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15 juin 2013 6 15 /06 /juin /2013 18:07
Chronique inactuelle... bien au goût du jour

Sempiternelles synchronicités…
Je venais tout juste de m’emparer d'une perche toute théâtrale pour revenir sur un spectacle vu il y a presque un an, et j’en étais encore à peaufiner le texte qui suit, à laisser courir mes pensées en quête de quelque formule heureuse quand, écoutant la radio sans préméditation, j’entends que l’émission diffusée est consacrée à "l’actualité de Stefan Zweig" – et quelle émission: "Concordance des temps"! Je n’en finirai jamais de m’étonner de celle des signes… (animée par Jean-Noël Jeanneney sur France Culture, "Concordance des temps" a son site et l'on peut écouter ici l'émission du 15 juin 2013, dont l'invité est Jacques Le Rider).

Les spectacles de théâtre se créent, s’installent, tournent, sont repris quand le succès est au rendez-vous et que des salles sont là pour les accueillir… La chroniqueuse inactuelle que je ne puis m’empêcher d’être – par excessif besoin de recul et de réflexion – s’en trouve fort aise qui, ainsi, parvient à n’être pas hors temps alors qu’elle évoque une pièce vue plusieurs mois auparavant et dont elle n’a, sur le moment, rien su rien écrire. Par exemple celle qu’Élodie Menant a tirée de La Pitié dangereuse, le seul roman qu’acheva Stefan Zweig ,et dont elle a confié la mise en scène à Stéphane Olivié-Bisson. Programmé l’an dernier à Sarlat*, le spectacle, créé en 2011 à Avignon, revient cet été dans la cité des Papes**; cette information, découverte au hasard d'une balade en Toile, me fournit l'occasion de sortir des limbes du brouillon ce qui y macère depuis juillet dernier et d'exprimer enfin combien j'avais été touchée par cette pièce.

Pour apprécier la transposition scénique d'un texte, théâtral ou non, il n'est pas nécessaire de l'avoir lu auparavant – on peut très bien ne se laisser bercer que par le jeu des comédiens et l'environnement dans lequel ils évoluent: cela suffit amplement au bonheur (ou à la déception) du spectateur. Mais dans le cas de La Pitié dangereuse, la lecture préalable du roman me semble indispensable; à la fois pour mesurer la performance que représente l'adaptation de ce texte et comprendre ce qui, dans le travail d’Élodie Menant, donne à sa pièce une signification, une portée tout autres que celles perceptibles dans le roman.

Le roman, donc, en quelques lignes.

Il est construit comme la plupart des nouvelles de Zweig: un premier récit rapporté à la première personne pose le cadre d’un second récit, lui aussi à la première personne mais émanant d’un autre narrateur. Dans La Pitié dangereuse, l’argument-cadre est un repas au cours duquel le narrateur est présenté à un brillant personnage, un contrôleur général décoré de l’ordre de Marie Thérèse, Anton Hofmiller. À la faveur d’une discussion, Hofmiller revient sur un épisode douloureux de sa vie qui le renvoie vingt-cinq ans en arrière, en 1913, tandis qu’il était lieutenant de cavalerie stationné dans une petite ville de garnison. Convié à une soirée organisée par un riche notable du lieu, M. de Kekesfalva, Hofmiller invite la fille de son hôte, Édith, à danser. Mais celle-ci ne peut répondre à l’invitation: elle a les jambes paralysées. Prenant, mais trop tard, la mesure de sa maladresse, le jeune homme va alors tout faire pour tâcher de la réparer : il se met à fréquenter les Kekesfalva. Édith s’attache passionnément à lui; et son père aussi, qui élève seul sa fille avec l’appui d’une cousine, Ilona. Tout entier à la dévotion de sa fille bien-aimée, il consacre son énergie à s’occuper d’elle et il encourage cette passion naissante, convaincu que ce sentiment "normal" chez une jeune fille ne peut qu’améliorer son état et favoriser sa guérison, dont il ne doute pas qu’elle est imminente: le Dr Condor, qui soigne Édith, a parlé d’un "nouveau traitement". Mais lui, Hofmiller, qu’éprouve-t-il réellement? Qu’est-ce qui le motive à visiter ainsi une jeune paralytique au point de lui promettre le mariage? A-t-il vraiment de l’inclination pour elle? Ou bien agit-il par "pitié"? Jusqu’à quel point est-il atteint par les plaisanteries souvent aigres que lui adressent ses camarades de régiment, moquant sa relation avec une fille perçue comme un monstre et l’accusant d’en avoir après l’argent des Kekesfalva? La matière du roman est, au fond, davantage que les événements eux-mêmes, les "tempêtes sous crâne" que traverse Hofmiller ; dans leur tumulte, les autres personnages sont loin de n’être que des silhouettes, au contraire: tous sont finement campés, et la plupart s’avèrent des nœuds de complexité, en particulier Édith bien sûr, mais aussi son père, le Dr Condor, Ilona, et même le colonel à qui obéit le jeune lieutenant… L’histoire s’achève en tragédie: Édith, comprenant que Hofmiller ne l’épousera pas, se suicide. Au même moment est perpétré l’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie, qui va précipiter l’Europe dans le premier conflit mondial. Et Hofmiler, sorti indemne de la guerre, porte encore, vingt-cinq ans après, le fardeau de sa faute.

Sur le plateau...

La transposition de cet ample roman fonctionne admirablement; d'une part le texte restitue un récit parfaitement cohérent, d'autre part la mise en scène condense la narration avec une extrême habileté en même temps qu'elle représente les lieux innombrables de manière très fine, en jouant à la fois sur les registres symbolique et figuratif au lieu de multiplier les éléments de décor. Quant aux émotions des personnages, si complexes, et si violentes parfois, elle sont ici admirablement exprimées par l'interprétation magnifique des comédiens. Mais en marge de ces louanges adressées au spectacle, il importe de souligner, je crois, que l’adaptation écrite par Élodie Menant va au-delà des seules nécessités requises par les exigences du plateau de théâtre. C'est après avoir lu le roman que j'ai réalisé combien son écriture était "Édithocentrée" – au point d'ailleurs qu'elle a transformé le dénouement. De narrateur le lieutenant Hofmiller devient acteur de second plan, ses déchirements intérieurs n’occupent plus la place qu’ils ont dans le texte de Zweig; c'est l'intériorité d’Édith, ses "impatiences du cœur" qui sont montrés, et dont on voit se déployer toutes les nuances, tous les accidents, à travers l’interprétation magistrale d’Élodie Menant, relayée par la mise en scène – je ne citerai à cet égard que le siège sur lequel elle est installée, telle une idole archaïque : un fauteuil étonnant, baroque, un véritable "trône "dont le dossier, deux montants de bois joints au sommet d’une large courbe ceignant du vide, dessine autour d’elle comme une immense auréole. Un dossier qui l’élève encore, tire vers le haut son mince visage déjà allongé par la coiffure en chignon, et son corps aussi, certes cassé par la position assise mais grandi par la robe de dentelle blanche. Cette mise en majesté d’Édith n’est-elle pas, en définitive, l’expression scénique, ô combien pertinente, du culte que lui voue son père?

Quoi que l’on pense de cette appropriation, et de la distance prise par rapport au roman, on peut toujours oublier cet écart et se contenter de recevoir la pièce d’Élodie Menant comme un superbe objet théâtral, taillé à facette par la mise en scène de Stéphane Olivié-Bisson et l’interprétation remarquable de tous les comédiens.

Puisque j’ai conservé l’enregistrement de la rencontre plamonaise du lendemain, peut-être est-il temps d’en extraire ce qu’Élodie Menant avait alors dit à propos de l’histoire de son projet et de son approche du texte de Stefan Zweig…


Genèse
Cela remonte à environ trois ans, quand j’étais encore en formation. Je cherchais une scène à travailler, et j’ai découvert l’adaptation que Philippe Faure a faite de La Pitié dangereuse. Le texte m’a tout de suite plu, et je trouvais que le rôle d’Édith était tout à fait magnifique, mais j’avais une peur terrible d’interpréter une handicapée ; tout ce qui touche à la maladie me terrorise vraiment, et j’avais même peur de somatiser! Puis j’ai lu le roman, et j’ai décidé d’écrire ma propre adaptation : dans celle de Philippe Faure, le cours de l’histoire est très bien suivi mais comme le roman est écrit à la première personne et que le narrateur est le lieutenant Hofmiler, le personnage se retrouve à expliquer sans cesse ce qu’il fait, pourquoi il le fait, etc. On a ainsi toute une série de petits monologues, où le lieutenant est seul en scène, et j’avais vraiment envie de m’éloigner de ça, de tâcher de faire comprendre par petites touches, tout au long de la pièce, ce qui se joue, se noue entre les personnages.
Ça a été mon premier travail d’écriture et j’appréhendais un peu de m’attaquer à un auteur comme Stefan Zweig, que j’adore… Je me suis donné deux ans pour l’écrire – je m’arrêtais pendant deux mois, trois mois, puis j’y revenais, etc. et je suis enfin arrivée au bout. Mais la mise en scène m’effrayait un peu… Puis un jour j’ai rencontré St
éphane Olivié-Bisson, quand il a monté Caligula, de Camus. J’ai adoré son travail et même si je ne comprenais pas toujours pourquoi telle chose était faite comme ça, pourquoi tel personnage avait tel costume, etc., je trouvais que c’était magnifique à voir, et je sentais qu’il y avait une parfaite logique dans les choix, que le metteur en scène savait exactement ce qu’il faisait et que si je lui demandais pourquoi ceci, pourquoi cela, il serait capable de me fournir une explication pour tout. Il y avait un vrai parti pris dans son approche, et j’avais juste envie de recevoir cela, au point de ne même plus avoir besoin d’obtenir de réponse quand je m’interrogeais sur telle ou telle option. Je lui ai donc fait découvrir mon adaptation, et il a fini par accepter le projet.
De quelques choix…
Les deux difficultés essentielles de l’adaptation viennent de ce qu’il y a beaucoup de lieux différents dans le roman, et de ce que le récit s’étend sur une période très longue. J’ai donc mêlé certaines scènes du roman de façon à condenser la narration. Et le metteur en scène a eu l’idée d’utiliser les éclairages pour créer des ambiances lumineuses permettant de faire exister tous ces lieux dans leur diversité sans qu’on ait à surcharger les décors. J’ai aussi essayé d’apporter un peu de légèreté, et d’ajouter quelques pointes d’humour venant d’Édith. Et ensuite, je voulais donner à mon adaptation la marque de ma personnalité, mais sans trahir Stefan Zweig; alors j’ai rajouté des petites choses qui ne sont pas forcément dans le roman mais qui permettent de caractériser chaque personnage et de faire en sorte qu’on s’y attache davantage.
(propos recueillis à l'hôtel Plamon de Sarlat le 22 juillet 2012)

Retrouvez Élodie Menant sur son site.

* Représentation donnée le samedi 21 juillet 2012 au Jardin des Enfeus.

La Pitié dangereuse
Adaptation d’Élodie Menant, d’après le roman de Stefan Zweig.
Mise en scène :
Stéphane-Olivié Bisson, assisté de Fanny Zeller
Avec:
Maxime Bailleul (ou Arnaud Denissel), Elodie Menant, Jean-Charles Rieznikoff, Philippe Risler, Alice Pehlivanyan (ou Salima Glamine)
Costumes:
Cécile Choumiloff,Charlotte Winter
Décors:
Linda Pérez
Régisseurs:
Serge Vaiti, Christophe.
Durée :
1h25

** À voir du 6 au 29 juillet 2013 à 16h20, au théâtre Le petit Louvre à Avignon.

Chronique inactuelle... bien au goût du jour
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26 mai 2013 7 26 /05 /mai /2013 18:23
Des portes, des portes, des portes, un lit...

Et, tout de même, quelque autre chose dans cette pièce: une intrigue bien sûr, certes quasi impossible à résumer mais dont on peut néanmoins poser les jalons. Léontine Duchotel est ardemment courtisée par le Dr Moricet, Léontine, qui entend rester fidèle à son époux, le meilleur ami de Moricet, ne cède pas à ses avances. Sa volonté commence de fléchir quand elle comprend que son mari, au lieu d'aller à la chasse avec un autre de ses amis, un dénommé Cassagne – qui justement avoue ne jamais chasser – va retrouver sa maîtresse. Elle finit donc par consentir à suivre Moricet dans la garçonnière qu'il loue au 40 rue d'Athènes. En ce lieu précisément que fréquente Duchotel. C'est là, aussi, que Cassagne, soupçonnant sa femme d'adultère, dépêche un commissaire de police afin de prendre l'infidèle en flagrant délit. Énoncer cela suffit à laisser prévoir d'inopportuns chassés-croisés qui vont resserrer jusqu'à l'inextricable les drôles de nœuds bien contraires aux liens sacrés du mariage que l'on vient de voir se nouer. Et comme pour tirer encore davantage sur ces fils, rode dans les parages un neveu Duchotel, Gontran,qui ajoute son histoire de cœur à ce frénétique ballet de couples pas très légitimes qui se danse au 40 de la rue d’Athènes…

Monsieur chasse!, c’est le vaudeville des vaudevilles dit le programme. Jean-Paul Tribout, lui, m'avait ainsi présenté la pièce tandis que je l'interrogeai sur le programme du 61e festival des Jeux du théâtre de Sarlat: Une pièce de Feydeau, qui reste une machine à rire formidablement bien rodée dont on peut dire qu’elle se résume à des jeux de portes qui claquent, offre de quoi s’amuser [...] En me demandant "comment monter du Feydeau aujourd’hui?", je me suis dit que le "fond" de la pièce tenait en deux choses: des portes, un lit. Du coup, le décor que j’ai choisi se limite à cela: un lit, des portes, et rien d’autre…

Et rien d'autre. Mais un "rien d'autre" dont la configuration mérite d'être détaillée car elle est éminemment signifiante. Ce que l'on voit d'abord est un plateau nu, fermé en fond de scène par un grand panneau ponctué de caissons clos par des portes; au centre, un élément parallélépipédique tout simple qui semble devoir répondre à toutes les destinations – tout cela, et le sol aussi, d'une blancheur immaculée. Au fur et à mesure que l'intrigue se noue, que les situations se complexifient, le décor révèle ses dessous, déployant alors toute une panoplie de signes que l'on jubile à repérer: les portes s'ouvrent sur des parois tapissées de papier coloré – une manière de figurer un intérieur cossu me semble-t-il – ,le caisson central s'avère être une alcôve où se love le lit, ce meuble ô combien important autour duquel se joue le deuxième acte. Et quelle alcôve, toute aux couleurs d'Ingres – deux Vénus, et une reproduction du fameux Bain turc: les images mêmes de ce qu'évoque le mot "volupté", cette volupté que les protagonistes attendent du lit et des petits à-côtés prodigués par la tenancière de l'endroit (parfums et champagne...). Le décor, modulable, fonctionne comme une métaphore de l'impeccable construction dramatique de la pièce. Sa blancheur frappe. Elle porte à son comble le dénuement voulu par le metteur en scène; un dénuement scénique qui abandonne ainsi l'intégralité de l'espace aux déplacements et aux gestes qui sont, ici, parmi les ressorts essentiels du comique. On trépigne, on gesticule, on court de droite et de gauche tout à son aise, au rythme accéléré qu'imposent les fuites, les dérobades, les poursuites entre gens qui se rencontrent bien contre leur gré et cherchent à s'éviter. Ce blanc a en outre, à mes yeux, une forte valeur symbolique; ce n'est certes pas le blanc de l'innocence ‒ à moins qu'il agisse comme une sorte d'antiphrase ironique puisque la pièce repose sur une série de tromperies ‒ mais, à coup sûr, celui de l’évidence: on comprend sans peine les phases les plus retorses de l'histoire, et le rire puise en des sources des plus limpides... "Monsieur chasse!, c'est le vaudeville des vaudevilles" nous dit le programme.

