : 1h10
Représentation donnée le lundi 30 juillet à l’abbaye Sainte-Claire.

Ce texte qui incite aux remises en question prend un relief accru grâce à la programmation sarladaise qui a placé cette représentation quelques jours après celle de Jean Moulin, évangile... à bref intervalle se regardent ainsi deux spectacles que tout oppose: l'un est un drame quasi documentaire, l'autre une pure fiction; l'un a des dimensions épiques, l'autre se tient dans l'étroite intimité d'un foyer; l'un met en scène des résistants armés tout entiers immergés dans leurs actions clandestines confrontés à des officiers allemands d'une cruauté exemplaire, dont le "Boucher de Lyon" en personne, l'autre  montre des Français qui résistent sans violence physique à un Allemand fin et sensible... Il n'est pas jusqu'au lieu de représentation qui marque le contraste: la place de la Liberté pour l'un  qui magnifie un héros fameux de la Résistance, la cour de l'abbaye Sainte-Claire, où l’on se sent comme au creux d’une paume repliée en conque, pour l'autre qui met en valeur le sentiment individuel.
Chaque pièce a son sens, sa portée bien à elle, mais d'être ainsi frottées l'une à l'autre toutes deux prennent un éclat un peu différent, que l'on ne verra jamais briller ailleurs qu'à Sarlat.

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1 août 2018 3 01 /08 /août /2018 12:28

NB. Afin de marquer la distinction entre les personnes historiques et les personnages du drame, je mets le nom de ces derniers entre guillemets.
 

Ne lisant jamais d’essais historiques sinon par obligation professionnelle – une contrainte sans laquelle je manquerais de la plus élémentaire culture en la matière – j’ai par contraste un grand appétit pour les fictions historiques, théâtrales surtout car, par expérience, j’ai fini par réaliser que je comprenais beaucoup plus aisément les enjeux de telle ou telle période, de tel ou tel événement en allant voir une pièce de théâtre qui en a fait son sujet qu’à travers un film ou un roman.
En découvrant Jean Moulin, évangile dans la programmation 2017/2018 du Théâtre 14, je m’étais dit que je tenais là une formidable occasion de m’instruire sur une figure éminente de la Résistance dont je ne savais pas grand-chose d'autre que ce qu'en sait un grand public peu averti. J’attendais donc beaucoup de cette pièce; pourtant, au sortir de la représentation, je suis restée profondément perplexe, incapable même de dire si oui ou non j’avais apprécié le spectacle – et de me dire in petto «j’espère qu'il sera programmé à Sarlat; d’une part cela me permettra de le revoir et sans doute de mieux le recevoir, d’autre part, je pourrai poser mes questions lors des réunions de Plamon…»


Et oui: la pièce figurait au programme de la 67e édition du festival. Malheureusement l’auteur et le metteur en scène n'ont pu être présents qu’à la réunion du matin précédant la représentation; trop peu sûre de mes souvenirs, je me suis bornée  à poser les deux des questions que j'avais en mémoire: pourquoi un décor à base d’armoires; pourquoi avoir fait surgir sur le plateau un dragon chinois pour manifester que «Jean Moulin» endormi est en proie à un cauchemar alors qu’aucun élément du texte, réplique ou didascalie, n'en laisse attendre l’apparition. «C’est un choix tout à fait personnel», a répondu le metteur en scène: il voulait figurer les angoisses, les hantises propres à ces résistants qui vivaient et œuvraient dans la totale clandestinité, obligés de changer sans cesse de nom, de résidence, d’être toujours sur le qui-vive et se sachant constamment sous la menace d’une arrestation, et ce dragon chinois, qu’il fait évoluer sur quelques mesures de la Passion selon saint Jean de Bach, lui a paru correspondre exactement à ce qu’il cherchait à signifier. Cette réponse m’a paru bien insuffisante… car nulle part ailleurs dans le spectacle je n’ai décelé de motif qui puisse entrer en résonance narrative ou esthétique avec ce dragon chinois. Un sino-choix qui sonne d’autant plus étrangement que notre bestiaire légendaire possède assez de ressources où puiser pour donner corps à des angoisses cauchemardesques, des dragons notamment et l’un d’eux eût alors merveilleusement fait écho à l’échange entendu peu avant cette scène entre le «général de Gaulle» et «Jean Moulin» où la longue histoire de la France est (magnifiquement) évoquée tandis que l'on aperçoit, tapissant l’intérieur du bureau-armoire londonien du «Général», la fameuse Dame à la licorne.


