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21 janvier 2015 3 21 /01 /janvier /2015 10:59
Délestage réflectif

Peaufinant ce matin un texte de premier jet écrit à la hâte dimanche dernier(soit le 18 janvier) après avoir pris quelques photos numériques du campus universitaire situé tout à côté de chez moi, je m’aperçois qu’en l’affinant et en le structurant, il se raboute à un compte rendu qu’a publié Marie-Annick juste avant le Nouvel an à propos du «papier non travaillé» dans un dessin, sur quoi je méditais quelques développements. Qui sont d’ailleurs toujours en souffrance mais… ne commenceraient-ils pas de trouver, ici, une manière de… soulagement?

Quelle couleur donnent, au vide, aux rues et places désertes, un ciel d’orage creusé de lividité, un doux crépuscule faisant monter le rose aux joues de nues évanescentes, un azur nu et un soleil cloué en son zénith tuant dans l’œuf les ombres? Toujours la même et sans guère de variantes me semble-t-il – et qui est moins une couleur, une nuance chromatique, qu’un son ; un son qui n’est ni le brouhaha de la foule en vie ni le silence de l’absence, pas même la ponctuation égrenée de trilles éparses dans la vague rumeur, urbaine ou rurale car ville et campagne sont pareillement bruissantes quoique les bruits ne soient pas les mêmes ni les décibels aussi élevés aux champs qu’à la ville. Un son qui n’en est pas un mais un écho, une trace – la trace que laissent derrière elles les présences évanouies, disparues et devenues absences ; la trace qui leste tout ce qui avant de n’être plus a été et le rend à jamais présent. Intangiblement présent mais présent.
Alors comment une photographie – «écriture avec la lumière» – pourrait-elle capter cet «intangiblement présent»? Elle ne peut que le signifier de manière symbolique, par métaphore si l’on veut. Seuls les artistes authentiques réussissent cet exercice de présentification de l’irreprésentable, comme seuls réussissent à mettre en mots l’indicible les authentiques écrivains et poètes. Ce n’est pas, cependant, une présentification objective; je crois qu’elle advient par les «objets» mais se ressent au-delà d’eux, dans les interstices, vers où justement artistes et poètes mieux que quiconque savent attirer l’attention: par l’image ou par les mots (dont on s’avisera qu’ils sont, à regarder les premiers signes graphiques qualifiables d’«écriture» des images en bout de course, des images peu à peu dépouillées de certaines de leurs «qualités contingentes» pour se détacher tant et si bien de leur référent concret qu’elles se font oublier en tant que telles sous les mots) ils font vibrer cet entre-deux où peut, et là seulement, se percevoir l’irreprésentable. C’est par l’intensité de cette vibration qu’ils touchent, davantage sans doute que par les «objets» – motifs peints/dessinés/photographiés; mots et phrases – entre lesquels elle fibrille. Je ne me sens aucune légitimité à me prétendre artiste ou poète et, pourtant, regardant avec quelque recul certaines de mes photos de chantier, d’espaces vides, de ruines ou de choses en déliquescence, j’y réentends un peu de cet «écho d’absence» qui m’a touchée lorsque j’ai appuyé sur le déclencheur.
Un écho qui me parvient chaque fois que j’arpente, le dimanche et quelles que soient l’heure, les conditions atmosphériques, ce campus universitaire sorti de terre il n’y a pas dix ans, ce même écho propre à tout site désertifié après avoir été fourmillant d’activité.
Alors je me dis que ces photos sont «réussies»: par-delà le temps, et les mutations de mes perceptions inhérentes à son passage, elles restent loquaces. Peut-être suis-je seule à les entendre… auquel cas sont-elles vraiment loquaces?

En contre-plongée, ainsi vidés de ceux qui les fréquentent en semaine, les bâtiments montrent nues leurs lignes et courbes. Rien de vivant n'en parasite l'expression rendue à son aridité géométrique.

En contre-plongée, ainsi vidés de ceux qui les fréquentent en semaine, les bâtiments montrent nues leurs lignes et courbes. Rien de vivant n'en parasite l'expression rendue à son aridité géométrique.

Passant devant l'entrée de la cafétéria, m'arrête un instant cet aligmenent parfait de tables et de chaises dont je ne vois, à travers la vitre, qu'une partie, un "dessus" en perspective. Il me murmure plus que tout autre endroit de ce campus l'absence..

Passant devant l'entrée de la cafétéria, m'arrête un instant cet aligmenent parfait de tables et de chaises dont je ne vois, à travers la vitre, qu'une partie, un "dessus" en perspective. Il me murmure plus que tout autre endroit de ce campus l'absence..

Ce sol nu et ces papiers sales qui traînent... je ne puis m'empêcher de songer au film Le Survivant (avec Charlton Heston; adaptationdu roman de Richard Matheson Je suis une légende) et aux plans qui se succèdent de rues encombrées de véhicules, de détritus - mais sans aucun être vivant, ni animal ni humain, qui les parcourent excepté... le survivant et, la nuit, ceux qui ont été réduits à l'état de vampires.