Contrastant avec ce décor épuré à l'extrême, aux confins du non figuratif, les magnifiques costumes que portent les comédiens sont à l'imitation de ceux de la bourgeoisie élégante de la fin du XIXe siècle ‒ du moins au regard d'une profane; peut-être des spécialistes de la mode décèleraient-ils quelques inexactitudes? Costumes et décor se valorisent mutuellement comme par effet de clair-obscur et génèrent un univers théâtral en parfaite harmonie avec la mise en scène, rapide mais avec des pauses bien placées, claire et carrée comme la construction de la pièce, subtile aussi jusque dans ses moindres détails. La musique par exemple. Elle habille les intermèdes entre les actes, ou ponctue discrètement la narration et fonctionne un peu à la manière des rehauts en dessin. Le piano domine; on songe aussitôt à une séance de cinéma muet, d’autant que le jeu des acteurs et le rythme de la mise en scène renvoient à l’univers du slapstick. Au milieu de ces petites volées musicales les amateurs reconnaîtront sans doute les premières notes de la mélodie des Brigades du Tigre, la série culte dans laquelle Jean-Paul Tribout incarnait l’inspecteur Pujol tandis que Jean-Claude Bouillon (qui d’ailleurs endossait le costume de Duchotel lorsque j’avais vu la pièce à Sarlat) était le commissaire Valentin et le regretté Pierre Maguelon l’inspecteur Terrasson. Cette allusion, subreptice comme un clin d’œil, a cette même tonalité que la fleur blanche trop largement épanouie ornant la boutonnière de Moricet, ou ces lunettes noires un rien anachroniques derrière lesquelles Léontine tente de préserver son anonymat tandis qu’elle entre dans la garçonnière du 40 rue d’Athènes…

L'ensemble est magnifié par des interprètes formidables qui ont de bout en bout le ton juste pour dire le texte – parler haut, crier quand il faut, et surtout faire entendre au passage, par la vivacité des échanges, le brillant de certaines répliques qui, sans être de fins mots d’esprit, sont de piquantes reparties – et l'exagération de jeu requise pour camper ces personnages plaisamment satirisés, prisonniers de leurs propres mensonges.

Tout au long de la représentation, j'ai eu ce sentiment jubilatoire que l'adéquation était parfaite entre ce qui était joué, dit, et ce qui devait être exprimé. Le verbe haut, la gestuelle souvent outrée sont toujours justes – car l'outrance, pour être pleinement comique, exige une justesse qui lui est propre, cette justesse même qui imprègne le spectacle.

Un excellent spectacle donc, non parce que, censé être "comique", il provoque en effet beaucoup de rires dans la salle mais parce qu’il sonne juste et que, par-delà leur belle façon de servir cette narrativité conçue dans le seul but de divertir, metteur en scène et comédiens donnent à voir clairement par quoi la pièce de Feydeau est théâtralement parfaite.

Monsieur chasse!

Comédie en trois actes de Georges Feydeau.
Mise en scène :
Jean-Paul Tribout, assisté de Xavier Simonin.
Avec :
Emmanuel Dechartre, Jacques Fontanel, Marie-Christine Lefort, Claire Mirande, Thomas Sagols, Xavier Simonin, Jean-Paul Tribout.
Décor :
Amélie Tribout
Costumes :
Julia Allègre
Lumières :
Philippe Lacombe
Durée :
1h50

Jusqu’au 6 juillet au Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier – 75014 Paris. Réservations au 01.45.45.49.77, du lundi au samedi de 14 à 18 heures.

NB – Je recommande particulièrement la lecture du dossier de presse accessible sur le site du Théâtre 14, où l’on trouve, outre les notices consacrées à chacun de ceux qui ont contribué à l’élaboration du spectacle, un très beau texte analytique sur Feydeau et son théâtre. J’ai retenu quant à moi cette citation :

Point de grande poésie chez Feydeau, pas plus que d’envolée lyrique, d’homérique pensée ou de romantique tirade. Non. Rien de cela. Pas plus de référence culturelle, ni de page d’histoire. Et pourtant, malgré cela (ou plutôt malgré l’absence de tout cela), Feydeau continue de nous divertir inlassablement !

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22 août 2012 3 22 /08 /août /2012 13:21

Il est temps de surmonter les méfaits caniculaires – les circuits ont légèrement fondu, réduisant à l'état de marmelade informe et poisseuse tout ce qui, de près ou de loin, a pu ressembler à des velléités d'écriture. Pourtant, je n'en avais pas fini avec Le Porteur d'histoire – alors, reprenons...

 

C’était paraît-il un "spectacle Carambar" – de ceux en lesquels le directeur artistique a une confiance si totale qu’il promet un lot de Carambars aux spectateurs qui ne l’apprécieraient pas… Je ne crois pas que cette année Jean-Paul Tribout ait eu à en offrir beaucoup: Le Porteur d’histoire a été salué par une ovation debout. Et si des spectateurs ont été déçus aucun en tout cas ne s’est manifesté lors de l’apéritif plamonais du lendemain: toutes les voix qui se sont élevées ont été laudatives. Les Carambars furent néanmoins de la partie, mais avec un sens nouveau: au lieu de revenir au(x) spectateur(s) mécontent(s), ils allèrent à un comédien encensé. La veille, Régis Vallée, s’avouant très friand de ces bâtonnets caramélisés, avait regretté en riant qu’ils ne fussent pas destinés à récompenser les artistes; une spectatrice s’en est souvenue et, tout en félicitant l’ensemble de l’équipe, elle a tendu au gourmand un gros paquet de friandises. Peut-être Jean-Paul Tribout devra-t-il imaginer une autre façon de labelliser ces spectacles qui le touchent mais dont il sent qu’ils pourraient ne pas enthousiasmer le public sarladais autant que lui – et, du coup, promettre effectivement des Carambars aux artistes qui lèveront les foules. Mais alors il peut être certain de voir son budget exploser, eu égard à l’indice de satisfaction des festivaliers, toujours très élevé.
Aussi bien la veille pour présenter le spectacle que le lendemain pour accueillir les réactions du public une grande partie des Porteurs d’histoire était à Plamon. De ces deux matinées tâchons donc de recomposer, en une matière (à peu près) domestiquée, ce qui s’est dit, ce qui s’est raconté, les questions qui ont fusé et les réponses qui ont fleuri…

 

D’Avignon à Sarlat

 

Jean-Paul Tribout:
J’ai découvert ce spectacle à Avignon l’an dernier, et j’ai été touché par ce texte aux multiples références littéraires historiques, qui captivait littéralement le public. Votre compagnie était déjà venue à Sarlat avec La Mégère (à peu près) apprivoisée; le spectacle m’avait séduit par ses qualités mais il ne m’avait pas transporté comme l’a fait Le Porteur d’histoire.
Régis Vallée:
On a l’habitude de monter des classiques revisités avec beaucoup d’humour et on n’a pas trop de mal à en parler. Mais quand on est arrivé en Avignon avec Le Porteur d’histoire, on ne savait pas très bien comment on allait s’y prendre pour le présenter aux gens parce qu’il est très difficile à résumer. On peut dire que ça commence comme un fait divers – une femme et sa fille disparaissent dans un coin reculé d’Algérie – et ça part comme une épopée romanesque qui traverse les siècles, avec plusieurs histoires qui s’imbriquent les unes dans les autres…
Amaury de Crayencour:
On est dans une forêt des Ardennes dans les années 1980 puis on se retrouve à Alger avec Eugène Delacroix… Nous sommes cinq sur scène et nous interprétons une trentaine de personnages; on doit passer très rapidement d’un personnage à l’autre, d’un lieu, d’une époque à l’autre et c’est extrêmement ludique pour nous comédiens. Je crois que ça l’est aussi pour les spectateurs…
Éric Herson-Macarel:
Oui, c’est très ludique et en même temps très conceptuel; le spectacle questionne la fonction des histoires, la façon dont on les raconte. Pourquoi l’être humain, du plus profond de lui-même, individuellement et collectivement, a-t-il tellement besoin d’histoires? De récits? Concrètement, c’est construit à la façon d’un conte à tiroirs, avec des histoires qui s’emboîtent comme des poupées russes et qui convergent vers une résolution finale, une sorte d’apothéose. L’auteur du texte, Alexis Michalik, qui est aussi le metteur en scène, voulait que l’ensemble ait une dimension cinématographique et je crois que dans la mise en scène, comme dans l’écriture, c’est vraiment réussi. Il y a des effets de flash back, de fondu enchaîné… on a en effet la sensation d’assister à un film à grand spectacle, même si le plateau est nu: l’espace est quasi vide et on suggère les lieux et les époques avec quelques effets de costumes.

 

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Comment en sont-ils arrivés là?


Avant que naisse cette fresque foisonnante qui tient en haleine pendant presque deux heures et mène à travers les siècles une farandole de personnages il y eut une toute petite forme improvisée au pied levé pour combler un trou imprévu dans la programmation d’un festival… Une histoire pas banale qui vaut le coup d’être racontée – c’est bien le moins pour une pièce questionnant le processus narratif…


Amaury de Crayencour :
Le spectacle a été créé dans l’urgence… Au départ, la première mouture du Porteur d’histoire a été une forme courte, d’une cinquantaine de minutes, écrite en à peine trois semaines parce qu’il fallait compenser un désistement de dernière minute pour le festival Mises en capsules, créé par le directeur artistique du Ciné-théâtre 13, Benjamin Bellecour. Il a demandé à Alexis s’il n’avait pas quelque chose dans le tiroir qu’il pourrait proposer en remplacement; Alexis avait bien une idée à partir d’un fait divers, qu’il destinait plutôt au scénario d’un court métrage, alors il a pensé que ça pourrait convenir pour une pièce de théâtre d’une cinquantaine de minutes. Mais au lieu d’en faire un récit complet avec un début, un milieu et une fin, il a imaginé de couper l’histoire au milieu, en se disant que si ça marchait, le public réclamerait la suite… Ça a marché, et il a donc écrit la forme longue. Mais la forme longue a elle aussi été montée dans l’urgence: on aurait dû avoir quatre mois pour la travailler or Alexis a dû s’absenter pour un tournage… On avait cette histoire à raconter, il fallait y arriver par tous les moyens; il fallait vraiment y aller, avec nos tabourets, avec des bouts de ficelle… et finalement je crois que cette urgence nous a beaucoup aidés; elle nous a évité de nous poser trop de questions.
Evelyne El Garbi Klai :affiche_misesencapsules.jpg
Quand Alexis m’a contactée, il m’a expliqué qu’il s’agissait d’un projet impliquant de jouer juste quelques dates au Ciné-théâtre 13 dans le cadre du festival Mises en capsules, en ayant deux semaines pour répéter. On s’est donné rendez-vous et il m’a dit: "Tiens, je te raconte une histoire"… et pendant une demi-heure il m’a en effet raconté une histoire, en s’interrogeant sur ce qu’est une histoire, comment la raconter… J’étais complètement suspendue à ce qu’il disait, en état d’attente, et, quand on s’est retrouvés en salle de répétition, on était là, sans texte, assis comme ça à se demander qu’est-ce qu’une histoire, comment on la raconte… Alexis avait une idée très précise de ce que devait être ce spectacle, il avait des scènes en tête, mais il n’y avait pas de texte; nous avons donc dû inventer, imaginer tout ça, rêver les personnages et, comme nous n’avions pas de texte, nous sommes partis de nous-mêmes – qui je suis, qui j’ai envie d’incarner… C’était un moment de création absolument incroyable. Nous ne savions pas où nous allions, nous avions des scènes, des mots clés, des rendez-vous… il fallait se retrouver dans tout ça et ce jeu d’improvisation, c’était un bonheur inouï pour un comédien. Après il a fallu apprendre le texte; ça a été très dur de devoir se raccrocher à des scènes écrites alors qu’on avait rêvé, inventé des choses dans une totale liberté. Et là ça a pris du temps! Mais je crois que toute cette phase se création qui a précédé l’écriture du texte donne au spectacle sa qualité particulière.
Jean-Paul Tribout:
Donc concrètement vous avez d’abord travaillé en improvisation sous la direction d’Alexis, vous avez enregistré vos impros et c’est à partir de ces enregistrements qu’Alexis a écrit son texte?
Régis Vallée:
Le processus d’écriture est même un peu plus subtil que ça: les scènes historiques ont été écrites en amont – on avait donc une langue beaucoup plus élaborée pour celles-ci, en revanche on a davantage improvisé pour les scènes contemporaines de façon à avoir cette langue orale, ces répliques qui s’interrompent, qui se mêlent, etc.
Amaury de Crayencour:
Alexis racontait une situation – mais sans donner de texte. Il disait par exemple: "À ce moment-là je veux une engueulade au téléphone." On improvisait une engueulade au téléphone, il en gardait ce qu’il aimait, enlevait ce qu’il n’aimait pas, et c’est devenu le texte qu’on interprète, qui ne bouge quasiment pas d’une représentation à l’autre.