La question des armoires a été posée par une festivalière qui venait de les voir en cours d’installation sur la scène juste dressée place de la Liberté. C’est une idée du scénographe Alain Lagarde, pour qu l’objet-armoire a une aura symbolique particulièrement cohérente avec la pièce par son lien étroit avec les notions de mémoire, de transmission – et de secret. Régis de Martrin-Denos pensait, de son côté, que créer un décor réaliste matérialisant à la lettre les situations des vingt-deux scènes que compte la pièce risquait d’être fort ennuyeux. Car elles se déroulent à peu près toutes dans des lieux clos (bureaux, chambres, salles de restaurant…) et les personnages n'y bougent guère qui sont généralement assis à table, ou sur un lit… De plus pareil réalisme mimétique eût été, d’un point de vue strictement matériel, trop difficile à atteindre, les lieux étant tous différents. D’où l’idée de privilégier une dimension symbolique, qui permette une certaine dynamique sur le plateau. Ainsi les armoires suggérées par le scénographe, rendues mobiles et dont il suffirait de moduler les formes, les dimensions, offraient-elles une solution idéale: déplacées, transformées, reconfigurées à vue pendant les presque-noirs séparant les scènes, elles signifient les lieux tout en générant la dynamique recherchée. Ainsi lit-on bien sur le plateau la «traversée épique» que trace la construction du drame dont les quatre tableaux figent chacun une petite étendue de temps, elle-même fractionnée en plusieurs scènes, découpée dans une durée allant de 1940 à 1943.

 

Hormis ces éléments… accessoires, m’avait beaucoup gênée l’interprétation; j’avais trouvé que les comédiens (à l’exception peut-être de Chloé Lambert incarnant «Laure Moulin», et de Stéphane Dausse qui campe avec talent un «général de Gaulle» assez mimétique, appuyant par ses inflexions et sa gestuelle son indéniable ressemblance physique avec le Général), étaient en surjeu permanent, disant trop fort leurs répliques d’un ton trop déclamatoire, déployant un langage corporel trop marqué... Les moments auxquels j'avais le moins adhéré ayant été les deux scènes d’interrogatoire de «Jean Moulin», la première quand il est aux mains des deux officiers nazis (scène 2), la seconde qui le confronte à «Klaus Barbie» (scène 21). Les Allemands hurlaient littéralement, parlant un français germanisé aux syllabes exagérément détachées comme si le texte avait été haché menu par le feu d’une mitraillette – concernant l’échange avec «Barbie», ce ton sonnait d’autant plus faux que l’auteur fait dire à «Moulin» : «Vous raisonnez, vous me parlez presque normalement…» [je souligne...]


À Sarlat, il m’a semblé que les répliques s’échangeaient de manière plus conversationnelle – l’on ne criait plus hors de propos, et «Barbie» en effet s’adressait à «Moulin» avec des intonations plus conformes à celles d’une conversation normale, la parole énoncée comportât-elle des promesses d’abominables tortures. Grâce aux explications données le matin, l’ambiance générale du spectacle m'a davantage parlé, j'ai bien mieux entendu les différentes confrontations entre les acteurs de la Résistance et, par là, beaucoup appris. Mais… quelque chose a continué d’achopper que je ne m’explique pas. Ainsi le personnage d’«Antoinette» ne passe-t-il pas, peut-être à cause de ces jeux de sons faciles que l’auteur lui prête («il y a de l’or Laure»; «les jeunes ingénieurs de l’usine d’Ugine […] bon exercice de diction»…)?


Malgré cette seconde «lecture» dont j’ai pu bénéficier, en dépit des lumières que m’ont apportées les échanges de Plamon, toutes les échardes que je sens dans la pièce de Jean-Marie Besset n’ont pas été ôtées. J’en ressens une profonde amertume, celle de l’échec car, pour moi, ne point parvenir à adhérer à un spectacle dont on a expliqué les recoins et qui par ailleurs possède des qualités unanimement reconnues est un échec, une faute plutôt, un manquement à un devoir d’intellection. Peut-être, alors, me faudra-t-il consentir à une troisième «lecture» pour qu’enfin tombe le mur de la mal-compréhension.

JEAN MOULIN, ÉVANGILE
Fiction théâtrale de Jean-Marie Besset
Mise en scène: Régis de Martrin-Donos, assisté de Patrice Vrain Perrault
Avec: Jean-Marie Besset, Laurent Charpentier, Odile Cohen, Stéphane Dausse, Michael Evans, Loulou Hanssen, Sébastien Rajon, Sophie Tellier, Gonzague Van Bervesselès
Scénographie: Alain Lagarde
Lumières: Pierre Peronnet
Costumes: David Belugou
Sons: Émilie Tramier
Durée: 2h15


Pièce créée en 2016 au festival d’Anjou, dans une version étudiée pour le plein air, d’une durée de 3h30 avec entracte (qui correspond déjà à une abréviation du texte car les vingt-deux scènes réparties en quatre tableaux qu’il comporte donnerait, intégralement joué, environ 5 heures de spectacle). Durée ramenée à 2h15 pour le passage à Paris dans la boîte noire du Théâtre 14 – c’est cette version-là qui a été représenté à Sarlat, le 25 juillet place de la Liberté.


NB. Le texte est publié aux éditions de l’Avant-scène théâtre dans la collection « Quatre vents » et il existe une captation sur DVD de la création au festival d’Anjou (12 € le livre, 15 € le DVD) – l’un et l’autre mis à la disposition du public lors des deux réunions de Plamon.