Ce sol nu et ces papiers sales qui traînent... je ne puis m'empêcher de songer au film Le Survivant (avec Charlton Heston; adaptationdu roman de Richard Matheson Je suis une légende) et aux plans qui se succèdent de rues encombrées de véhicules, de détritus - mais sans aucun être vivant, ni animal ni humain, qui les parcourent excepté... le survivant et, la nuit, ceux qui ont été réduits à l'état de vampires.

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25 décembre 2014 4 25 /12 /décembre /2014 13:49

Du 31 janvier au 13 février 2015 aura lieu la 6e édition de Photovision 94*. Le thème à traiter était "L'envers du décor". Comme chaque année depuis que j'ai découvert cet événement réservé aux amateurs – fin 2010, quand a été publié l'appel à candidature autour du thème "Abstraction urbaine" – j'ai proposé cinq images à la sélection. Et, pour la première fois depuis que je suis candidate, aucune de mes photos n'a été sélectionnée. Déçue, oui, bien sûr... Dans la mesure où l'on décide de soumettre un travail à un jury c'est bien que l'on a quelque espoir de le voir retenu sans quoi, et quand bien même on a une piètre opinion de ce que l'on a fait, on ne participerait pas.
Je dois cependant reconnaître, dès lors que je réfléchis un tant soit peu, que j'ai, au fond, délibérément provoqué ce résultat. Comme on dit d'un contrevenant qu'il "cherche le bâton pour se faire battre", par la manière même dont j'ai "participé" j'ai littéralement appelé le refus de mes images. D'abord, j'en ai envoyé deux sous une forme qui interdisait leur sélection. Il est expressément stipulé dans le règlement que les images doivent parvenir au jury par courriel, en format .jpg uniquement, donc scannées pour les clichés argentiques; or j'ai fourni ces deux-là sous forme de fichier word: j'avais en effet décidé de composer des montages – ce que le règlement admet tout à fait, étant entendu que chaque montage constitue une seule image candidate – et, ne sachant pas faire de montage avec un logiciel de traitement d'image, je me suis débrouillée avec la fonction "insérer une image" de Word... Ce faisant, je me doutais bien que ces deux montages ne seraient même pas regardés, la contrainte de format visant à simplifier la tâche du jury qui, confronté à un grand nombre de photos à départager, ne peut se permettre de gérer plusieurs types de fichiers lors de la délibération. Et puis j'ai transmis ma candidature au tout dernier moment, empêchant de la sorte que l'on puisse éventuellement me suggérer un moyen de mettre mes deux montages en conformité avec les exigences du règlement. Enfin, des cinq "textimages" que j'ai envoyés, ce sont évidemment les deux "vilains petits canards" qui étaient les plus pertinents au thème... les trois autres ont été choisis au pied levé, en tirant bien fort sur les cheveux pour les faire correspondre à "l'envers du décor".

Bref: cela s'appelle de la candidature sciemment sabotée. La logique à l’œuvre dans cette triste entreprise? Celle qui préside à ce rapport complexe, sans cesse conflictuel, que j'entretiens avec la photo: je sens en mes tréfonds qu'il m'est impossible de ne pas photographier; de ne pas réfléchir à ce que signifient, ce que recouvrent, le geste et l'intention de photographier; de ne pas utiliser la photographie pour manifester ma façon d'être au monde. Et en même temps me taraude cette souffrance répétée de constater, presque systématiquement lorsque je procède au tirage, que je suis passée à côté de mon intention, que la photo obtenue est à des lieues de la construction mentale que je tâchais de concrétiser. Encore la déception est-elle peu douloureuse si, techniquement, l'image a de l'intérêt, mais si, en plus de ne rien me murmurer, l'image est sinon ratée du moins complètement plate en termes d’esthétique photographique (mauvaise exposition, composition brouillée, zones de netteté mal définies, etc.) me submerge alors un immense dégoût – comme un glas, la certitude que sonne l'extinction prochaine de tout désir de photographier. Il arrive souvent que, le moment de la prise de vue étant fort éloigné de celui du tirage, j'aie perdu le fil de mon intention. Le rapport à l'image étant ainsi épuré de toute sensation autre que visuelle, de tout souvenir parasite, ce qui apparaît dans le révélateur parfois fait sens malgré tout, et m'insuffle la conviction que j'ai atteint quelque chose, qu'un lien s'est tissé de moi au monde et du monde à moi. Cette conviction est rarissime mais, aussi rare soit-elle, elle rend vivant – elle me rend vivante. Je la ressens grâce à la photo, grâce, aussi, à l'écriture – quand enfin je sens que j'ai mis en cohésion un sentiment, une réminiscence, une sensation, et des mots, des phrases. C'est pour cette pulsion de vie, ténue, ô si ténue mais infiniment précieuse quand elle jaillit, que je ne renonce pas – pas encore – ni à la photo ni à l'écriture, ces deux "gestes d'être" eussent-ils pour fruits de minables infinitésimalités au regard de ce que font les grands écrivains, les grands photographes.