En effet le "processus d’écriture" est "subtil": non seulement les récits s’emboîtent en ayant de l’un à l’autre des rapports étroits qui ne sont pas de simple logique narrative mais encore on voit très clairement se mêler des éléments de fiction et des emprunts au réel. Comme dans un roman historique…


Éric Herson-Macarel:
Alexis s’est amusé – c’est un exercice très jouissif – à mélanger des choses parfaitement véridiques sur le plan historique et des éléments totalement romanesques.
Régis Vallée:
Fiction et réel sont toujours entremêlés; notre travail a aussi visé à faire passer ce mélange de telle façon que le spectateur y croie, qu’il puisse se laisser embarquer dans une histoire plausible… Nous nous sommes tout le temps raccrochés aux nombreux éléments réels ayant trait à la géographie, aux époques… et nous demandions systématiquement si tel ou tel de nos choix était vraisemblable – par exemple à un certain moment des personnages empruntent l’autoroute de l’Est et l’action est censée être située en 1988. Mais cette autoroute existait-elle en 1988? Et Martin Martin peut-il conduire une 505 étant donné l’année où se situe le passage?… Cela dit, on a quand même eu beaucoup de libertés à l’intérieur de ces contraintes… En ce qui me concerne, pour endosser le rôle du fossoyeur – Alexis voulait un fossoyeur qui ait avec la mort un rapport un peu étrange – j’ai fait quelques recherches autour des métiers de la mort et dans les paroles que dit Michel Le Borreux il y a beaucoup de choses authentiques même si la lignée des Le Borreux n’existe pas – il y a vraiment quelqu’un à Toulouse qui a évité le bagne en acceptant la charge de bourreau au XVIIe siècle; il y a également un bourreau qui a engendré une ligné de quinze successeurs mais ça se passait en Normandie. "Retravailler" ainsi la réalité et la mêler à la fiction a été un procédé magistralement utilisé par Dumas, notamment.

 

Des louanges, et des questions


"Un feu d’artifice théâtral… Et quel enthousiasme vous avez montré à nous faire partager ce que vous aviez construit ensemble!"; "J’ai trouvé votre spectacle époustouflant, vraiment très prenant"… Deux réactions saisies parmi d’autres qui toutes allaient dans le même sens, celui de la louange. Mais l’on sait que la particularité des spectateurs sarladais, surtout de ceux qui fréquentent les matinées de Plamon, est de ne jamais se borner à des appréciations épidermiques, qu’elles soient positives ou négatives. Et derrière chaque "j’ai aimé" se cachait une question… Petit (tout petit) florilège…

 

Pourquoi êtes-vous déjà sur le plateau, assis sur vos tabourets, pendant que les spectateurs s’installent?
Éric Herson-Macarel:
Être sur le plateau pendant que les spectateurs arrivent, c’est être dans l’essence du théâtre, de la fiction. Nous avons voulu éviter de créer dès le départ un dispositif illusionniste, par exemple un rideau qui s’ouvre tout d’un coup pour signaler que le spectacle commence. Accueillir les gens, échanger quelques mots avec eux quand ils passent, c’est une façon de dire qu’on est ensemble au théâtre et qu’on va partager une fiction. On annonce dès le début cette forme de fiction – on ne va pas feindre de vous révéler une vérité – et le pari de cette fiction c’est qu’elle vous embarque dans un sentiment de réel croissant, qu’elle suscite votre intérêt… Et ça marche: il paraît qu’après avoir vu la pièce des spectateurs sont allés vérifier sur internet si la famille Saxe de Bourville existait vraiment…
Amaury de Crayencour:
Le rideau qui s’ouvre pour qu’on vous dise "on va vous raconter une histoire", c’est très solennel, comme si on allait commencer une conférence. Tandis que démarrer en étant déjà sur le plateau est une façon de signifier qu’on est tous réunis pour se raconter des histoires. On a besoin d’être tous ensemble  le public est une composante indispensable du spectacle; d’ailleurs on s’adresse très souvent à la salle, tout en se parlant – c’est délibéré: cette idée qu’on est tous ensemble, c’est le sens même du spectacle.

Régis Vallée:
Cette convivialité avec le public, être là pieds nus et dire bonsoir aux gens qui arrivent, ça fait partie des petits points communs qu'il y a dans les différentes mises en scène d'Alexis; j'ai travaillé sur plusieurs spectacles avec lui, notamment Romeo et Juliette où nous étions trois comédiens pour incarner tous les personnages de Shakespeare, avec aussi des portemanteaux à costumes sur scène et les costumes qui tombaient au fur et à mesure, et des comédiens pieds nus qui accueillaient le public. Les premières fois, c'est assez troublant d'être là déjà installés mais c'est finalement très agréable… il y a un côté "échauffement", c’est un dispositif plus simple pour nous qu’un rideau fermé…

 

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Comment vous est venue l’idée de ce tableau noir sur lequel vous inscrivez, tout au long de la pièce, des dates, des mots clés…?

Amaury de Crayencour:
C’est un choix d’Alexis donc ce que nous allons dire ne sera pas forcément très précis… je crois qu’il y a un côté pédagogique mais qui ne serait pas trop didactique: la craie, le tableau, avec ces dates historiques qu’on inscrit au fur et à mesure… c'est un peu comme à l'école. Il y a un côté très enfantin dans ce spectacle, comme dans le métier de comédien d’ailleurs: on est des enfants, qui toujours cherchent à interpréter des personnages.
Éric Herson-Macarel:
Comme vient de le dire Amaury, ça a été une décision du metteur en scène; il voulait qu’il y ait un tableau sur lequel on allait écrire des choses. Au début on l’a fait bêtement et puis peu à peu chacun s’est mis à écrire un peu ce qu’il voulait. Pour moi, en plus de ce que vient d’évoquer Amaury, il y a un côté enquête policière –
ce tableau évoque ce que fait un inspecteur de police qui jette des notes dans un carnet, avec juste des mots isolés, comme ça. L'histoire raconte une sorte de chasse au trésor, c'est un puzzle totalement indéchiffrable pendant les trois quarts du spectacle jusqu’à ce qu’on efface une partie des inscriptions pour qu’apparaisse l’astuce avec le nom d’Edmonde Antès/Edmond Dantès… D’ailleurs, pour la reprise au Théâtre 13, on a trouvé comme sous-titre "chasse au trésor littéraire".

 

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Tout attentifs qu’ils soient, les festivaliers posent peu de questions précises à propos des lumières, des accompagnements sonores – il faut dire que les auteurs de bandes son et les créateurs d’effets lumineux, s’ils sont toujours "crédités au générique", sont rarement présents sur l’estrade plamonaise. Mais quand celle-ci accueille l’un de ces artistes-techniciens le voici sollicité tout autant que ses camarades. Ainsi en alla-t-il pour Anaïs Souquet, régisseuse et créatrice lumières du Porteur d’histoire
Elle accomplit chaque soir une véritable performance, non seulement parce qu’elle doit gérer à la fois les lumières et les sons, mais surtout parce qu'elle doit sans cesse s’adapter à des situations nouvelles, le spectacle ayant jusqu’à présent fonctionné essentiellement en tournée. Une bonne partie de son travail s’effectue manuellement de façon à pouvoir suivre au plus près les comédiens dont les évolutions, d’une représentation l’autre, changent en fonction de l’espace. Et puis les dispositifs techniques sont à adapter à chaque lieu. Par exemple aux Enfeus, au dernier moment, elle a placé deux projecteurs latéraux pour éclairer les murs; sans être dirigée directement sur le plateau, la lumière ainsi créée contribuait à tisser l’ambiance. Cela s’appelle "savoir tirer parti de l’environnement" et le public y a été sensible.

 
Il y avait hier de magnifiques jeux d’ombres sur les murs des bâtiments; comment les recréez-vous quand vous jouez dans une salle fermée?
Amaury de Crayencour:
Ces effets-là ont été parmi les très heureuses surprises que nous a réservées le lieu; à un moment, Régis et moi étions derrière le paravent et nous avons vu ces ombres magnifiques, qui n’étaient pas du tout prévues… et qui n’existent pas quand on joue dans une "boîte noire", mais il y a d’autres effets de lumière que vous découvrirez si vous venez voir la pièce au Théâtre 13…
Anaïs Souquet:
En fait Alexis ne veut pas de "boîte noire", il préfère que tout soit visible: la machinerie, ce qu’il y a derrière… et quand j’arrive dans un théâtre fermé, je demande à ce qu’on enlève les pendrillons. Quand je dois faire les lumières manuellement, je procède un peu comme un DJ avec les sons…


Le travail d’Anaïs s’étend aussi à la gestion des effets sonores; elle n’en est pas l’auteur – outre les bruitages la bande son emprunte ses plages musicales à Philip Glass (pour la reprise au Théâtre 13, elles seront remplacées par des compositions originales signées Manuel Peskine) – mais c’est grâce à sa dextérité qu’ils accompagnent à point nommé les comédiens, lesquels s’appuient beaucoup, pour trouver leur rythme de jeu, sur la musique et les sons. Leur importance peut être signifiée par deux chiffres: trente-deux effets sons et une heure environ de bande sonore pour une pièce qui dure à peine deux heures.

 

Il est question dans le spectacle des Lysistrates; ce nom ne se rapporte-t-il pas à une pièce de théâtre?
Jean-Paul Tribout:
Si, c’est une pièce d’Aristophane, intitulée Lysistrata et qui raconte la grève du sexe qu’imaginent des femmes, emmenées par Lysistrata, pour faire cesser la guerre… La pièce est assez régulièrement montée, mais sous forme d’adaptations parce que le texte d’origine ne nous est parvenu qu’à l’état de fragments – il faut donc la récrire en partie, et cela a beaucoup été fait au XIXe siècle.

 

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Laissons à Éric Herson-Macarel le "mot de la fin" – encore des louanges, cette fois tournées vers le public...

À mon sens, l’une des grandes vertus de ce spectacle est que, tout en étant une forme de théâtre populaire au meilleur sens du terme, et sans être du tout intellectuel, il parie – et de façon gagnante apparemment – sur l’intelligence du spectateur, sur son intuition qui lui permet de comprendre instantanément qu’à tel moment, je conduis une Jeep, à tel autre un avion, etc. et qui lui permet aussi de suivre l’histoire malgré les effets de flash back. Je vois que vous ne vous êtes pas perdus; donc vous êtes intelligents! (rires)

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7 août 2012 2 07 /08 /août /2012 13:07

Voilà donc que ce spectacle dont l’argument de départ est une question de narrativité – une triple question en fait aux ramifications innombrables: "Qu’est-ce qu’une histoire? Comment raconte-t-on une histoire? Pourquoi l’être humain a-t-il tant besoin de mettre du récit dans sa vie?" – s’avère lui-même… inénarrable! Un comble que l’on ne puisse pas "raconter l’histoire" qui sous-tend une pièce s’interrogeant sur les histoires, leur mode de fabrication et de transmission – leur rôle enfin… Et ceci n’est pas une pirouette: dans le programme lui-même la présentation ne raconte rien mais décrit et, en effet, c’est par la description que l’on rend, je crois, le meilleur compte de ce qu’est Le Porteur d’histoire.


Description du plateau, du jeu des comédiens, de la scénographie, de la mise en scène… Mais là encore la tâche s’avère quasi impossible: l’enchantement naît d’une conjonction d’éléments si divers que l’on ne saurait en cerner les fondements sans passer par quantité de tours et détours. Il est vrai qu’ici, "tours et détours" sont à leur fête: l’argument est une sorte de "chasse au trésor" qui, à l’instar des meilleures intrigues feuilletonnesques, se déploie en une multitudes d’épisodes entrecroisés selon une ligne narrative sans cesse gauchie par les retours en arrière, les digressions historiques, les inclusions de récits secondaires pour, in fine, converger vers une résolution éclairant a postériori l’ensemble de l’histoire. Cette architecture même est constitutive de l’argument de la pièce, dont on a vu qu’elle se propose de réfléchir sur la notion de récit – et se comprend donc comme une démonstration par l’exemple.
Le plateau? Nu. Fermé partiellement en fond de scène par un vaste tableau noir où, tout au long de la représentation, les comédiens inscriront à la craie des dates, des noms, des mots clés,  avec d’un côté un porte-manteau où sont rangés sur leurs cintres de nombreux costumes et, au premier plan, cinq tabourets sur lesquels déjà à l’arrivée des premiers spectateurs sont juchés les comédiens, pieds nus, tous pareillement vêtus d’un pantalon sombre et d’un débardeur blanc. Ils bavardent entre eux, rient, conversent avec les gens qui leur adressent la parole…

 

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Passée l’allocution de Jean-Paul Tribout annonçant le seizième des dix-huit spectacles de cette soixante et unième édition du festival des jeux du théâtre de Sarlat, un prologue signale la véritable "entrée en récit" et laisse entendre tout de suite un très beau travail d'écriture: en quelques phrases limpides sont énoncés de ces problèmes qui nourrissent les traités de philosophie et de métaphysique depuis que ceux-ci s’écrivent: qu’est-ce que la réalité par rapport à la fiction? Comment la fiction s’introduit-elle dans le récit? Et l’Histoire, celle avec un H majuscule? Quelle part de récit – entendons par là de fiction, de reconstruction imaginaire – comporte-t-elle? "N’oublions pas qu’un historien, aussi rigoureux et objectif qu’il veuille être, est pris dans son époque, dans la façon dont on conçoit l’Histoire à ce moment-là", dit en substance l’un des comédiens. Comment poser en termes plus clairs ce dont débattent les historiens d’aujourd’hui quand ils analysent non plus le passé mais leur propre démarche et les fondements de leur attitude intellectuelle? Passionnant, certes. Peut-être un peu ardu tout de même pour une scène de théâtre qui ne se serait pas déguisée en salle de conférence… Oui-da mais justement: on quitte très vite la réflexion théorique et abstraite pour plonger au cœur de la fable: à partir d’un fait divers – on reconnaît là cette "nourriture de base" dont sont friands les romanciers, notamment les auteurs de polars – tenant dans une courte phrase libellée à peu près ainsi, dans un village reculé d’Algérie, une femme et sa fille disparaissent mystérieusement… commence de s’engager un formidable ballet scénographique et narratif. 