PETITE HISTOIRE DE LA PIÈCE – D’APRÈS LES EXPLICATIONS DE L’AUTEUR, DONNÉES À PLAMON LE MATIN DU 25 JUILLET.
Le titre
Le mot «Évangile» est employé pour des raisons étymologiques: il signifie «bonne nouvelle» et, pour Jean-Marie Besset, c’est une «bonne nouvelle» que des hommes de la trempe de Jean Moulin surgissent dans l’histoire dans des périodes aussi tragiques que celle de l’Occupation.
Genèse
Jean-Marie Besset a commencé à penser à cette pièce en 1989, quand Daniel Cordier a publié le premier tome de sa biographie de Jean Moulin. Lui-même venait d’écrire Villa Luco, une version dramatique de la visite que le général de Gaulle avait rendue au maréchal Pétain. La perspective de faire de même avec la première rencontre de De Gaulle et Jean Moulin le tentait beaucoup, d’autant qu’il n’existe aucune archive documentant cette rencontre – une brèche dans une réalité historique par ailleurs riche en documents et témoignages constituant une matière rêvée pour un dramaturge qui peut alors s’y immiscer avec assez de liberté créatrice pour s’épanouir en tant qu’auteur.
Pendant toutes ces années, il s’est livré à un travail de recherche aussi approfondi que s’il avait eu l’ambition de réaliser une œuvre purement documentaire – il a rencontré des proches de Jean Moulin encore en vie, a lu un très grand nombre d’ouvrages de toute nature puis a puisé dans cette immense documentation patiemment accumulée la matière de sa pièce qu’il a in fine écrite en seize mois environ. D’où son statut dramatique un peu particulier: «Mes recherches ont été très rigoureuses et c’est, en définitive, un véritable drame documentaire». À telle enseigne que ce travail lui a permis de découvrir des informations inédites, qu’il a glissées dans sa pièce et qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Quant à savoir précisément de quelles informations il s’agit, Jean-Marie Besset ne l’a pas précisé…

 

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30 juillet 2018 1 30 /07 /juillet /2018 10:43

Début février je recevais le programme du festival; mi-avril se tenait la conférence de presse à Sarlat où, pas plus que les autres années, je ne pouvais me rendre à cette période; peu après ledit programme était en ligne puis, au mois de mai, j’en recevais par courrier la version fasciculaire… Et moi de regarder passer la file de ces petits faits annonciateurs sans pouvoir m’y arrêter fût-ce le temps d’écrire un micro-paragraphe attestant que j’étais bien là, attentive aux réjouissances de plus en plus «prochaines» et soucieuse de m’en faire l’écho. Faute de disponibilités partagées il n’y eut pas même la visite guidée que m’offre chaque année Jean-Paul Tribout – j’avais cependant commencé de préparer une chronique errante, germée sur le seul humus de mes souvenirs et des interconnexions dont ils sont parcourus, ouvrant large les vannes intertextuelles et me donnant ainsi latitude de ramener à la lumière depuis les éditions précédentes tel ou tel fragment laissé à l’abandon, braises sur quoi souffler où palpiterait encore un peu de sens par l'effet même des échos. D'ailleurs, l'illustration de couverture, ces visages stylisés superposés et remplissant l'espace noir de la couverture dont certains s'effacent comme s'ils étaient loin à l'arrière-temps, n'est-elle pas une figuration de ces échos d'une programmation l'autre, qui rebondissent de noms en noms (comédiens, auteurs, metteurs en scène...) ou de titre en titre? Ou bien ces visages sont-ils plutôt la représentation de la foule des spectateurs? Ou encore la multiplicité des rôles qu'endosse un comédien au long de son parcours, les mille voix qu'à travers la sienne seule il fait entendre tour à tour? Peut-être, aussi, faut-il voir dans ces lignes-visages la diversité formelle qu'accueille chaque année le festival ("le théâtre, ce n'est pas ceci ou cela mais ceci et cela")...

Mais les plantules n’ont pas pris; il n’y eut jamais d’elles qu’une trace fantôme en berne dans mes pensées dont ces brèves questions sont les rescapées, une intention mort-née de la même eau que tant d’autres dont je ne cesse de célébrer les funérailles… Un puissant et torpide fléchissement intérieur était-il en train de corrompre mon profond attachement au Festival des jeux du théâtre de Sarlat ? – il faut dire que cette édition 2018, la 67e du nom, est pour moi la 13e… je me suis d’ailleurs trouvée empêchée d’assister aux deux premiers spectacles et n'ai pu rallier la cité périgourdine que le 21 juillet quand le festival avait lancé ses premiers feux le 19 - aux Enfeus.

Le jour de mon arrivée, comme en réaction à ces cumuls funestes, d’autres signes plus fastes se sont rassemblés qui semblaient vouloir jouer les aurores: le spectacle du soir était la pièce montée par Jean-Paul, La Ronde d’Arthur Schnitzler – l’un des premiers qui avait suscité mon enthousiasme à la lecture du programme, aux seuls noms du metteur en scène et des comédiens dont tous sauf deux sont de ses complices habituels, et il restait encore des places! je ne tardai pas à découvrir que pour les autres pièces à l’endroit desquelles j’avais d’emblée éprouvé une inclination il y avait aussi des places libres – la joie que j’en éprouvai, et celle tout aussi vive de retrouver à la billetterie Francis et Thomas d’abord, et peu à peu par la suite tous les membres du Comité grâce à qui le festival fait si bon accueil au public comme aux artistes me fit bien vite comprendre que la flamme se rallumait.