Mais autre chose encore a, je crois, présidé à cet autosabotage, qui a à voir avec le thème même de cette sixième édition. Quand il avait été dévoilé, je l'avais tout de suite adoré; j'avais immédiatement imaginé plusieurs photos, visuellement mais aussi "pratiquement", je veux dire en songeant très précisément à la façon dont je pourrais les réaliser. Puis, le temps passant, rien de ce à quoi j'avais pensé ne se concrétisait. L'échéance du 5 décembre approchait, je ne parvenais à rien et, du coup, j'en suis venue à haïr le thème – il est évidemment plus facile de haïr le facteur, ou la circonstance, hors de soi que de puiser en soi la force de surmonter l'empêchement. Dans un tel état d'esprit, comment aurais-je pu, fût-ce en fouillant dans mes anciennes photos, opérer une sélection pertinente?

Quoi qu'il en soit, et parce que je ne déteste pas tout à fait mes "envers du décor", j'en recompose ici l'album...

* Exposition organisée par l'association Photovision France au centre culturel Madeleine Rebérioux 27 avenue François Mitterrand - 94000 Créteil.

Avant. L’envers du décor ? Ce que l’on ne verra qu’au prix d’une indiscrétion, parfois d’une indélicatesse ; au sens figuré, l’avant, voire l’extrême avant des choses – en peinture, précédant même le geste de l’artiste d’où émergera l’œuvre: le pinceau, les couleurs, le désordre de l’atelier…

Avant. L’envers du décor ? Ce que l’on ne verra qu’au prix d’une indiscrétion, parfois d’une indélicatesse ; au sens figuré, l’avant, voire l’extrême avant des choses – en peinture, précédant même le geste de l’artiste d’où émergera l’œuvre: le pinceau, les couleurs, le désordre de l’atelier…

De loin. Plutôt que de regarder, par-dessus l’épaule du peintre, l’œuvre naître au fur et à mesure de ses gestes, je me suis aventurée du côté du modèle. La genèse se poursuit sans que j’en voie rien – autre chose cependant se dévoile.

De loin. Plutôt que de regarder, par-dessus l’épaule du peintre, l’œuvre naître au fur et à mesure de ses gestes, je me suis aventurée du côté du modèle. La genèse se poursuit sans que j’en voie rien – autre chose cependant se dévoile.

Entre-deux. D’un côté le refuge de la chambre. De l’autre le jardin. Lequel est l’envers de l’autre ?

Entre-deux. D’un côté le refuge de la chambre. De l’autre le jardin. Lequel est l’envers de l’autre ?

L'avant-décor plutôt que l'envers...

L'envers du décor au sens le plus strict de l'expression...

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22 novembre 2014 6 22 /11 /novembre /2014 04:33
Détournement d'intention...

Depuis quelques jours, soucieuse d'utiliser enfin trois ou quatre films couleur périmés, je tâchais de trouver des sujets qui puissent m'offrir matière à réhabituer mon regard argentique à "penser couleur" et, en même temps, m'être d'assez peu d'importance pour que je ne sois pas trop mortifiée d'un résultat désastreux imputable à la péremption chimique. Je songeais au Jardin des plantes: un lieu d'autant plus attirant pour travailler son rapport à la couleur qu'en ce mois de novembre l'ensemble du site était investi par la FIAC 2014 «hors les murs». J'avais eu un aperçu de ce qui avait été installé en parcourant les pages que le site web du Muséum national d'histoire naturelle consacre à l'événement et quelque chose m’avait amusée, à défaut de me séduire, dans les photos mises en ligne – disons qu’en les voyant, je m’étais plu à imaginer les photos que moi je pourrais faire des objets exposés, m’abandonnant à mon exercice favori: construire mentalement des photos, vivre mentalement l’acte de photographier – viser, cadrer, mettre au point, déclencher… et râler ou jubiler selon que je penserai avoir «réussi» ou «raté» (entendez : «mis en adéquation ma visée et mon intention» ou «n’être parvenu qu’à un décalage radical entre l’intention et la chose vue dans le viseur»). Une fois la décision prise, sur le tard comme toujours, d'aller découvrir ce parcours il me fallut attendre que la météo prévoie une journée sans pluie avant qu'il soit désinstallé et, jeudi 20, le vague projet fut changé en acte effectif...