 

Quelle construction! costumes-TN.jpg
À la seule écoute on sent combien le texte est minutieusement jalonné de détails récurrents, à la fois audibles et discrets. Et quel rythme! l’on glisse d’une situation à une autre en traversant au passage l’espace et le temps – l’on est tour à tour emmené dans une forêt des Ardennes, en Algérie, au Canada… tout en voyageant entre les siècles: le XIXe en compagnie d’Alexandre Dumas et d’Eugène Delacroix, le Moyen Âge, la fin du XXe et le début du XXIe… Tout se passe dans un univers presque entièrement symbolique: une pièce vestimentaire endossée, une allusion lancée dans une réplique, un geste accompli, et voilà campé un personnage, suggérée une période, indiquée une action (conduire un avion, montrer une peinture, déterrer un cercueil…). Chacun des cinq comédiens incarne plusieurs personnages, tous sont étonnamment brillants : ils passent d’un rôle à l’autre avec une virtuosité d’autant plus remarquable que les glissements se font à très grande vitesse – à peine le temps de tomber une chemise et d’enfiler une djellaba… Quelle que soit la situation jouée, l’adhésion est immédiate: on est emporté au cœur des histoires racontées pour n’émerger de ce tourbillon, ébahi, qu’au moment des saluts. 


Au fur et à mesure que l’on progresse dans cette fiction historique foisonnante mâtinée d’intrigue policière où brillent comme en majesté les figures du livre et de la bibliothèque, où fourmillent les références attestant qu’elle a germé dans un terreau de grande érudition, les costumes tombent devant le tableau noir, sont repris, réendossés, quittés à nouveau… Et cela s’achève. On est un peu triste de devoir rompre avec ce bonheur théâtral qu’on a éprouvé pendant une heure et demie, mais l’on est aussi comblé: outre que l’on ne s’est jamais égaré pendant le spectacle, on a le sentiment que cette fin arrive très exactement là où la logique de la narration impose le point final – là où, pour respecter jusqu’au bout cette logique, le récit ne peut souffrir un mot de plus. 


De toutes les pièces que j’aurai vues à Sarlat cette année, soit douze sur les dix-huit programmées, c’est Le Porteur d’histoire qui m’a donné avec le plus d’intensité cette curieuse sensation d’être subjuguée par tant d’éléments à la fois: les interprètes sont d’une merveilleuse virtuosité, la scénographie inventive, l'intrigue prenante et, malgré la vivacité du rythme, il n'est pas difficile de saisir combien le texte est riche – je n'ai pu m'empêcher de penser au Nom de la rose (la première version, non la seconde récemment parue que d’ailleurs je n’ai pas lue…). Il a été publié par les éditions des Cygnes*: je pourrai donc m’y plonger, et le savourer à mon gré dans la lenteur silencieuse de la lecture. Quant au spectacle, il sera repris à Paris en septembre prochain, sous-titré "Chasse au trésor littéraire", au Théâtre 13 "Jardin".
Je suis à peu près sûre, bien qu'il ne faille jurer de rien, que j’irai là-bas reprendre une leçon d’histoires…

 

 

Le Porteur d’histoire
Texte et mise en scène:
Alexis Michalik
Avec:
Amaury de Crayencour, Evelyne El Garby Klai, Magali Genoud, Éric Herson-Macarel, Régis Vallée.
Création lumières:
Anaïs Souquet
 

Costumes:
Marion Rebmann
Durée:
1h30

 

Représentation donnée le jeudi 2 août 2012 au Jardin des Enfeus.

 

* Le Porteur d'histoire d'Alexis Michalik est sorti en juin 2012 (148 p. – 10,00 €. ISBN: 978-2-915459) On peut se procurer le livre via sa page sur le site internet de l'éditeur

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6 août 2012 1 06 /08 /août /2012 12:09

Écrire après coup, toujours.
Écrire quand, enfin, on a trouvé ce juste point où brûle encore l’ardeur des émotions ressenties – si fugace mais sans laquelle aucune phrase n’aura de sève – et qui en même temps est assez éloigné du foyer émotionnel pour que l’esprit puisse prendre la distance qu’exigent l’ajustement du langage écrit à la force brute de l’émotion, et le cheminement souvent très lent que parcourt la pensée pour lier ensemble de manière cohérente, intelligible à d’autres que soi, tout ce qu’un spectacle aura suscité qui demande à être dit.
Parfois cette pensée si lente, et rétive à s’ordonner, se tient en une telle immobilité de bête morte que la formulation continue de balbutier tandis que les souvenirs ont déjà beaucoup terni. Il faut alors accomplir un patient effort de reconstruction pour tâcher non pas de raviver une flamme éteinte mais de redessiner une image, la plus exacte possible, de cette flamme. Distanciation supplémentaire certes mais qui pourra s’avérer in fine sillon fécond plutôt qu’infranchissable fossé.

final luneLe 61e festival des jeux du théâtre de Sarlat est clos, et ma plume à la traîne: elle erre encore du côté de Sainte-Claire, avec Arnaud Denis et ses pérégrinations Autour de la folie, peinant à faire la part entre l’objet scénique en lui-même et les signifiances qu’il véhicule – une mine, rien que cela… – les inévitables réminiscences personnelles qu’il draine – mais ont-elles leur place dans une chronique? Ne doivent-elles pas être laissées sous le boisseau? – et les réflexions plus générales, hors spectacle, et hors littérature, sur les troubles du psychisme. Tant de "choses à dire" se pressent là dans le désordre! Malgré cela, elle a su répondre sans que j’aie trop à la prier au véritable coup de cœur que j’ai eu pour Le Porteur d’histoire qui, lui – à deux soirées près – a presque clôturé le festival… Elle piaffe aussi après Monsieur chasse! et a commencé de tresser une belle couronne de lauriers à ce monument boulevardier – je n’ai pas ri ni même souri, je n’aime pas le vaudeville mais le spectacle était brillantissime et ce qui fonde cet éclat assez facile à exprimer. La folie devra attendre encore un peu… et avec elle les autres bribes qui volettent, trop éparses, autour de Chez Jeanne, de La Pitié dangereuse, de Cyrano, de… toutes les pièces que j’ai vues cette année, bribes auxquelles se mêlent des considérations rétrospectives, ressortissant à une sorte de bilan, des impressions humaines très fortes – matière compacte, et confuse, brute…

Ô bizarreries des dispositions scripturales qui ne se soucient ni de chronologie, ni de logique, pas même d’intensité émotionnelle. Tant pis: je m’en remets à leur gouvernement qui ne m’a, après tout, jamais trop gravement trahie.

L'ultime matinée plamonaise du samedi 4 août s’est déroulée à tout petit comité. De ce noyau dur de festivaliers, où manquaient quelques-uns des plus fidèles assidus, j'ai retenu quelques voix: telle spectatrice qui suit le festival depuis vingt ans, telle autre depuis quatre,  cette autre encore qui prépare son séjour théâtral tout au long de l’année, loin de Sarlat, en allant voir de très nombreux spectacles et qui partage ensuite ses impressions au téléphone avec ses amis, eux aussi festivaliers… Aucune de ces voix n'a discordé: je n’ai entendu ce matin-là que des louanges à l'endroit de la programmation 2012. Je ne pense pas me tromper en imaginant que c'était là le reflet fiable d’un "indice de satisfaction" plus général. Tous les enseignements de cette édition ne seront véritablement tirés que bien plus tard. Néanmoins de grandes lignes esquissant le prochain festival sont déjà visibles: les dates en sont arrêtées – du 20 juillet au 5 août 2013 – et le comité d’organisation, sachant qu’il devra se satisfaire d’un financement à peu près équivalent à celui de cette année, prévoit de programmer le même nombre de spectacles, soit dix-huit.

Cela étant écrit, je consens avec moins de remords à battre les pages du calendrier comme je ferais d’un jeu de cartes et à ébouriffer ainsi la succession des jours passés au gré des phrases qui daigneront tailler leur route dans la luxuriance des émotions révolues – mais pas mortes et encore chaotiques. Puisse l'hommage que je souhaite rendre aux artistes n'en pas trop souffrir.

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25 juillet 2012 3 25 /07 /juillet /2012 12:55

11 heures. Réunion plamonaise

 

"Il y a eu beaucoup de monde hier", annonce Jean-Paul Tribout pour ouvrir la séance. "Les gradins étaient pleins et on a dû refuser des spectateurs. Je pense que cette affluence est essentiellement due à Voltaire, et c’est plutôt réconfortant de constater cela en ce début de XXIe siècle. Mais à l'issue de la représentation, il était évident que le plaisir manifeste du public était lié à l’interprétation, à la qualité de la mise en scène…"
Les réactions qui ont fusé tout au long de la rencontre l'ont bel et bien confirmé: les spectateurs ont beaucoup aimé la manière dont la compagnie du Catogan a transposé sur scène le conte de Voltaire.

Sur l’estrade – dont je crois remarquer qu'elle s'est agrandie – autour de Jean-Paul Tribout : Gwenhaël de Gouvello, le metteur en scène de Zadig, quelques-uns des treize comédiens de sa compagnie, et Arnaud Denis. L’on discuta beaucoup de Zadig, de Voltaire, des partis pris d’adaptation, de la "fabrique" du spectacle… Il resta cependant un bel espace de temps pour permettre à Arnaud Denis d’évoquer son seul-en-scène Autour de la folie qu’il devait interpréter le soir même – bien que le spectacle fût encore à voir les échanges furent nourris car le sujet, et le principe du florilège textuel déjà suscitaient nombre de questions. C’était ma première réunion festivalière, et je n’ai pas été dépaysée: j’ai retrouvé cette richesse, cette densité de propos, cette qualité d’écoute mutuelle qui donnent l’essentiel de leur prix à ces rencontres matinales. Je tâche depuis quelques années d’en conserver la trace vocale – j’y viens munie d’un petit enregistreur; de médiocre qualité il capte néanmoins matière à soutenir ma mémoire et, de ce qui me demeure intelligible je m’efforce ensuite de tirer une transcription, forcément traître par ses reconstructions, ses raboutages, ses élagages mais tout de même fidèle à ce qui m’aura le plus touchée – toute subjectivité assumée.

 

zadig_Plamon.jpgComment avez-vous travaillé l’adaptation? Quel a été le degré de refonte et comment avez-vous ajouté les divers éléments d’actualisation - par exemple cette  allusion à Johnny Hallyday?
Gwenhaël de Gouvello :
Il y a la base du texte de Voltaire, dans lequel il n’y a rien à changer. Ensuite il a fallu décider à qui on donne le propos – ce qui revient à une question "économique": alors qu'il y a pléthore de personnages, comment faire en sorte qu’il y ait le moins de comédiens possible pour que le coût du plateau ne soit pas trop élevé? En ce qui regarde les actualisations, je me suis surtout inspiré de slogans soixante-huitards. Par exemple ceci: Dès que leurs turpitudes urbaines connaissent l’insuccès ils foncent vers la chlorophylle; je ne peux pas dire que je l’ai inventé – en fait je me suis reporté aux années 70, à cette époque où tout le monde filait au Larzac… et la quête du bonheur de Zadig me faisait penser à cette envie de partir, de "refaire le monde", aux "philosophies de comptoir"… Je prenais des notes au fur et  à mesure et c’est comme ça que l’adaptation s’est faite peu à peu, en cherchant des parallèles entre ce que disait Voltaire – ces pans de texte que vous avez reconnus – et ce qu’on a aujourd’hui. L’apparition de Johnny? Dès le départ, j’avais envie d’un spectacle très "bande dessinée" et, pour l’obtenir, j’étais prêt à tout. Nico [Nicolas Lumbreras] a commencé à imposer une voix de Canadien pour son personnage et, après, tout le monde s’est mis à vouloir introduire des voix différentes… Convoquer Johnny pour allumer le bûcher, c’était juste pour s’amuser un peu plus… Je voulais vraiment que notre spectacle transpire le plaisir du jeu. Avec tout de même quelques garde-fous… par exemple à côté de ces costumes très bariolés, un peu kitsch – mais un kitsch complètement voulu et assumé – il y a Zadig qui porte une tenue contemporaine, la Morale et la Philosophie, et puis l’ermite, qui eux aussi portent des vêtements faisant contraste avec les costumes résolument kitsch des autres; ils viennent rappeler la présence de Voltaire, et signaler les résonnances avec notre époque. Ces quatre personnages forment, en fait, une sorte de chœur. Les propos que tiennent la Morale et la Philosophie sont plutôt de l'ordre du commentaire, de l’analyse; c’est un peu comme si on avait un relais, un regard sur le contenu de chaque "bloc" narratif.


Jean-Paul Tribout :
L'une des choses qui m'a séduit dans votre spectacle, c'est cette capacité à fabriquer du théâtre avec trois fois rien, à générer un monde qui n’est pas naturaliste mais symbolique avec des éléments aussi quotidiens que les chaises…
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La chaise, pour moi, est liée au conte. Je viens de Bretagne, une région où le conte, la tradition orale a une grande place. En Bretagne, dans les maisons, il y a la chaise du conteur, qui est placée à côté de la cheminée – et que l’on trouve encore aujourd’hui. La chaise, c’est aussi un tableau de van Gogh, la chaise dans sa chambre… Pour moi, suspendre des chaises et en même temps avoir, au sol, une disposition de chaises très cartésienne c’est une façon d’obliger à lever les yeux, à regarder un peu vers le ciel. Et ça correspond vraiment à une pensée voltairienne: si je regarde le ciel, cet infiniment grand, je vois comme je suis, moi, infiniment petit. On n’est pas grand-chose – mais ce pas-grand-chose m’intéressait. Avec des chaises, on peut faire beaucoup, en fonction de la façon dont on les empile, dont on les manipule – un trône, des appareils de gymnastique… lors des répétitions, ces chaises devenaient, pour les comédiens, comme un Rubik’s cube… et encore aujourd’hui, au moment des répétitions, il nous faut déterminer qui fait quoi avec telle chaise! C’est un véritable exercice… On envoie l’imaginaire vers le public, qui du coup rentre assez facilement dans l’univers dès que la note est donnée.