À la fin de la représentation de La Ronde, je savais que ma perméabilité à l’émotion théâtrale était intacte, et aussi ma soif de voir, de saisir, d’intelliger (ou tout au moins d’essayer de le faire !) le jeu des comédiens et les éléments dramaturgiques les plus signifiants, grâce à quoi je ne viens jamais tout à fait dépourvue à Plamon, même lorsque je suis ignorante d’à peu près tout ce qui touche à la pièce vue. Il ne me reste plus qu'à transformer cette perméabilité en écriture bien sonnante mais qui ne trébuche pas et, à quelques jours de la fin du festival, le défi n'est toujours pas relevé...

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15 juillet 2018 7 15 /07 /juillet /2018 04:22

Farouchement hostile à la publicité dont on remplit nos boîtes aux lettres à longueur de journée, ces prospectus jetés sans ménagement et en quantités telles que la distribution ressemble davantage à du gavage organisé qu'à une réelle intention de faire connaître une marque, un service, une boutique... et ne voyant là d'ordinaire que des monceaux de promos agressives et exhibitionnistes qui de plus ne m'apprennent rien qui soit de nature à m'intéresser, j'ai pour habitude de tout mettre à la poubelle sans le moindre examen sinon celui visant à extraire du paquet l'éventuelle enveloppe officielle ou la carte postale amicale. De temps en temps, des promotions moins sottes que la lettre-sensation signalant qu'en échange d'un abonnement à tel ou tel magazine offert avec de mirifiques réductions l'on va recevoir des cadeaux incroyables proposent quelques pages d'une publication qui donnent suffisamment à lire pour... donner envie de s'abonner.

Voici quelques jours, c'est, contre toute attente, un magazine entier que j'ai trouvé dans ma boîte cela déjà est exceptionnel mais plus étonnant encore: ledit magazine (dont le titre, La Revue des montres, ne me dit rien), est d'aspect luxueux, compte une bonne centaine de pages et son objet (les montres de haute horlogerie, objets d'extrême précision en matériaux précieux, confinant au bijou et déclinés en collection comme les vêtements de haute couture) le cantonne très probablement à un lectorat de niche. Comment une telle revue peut-elle se plier à  la distribution de masse en boîte aux lettres?

Mais peu importe. L'exceptionnalité même de l'événement, et le réflexe qui a été le mien face à La Revue des montres «Je dois garder ce magazine précieusement... les articles contiennent des termes de jargon, des noms de marque ou de modèles, des informations historiques qui j'en suis persuadée me seront utiles un jour ou l'autre. Demain peut-être, je devrai lire les épreuves d'un roman où l'un des personnages arborera une des montres dont il est question ici et je pourrai alors vérifier une orthographe, une date...» ai-je aussitôt pensé, oubliant au passage que je me satisfais en général d'investiguer en Toile au fur et à mesure des nécessités quand il me faut procéder à des vérifications érigent en signe le fait que la revue ait croisé mon chemin de cette manière, et à ce moment très précis. Le signe augmente en intensité par ces lignes que je lui consacre, auxquelles n'est pas étrangère la découverte de ce mot que je me répète désormais comme on se délecte d'une friandise: un garde-temps. Tout de suite il m'a plu et, en cherchant sa définition exacte, me voilà arrivée en un de ces points de Toile délivrant des richesses lexicales dont je raffole: un Dictionnaire d'horlogerie sur le site du Point montres (le temps, le point... ô l'entaille métaphysique!).

Mais le signe ne prend sens qu'au sein d'un syntagme quand d'autres signes viennent en convergence et font coaguler le sens. Quand se formera celui qui éclairera ce signe?

 

 

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13 juillet 2018 5 13 /07 /juillet /2018 10:20

Aux amis du 7 juillet...

 

Le 7 juillet dernier j’étais conviée à une soirée amicale qui m’amena aux creux d’un paisible jardin où, sitôt installé dans l’un ou l’autre des sièges accueillants disposés sous le couvert d’un vénérable tilleul, l’on oubliait l’environnement urbain et la chaleur ambiante. Finissant le chemin à pied, je marchais au pas ‒ je n’étais pas en retard et il faisait bien trop chaud pour adopter une allure plus vive ‒, allant donc rue du Buisson les yeux en l’air tel le flâneur méditant qui, lâchant la bride aux tortuosités de l’esprit, s’abandonne au seul voir et laisse son regard flotter sans s’arrêter sur rien. Jusqu’à ce que s’inscrive dans mon champ visuel cette vasque rouillée, perchée au sommet d’un pilier de pierre.