J'arrivai au Jardin du côté de la galerie d'anatomie comparée et de paléontologie et croisai, d’abord, Sans titre, de Vincent Mauger (2012. Bacs plastiques découpés), dont je m'étais dit que cet assemblage avait une structure qui allait me donner du film à dérouler. Mais face à l'objet réel, j’ai ressenti une telle déception que je n’ai même pas pris la peine de sortir mon appareil pour tenter quelques prises de vue. Un je-ne-sais-quoi m'a affligée, érodant une envie de photographier déjà rongée par une lumière en berne: le temps de rallier en métro le jardin depuis Créteil et l'infime rayon de soleil qui était enfin venu, à la mi-journée, déplomber le ciel sans l'éclairer vraiment avait disparu; c'en était fini de cette belle clarté opalescente propre aux atmosphères grisonnantes d'automne, tout était tristement aplati dans un jour sans lumière, comme mâché par la masse nuageuse L'envie photographique n'était cependant pas tout à fait éteinte puisque, ayant prévu de travailler dans des conditions de faible luminosité. j'avais équipé mon appareil d'un film à haute sensibilité (800 ASA). Alors j'ai continué mon chemin, ne cherchant plus qu’à demi les... [ici, imaginer un autre mot que «œuvre» qui ne soit pas aussi vachard que truc, ou machin… mais franchement, je sèche! bah, optons pour le très neutre «chose(s)»...] les «choses», donc, disséminées dont je n’avais pas retenu précisément où elles se tenaient, m’attachant à observer ce qui, des plantes, des arbres, de la géométrie des pelouses et des plates-bandes pouvaient être photogénique. J’ai ainsi poussé jusqu’aux grandes serres, où était installé Scissure signal, de Pierre-Alexandre Rémy (2014. Acier peint, élastomère teinte dans la masse). C’est en définitive un tuyau d’arrosage roulé sur lui-même qui m’a intéressée : l’enroulement dessinait des courbes plastiquement superbes mais surtout valait le jeu chromatique de son vert – à dominante bleue – avec celui de la pelouse sur laquelle il reposait, un vert beaucoup plus jaune. Et il avait une embouchure orange vif… Vraiment, beaucoup plus intéressant que Scissure signal!

Voyant se gâter le teint déjà bien cadavéreux de cette morne après-midi, et, de plus, résolue à ne plus chercher aucune autre fiaquerie, je rebroussai chemin vers la galerie de paléontologie mais l'appareil toujours prêt, au cas où... Bien m'en prit: mon attention fut soudain happée par des grumes de bois aux formes torturées gisant au bord d'une allée qui laissaient apparaître dans les béances de leur écorce brune noircie par l’humidité de fascinantes moirures rosées, confinant parfois au rouge sang-de-bœuf… Sitôt vues, je m’approche d’elles, commence à ne plus les scruter qu’au travers de mon objectif, tournant autour, me baissant, me relevant, posant genou en terre, essayant plusieurs cadrages, plusieurs mises au point – variations limitées par la mauvaise luminosité qui m’impose de maintenir une ouverture assez importante même à 800 ASA puisque, contrainte de ne pas réduire ma vitesse en deçà du 1/60e pour que le flou de bougé ne mue pas chaque image en gâchis, je ne puis jouir que d’une faible profondeur de champ. Tout à mes essais – à mes hésitations surtout… – je ne percevais plus grand-chose de ce qui m’entourait et fus brusquement tirée de ma scrutation hypnotique par le conducteur d’une chargeuse-pelleteuse qui devait ôter de là les grumes qui m'occupaient tant… «Je vais juste les déposer ailleurs; si vous voulez, vous pourrez continuer à prendre des photos là-bas», me dit-il en désignant l’endroit où allait être transporté le bois que déjà saisissaient les mâchoires d’acier de son engin. «Non, non, ça ira, je vous remercie… j’ai fini!» répondis-je. Puis un de ses collègues vint vers moi, et m’expliqua qu’ils abattaient des arbres malades, infestés par un parasite qui s’insinuait dans les troncs à la faveur de blessures. «Vous voyez, celui-là devant vous? Tout en haut, ce trou avec ce bourrelet noir, eh bien il est fichu, tout creux à l’intérieur… et celui-là, avec un gros champignon à l’échancrure des branches… lui aussi, on va l’abattre… C’est comme sur le canal du Midi, vous savez…» et de se lancer dans un récit serré, dont parfois certains mots m’échappaient tant ils étaient mangés par son élocution, son débit rapide… Pourtant j’écoutais avidement cet homme au visage couleur grand air et bonne chère, tanné, ouvert comme une main tendue auquel un bouc taillé court donnait une finesse, une distinction qui cassait un peu sa gouaille. Ses yeux, bleu vif qu’il plissait légèrement, me parurent traversés d'un infime éclat réjoui, malgré la gravité de ce dont il parlait. En l’écoutant – je m’en suis rendu compte après coup ‒ c’est une photo que je voyais, son portrait que je construisais en imagination, décliné en trois, quatre prises de vue… Bien sûr, je n’ai pas osé lui demander l’autorisation de le photographier. Et si, au fond, il n’avait attendu que ça? Peut-être a-t-il même été déçu que je ne lui dise pas «vous permettez que je vous prenne en photo?» et m’en tienne à le questionner sur les maladies des platanes? Qui sait… pour moi, ce sera encore de ces «photos-que-je-n’ai-pas-faites» à verser au dossier toujours plus épais des occasions gâchées.