 

Votre spectacle est tellement foisonnant que parfois son côté visuel, graphique, prend le pas sur ce qui est dit; du coup on est un peu frustré, on se dit qu’il faudrait le voir deux fois, et même davantage…
Gwenhaël de Gouvello:
C’est une des difficultés des spectacles que je monte; j’ai tendance à être très "bord cadre" – je veux dire par là que j’aime bien développer des choses à la périphérie de l’action principale. Par exemple dans le spectacle d’hier, en dehors de ce que fait Zadig, il y a le chœur qui joue un rôle important et, pour le percevoir, il faut être attentif aux "bords cadres". Parfois je me dis que je ne vais pas écouter l’histoire, mais simplement regarder ce qui se passe sur les côtés… On adore, ou on me le reproche, en me recommandant d’épurer beaucoup plus.


Jean-Paul Tribout, à Benjamin Penamaria [qui incarne Zadig]:
Il y a combien de temps que vous jouez ce spectacle? Et toi, qu’as-tu ressenti pendant la représentation?
Benjamin Penamaria :

Nous avons joué Zadig une bonne cinquantaine de fois, je crois… Hier, je crois que nous étions dans une énergie assez exceptionnelle… je ne sais pas trop bien l’expliquer, mais corporellement en tout cas, nous étions bien; en ce qui me concerne, j’ai pris beaucoup de plaisir à jouer; j’ai senti le public complètement avec nous – vous étiez très réactifs, c’était très agréable, et ce n’est pas tous les jours comme ça…


À l’instar de Benjamin Penamaria, les autres comédiens présents à Plamon, intervenant tour à tour, ont exprimé leur plaisir d’avoir joué la veille et leur ressenti du lieu, "très porteur", – l’un d’eux parlera même de "soirée magique", après avoir dit un mot de leur appréhension un peu tendue avant de venir sur scène car il y avait trois mois qu’ils n’avaient pas joué Zadig.

 

Y a-t-il eu des modifications, des évolutions entre les premières représentations et celle que vous avez donnée hier?
Gwenhaël de Gouvello:
Oui, il y a toujours des petites choses qu’on change. Par exemple, des coupes ont été faites: au fur et à mesure que l’on joue, on s’aperçoit que certaines phases du spectacle ont besoin de plus ou moins de dynamique… Et puis c’est du spectacle vivant: chaque représentation est une remise en question de ce qu’on fait, on revoit les propos, on sent que parfois il faut ajouter une pause, ou au contraire enchaîner plus vite… mais pour toute la base de l’histoire, sa logique, on s’en tient à un ensemble de choses bien arrêtées et, à partir de là en effet on peut "lâcher-prise", ce qui est très agréable. Et quand on a comme hier soir un public qui répond aussi bien à ce qu’on fait, c’est un peu comme si on avait un partenaire supplémentaire et on a alors le sentiment de tout improviser.


Avez-vous modifié votre spectacle pour la circonstance particulière du festival de Sarlat?
Gwenhaël de Gouvello:

Non – en dehors, évidemment, de l’adaptation au lieu.

 

Mais aussitôt une voix a fusé parmi les comédiens pour mentionner que la veille il y avait bien eu un bref moment de surprise quand, sensible aux étoiles luisant dans la nuit close, la Morale, les yeux tournés vers le ciel, a rapidement murmuré "c’est là-haut qu’il faut regarder" – une réplique non écrite, à laquelle personne ne s’attendait…
Se tournant alors vers Arnaud Denis, Jean-Paul Tribout lui demande quel est son point de vue sur la part d’improvisation qui entre – ou non – dans une représentation.

 

sandor-M_Plamon.jpgArnaud Denis:
J’aurais envie de citer Sándor Márai, un auteur hongrois, qui a écrit, dans son roman Les Braisesaprès avoir lancé sur les coursiers fougueux d’un fabuleux archer sa passion toute pure, il faut tenir les rênes des puissances libérées. Cette phrase que je trouve très proustienne m’avait frappé parce que c’était la première fois que je lisais une définition aussi poétique, aussi exacte de ce que peut représenter toute tentative artistique. Et elle correspond assez à la réponse, toujours délicate, que j’ai envie de donner à cette question de l’improvisation, et du "même" toujours différent à chaque représentation… Quand on a effectivement tout préparé – parce qu’il y a tout de même une précision à respecter dans le spectacle qu’on a monté – on a de la chance quand on parvient à oublier ce qu’on a préparé tout en s’en souvenant. C’est-à dire que l’on parvient à un mélange de précision et de lâcher-prise. Quand on arrive à se balader au milieu de quelque chose qu’on a déjà travaillé pendant plusieurs mois, qu’on a joué une centaine de fois et que tout d’un coup on ne sait plus ce qui va suivre, qu’on arrive à se duper soi-même au point d’oublier ce qu’on a répété, alors on connaît véritablement ce que j’appellerais un orgasme théâtral…


Et, de là, l’échange glisse tout naturellement vers le spectacle du soir, sans que Jean-Paul Tribout ait eu besoin de ménager aucune transition par l’un de ces détours parfois acrobatiques dont il a le secret et qui en général suscitent des "oh!" admiratifs dans l’assistance… Il lui suffira, aujourd’hui, de signaler qu’Arnaud Denis a interrompu une tournée pour venir à Sarlat:


Jean-Paul Tribout:
Tu joues en ce moment Damis, dans le Tartuffe mis en scène par Marion Lévy, avec Claude Brasseur pour partenaire qui tient le rôle d’Orgon; le spectacle est en pleine tournée et, pour venir à Sarlat, tu as dû replonger, pour une seule représentation, dans un spectacle que tu as joué il y a plusieurs mois au Lucernaire à Paris, et qui m’avait beaucoup impressionné: le montage, l’interprétation, le propos lui-même… C’est un témoignage de cette capacité que nous avons, au théâtre, de repartir, pour une seule représentation au milieu d’autres activités, sur quelque chose que nous n’avons pas travaillé depuis longtemps…
Arnaud Denis:
Ça demande en effet une certaine flexibilité… Après Sarlat je pars vers Fréjus pour réintégrer la tournée de Tartuffe – et j’y prends beaucoup de plaisir… C’est une sorte de voltige. Et ce sera pareil pour ceux qui viennent voir le spectacle ce soir: ce ne sera pas du tout la même tonalité que Zadig… Ce n’est pas le spectacle le plus comique qui soit. C’est même assez dérangeant – je me souviens notamment d’une spectatrice qui, un soir, au Lucernaire, est sortie en pleine représentation; j’ai cru qu’elle n’avait pas aimé et cela me rendait un peu triste mais, plu tard, j’ai su que l’ouvreuse l’avait vue dévaler les escaliers en murmurant "je ne peux pas, je ne peux pas…" Il y avait quelque chose qu’elle n’avait pas supporté… Mais j’ai voulu ce côté dérangeant.
Ce spectacle sur la folie part de cette phrase de Wendell Holmes: "On appelle fous ceux qui ne sont pas fous de la folie commune." On adopte le point de vue du fou, que l’on explore à travers différents auteurs, surtout du XIXe siècle (Maupassant, Flaubert…) J’ai tout de même éviter d’utiliser des textes trop connus, par exemple j’ai fait l’impasse sur Antonin Artaud, et j’ai préféré des textes moins attendus, comme les Mémoires d’un fou de Flaubert, une œuvre de jeunesse,  qu’il a écrite à 19 ans et qu’il a reniée ensuite en disant qu’à cette époque-là il ne s’était pas encore guéri du cancer du romantisme et que, par conséquent, il trouvait ce texte mauvais – or il est absolument extraordinaire; il a un côté sulfureux qui n’est pas sans évoquer le marquis de Sade. Je crois que le spectacle va très bien se prêter au lieu, qui ressemble assez à une sorte d’hospice… On aura vraiment l’impression que je sors de l’hôpital et qu’on va m’y renfermer après… Ce seul en scène, où je n’ai comme partenaire que le public, est une des expériences les  plus passionnantes que j’aie vécues: je craignais de ne pas y arriver; je n’ai pas la prétention de dire que j’ai réussi à évoquer exactement la folie – d’ailleurs, qu’est-ce que la folie… à partir de quel degré juge-t-on qu’une personne est "folle", c’est la question que pose le spectacle, qui est assez grinçant, avec malgré tout des moments drôles – par exemple grâce à Karl Valentin, un auteur de cabaret allemand que peu de gens connaissent, un humoriste qui serait un peu le précurseur de Desproges. L’une de mes intentions était, aussi, de recréer une ambiance de thriller psychologique, de susciter une certaine peur, qu’on éprouve rarement au théâtre – en général, quand on veut avoir peur, on va au cinéma…


Comment a germé en vous l’idée de faire un spectacle sur la folie?memoires-dun-fouTN.jpg
Arnaud Denis:
J’avais déjà travaillé certains textes isolément quand j’étais au conservatoire et je me suis dit "tiens, il y a une trame; il y a quelque chose qui se suit…" D’autre part, je suis en observation permanente et, par exemple quand je suis dans le métro, à Paris, je suis fasciné quand je vois des gens qui sont un peu "à côté", qui ont franchi de peu cette petite barrière qui sépare le commun de ce qu’on appelle vulgairement la folie; ils ont quelque chose de tellement poétique, de tellement étrange… Ce sont nos cousins; nos voisins… ils sont à peine de l’autre côté de la barrière. Et personne n’est à l’abri de ce basculement. Nous pouvons tous, à la faveur d’un événement infime, passer de l’autre côté, comme eux – et ces gens me fascinent parce qu’ils sont dans leur propre monde, un peu comme les autistes; ils me bouleversent parce qu’ils évoluent dans quelque chose de parallèle. Nous avons nos normes à nous et puis il y a quelque chose qui échappe à ça, qui se faufile en dehors, en parallèle… Certains peintres ont exprimé cela, dont j’avais vu les œuvres lors d’une exposition sur la mélancolie il y a quelques années au Grand Palais. Ce soir, vous aurez une vision un peu baroque de la folie – plutôt l’asile de Charenton avec le marquis de Sade pour pensionnaire que Sainte-Anne – avec des moments légers, je vous rassure! Vous ne serez pas projetés dans l’univers d’un hôpital psychiatrique…

 

Avez-vous choisi uniquement des textes concernant la folie disons pathologique ou bien y en a-t-il qui traitent de folies plus légères, comme la passion amoureuse, par exemple?
Arnaud Denis:
Ce sera à vous de juger à quelle folie correspondent les textes… Il y a en effet plusieurs degrés dans la folie, la paranoïa, la phobie – il y a un texte sur l’araignée, tiré des Chants de Maldoror, de Lautréamont – un peu de "folie douce" à travers un texte de Karl Valentin… et, un peu hors cadre, un extrait d’une interview d’un jeune schizophrène américain, qui ouvre le spectacle et que je dis en anglais. Ne vous affolez, pas; c’est très court et même si on ne parle pas anglais, on comprend très bien ce qui se passe. Mais je n’ai pas voulu le traduire, ça me paraissait important de le dire en anglais. Ces textes représentent tout un parcours, mais je n’ai évidemment pas pu aborder tous les aspects de la folie.


La façon dont vous enchaînez les textes est-elle dictée par une logique particulière?
Arnaud Denis:
Je commence par les textes les plus éprouvants, les plus durs. Après l’interview du jeune schizophrène, j’ai placé la Lettre d’un fou de Maupassant: on arrive à la folie en passant d’abord par la logique; le narrateur démontre, d’une façon très logique, que tout ce qui nous entoure est complètement faux parce que nous n’avons que cinq sens, et que notre perception du monde ne dépend que de nos sens. Donc on a tous en commun cette folie d’avoir une vision très limitée de notre monde. Ce passage par la logique est déstabilisant pour le spectateur ; c’est comme si on rendait bancale sa façon de raisonner: "Ce type a raison, mais alors moi aussi je suis fou"? Et c’est la porte ouverte pour qu’il devienne "fou" avec le personnage qui le balade un peu sur scène…


Le "seul en scène" est sans doute un exercice difficile et peu de comédiens franchissent le pas. Pourquoi avez-vous décidé de vous mettre en scène vous-même,  pour interpréter un florilège de textes?
Arnaud Denis:
Pourquoi? Eh bien, pour être tranquille, tout simplement (rires)… Plaisanterie mise à part, j’ai éprouvé le besoin de faire une pause; être seul sur scène, c’est comme si on réenvisageait le métier, comme si on repartait de zéro; on n’est pas seul d’ailleurs puisque, encore une fois, il ya le public qui compte comme un partenaire, mais ça permet de faire le point, de mesurer si l’on est capable de porter une chose tout seul. Au-delà du plaisir narcissique, qui se trouve forcément décuplé, c’est un défi; on part à l’attaque de quelque chose qui nous dépasse. On a peur de ne pas y arriver, on se remet en question, on passe par une autre forme de théâtre qui est en prise directe avec le public. Je dis ça parce que j’ai quitté le conservatoire au bout d’un an, je n’en pouvais plus que certains professeurs dont je n’aimais pas forcément la façon de faire viennent m’expliquer comment il fallait que je fasse du théâtre. Cela ne représentait qu’un regard et, au bout d’un moment, on a simplement envie de faire le théâtre qu’on aimerait voir en tant que spectateur. J’ai quitté le conservatoire pour faire la tournée des Fourberies de Scapin [que l’on a vu à Sarlat en 2007 - NdR]. J’ai fait un choix, et mon meilleur maître aura a été le public. Un comédien sans public, c’est comme un surfer sans vague: on n’est sur rien. Le public est le meilleur professeur qui soit parce qu’il nous apprend à travailler en connexion avec lui  sans lui on ne construit sur rien.