Vue en contre-plongée elle montre sous sa large panse un trou, par lequel s’aperçoit une tache d’azur encombrée de ramures. En même temps que surgissent les mots «La chaise percée du ciel!» (qui n’iront pas au-delà d’eux-mêmes et qui pourtant me plaisent assez pour que je les invite là) s’impose la nécessité de capter cet instant visuel. Je n’ai sous la main que mon Samsung Galaxy, le plus léger des équipements photographiques qui soit en ce qui me concerne, justement celui que je convoque quand il s’agit de fixer un instant visuel dans son plus simple… appareil. La rudimentarité de l’appareil photo de mon smartphone de toute manière ne saurait l’assigner qu’à cela: la captation. Captation et non prise de vue: pour la seconde je prends du temps, du temps long, souvent, pour affiner mes réglages, ajuster le cadrage, modifier l'angle jusqu'à ce que, dans le viseur, s'inscrive dès avant l'appui sur le déclencheur l'image que j'aspire à fixer (à telle enseigne que, dans ma pratique du moins, une prise de vue ne peut en aucun cas être «sur le vif») tandis que la première ne requiert que l'immédiate jonction du geste à la pensée pour peu que j'aie sous la main le matériel adéquat. Le temps de la prise de vue laisse toute latitude à l'instant visuel de fuir, de disparaître et de se dissoudre dans le jamais-plus dont, a contrario, la captation peut le sauver. Captation vs prise de vue: une opposition qui ne recoupe nullement le face-à-face argentique/numérique; on peut très bien capter en argentique et réaliser de savantes prises de vue en numérique; ce n'est pas la différence de moyen technique qui est en question mais celle de la posture devant la chose vue.

Donc, cette vasque rouillée... captée, seulement captée...

Malgré la forte luminosité qui perturbe beaucoup l’aperçu une photo est prise mais sans que je puisse immédiatement la visualiser pour estimer sa qualité. Une seule car la sueur perturbe l’interaction des doigts avec l’écran tactile et je ne parviens pas à renouveler la prise alors que j’aurais aimé réaliser quelques variantes… Mais j’ai eu de la chance: après coup, un examen minutieux me confirmera que le cadrage, la définition, les effets chromatiques sont assez bons pour que l’unique photo me procure une émotion analogue à celle ressentie devant la «chose vue», à cela près qu’on ne voit plus à travers le trou une once de ciel, seule persiste la verdure. Cependant, elle est à mes yeux (et à mon esprit) «réussie».

Quelques heures plus tard, tandis que les hautes lumières inclinent doucement vers un crépuscule transparent, on commence à allumer les photophores – bougies protégées de hauts cylindres de verre eux-mêmes encagées dans de fines structures de bois…  puis, au fur et à mesure que l’obscurité gagne, projecteurs et éclairages électriques d’appoint sont à leur tour convoqués. Posés au milieu des assiettes, plats et raviers garnis de mets sur une table basse dont le plateau est de verre transparent, ces luminaires génèrent toute une fantasmagorie de reflets mouvants ‒ petit à petit je me sens happée; les conversations autour de moi se fondent dans l'ouate et s'y brouillent presque jusqu'au silence. N'existent plus que ces reflets qui dansent tels des insectes euphorisés par la lumière, les flammèches  des bougies, et les nappes que tendent les projecteurs jusques au cœur des branchages dont les lignes se trouvent comme rehaussés d'or. Beaucoup d'images sont à capter, me dis-je, et à nouveau je m'empare de mon smartphone. De toutes les captations effectuées et que je n'ai pas immédiatement supprimées en constatant combien elles étaient ratées il n'en reste que peu qui me paraissent dignes d'être mises en ligne ici à l'appui de ce texte dont je sens qu'il est parfois laborieux.

 

Rien de très spectaculaire; un peu plus avant dans la nuit les branches éclairées dessineront des motifs autrement plus féeriques mais les captations ont été si mauvaises qu'elles ont sitôt faites rejoint la corbeille.

 

 

 

 

 

 

Flammes et reflets...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

... dignes à condition d'être réduites à l'état de vignettes et sans autre destination qu'un écran: leur médiocre définition n'autorise pas autre chose et donc me dispense de toute postproduction dépassant l'allègement de l'image. Pourquoi en effet s'échiner à travailler le contraste, les nuances de ton, à maquiller les éventuels bruits intempestifs qui perturbent la lecture quand l'image est vouée à la seule ornementation d'un texte en ligne? Et puis, s'agissant de captation, la notion même de postproduction devient antinomique: si j'assigne à l'appareil la mission de capter, de saisir une chose vue, il me faut ensuite laisser la photo de celle-ci telle qu'elle a été saisie. Si je retravaille l'image après coup, fût-ce sommairement, une distance se creuse avec le surgissement initial; elle n'est plus la trace subsistante d'une chose vue mais un objet visuel que je m'efforce de conduire vers un nouvel aspect afin de le mettre en adéquation la plus étroite possible avec mon intention esthétique.