Restent les quelque vingt clichés pris malgré tout. il me faut désormais attendre d'avoir fini d'impressionner la pellicule pour voir ce qu'ils auront capté de ces impressions visuelles que, je le sais aujourd'hui, j'ai davantage narrativisées que je ne les ai analysées photographiquement alors même que j'avais l’œil rivé à mon viseur. Une pente sur laquelle je glisse presque systématiquement: je brode du discours sur une image ‒ autrement dit, : rien qui se puisse photographier. Je n'escompte donc rien autre que beaucoup de déception.

Comble du dépit: le lendemain vendredi, que j'avais par un calcul basé sur des prévisions météorologiques par trop anticipées qui promettaient un temps pluvieux ce jour-là bloqué pour honorer divers rendez-vous, une lumière douce, filtrant d'un ciel uniformément ouaté, s'installait en fin de matinée pour durer jusqu'au soir. Une lumière certes assez présente pour vivifier les couleurs, mais qui eût cependant bien supporté les 800 ASA de mon film. Exactement comme j'aurais aimé qu'elle fût la veille...

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14 novembre 2014 5 14 /11 /novembre /2014 10:52

À peine née et déclarée au Journal officiel, l'association Photovision France était sollicitée par Marie-Laure Weill-Raynal, professeur de chant au conservatoire Marcel-Dadi, pour participer aux Fantaisies lyriques, le spectacle d'opéra-comique qu'elle préparait avec ses étudiants afin d'en donner une représentation le 14 novembre. Non pour que l'un ou l'autre de ses membres, ayant des dons de chanteur, montât sur scène: il s'agissait vraiment de photographies, et dans une double perspective. Marie-Laure, qui avait imaginé de donner pour décor à son spectacle ‒ un montage de différents morceaux d'opérette empruntés à un répertoire couvrant grosso modo le XIXe siècle et débordant un peu sur le début du XXe évoquant l'univers de la banlieue en même temps qu'une rencontre amoureuse ‒ des photographies projetées en fond de scène, souhaitait mêler aux images anciennes qu'elle avait glanées aux Archives départementales des photographies contemporaines. Plutôt que de solliciter une agence elle a préféré compulser l'annuaire des associations cristoliennes. et c'est ainsi qu'elle a fait appel à Photovision.

"En m'adressant à votre association, a-t-elle écrit, je souhaite rencontrer et faire rencontrer à mes étudiants et au public du Conservatoire d'autres amateurs au meilleur sens du terme: plus les photos témoigneront d'une recherche personnelle, mieux ce sera."

La rencontre photo-musique ne s'arrêtait pas à l'élaboration du décor: les photos choisies allaient être exposées pendant une dizaine de jours, augmentées de quelques autres. Et mieux encore: Marie-Laure offrait aux membres de Photovision qui le souhaitaient la possibilité de prendre des photos pendant une des séances de répétition, puis pendant le spectacle ‒ opportunité à ne pas rater quand on sait combien il est rare, quand on est simple amateur et que l'on n'a aucun passe-droit particulier, de photographier des artistes en répétition et en représentation... Il est vrai que c'est un exercice techniquement très difficile, tout tentant qu'il soit. J'avais pour ma part sauté sur l'occasion et "retenu" une place pour le soir de la répétition puis, le temps passant, j'ai réalisé que je n'étais ni compétente, ni équipée pour ce genre de prise de vue... "Cela ne fait rien m'a-t-on dit: il n'y a pas obligation de résultat, c'est juste une bonne occasion d'expérimenter quelque chose". Donc je n'ai pas reculé; j'ai juste renoncé à mon appareil argentique; bien que disposant d'un film à très haute sensibilité, une Delta 3200. Et en effet, une fois sur place, j'ai pu me féliciter de m'en être remise à mon seul petit Coolpix dont je savais qu'il prenait des images à peu près correctes même dans la pénombre. Quel piètre équipement comparé aux reflex numériques dont étaient pourvus les trois autres photographes présents, armés de surcroît de leur trépied, et de leur flash... Et le résultat a été à l'avenant de cet attirail minuscule: une petite dizaine d'images acceptables, à condition de les maintenir à la taille d'une vignette et de ne pas les imprimer. Je me console en me disant que mes camarades auront mieux fait honneur à l'offre de Marie-Laure...

Mais revenons un peu en arrière pour évoquer le chemin qu'a fait le projet au sein de l'association. Dès le mois de septembre un appel à participation était lancé, qui présentait succinctement le spectacle et les thèmes auxquels devraient s'attacher les photos proposées. Chaque participant devait envoyer ses images par courriel ‒ pas plus de cinq par personne ‒ qui seraient ensuite soumises au choix du jury, constitué du conseil d'administration de Photovision et de Marie-Laure Weill-Raynal. Les thèmes à traiter étaient l'espace urbain cristolien aujourd'hui, la rencontre de deux amoureux, et la fête, dans une dimension intimiste ‒ pique-nique, repas de mariage, d'anniversaire...