Jean-Paul Tribout:
Oui, c’est vrai que monter seul sur scène, c’est un peu aller dans l’arène. Quand on joue à plusieurs, qu’on travaille au sein d’une compagnie on se tient chaud quelque part et on se guide les uns les autres… quoi qu’il en soit, on a tous besoin d’un œil extérieur – un partenaire, un metteur en scène… as-tu bénéficié de ce regard extérieur pendant que tu préparais ce spectacle?
Arnaud Denis:
Oui, j’ai présenté certains textes à mon professeur, Jean-Laurent Cauchet chez qui j’ai passé l’essentiel de ma formation, et puis à un assistant, qui connaît bien le sujet pour des raisons personnelles, qui m’a épaulé. Et puis surtout j’ai observé, j’ai noté des attitudes, dans la rue dans le métro… j’ai également rencontré quelques patients; et je me suis rendu compte que tout ce que je pouvais inventer en tant qu’acteur était en deçà de ce que les "fous" me faisaient entrevoir; ils ont des attitudes, des postures qui dépassent l’imagination… Pour conclure, j’aimerais vous dire un extrait du texte de Karl Valentin que j’ai inclus dans le spectacle. À propos d’aquarium…

 

Et nous voilà entraînés rue du Cherche-Midi, dans l'immeuble qui… mais au fait, qui suit-on? Arnaud Denis, à l'évidence… Pourtant, à de légers indices, on doute – une façon un peu plus fébrile de se passer la main dans les cheveux, d'agiter les doigts en parlant qui n'est plus tout à fait celle du comédien-metteur en scène qui était, un instant auparavant, en train de nous raconter la genèse de son spectacle. Et puis cette histoire de poisson que le "diseur" envisage de placer dans la cage de l'oiseau pendant que l'oiseau sera, lui, transporté dans l'aquarium, achève de troubler: est-on encore dans la parole d'Arnaud Denis ou dans celle du personnage créé par Karl Valentin? À dire vrai, n'eût été cette petite phrase, Pour conclure, j’aimerais vous dire un extrait du texte de Karl Valentin que j’ai inclus dans le spectacle, je ne crois pas que l'on aurait pu comprendre nettement que l'on avait été, à propos d'aquarium, emmenés "de l'autre côté". L'on venait de franchir en même temps que le diseur cette "barrière ténue" au-delà de laquelle discours et sensations commencent d'échapper à l'entendement commun, là où les glissements dessinent les premiers contours de la "folie" – comment alors être encore sûr de ses repères? Zone trouble et troublante, celle-là même où, le soir venu, Arnaud Denis conviera les spectateurs…

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22 juillet 2012 7 22 /07 /juillet /2012 12:21

sarlatfestival_affiche-copie-1.jpgJeudi 19 juillet, midi.


Ce soir sera donné le premier des dix-huit spectacles du 61e Festival des jeux du théâtre de Sarlat – les habitués auront reconnu là un peu de la formule dont use chaque soir Jean-Paul Tribout pour annoncer ce qui va se jouer… Alors que deux trois jours de chaleur torride ont pesé sur Sarlat – ciel bleu cru et soleil de plomb, ce métal-étalon polysémique, convoqué autant lorsque l’orage menace que par temps de canicule – et, plus largement, sur le sud-ouest français, qui ont voulu laisser croire à l’installation durable de l’été, déjà ce jeudi s’est levé dans la grisaille et la fraîcheur. Sans doute les températures enregistrées aujourd’hui sont-elles "bien en dessous des normales saisonnières". Le ciel a mauvaise mine – plombée, justement, un peu cérusée… –, l’air est humide bien que sans pluie… Qu’adviendra-t-il donc du spectacle inaugural? Aura-t-il lieu comme prévu au Jardin des Enfeus? Ou bien les spectateurs seront-ils invités à se rendre au Centre culturel ? Ces débuts frisquets ont de quoi laisser craindre que le festival 2012 se déroule sous les mêmes auspices pluvieuses que celui de l’an passé auquel l’excessive pluviosité de juillet a valu d’être probablement le plus arrosé de son histoire – ce sont, je crois, pas loin de la moitié des spectacles qui ont été transférés des sites de plein air vers la scène bien abritée du centre culturel.


17 heures


Au fil de l’après-midi, un peu de bleu est monté aux joues du ciel d’où venait un retour de chaleur – malgré de vilaines traînées de plomb persistante, les prévisions météorologiques sont optimistes: nous irons bien voir Zadig au Jardin des Enfeus comme prévu. À la billetterie je retrouve Francis, l’administrateur, son assistant, Thomas et, avec eux, d’autres membres de l’équipe, tous à l’évidence heureux de débuter une nouvelle aventure théâtrale – cela se lit dans les regards, et dans les sourires prompts à éclairer les visages même si l’on discute des difficultés budgétaires, dont on soupçonne qu’elles ont engendré nombre d’autres difficultés à toutes les étapes de l’organisation de ce 61e festival des Jeux du théâtre de Sarlat. Il est vrai que plusieurs spectacles sont déjà quasi complets – ce qui met du baume au cœur et augure bien du taux de fréquentation. Une grosse inquiétude demeure cependant: Norma Jean ne fait pas recette… sur les 1200 places proposées, bien peu ont été achetées – sur le tableau reproduisant le schéma des gradins de la place de la Liberté, les trois quarts des gommettes matérialisant les sièges disponibles sont encore collées à leur emplacement…

 

la-queue-pour-zadig.jpg
21h30, ambiance…


La queue est longue devant l’entrée du Jardin des Enfeus – sans doute faut-il en savoir gré à Voltaire, et a la notoriété de Zadig qui, avec Candide, compte parmi ses textes les plus connus. Comme tous les ans ouvreurs et ouvreuses proposent des programmes – deux euros, le prix est inchangé depuis… je ne saurai préciser quand mais depuis assez longtemps pour que cela soit digne d’être mentionné… Les tenues ont un peu changé mais l’on note cette année que tous portent un T-shirt rouge millésimé "2012". Comme de coutume, le président Jacques Leclaire prononce une petite allocution inaugurale; il évoque les contrariétés financières qui ont frappé l’organisation de ce 61e festival, dont Jean-Paul Tribout m’avait parlé et qui sont également mentionnées dans l’édito du programme. Cela n’a rien de la plainte: c’est un constat, formulé sans insistance, énoncé juste pour la gouverne du public. Car à Sarlat on ne perd guère d’énergie à contempler la viduité du verre que l’on a omis de remplir: on tâche plutôt d’apprécier la poire qu’on a laissée pour la soif et d’en tirer le meilleur jus possible. Je sens que 2012 sera à l’aune des précédentes éditions: goûteuse, réjouissante – en un mot réussie. Et l’affluence à ce premier spectacle me conforte dans mon impression. En rejoignant ma place, je retrouve cette même fébrilité pendant que les gens s’installent, les cavalcades sur les marches métalliques, les ouvreurs et ouvreuses qui courent et se démènent pour être toujours au plus près des demandes du public… Il faut d’autant plus de temps aux spectateurs pour trouver leur siège que les gradins sont pleins! Quel début… qui dispensera je crois un peu de clarté au travers du gros nuage "normajeanien" – qui, je l’espère, crèvera d’ici le 27 juillet (date de la représentation de Norma Jean Baker, dite Marilyn Monroe)…


Zadig ou… la multiplication des chaises


Dès le couloir d’accès aux gradins, des chaises de bois suspendues à des filins d’acier accrochent l’œil du spectateur qui en découvre toute une foule sur le plateau – au sol bien rangées comme faisant un cadre à la scène, par côté, en l’air à diverses hauteurs… C’est un vertige de chaises qui s’accentue tout au long du spectacle tant ces sièges tous semblables seront manipulés, ordonnés, dérangés, réordonnés, symbolisant au passage ici un trône, là des pièces d’or accumulées dans les poches, ailleurs de la terre et des cailloux remués… Aurait-on donc invité Zadig, et à travers lui, Voltaire, chez Ionesco? Non; le célèbre dramaturge de l’absurde n’est pour rien dans ce formidable jeu de chaises – mais cela ne me sera révélé que le lendemain, à Plamon. Ionesco et ses Chaises ne m’ont d’ailleurs que furtivement effleuré la pensée: je ne connais pas la pièce au-delà de son titre… Pendant que les spectateurs prennent place, j’ai eu tout le loisir d’observer cet étrange dispositif, sobre puisque organisé autour d’un élément unique qu’est la chaise mais qui, démultiplié innombrablement, finit par rendre vertigineux l’univers du plateau – on n’en finit pas de fouiller des yeux et de trouver ici, puis là et encore là une chaise que l’on n’avait pas vue, souvent en position peu ordinaire…


leschaises1.jpg 

Très vite j’ai oublié, des innombrables chaises, cette part intrigante – dès les premiers mots proférés: l’attention se porte tout entière sur les comédiens qui ouvrent le spectacle, leurs costumes, leurs gestes… et bien sûr le texte. D’emblée s’entend la refonte narrative: entre Zadig et Sémire s’échangent des mots tirés de l’épître dédicatoire à la sultane Shéraa par Sadi; une refonte dont on s’aperçoit, au fur et à mesure que se déploie le récit, qu’elle va bien au-delà des coupes abréviatives imposées par le montage d’un texte long et des aménagements requis par la transposition scénique d’un texte non théâtral. On est dans l’adaptation profonde, en cela que, sans avoir transformé ni trahi le texte de Voltaire des éléments étrangers à Zadig ont été tissé avec les passages originaux du conte, parmi lesquels de petites incises tirées de notre contemporanéité la plus immédiate – par exemple une fugace présence "hallydayenne" demandant à ce qu’on allume le bûcher, ou bien telles voix réclamant à grands cris "l’imagination au pouvoir"…
Mais ces aménagements n’ont rien atténué des saveurs voltairiennes – ils soulignent même des aspects du texte que peut-être on ne perçoit pas à la lecture et ces pointes d’actualité, outre leur rôle comique, viennent nous murmurer sans insistance intempestive combien les propos de Voltaire ont de résonances aujourd’hui. Quant au jeu farcesque – car on bouge beaucoup en parlant haut, criant parfois, on mime avec un soupçon d’exagération – allant de pair avec des maquillages à la fois forcés et subtils, ponctués de petites outrances (ah! les bacchantes factices du roi Moabdar…) et des costumes bariolés confinant au kitsch – mais un kitsch superbe en cela qu’il reste harmonieux: le brillant des couleurs et des étoffes, les paillettes, les voiles transparents, au lieu de heurter l’œil par leur clinquant le réjouissent par la façon dont ils s’assortissent – il rehausse et révèle l’ironie mordante fort épicée du texte qui ne… mord peut-être pas autant quand on la goûte de manière purement intellectuelle par la lecture.
 

 

Dynamique, coloré, interprété avec une joie manifeste par des comédiens que l’on sentait heureux de jouer, c’est une pièce formidablement pêchue, à laquelle on pourra reprocher d’être trop riche, et offrant de trop nombreux niveaux de perception pour que l’on puisse se contenter d’une seule représentation : il est impossible de saisir d’emblée toute la signification des "jeux de chaises", de suivre le fort de l’action et en même temps ce qui se passe à la périphérie, même si on sent que ça bouge beaucoup aux limites du champ visuel, là-bas, aux extrêmes bords du plateau… Mais cette adaptation de Zadig est si plaisante que, si la possibilité en est donnée, on ne se fera guère prier pour revenir la voir, encore et encore. D’autant que, malgré ce foisonnement, elle a l’insigne mérite de ne pas étouffer par sa drôlerie franche et massive les finesses du texte, qu’au contraire elle met en valeur.


Ce fut une magnifique soirée inaugurale, touchée de plus par une de ces grâces qui surviennent souvent lors des représentations en plein air, un de ces brefs instants où les "moments théâtraux" rencontrent les circonstances extérieures de manière si opportune qu’on en reste marqué : tandis qu’une des comédiennes interpellait le chef des prêtres des étoiles en ces termes, Fils aîné de la Grande Ourse, frère du Taureau, cousin du Grand Chien, je levai les yeux pour apercevoir l’extrémité caudale du Petit Chariot pointer derrière un bout de toit dans un ciel que la nuit close avait débarrassé de toute nuée…

 

 

Zadig
Conte de Voltaire
Adaptation et mise en scène :
Gwenhaël de Gouvello, assisté d’Aurore Beck
Avec :
Nassima Benchicou, Alain Canat, Brigitte Damiens, Renan Delaroche, Gwenhaël de Gouvello, Stéphane Douret, Marie Grach, Nicolas Lumbreras, Benjamin Penamaria, Karine Pinoteau, Jean-Benoît Terral, Vincent Viotti, Eric Wolfer
Musique :
Bruno Girard
Lumières :
Tom Ménigault
Décors :
Éric den Hartog
Costumes :
Anaïs Sauteray
Maquillage :
Laurence Otteny
Durée du spectacle :
1h50
 

 

Représentation donnée le jeudi 19 juillet au jardin des Enfeus par la compagnie du Catogan.

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14 juin 2012 4 14 /06 /juin /2012 08:44

Visuel_2012-TN.jpgLorsqu’à l’approche d’un événement annuel, tel le Festival des jeux du théâtre de Sarlat, on regarde les mois écoulés depuis la précédente édition, on a l’impression très nette que le temps s’est contracté, que les jours et les semaines se sont ramassés au creux d’un minuscule mouchoir de poche et qu’en un pas de rien du tout le souvenir les franchit allègrement, mêlant en une figure aplanie, comme dépourvue de profondeur, tout ce qui reste au fond de soi d’impressions, de joies et de déceptions – car il en survient quelquefois… Tandis qu'en moi sont encore vives les empreintes du 60e festival le 61e est imminent: les dates sont arrêtées depuis longtemps – il se déroulera du jeudi 19 juillet au samedi 4 août – et le programme, rendu public lors de la conférence de presse du 16 avril dernier, est consultable ici, chaque spectacle accompagné, comme toujours, par une notice descriptive brève mais suffisante pour informer les spectateurs potentiels. La billetterie sera ouverte à partir du lundi 2 juillet.
Le dossier de presse m'a d'ores et déjà permis d'établir une petite sélection de spectacles qui, de prime abord, m’attirent, sachant bien par ailleurs que j'en verrai très certainement d'autres, entraînée vers eux par l’"effet Plamon".
Cependant, un dossier, aussi bien conçu soit-il, ne remplace pas une conférence de presse ni, a fortiori, une rencontre avec l’une ou l’autre personne qui exposera de vive voix et dans l’éphémère flamme de la conversation la teneur d’un programme.
Absente de la conférence sarladaise je me suis donc tournée, comme à plusieurs reprises déjà, vers le directeur artistique du festival Jean-Paul Tribout. Très occupé et soumis à un emploi du temps lui laissant assez peu de liberté, il m’a tout de même accordé, avec sa gentillesse et sa chaleur coutumières, une longue entrevue dont je livre ici une transcription qu’il a relue avant publication.

 

Changements

 

À première vue rien ne semble avoir changé. Mais à scruter plus attentivement le petit dépliant rectangulaire mis à la disposition du public on constate que le prix des places a légèrement augmenté – de deux euros par tranche tarifaire – et que dix-huit spectacles sont programmés quand, depuis plusieurs années, plus de vingt étaient proposés. Le budget du festival a, paraît-il, été diminué d’environ 30%. Est-ce le contrecoup d’éventuelles largesses qui auraient été consenties pour fêter l’an dernier le soixantième anniversaire?