Il en va de la captation comme du mot ou de la phrase soudain venu: si l'on veut ne conserver lisible que la manifestation d'une instantanéité dont on se dit qu'elle fait sens par elle-même et en tant que telle il ne faut toucher à rien. Mais si l'on veut de cette instantanéité tâcher d'explorer les méandres afin d'en discerner les racines profondes et les ramures projetées, alors il faut la considérer comme un brouillon, comme une matière brute à remettre sans cesse sur le métier... quitte à ne jamais parvenir au moindre aboutissement, qu'il fût visuel ou scriptural.

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10 juillet 2018 2 10 /07 /juillet /2018 15:05

Dès l'aube se sentir abattu.

L’œil ouvert à grand peine s'extirper malgré tout du lit et commencer à gravir la pente abrupte de la journée qui commence mais en traînant à l'âme le boulet du forçat.

Se dire vaincu d'emblée. Que l'on n'y arrivera pas et que de toute manière l'on finira à terre.

Et pourtant surmonter l'abattement; redresser un peu le col tâche après tâche et toucher au soir avec, derrière soi, une petite cohorte de "choses faites" qui suffit à apposer au terme du jour le paraphe "bien rempli".

S'endormir enfin avec au cœur un peu de baume. Jusqu'à l'aube prochaine et sa glu de découragement, la même que la veille, la même que demain, toujours plus oppressive.

 

Jeter là ces phrases, à l'infinitif sinon à l'impersonnel  du faire à l'état pur, des procès où ne s'immisce point le sujet pensant qui, en inscrivant sa personne, attire à sa suite adjectifs et adverbes à n'en plus finir qui nuancent, modulent, infléchissent, amoindrissent, diluent, effacent à force de vouloir cerner l'incernable accomplir l'impossible: à savoir être dans ce que l'on écrit.

L'impersonnel et l'infinitif, ou l'absolu du retrait de soi en écriture et peut-être par là même les seuls modes de dire qui fussent assez près de l'à-dire. Et grâce à quoi l'on peut envers et contre tout soupirer, se sauver... sans que l'on y "soi".

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5 juillet 2018 4 05 /07 /juillet /2018 17:34

Ô la fringante note d'optimisme qui clôturait le dernier article lâché ici qui pouvait laisser croire à de sûres et prochaines retrouvailles avec cette «écriture sur» qui fonde la raison d'être de ces Terres-sombres-sur Toile. Et non. Un mois s'est écoulé depuis, à ce que dit le calendrier mais en moi ce laps est réduit à rien, les heures puis les jours ont couru à la vitesse de la lumière et même davantage, une vitesse supraluminique qui les a rendus intangibles, inexistants et infinis à la fois – la durée elle-même au-delà de toute scansion devenue rien autre qu'un grain de néant, aussi vaste qu'un trou noir qui dévore tout et impose à la matière – toute matière, fût-ce l’immatérielle chair du Temps, l'infinie dilacération: l'anéantissement.

Rien n'a bougé – rien sinon l'un ou l'autre signe incitateur qui ici et là, en toute synchronicité, m'a lancée à la poursuite d'une phrase à la suite de laquelle parfois d'autres se sont accrochées jusqu'à la grappe car, indéfectiblement, je crois à la convergence des signes – ces points nodaux qui de temps en temps fulgurent, indiquent «quelque chose» qu’il convient de décrypter - et à la possibilité de les comprendre en allant vers leur sens en cheminant le long du travail d'écriture à quoi mène la pensée. Mais le plus souvent je m'arrête sur le bas-côté, la phrase en bataille laissée là au rebut, et les signes convergents abandonnés à leur aveuglante énigme, cette nodosité luisante au seuil de quoi je reste les idées en berne, ne voyant que ses circonvolutions et rien du lieu où s’enracinent les extrémités de ce qui est noué.

Puis «quelque chose» a glissé vers «je-ne-sais-quoi» et je me suis dit, au vu de ma propension à user de ces expressions, que je m'en servais comme autant de jokers lexicaux, si faciles à dégainer quand il s'agit de compenser une incapacité à écrire juste. Ils émettent quand on les prononce à haute voix un petit bruissement de doigts frottés l’un contre l’autre pour mimer une texture échappant à toute verbalisation mais dont il importe d'exprimer l’indicible subtilité, ils ont une longueur en bouche qui les fait passer pour profonds quand ils ne sont que les cache-misère d'une paralysie du dire, d’une inaptitude (ou d’une paresse, et c'est autrement plus grave) à explorer les ressources les plus secrètes de la langue, ces recoins où l'on ne va guère au quotidien mais dont les grands écrivains font leur aire de jeu, s'amusant à y déterrer les plus acrobatiques figures de style qui, sous leur plume, sont figures licenciées ès poésie mais, dans le langage dit «courant», ont de fâcheux airs de quasi-barbarismes.

Quelque effort que l’on fasse pour penser son acte scriptural, ce qui le motive, comment il se déploie, et comment en amont de sa réalisation s’agitent les forces qui vont s'unir pour le générer, on restera toujours en deçà du mystère de l’écriture. Et c'est justement en réfléchissant à cette écriture que l'on sent s'épaissir son mystère.