La sélection finale a été arrêtée le 24 octobre; j'ai eu le plaisir de voir une des miennes choisies ‒ prise par un morne dimanche après-midi, fixant un état éphémère du chantier alors en cours... tout à côté du conservatoire. Il m'a fallu ensuite la tirer. Tâche qui s'est avérée bien plus difficile que ne le laissait supposer la vue du seul négatif scanné... Et sans l'appui de Jean-Philippe [Jean-Philippe Jourdrin, photographe de talent, tireur émérite et animateur du labo argentique de la MJC Village actuellement en perdition...] qui en deux mots et quelques gestes précis au-dessus de tirages ratés m'a indiqué comment faire monter le ciel, quelles étaient les zones où il fallait au contraire retenir la lumière, me conseillant aussi de changer de filtre pour finaliser mon maquillage... Ensuite il m'a suffi d'une heure et de deux feuilles de papier pour obtenir un beau tirage. Merci Jean-Philippe!!!


L'accrochage, finalisé le 10 novembre, est une belle réussite; j'en ai vu l'essentiel dans le hall du conservatoire, disposé tel un collier sur la paroi tronconique de bois de l'auditorium. Par le biais des photographies l'hier donne joliment la main à notre aujourd'hui, en écho aux Fantaisies lyriques qui font se succéder les airs et les saynètes au rythme d'images anciennes et contemporaines habilement alternées par Marie-Laure Weill-Raynal.

* Conservatoire à rayonnement départemental Marcel-Dadi
2-4 rue Maurice Déménitroux
94000 Créteil
Tel: 01.56.72
.10.10

"Dépeuplé": voilà l'image que le jury a retenue pour être intégrée à l'exposition qui ornera les murs de l'auditorium du conservatoire. Plutôt équilibrée une fois scannée - donc de qualité visuelle suffisante pour être soumise à sélection - l'image s'est révélée très difficile à tirer sous l'agrandisseur. Sans les conseils avisés de Jean-Philippe, c'est un tirage médiocre, à la limite du montrable, que j'aurais eu à donner...

"Dépeuplé": voilà l'image que le jury a retenue pour être intégrée à l'exposition qui ornera les murs de l'auditorium du conservatoire. Plutôt équilibrée une fois scannée - donc de qualité visuelle suffisante pour être soumise à sélection - l'image s'est révélée très difficile à tirer sous l'agrandisseur. Sans les conseils avisés de Jean-Philippe, c'est un tirage médiocre, à la limite du montrable, que j'aurais eu à donner...

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12 octobre 2014 7 12 /10 /octobre /2014 08:24

Dimanche 12 octobre. Tôt le matin
À la surface du lac, quelques canards immobiles flottent, tels des jouets laissés dans la baignoire pour distraire un enfant. Un peu plus loin, un ballon à demi affaissé et, à l'exacte tangente de sa ligne de flottaison, tendue vers un improbable point de fuite, une longue tige morte d'où pointent des feuilles effilées cassées à angles aigus.
"Une calligraphie!" me dis-je, passant en courant d'une foulée alerte et songeant, dans le même temps, que cet agencement de hasard eût peut-être fait une belle photo. J'étais loin déjà quand un brusque charivari me fit me retourner. Une panique chez les canards! Brouillamini d'ailes battant l'air, criailleries, gerbes d'éclaboussures... envols tourmentés... L'eau écume, bouillonne, peine un peu à reprendre sa quiétude, clapote. Bousculés par ces turbulences, le ballon et la tige se sont désolidarisés. Et ne sont désormais, chacun, que deux choses insignifiantes, rebuts parmi d'autres qui donnent au lac sa morne mine de décharge intempestive. De la fulgurante calligraphie jugée photogénique dans l'éclair de son surgissement rien ne reste que la brève figure retenue par ma mémoire et transcrite à grands renforts d'efforts, peut-être vains d'ailleurs...