 
"En aucun cas", explique Jean-Paul Tribout:
 Cet anniversaire n’a donné lieu à aucune augmentation significative des subventions et, en tout cas, la baisse des soutiens financiers intervenue cette année n’a aucun rapport avec lui. Simplement nous sommes en période de "crise" et le financement du festival en a subi les conséquences. Et puis certains de nos partenaires qui nous accompagnent depuis très longtemps ont souhaité faire une pause; on sait bien que, dans le domaine du subventionnement, soutenir sur le long terme un événement récurrent comme ce festival interdit de s’ouvrir à de nouvelles manifestations. C’est pourquoi certains partenaires institutionnels décident d’allouer leurs subsides à d’autres événements, pour faire tourner un petit peu les choses. Il y a aussi la question des volontés politiques qui intervient… De plus en plus le ministère de la Culture se décharge sur les collectivités locales – ce sont elles qui, en France, financent à peu près 70% de la création culturelle. Et les collectivités locales, en période de crise, deviennent frileuses… De plus, en ce qui concerne Sarlat, une institution comme la D.R.A.C., qui a déjà baissé de façon drastique ses subventions, est davantage encline à soutenir des structures qui fonctionnent à l’année sur le territoire régional qu’un festival qui certes revient tous les ans mais qui ne dure que trois semaines… Et comme le festival tourne gentiment, qu’il fait littéralement partie du paysage, on a tendance à oublier que son organisation demande des efforts et qu’il lui faut un soutien. Maintenant, il faut espérer que ces pauses ne seront que temporaires… Cette année, notre tâche a donc été un peu plus compliquée: 30% d’argent en moins, c’est considérable, surtout pour un festival qui, en regard d’autres événements du même genre, bénéficie d’un budget modeste – je ne parle pas de celui d’Avignon: il est "hors concours", si l’on peut dire… Il y a des frais constants sur lesquels il est impossible de rogner – le coût des assurances, l’entretien des gradins, etc. donc il n’y a pas trente-six solutions: il a fallu raccourcir un peu la durée du festival, et augmenter le prix des places. Cependant, malgré ce budget serré, nous avons tout de même réussi à inviter dix-huit spectacles, majoritairement de qualité et qui, je crois, satisferont de nombreux publics. Et puis ces restrictions ont eu un avantage: le comité du festival s’est montré moins demandeur de vedettes (rires)…


Après ces explications, voyons donc la "carte" qu’a préparée le directeur artistique qui, une fois de plus, démontre son (grand) art de composer avec les multiples critères dont il doit tenir compte quand il envisage d'intégrer tel ou tel spectacle à l'affiche de l'année…

 

 

PROGRAMME

 

Jeudi 19 juillet. Jardin des Enfeus, 21h45.
Zadig, de Voltaire. Mise en scène et adaptation de Gwenhaël de Gouvello.
Compagnie du Catogan.

J.-P. Tribout: On ne joue quasiment plus le théâtre de Voltaire qui, il faut bien le dire, est assez indigeste. Alors qu’il espérait bien être un grand auteur de théâtre… En revanche ses contes – Candide bien sûr, Zadig, Micromegas… incitent à l’adaptation scénique. Celle qu’a réalisée Gwenhaël de Gouvello – un jeune metteur en scène qui n’est jamais venu à Sarlat – est festive et joyeuse, ce qui est je crois un atout pour ouvrir le festival. Son travail est aussi très représentatif de cet art de "faire du théâtre avec peu de choses"; il a traité le texte de Voltaire d’une façon qui évoque la bande dessinée – ce sont "les aventures de Zadig" comme il y a "les aventures de Tintin" – et sa mise en scène est servie par une belle équipe d’acteurs.

 

autour-folie_TN.jpgVendredi 20 juillet. Abbaye Sainte-Claire, 21 heures.
Autour de la folie, conception, mise en scène et interprétation d’Arnaud Denis, à partir de textes de Maupassant, Flaubert, Michaux, Shakespeare, Karl Valentin, etc.
Compagnie des Compagnons de la chimère.
J.-P. Tribout: Voilà un très beau spectacle, monté par un jeune homme extrêmement brillant, que nous avions vu en 2007 à Sarlat incarner Scapin, dans les Fourberies du même nom dont il avait aussi signé la mise en scène. Il est également l’auteur d’une pièce sur les procès de Nuremberg – Nuremberg, la fin de Goering – dont il a assuré la mise en scène et qui est passionnante mais qui, hélas, n’a pas marché du tout. Je suis très étonné qu’un jeune homme de son âge s’intéresse à cette période de l’histoire, aux suites de la Seconde Guerre mondiale… Sa pièce est écrite et montée de façon très intelligente; mais à mon sens, le spectacle n’était pas totalement abouti. Arnaud est en tout cas très doué, plein de talent, et ce spectacle "autour de la folie" qu’il a conçu, monté, qu’il interprète seul en scène le démontre bien. Il ne sera peut-être pas tout à fait adapté au plein air, parce que la mise en scène joue beaucoup sur les contrastes entre ombre et lumière, sur la silhouette qu’on distingue dans la pénombre – et la nuit ne sera pas encore totale quand il jouera mais je suis sûr que la qualité de son interprétation palliera cet inconvénient.

Samedi 21 juillet. Jardin des Enfeus, 21h45.
La Pitié dangereuse, de Stefan Zweig. Adaptation et mise en scène : Stéphane Olivié Bisson.
Compagnie Carinae.

J.-P. Tribout: Voilà, après Zadig, encore un texte non théâtral adapté pour la scène… La Pitié dangereuse est le premier roman de Zweig; il n’est pas très connu. Je trouve que Stéphane Olivié Bisson, qui est aussi comédien, l’a très bien monté – il s’était signalé l’an dernier par sa mise en scène du Caligula de Camus, au théâtre de l’Athénée, avec Bruno Putzulu. J’ai découvert ce spectacle à Avignon et j’ai apprécié la qualité d’interprétation, l’ambiance scénique, qui évoque le baroque viennois, avec une musique très présente, et puis le sujet: le roman raconte l’histoire d’une jeune fille paralysée, de son rapport à l’amour…
NB - Le spectacle est repris en ce moment au théâtre du Lucernaire. Les représentations sont programmées jusqu’au 30 septembre, à 21h30; l’équipe devra donc faire relâche pour venir à Sarlat, ainsi que le montre la page de la pièce

 

Abbaye-Sainte-Claire-TN.jpgDimanche 22 juillet. Abbaye Sainte-Claire: Journée des auteurs.
Jusqu’à présent, j’avais eu l’habitude de voir cette journée un peu spéciale dédiée aux auteurs contemporains – le public peut assister à deux spectacles et profiter d’un repas pour le prix d’un seul billet – figurer en fin de festival. Cette année elle fait presque l’ouverture; mais il n’y avait pas d’autre possibilité que le 22 juillet pour organiser cette "journée" qui ne peut avoir lieu qu’un dimanche: la durée un peu écourtée du festival a réduit à deux le nombre de dimanches festivaliers, et le second tombe le 30 juillet, soit une de ces dates qui, faisant charnière entre les deux mois estivaux, sont des sortes de no man’s land touristiques revenant à vider les gradins – les juillettistes étant sur le départ quand les aoûtiens sont, eux, pris dans les bouchons sinon en train de boucler les valises. Un autre changement est à signaler: la S.A.C.D. qui depuis de nombreuses années parrainait cette "journée", a retiré son soutien. C’est une pause, dont rien ne dit qu’elle sera provisoire mais qui n’a pas empêché le maintien de ce moment particulier du festival:
J.-P. Tribout: Nous avons malgré tout voulu continuer à aider les auteurs contemporains; nous avons donc choisi de conserver intacte la formule mais au lieu d’être une "Journée S.A.C.D." ce sera simplement une "Journée des auteurs."  

 

18 heures

Lecture de la pièce de Michèle Laurence Le Jeune Homme à la canne. Par Élodie Menant, Isabelle Gazonnois, Michèle Laurence et Pierre Cachia.
J.-P. Tribout: Michèle Laurence est à la foi comédienne et auteur; je la connais bien, j’ai vu plusieurs de ses pièces et, dans celle-ci, elle a fait un très joli travail autour du roman de Radiguet, Le Diable au corps. Elle a imaginé une comédienne qui doit jouer dans une adaptation théâtrale de ce roman et qui se concentre dans sa loge; au fur et à mesure des personnages du Diable au corps surgissent, c’est-à-dire Marthe, l’inspiratrice de Marthe, Alice et, bien sûr, Radiguet lui-même. Il y a donc une réflexion sur les rapports entre une femme et un homme plus jeune qu’elle, un questionnement sur le scandale qu’a suscité le roman à l’époque de sa parution – le scandale tient-il à cette relation entre une femme et un homme plus jeune, ou bien au fait que cette femme a entretenu une liaison amoureuse pendant que son fiancé était au front? À cela s’ajoute une réflexion sur la création, à la fois littéraire, à travers Radiguet qui s’inspire d’une femme réelle pour créer son héroïne de roman, et théâtrale par le truchement de cette comédienne qui réfléchit à son rôle. Le texte est très intéressant, mais peut-être difficile à finaliser dans une mise en scène aboutie…


19h30
Pause repas: l’ "Assiette périgourdine".

 

21 heures

 Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès. Mise en scène de Patrick Roldez.
Compagnie Le Théâtre de l'eau qui dort.

J.-P. Tribout: Bernard-Marie Koltès est, avec Jean-Luc Lagarce, un des grands auteurs français contemporains. Dans la solitude des champs de coton a été très souvent monté, notamment par Patrice Chéreau. Ici, c’est le "régional de l’étape" qui assure la mise en scène – Patrick Roldez est en effet sarladais. L’obscurité a une grande importance dans ce spectacle, qui risque donc de pâtir un peu des conditions du plein air puisque, programmé à 21 heures, il ne bénéficiera pas de la nuit close. Mais Patrick a accepté de courir le risque. Et puis l’argument reste fort de toute façon: il s’agit des rapports entre un dealer et son client. C’est bien joué, bien mis en scène, et je pense qu’avec ces deux dramaturges contemporains, l’un décédé l’autre bien vivant, nous aurons une belle "Journée des auteurs".

 

Lundi 23 juillet. Jardin des Enfeus, 21h45.
Homme et galant homme, d’Eduardo De Filippo. Mise en scène de Patrick Pelloquet.
J.-P. Tribout: L’on avait déjà vu une pièce de cet auteur italien à Sarlat, il y a une dizaine d’années. Ce texte-là, qui est très amusant, est mis en scène par un habitué du festival – la dernière fois qu’il est venu, en 2010, il avait présenté La Gonfle, un texte méconnu de Roger Martin du Gard vraiment exceptionnel au niveau de la langue – qui dirige actuellement le Théâtre national des Pays de Loire. Je n’ai pas vu ce spectacle, mais je connais le texte, je connais le travail de Patrick Pelloquet, et j’ai une grande confiance dans ce qu’il va nous proposer.

Mardi 24 juillet. Abbaye Sainte-Claire, 21 heures.
Love letters, de A.R. Gurney (adaptation française d’Anne Tognetti et Claude Baignères). Mise en scène et interprétation: Isa Mercure et Gilles Guillot.
 Théâtre du Barouf
 J.-P. Tribout: C’est une œuvre très connue, qui a été très souvent montée, avec notamment pour interprètes Anouck Aimée et Philippe Noiret. Il s’agit de deux Américains qui relisent les lettres qu’ils se sont envoyées tout au long de leur vie, depuis l’école primaire. Cet homme et cette femme ont mené leur vie chacun de leur côté, et à travers cet échange épistolaire, c’est à la fois l’histoire d’un amour non réalisé qui se dévoile et un portrait de l’Amérique contemporaine qui se dessine. D’un point de vue scénographique, c’est extrêmement sobre, à la limite de la lecture – c’est d’un statisme total mais ça fonctionne admirablement.


Mercredi 25 juillet. Place de la Liberté, 21h30.bourgeois_TN.jpg
Le Bourgeois gentilhomme, de Molière. Mise en scène de Laurent Serrano.
J.-P. Tribout: À Paris, on a pu voir cet hiver, presque simultanément, trois mises en scène de cette pièce; Denis Podalydès a aussi choisi de la monter – les représentations viennent de commencer à Fourvière et le spectacle est, paraît-il, tout à fait exceptionnel. Je pense que cette accumulation relève tout simplement du hasard. Mais peut-être que si l’on sondait de manière approfondie l’inconscient des metteurs en scène, on découvrirait qu’à leurs yeux les cinq années écoulées en pleine société bling-bling ont donné à la figure de M. Jourdain une valeur particulière… En ce qui me concerne, j’ai vu les trois Bourgeois parisiens et, parmi eux, celui de Laurent Serrano m’a paru particulièrement intéressant. Pour monter son spectacle il s’est associé au Studio d’Asnières, que l’on a vu sur cette même scène de la grand-place en 2010 avec La Dame de chez Maxim.
Après s’être demandé ce que pourrait bien être une "comédie-ballet" en ce début de XXIe siècle, il est arrivé à la conclusion que ce serait très certainement une comédie musicale, et il a pris comme référence les films de Jacques Demy. Il a donc transposé Le Bourgeois gentilhomme dans les années 1950, sans changer un mot au texte de Molière mais en remplaçant la musique de Lully par une musique qui ressemble beaucoup à celle de Michel Legrand. Sa transposition, tout en robes vichy, choucroutes et références cinématographiques, est très amusante et elle fonctionne parfaitement. Quant à savoir si M. Jourdain est un bourgeois bling-bling qui a juste envie de briller ou si, de manière un peu naïve comme Bouvard et Pécuchet, il cherche vraiment à se cultiver, s'il se fait gruger par son entourage ou bien si c'est lui qui est trop bêta au départ pour s’imaginer qu’on peut acquérir de la culture entre deux discussions d’affaires… Sur tout cela, je laisse le soin au public de se déterminer…

Jeudi 26 juillet. Jardin des Enfeus, 21h45.
Chez Jeanne (la jeunesse de Brassens). Spectacle conçu par Michel Arbatz à partir de lettres, de poèmes et de chansons de Georges Brassens.