Pourtant, comment persévérer dans le scribere* si l'on n’entrevoit rien de son pourquoi – comment persévérer et n’être pas enseveli sous l’immonde drapé de l’à-quoi-bon, morne refrain murmuré tel un thrène au fil de l'implacable mélopée des heures-qui-passent-passent-passent… Comment persévérer quand on décèle enfin que le scribere participe d’une de ces vaines stratégies de contournement de l’inéluctable – la fin, la mort, la disparition, le plus-rien-du-tout dans lequel tout un chacun sombre fatalement, quand bien même lui seraient érigées des statues et des temples car les statues et les temples, fussent-ils de granit ou d’acier, se défont aussi et meurent?

* Voici un mot qui porte la trace d'un texte lu récemment de Philippe Barthelet, à qui je rends ici un hommage amical.

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2 juin 2018 6 02 /06 /juin /2018 19:00

Le 15 avril dernier, je tentais par la distanciation qu'opère tout travail d'écriture, de m'élucider un peu en tâchant de regarder de près un de ces micro-événements du quotidien qui sans doute n'égratigne même pas la face du monde (et donc ne saurait en rien la changer comme eût pu prétendre le faire certain nez s'il avait été d'une autre dimension [plus court ou plus long... je ne sais plus]) mais jette une ombre si dense sur la petite vie particulière de qui l'expérimente qu'il en vient à occuper tout l'espace de pensée, vire à l'obsession, envertige l'entendement tant et si bien qu'au loin se dessine le hideux profil en lame de couteau de la déprime (ou, pire, de la folie). À moins qu’un sas enfin cède et que s’enclenche la réflexion libératoire… Et ce 15 avril les forts battants commençaient de se fissurer; des craquements sourds résonnaient qui pouvaient laisser penser que… Puis tout s'est arrêté.

Depuis tout ce temps – des jours cumulés en semaines qui si je n’y prends garde feront bientôt des mois puis d’amas en amas très vite des années – l’absence en ces lieux. Autrement dit le silence scriptural, ce grand vide – l’incommensurable vide creusé à petites morsures successives et rapprochées par ces mots qui fuient, se cachent, ne cessent de se dérober en laissant à leur place une ombre vague, que l’on sait insaisissable mais que l’on poursuit néanmoins jusqu’à l’épuisement. Sans ces mots: pas de phrase sinon fracassée, abîmée de la face, borgne, cabossée. Même celle-là qui paraît bien sous tout rapport avec sa rectitude syntaxique, sa ponctuation correcte et sa bonne mine policée reste ébréchée – un mot cherché en vain lui manque et la voilà privée de profondeur, d’allure… hâve et morne elle va sans entrain, bibelot sans âme appelant tôt ou tard la biffure, condamnation suprême.
Phrase terne, morne plaine… dont je ne parviens pas à me satisfaire quand bien même le vouloir-dire continue de palpiter jusqu’à se faire impérieux. Ne me sentant plus capable d’autre rythme que d'un amble las et harassé, je me tais. Et ne romps ce blanc que pour, une fois de plus, jérémier.


Au fait, où donc m'étais-je arrêtée au mitan d'avril? Au seuil d'une réponse ‒ d'un éclaircissement… C’est donc la résistance qui a fait son œuvre: à peine le rai de lumière aura-t-il percé la masse arranéeuse des questionnements que tombait cette chape de silence qu’aujourd'hui je tâche de soulever, comme un cataleptique trop tôt mis en bière pousse de toutes ses forces le couvercle de son cercueil pour retrouver le grand air.
Mais d'abord revenir en arrière; redécouvrir ces bouts de texte abandonnés, les remailler - et avoir ce faisant le sentiment de me réveiller au fond d'un gigantesque cul-de-poule dont je chercherais, afin d'en sortir, à gravir les parois polies bien que les sachant dénuées de prises… Autrement écrit: le sentiment aigu d'une entreprise vouée à l'échec.

 

Mardi 10 avril
Plantée devant mon téléviseur que je venais d'allumer, vérifiant d'un œil distrait que le film choisi n'avait pas encore commencé, mon attention se fixe soudain sur la table, fort encombrée, qui le jouxte. Je viens d'apercevoir, posé bien en évidence au milieu des piles disparates de livres et de papiers divers, mon agenda que je croyais perdu depuis quelques jours – combien? À en juger par le nombre de pages non écornées qui précèdent celle de ce mardi, à peine une dizaine. Trois fois rien. Mais je l'ai tant cherché que sa disparition, devenue une préoccupation obsessionnelle, me paraissait remonter à bien plus longtemps. Et le voilà bien en évidence, là même où je savais avoir à maintes reprises fouillé compulsivement, revenant plusieurs fois d'affilée vers ce chaos que je bouleversais avec obstination, en vain. Sans doute l'agenda volage n'aura-t-il jamais été ailleurs que , offert à la vue et identifiable de loin – taille moyenne, couverture toilée violette portant en incrustation orange la période qu'il couvre, 2017-2018 – et me demeurant cependant invisible… Une occultation, donc plutôt qu’une disparition : voilà qui relève, j’en suis sûre, de l’«acte manqué» ‒ un infime dévoiement du quotidien trahissant le brutal affleurement d'une de ces forces rampant dans les tréfonds, dites  inconscientes» et dont on n’éprouve la présence qu’à travers les rêves ou… à la faveur de ces «actes manqués». Ainsi, cet agenda n’aurait pas été occulté pour la seule raison qu’il aurait, à un moment précis, représenté de manière un peu moins supportable qu’à l’accoutumée le «temps-qui-passe»: il doit y avoir autre chose tapi dans ces pages correspondant à la période où je l'ai mentalement escamoté. Mais quoi ? pour répondre à ça, songer que disparition et résurgence se soudent l'une à l'autre pour constituer une clef. Et qu’il faut la glisser dans la bonne serrure…