Plus tard
J'aperçois une minuscule chaussure de bébé salie dans le creux d'une large feuille toute trouée dont ne restent que les nervures. Aussitôt je pense "une photo à prendre!" et, la photo prise ‒ les photos prises car j'ai expérimenté différents angles, plusieurs cadrages... ‒ je réalise qu'aucune ne rend compte de ce que j'ai éprouvé en voyant cette petite chose défaite dans son écrin végétal en lambeaux, détrempé par l’averse récente. Ces clichés ne sont que des images, de banales images. En plus, ils sont flous, de ce mauvais flou de bougé que l'on n'a pas recherché mais, au contraire, tâché d'éviter! Me vient alors la réflexion qu'une véritable photographie, en dehors de ses qualités techniques ‒ je veux dire une de celles que l'on fait quand on "fait de la photo" et non "des photos", toute la nuance de sens est dans le choix des déterminants: un défini, et c’est une prétention à l’art, un indéfini, et c’est à peine de la fixation événementielle ‒ est plus-que-visuelle; quiconque la regarde voit certes des formes, des couleurs ou des gammes de gris dans le cas du noir et blanc, mais il percevra aussi des parfums, entendra bruire des sons et, peut-être, sentira courir sur sa peau des brises voire le vent des souvenirs, ou des rêves, ou des fantasmes. Il y a dans une véritable photographie, je veux dire de celles que prennent les grands photographes, tout un monde d'émotions dont sont exemptes les photos banales, celles qui n'ont de but que d'archivage ou de témoignage. Et je me dis in fine qu'un authentique photographe n'est pas seulement capable de voir "quelque chose" dans le moment de réel qui l'interpelle et le pousse à déclencher, il est aussi celui qui saura transmettre à autrui, grâce à sa photographie, ce que lui a vu – et, dans ce verbe "voir"-là, il faut entendre bien d’autres sens que celui de la seule vue; tout un monde dans une photo, tout un monde…
Ma petite chaussure de bébé, que je n’ai pas su élever au rang d’univers par mes images, me ramène à cette superbe photographie de Marc Riboud* d'un sac en plastique abandonné dans un jardin public de Shanghai: l'avaient ému les deux boucles que faisaient les anses nouées: On dirait un lapin égaré écrit-il. Et au premier coup d’œil, en effet, on voit sur sa photo le lapin égaré. Plus que le sac plastique, plus, même, que le décor sublime du jardin pourtant présent à l'image...

*Marc Riboud, 50 ans de photographie, Flammarion,2004 (ouvrage publié à l'occasion de l'exposition éponyme à la Maison européenne de la photographie de mars à octobre 2004), 175 p. - 52,00 €.

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2 juin 2014 1 02 /06 /juin /2014 12:46

C'est désormais chose faite: cette association, née de l'organisation de l'événement "Photovision 94" (une exposition annuelle et thématique réservée aux photographes amateurs du Val-de-Marne, mise en place voici quelque cinq ans) et prolongée par l'engagement enthousiaste de son initiatrice, elle même artiste photographe, Karen Simon, a maintenant pris corps. Statuts déposés, premières adhésions enregistrées, site "en cours de construction" si je ne m'abuse et page Facebook ouverte. L'on en est encore au tout début du chemin - il y a, à l'horizon, une multitude de projets esquissés tous plus attrayants les uns que les autres, mais peu sont concrétisés ou, du moins en voie de l'être. Un cependant a été initié qui verra son aboutissement du 13 au 15 juin prochain; ce sera la première initiative officiellement labellisée "Photovision France" et elle ne manque pas d'envergure: ce sont pas moins de 32 images toutes proposées par les membres de l'association et sélectionnées par son jury qui seront exposées pendant les trois jours que durera le rassemblement de L’Échappée volée au château de Méry, à Méry-sur-Oise. Un rassemblement privé, une durée brève... mais, en termes de prestige et de visibilité pour l'association et pour les œuvres choisies, c'est énorme.

Comme pour les expositions précédemment organisées, il fallait travailler à partir d'un thème - mais, cette fois, le "texte d'accompagnement" n'était pas requis: "Un nouveau regard". J'avoue avoir été fort démunie devant ce libellé, que je trouvais tellement ouvert que toute image pouvait convenir puisque, quelle qu'elle soit, elle procède de toute façon du regard du photographe, et en même temps impossible à traiter car, aujourd'hui où tout ce qui est techniquement possible se fait et est admis en photographie, que peut-il y avoir de "nouveau", de "créatif"? Les plus acrobatiques transfigurations numériques existent déjà, quant à la photographie traditionnelle, simplement argentique ou, plus artisanale encore, fondée sur les procédés anciens (utilisation de la gomme bichromatée, tirages d'épreuves sur papier salé, cyanotypie, calotypie, etc.), elle n'a jamais cessé de se pratiquer. D'ailleurs, technologie numérique et méthodes d'autrefois ne s'excluent pas: certains virtuoses les emploient de conserve pour donner le jour à d'étonnantes créations.

De plus, esthétiquement parlant, là aussi la diversité est immense, tout est permis! L'on commercialise toujours des appareils argentiques rudimentaires dont jadis seuls les adeptes de la photo "clic-clac Kodak" se satisfaisaient et dont s'emparent aujourd’hui des artistes galerisés, des plasticiens de renom... justement parce que l'on érige en "œuvres d'art" ce qui passait pour des photos ratées (couleurs baveuses, cadrages approximatifs, netteté douteuse et flous non intentionnels...). Ce qui était jugé alors bon pour la poubelle s'expose sur les cimaises, fournit matière à publications luxueuses - tel photographe a même commis un livre avec les images tronquées de ses amorces de film!... Qu'est-ce qui donc pourrait être qualifié de "nouveau" aujourd'hui??? Ne voyant (!) vraiment pas, j'ai plutôt entendu "autre" à la place de "nouveau" et, du coup, interprété le mot "regard" de manière métaphorique, au risque de mal comprendre et de tomber dans le contresens interprétatif - mais c'est un risque inhérent aux libellés trop largement ouverts, et "Nouveau regard" se pose, en cette matière, comme sur un trône...