J.-P. Tribout: Avec ce spectacle, j’ai découvert des aspects de la vie de Brassens que je ne connaissais pas du tout: à partir d’un mélange de ses textes et de projections vidéos, nous sommes entraînés vers la jeunesse de Brassens, ses années d’enfance, ses déconnades, la façon dont il a failli basculer dans la délinquance quand il était adolescent – il a tout de même été arrêté pour vol de bijoux – son passage au S.T.O., puis sa rencontre avec la littérature, la poésie… Et le spectacle s’achève au moment où sa carrière commence à décoller, dans les années 1950 quand il arrive aux Trois Baudets. On entend beaucoup de chansons peu connues, dont certaines qu’il a écrites pour d’autres interprètes – et elles sont très bien chantées, sans que les comédiens aient cherché à imiter Brassens.


Vendredi 27 juillet. Place de la Liberté, 21h30.norma-jean_TN.jpg
Norma Jean Baker, dite Marilyn Monroe, d’après Blonde, de Joyce Carol Oates. Mise en scène de John Arnold.
J.-P. Tribout: Parmi les trois spectacles programmés pour la scène de la place de la Liberté, j’avais quand même envie d’avoir un texte contemporain. J’ai pensé que celui de Norma Jean Baker, écrit d’après la biographie que la romancière américaine Joyce Carol Oates a consacrée à Marilyn, était tout indiqué en cette année où l’on commémore le cinquantenaire de la mort de la star. Nous avons tout de même rajouté au titre d’origine "dite Marilyn Monroe", parce qu’à mon avis, beaucoup de gens ignorent quel était le vrai nom de celle qui est devenue une véritable icône du cinéma. La mise en scène est signée John Anrold, un comédien qui, dans le théâtre subventionné, est un peu une vedette – il travaille notamment avec Olivier Py, Stéphane Braunschweig… J’ai vu le spectacle en décembre; il est à mon sens très réussi, très cinématographique, très bien interprété – la jeune comédienne qui joue le rôle-titre, Marion Malenfant, a été engagée à la Comédie-Française – et je suis sûr que ceux qui viendront le voir l’apprécieront. On peut penser qu’avec le nom de Marilyn, le cinquantième anniversaire de sa mort, la notoriété de John Arnold et de Joyce Carol Oates, Norma Jean Baker va attirer les foules mais je crois au contraire que c’est un spectacle assez délicat: pour les jeunes générations, Marilyn Monroe est une figure du passé, à peu près aussi lointaine de Greta Garbo, par exemple. Et puis les cinéphiles ne lisent pas forcément le genre de biographies dont a été tirée la pièce… Reste qu’elle intéressera des publics très divers: les amateurs de cinéma bien sûr, les habitués des scènes théâtrales qui seront curieux de voir le travail de John Arnold, ceux qui aiment les histoires très mélodramatiques – parce que la vie de Marilyn est un véritable mélodrame…

 

Samedi 28 juillet. Jardin des Enfeus, 21 heures.
Appartements témoins, de Jean-Marc Chotteau. Mise en scène de l’auteur.
Théâtre de La Virgule, Centre transfrontalier de création théâtrale Tourcoing/Moustron.
 J.-P. Tribout: Cette pièce a été écrite à partir de témoignages authentiques recueillis auprès d’habitants de barres d’immeubles qu’on a décidé de détruire. Le texte fait entendre successivement la voix de ces gens qui, logés dans des conditions précaires, et même s’ils détestent leur environnement, ont tout de même vécu là toute leur histoire; c’est leur vie qui s’est déroulée là, qui est attachée à ces immeubles… Cet ensemble de témoignages est interprété par un seul acteur, Éric Leblanc, qui endosse tous les rôles. Ce parti pris est soutenu par une très belle idée scénographique qui est de montrer un mur en partie démoli, avec une succession de boîtes à lettres qui, vues ensemble, figurent une de ces barres qu’on s’apprête à détruire. Et chaque boîte à lettres s’ouvre, comme une boîte à surprise. Ce spectacle de grande qualité, avec sa dimension sociologique, a selon moi toute sa place dans la programmation du festival. 

À l’énoncé de ce descriptif, me revient à l’esprit un reportage diffusé dernièrement au cours d’un journal télévisé: dans une banlieue où l'une de ces barres était promise à la démolition, des journalistes avaient interviewé quelques-uns des résidents qui allaient devoir déménager. Parmi eux, une quadragénaire, que l’on voyait lire devant la caméra le courrier lui annonçant la décision de la municipalité puis, ensuite, raconter qu’elle était née ici, qu’elle y avait grandi, construit sa vie d’adulte… Cet appartement qu’elle occupait était même plus que sa vie: ses parents y avaient vécu avant de le lui céder. Résonances… Oui, j’irai sûrement voir ce spectacle.

 

Cyrano_TN.jpgDimanche 29 juillet. Place de la Liberté, 21h30.
Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand. Mise en scène d’Anthony Magnier.
Compagnie Viva la Commedia.
J.-P. Tribout: C’es t un très bon Cyrano que nous offre Anthony Magnier, joué à sept comédiens, ce qui est une performance étant donné le nombre de personnages créés par Rostand. Chacun interprète donc plusieurs rôles, à l’exception du comédien qui incarne Cyrano. La mise en scène est très inspiré de la Commedia dell’arte, mais avec peu de masques; c’est monté uniquement avec des tréteaux et des praticables qui tout d’un coup se transforment: ils deviennent le balcon de Roxanne, se retournent pour figurer le siège d’Arras… les habitués du festival se souviendront probablement d’avoir vu cette compagnie au Jardin du Plantier en 2008, où elle avait joué La Princesse folle, une pièce adaptée d’un scénario de Flaminio Scala – un auteur italien de la fin du XVIe siècle.

 

Lundi 30 juillet. Abbaye Sainte-Claire, 21 heures.
Le Bouton de rose, de Sophie Accaoui. Mise en scène de Laurent Lévy.
J.-P. Tribout: Ce spectacle-conférence a pour sujet… le clitoris. Bien caché sous le titre, il n’en est pas moins évoqué franchement, à l’aide de textes littéraires, de chansons, mais avec de multiples sous-entendus. La conférencière est une dame un peu… cul-serré qui, au fur et à mesure qu’elle prononce son discours, s’échauffe petit à petit. Avant de la voir sur scène à l’Essaïon, je ne connaissais pas la comédienne. Et elle m’a convaincu: je ne dirais pas que c’est LE spectacle du festival mais il mérite le détour. Et bien entendu, il n’est pas destiné au seul public féminin, les hommes sont les bienvenus, et ils pourront y apprendre des choses très utiles…

 

Mardi 31 juillet. Jardin des Enfeus, 21h45.
Le Vicaire, de Rolf Hochhuth. Mise en scène de Jean-Paul Tribout.
Ayant vu la pièce lors de sa création parisienne en novembre 2011, j’en connaissais le sujet; aussi n’ai-je pas demandé à Jean-Paul Tribout de développements particuliers. D’autant que, prévoyant d’assister à la représentation sarladaise, d’une part pour le plaisir de revoir une pièce appréciée, de l’autre pour savourer celui de la découvrir dans un autre environnement, j’aurai sans doute matière à plus amples commentaires après les "rencontres plamonaises". C’est une autre date qui a suscité mes questions, la dernière du festival, en l'occurrence le 4 août: la mise en scène de Monsieur chasse! – un texte de Georges Feydeau – est aussi signée Jean-Paul Tribout… Le sachant plutôt réticent à l’endroit des divertissements purs qui ne mènent à aucune réflexion, sachant aussi combien lui tenait à cœur de monter la pièce de Rolf Hochhuth, je me suis dit qu’il y avait quelque anguille bizarre sous la roche de cette étrange cohabitation programmatique. Mais non: rien de plus bizarre qu’une banale logique financière.
Le-Vicaire aff.TNJ.-P. Tribout: Le Vicaire, qui a eu un beau succès critique, a été un échec commercial catastrophique. De tous les spectacles que nous avons joués au théâtre 14, c’est celui qui a fait le moins de recettes et le tourneur, qui est aussi coproducteur, a perdu environ une dizaine de dates. Au départ, nous avions plus de vingt représentations prévues, des dates fermes qui plus est. Et peu à peu la liste s’est réduite comme peau de chagrin; les directeurs de théâtre m’appelaient pour se désister: l’un avait subi des pressions de la municipalité, l’autre préférait s’orienter vers une saison plus joyeuse… et nous avons fini par n’avoir plus que dix dates de tournée maintenues – dont Sarlat parce que je connais le directeur artistique (rires). Comme le tourneur devait compenser les pertes occasionnées par Le Vicaire, il m’a dit: "Toutes les compagnies qui montent du Feydeau en ce moment remplissent les salles. Alors si tu arrives à monter un Feydeau avec pas trop d’acteurs, je te le produis entièrement." J’ai donc cherché un peu dans cette direction, et j’ai trouvé Monsieur chasse! Résultat: le spectacle commence à tourner dès cet été – nous sommes en pleines répétitions – et les dates se succèdent jusqu’en juillet 2013… Elles sont si nombreuses que j’ai dû établir une double distribution pour permettre aux comédiens d’honorer les engagements qu’ils ont contractés antérieurement – par exemple cet été, c’est Jean-Claude Bouillon qui va jouer mon rôle, et comme ensuite il part en tournée avec Claude Rich, c’est moi qui le remplacerai… L’échec du Vicaire en regard du succès que remporte le Feydeau est significatif de l’état du théâtre, de l’état de la société, du monde: nous traversons une période où les gens ont d’abord besoin de rire. C’est vrai que, spontanément, je n’aurais pas choisi de monter du Feydeau mais je prends cela comme une opportunité théâtrale: je n’ai encore jamais abordé cet auteur, et comme je me suis déjà confronté à Labiche, le rapprochement des deux expériences a son intérêt…


Mercredi 1er août. Jardin des Enfeus, 21h45.
Journal d’un curé de campagne, de Georges Bernanos. Mise en scène et interprétation: Maxime d’Abboville.
J.-P. Tribout: Je ne suis pas un grand amateur de Bernanos, et ce roman n’est pas parmi mes préférés – on connaît mon anticléricalisme primaire (rires)… Mais en écoutant le texte, je me suis dit qu’il soulevait une problématique qui pourrait être celle d’un hussard noir de la République, d’un médecin implanté en zone rurale – les questions que se pose ce jeune curé, les doutes qui l’assaillent sont ceux d’un homme qui, fort de sa foi, de ses convictions, se trouve confronté à la réalité de ses ouailles: comment faire face à ces gens? Comment leur être utile, leur venir en aide? Un médecin, un instituteur peut très bien s’interroger dans les mêmes termes. De plus, c’est formidablement interprété par Maxime d’Abboville, qui a obtenu un Molière pour ce spectacle-là – pour la petite histoire, il est de la famille du navigateur Gérard d’Abboville. Je me souviens lui avoir proposé de jouer le personnage principal du Vicaire, mais il avait refusé parce que ça heurtait ses convictions de chrétien. Il est tout de même venu voir la pièce… Après, il m’a dit: "Telle que tu l’as montée, j’aurais pu jouer le rôle que tu me proposais."
 

 

porteur-histoire_TN.jpgJeudi 2 août. Jardin des Enfeus, 21h45.
Le Porteur d’histoire, d’Alexis Michalik. Mise en scène de l’auteur.
J.-P. Tribout: Pour moi, c’est le meilleur spectacle du festival. Je l’affirme d’autant plus librement que j’ai aucune part de responsabilité dans son élaboration… L’auteur-metteur en scène, Alexis Michalik, avait présenté à Sarlat en 2010 La Mégère à peu près apprivoisée – sous-titrée une comédie musicale d’à peu près William Shakespeare. Ici on est dans un univers très différent, proche de celui d’Italo Calvino, de Borges… C’est une création collective qui repose un peu sur le principe du roman de Potocki, Le Manuscrit trouvé à Saragosse: une histoire est racontée qui amène une autre histoire qui elle-même en amène une autre et ainsi de suite, questionnant la place que peut occuper le récit dans nos vies. Le spectacle est simplissime: cinq acteurs, cinq tabourets, et un portant avec des costumes. Les comédiens sont très talentueux. Hasard des distributions, deux des comédiens du Porteur d’histoire sont à l’affiche de deux autres pièces du festival: Magali Genoud est Roxanne dans le Cyrano d’Anthony Magnier, et Éric Herson-Macarel joue dans Le Vicaire.


Vendredi 3 août. Jardin du Plantier, 19 heures.
Molière malgré lui, d’après Le Médecin malgré lui de Molière, et les films de Laurel & Hardy. De et avec Guillaume Collignon et Jean-Hervé Appéré.
Compagnie Comédiens & compagnie.
 J.-P. Tribout: La compagnie qui a monté ce spectacle est spécialisée dans la commedia dell’arte. C’est un peu difficile d’imaginer que l’on puisse mêler, comme ici, le texte de Molière à l’univers du slapstick et j’avoue que, si je n’avais pas vu le spectacle, je n’y aurais probablement pas cru. Mais je l’ai vu, et je me suis rendu compte que ça marchait vraiment; c’est très bien fait, c’est très amusant. Ils avaient présenté à Sarlat une adaptation très inventive de La Flûte enchantée, en 2009, elle aussi plutôt surprenante; je ne suis pas sûr que les amateurs d’opéra y aient trouvé leur compte mais, dans l’ensemble, le public avait été séduit. Je pense qu’il en ira de même avec ce Molière-là…


feydeau_TN.jpgSamedi 4 août. Jardin des enfeus, 21h45.
Monsieur chasse! de Georges Feydeau. Mise en scène de Jean-Paul Tribout.
J.-P. Tribout: S’il est vrai que j’aime bien monter des comédies, ce sont en général des comédies qui ont un propos de fond, qui ne provoquent pas un rire tout à fait gratuit. Cela dit, j’aime aussi, dans les mises en scènes, jouer sur les disparitions/réapparitions, leur côté un peu guignolesque… et, sur ce plan-là, une pièce de Feydeau, qui reste une machine à rire formidablement bien rodée dont on peut dire qu’elle se résume à des jeux de portes qui claquent, offre de quoi s’amuser… Et puis c’est tout de même intéressant de se demander ce qui, chez Feydeau, à un siècle de distance et malgré les changements de mode de vie, de mentalités… fonctionne encore au point de faire toujours rire. En me demandant "comment monter du Feydeau aujourd’hui?", je me suis dit que le "fond" de la pièce tenait en deux choses: des portes, un lit. Du coup, le décor que j’ai choisi se limite à cela: un lit, des portes, et rien d’autre…

 

Article écrit grâce aux propos recueillis le dimanche 10 juin 2012. 


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