Vendredi 20 avril
Enfin je crois savoir quoi. Et comme une illumination les mots sont . Tenus en phrases comme on tient en laisse un chien fou. Les mots présents, tels qu’enfin ils se puissent lire – valant alors ce long, puissant, muet cri primal qui purge l’âme et le cœur de leurs crasses. Alors j’écris à toute hâte, à la main sur de minuscules bouts de papier, trop petits pour contenir beaucoup de ce flux brutal, têtu, alors je serre, je tasse jusqu’à l’illisibilité sur des lignes à la rectitude fantaisiste les mots puis les phrases, je retourne recto verso ces paperolles que j’écarte sitôt gavées – que je devrai plus tard rabouter afin de retrouver un fil de sens à peu près audible. Et la masse-texte de sourdre encore, telle une pâte expulsée à la brutale d’un tube trop fort pressé. Cette frénésie est en soi un signe qui me hèle – et me rappelle qu’au lever ce matin m’a frappée cette idée que j’avais compris le pourquoi de l’escamotage. À la date du 21 mars cette inscription: «19 h. Théâtre 14: Hamlet». Un spectacle que j’attendais avec beaucoup d’impatience, et pour lequel j’avais bénéficié d’une invitation, ce qui appelait en retour une chronique bouclée dans des délais raisonnables. Or, en dépit du foisonnement de réflexions et de commentaires griffonnés ici et là au gré des survenues, rien de construit ne prenait forme – je ne trouvais même pas de titre qui vaille. De jour en jour le triste constat que je ne parvenais pas à écrire m’enfonçait plus avant dans un insupportable sentiment d’échec. Un sentiment d’autant plus aigu que peu après devait se tenir à Sarlat la conférence de presse présentant le programme du festival 2018 – dont j’avais eu connaissance dès janvier sans lui donner le moindre écho et qui, arrivant à l’aube d’avril, jetait une lumière crue sur l’édition précédente que j’avais suivie de près sans beaucoup écrire, malgré d’abondantes notes, prises scrupuleusement après chaque représentation à l’intérieur d’un petit calepin à elles seules voué et complétées de ce que j’apprenais à Plamon – puis restées à l’état de lignes bancales tracées au crayon.

Passé le 20 avril, à nouveau le silence. Le grand blanc des mots qui se refusent et se terrent obstinément. Aussi bien pour évoquer le Hamlet de Xavier Lemaire vu au Théâtre 14 que le 67e festival des Jeux du théâtre de Sarlat. Puis avant-hier cette phrase que je retrouve au revers d’une chemise cartonnée, crayonnée et déjà à demi effacée:
Plus longtemps on a été fidèle au Festival et plus loin vont plonger des ramifications réminiscentes en nombre croissant.
Pas très belle ni claire, et qui eût peut-être mérité d’être retravaillée pour figurer dans un développement plus ample. Mais telle quelle, elle me donne une piste: si l’obstacle était mon attention excessive portée à ces intertextualités pullulant toujours plus, innombrables réticulations qui, à partir d’un point de pensée, se mettent à proliférer jusqu’à effacer de la vue ce point-origine. Et celui-ci de disparaître progressivement jusqu’à ne plus pouvoir être distingué.

Se scruter penser, puis observer le chemin que prend la pensée pour se muer en phrase – et,de là, espérer retrouver la voie de «l'écriture sur». Oui, espérer

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10 mai 2018 4 10 /05 /mai /2018 17:34

Frémissante au vent
La soie diaphane et nervurée
Des iris dès l’aube déployés
Essuie les larmes du temps qui passe.

 

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6 mai 2018 7 06 /05 /mai /2018 12:28

Dimanche 6 mai

Bleu et cru
Dur, implacable dans l'éclatante limpidité de son azur sans nuage
Ô le ciel en cet état, ce matin, qui pourrait faire croire à la montée en chœur de toutes les aurores claires en une seule et même levée d’écrou
Essor de pensées désincarcérées
Mots, sons, sens se donnant alors la main pour qu’advienne le poème
Et soudain la fissure
Le pli amer aux commissures du geste esquissé désormais mort-né
La désagrégation de tout.
Poussière et cendres
Plus rien ne se pense ni ne se dit
Cécité
Suffocation
Noyade
Naufrage dernier des croyances en quelque possible
Sous le ciel d’été la mutité :
L’absolu de la nuit – l’obscurité majuscule du silence infrangible.

 

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  • : Terres nykthes
  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui
  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui

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