Voici donc les cinq images que j'ai soumises à la sélection du jury - trois argentiques, deux numériques....

À tout seigneur tout honneur comme on dit: d'abord LA lauréate, cette image que j’ai intitulée "Imprésence", vieille de trois ans, saisie lors d'une visite à l'espace Krajcberg qui jouxte le musée Montparnasse. Ce profil à lunettes, démesurément grossi par quelque effet d'ombre portée et dont les lignes me semblaient répondre aux courbes des sculptures exposées, m'avait instantanément conduite à déclencher. Mais la photo n'avait jamais été tirée et, en envoyant le scan du négatif, je craignais bien que l'image ne résiste pas au passage sous l'agrandisseur... Fort heureusement, le tirage, en 30x40, a répondu à mes attentes. Les lunettes, le profil vu seulement par le truchement de son ombre: c’était bien, pour moi, un "autre" regard.

À tout seigneur tout honneur comme on dit: d'abord LA lauréate, cette image que j’ai intitulée "Imprésence", vieille de trois ans, saisie lors d'une visite à l'espace Krajcberg qui jouxte le musée Montparnasse. Ce profil à lunettes, démesurément grossi par quelque effet d'ombre portée et dont les lignes me semblaient répondre aux courbes des sculptures exposées, m'avait instantanément conduite à déclencher. Mais la photo n'avait jamais été tirée et, en envoyant le scan du négatif, je craignais bien que l'image ne résiste pas au passage sous l'agrandisseur... Fort heureusement, le tirage, en 30x40, a répondu à mes attentes. Les lunettes, le profil vu seulement par le truchement de son ombre: c’était bien, pour moi, un "autre" regard.

"Regard captif"… Un graffiti mural où le regard m’est apparu intensifié par le masque, avec effet de claustration renforcé par le cadenas positionné juste sous les yeux – des échos de sens ont résonné que je trouvais accentués par les jeux de réflexion qu’amenait la proximité de la voiture garée dont j’ai pris soin de conserver dans le cadre le rétroviseur et une part du pare-brise (et les sonorités des mots ! ou le bruit des choses vues…).

"Regard captif"… Un graffiti mural où le regard m’est apparu intensifié par le masque, avec effet de claustration renforcé par le cadenas positionné juste sous les yeux – des échos de sens ont résonné que je trouvais accentués par les jeux de réflexion qu’amenait la proximité de la voiture garée dont j’ai pris soin de conserver dans le cadre le rétroviseur et une part du pare-brise (et les sonorités des mots ! ou le bruit des choses vues…).

"Sans la tête"... Un mannequin sans tête - donc sans regard... - de plus vu à travers une vitrine fermée par un rideau de fer à gros maillage: une façon à mon sens bien décalée de poser ses yeux, tant pour le regardeur qui doit les contorsionner pour "voir" que pour le regardé qui n’en a point...

"Sans la tête"... Un mannequin sans tête - donc sans regard... - de plus vu à travers une vitrine fermée par un rideau de fer à gros maillage: une façon à mon sens bien décalée de poser ses yeux, tant pour le regardeur qui doit les contorsionner pour "voir" que pour le regardé qui n’en a point...

"Coup de soleil" mais sans soleil visible, et un regard présent simplement à travers un morceau de paire de lunettes. Tout est tronqué, ou absent. Alors forcément "autre". Reste que c'est un lieu commun (pour ne pas écrire "cliché", évidemment!) que de signifier le regard avec des lunettes!

"Coup de soleil" mais sans soleil visible, et un regard présent simplement à travers un morceau de paire de lunettes. Tout est tronqué, ou absent. Alors forcément "autre". Reste que c'est un lieu commun (pour ne pas écrire "cliché", évidemment!) que de signifier le regard avec des lunettes!

"Œdipe". Comment pouvais-je interroger l'idée de regard sans renvoyer à Œdipe? Quant au masque, blanc, impersonnel... c'est un véritable réceptacle à projections (ouverture large du thème proposé)... Pour moi, et avec cette référence à Œdipe, c'est le théâtre (quel nœud de regards!) l'intemporalité, l'anonymat - donc l'universalité. Ici, de l'aveuglement, "autre" regard par excellence….

"Œdipe". Comment pouvais-je interroger l'idée de regard sans renvoyer à Œdipe? Quant au masque, blanc, impersonnel... c'est un véritable réceptacle à projections (ouverture large du thème proposé)... Pour moi, et avec cette référence à Œdipe, c'est le théâtre (quel nœud de regards!) l'intemporalité, l'anonymat - donc l'universalité. Ici, de l'aveuglement, "autre" regard par excellence….

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21 mai 2014 3 21 /05 /mai /2014 10:22

Un mois ou peu s'en faut passé en immersion quasi complète dans une traduction de l'anglais dont il a fallu presque continûment redresser l'adéquation avec le texte original qui, à la relecture, s'avérait plutôt... inadéquate; un mois à être littéralement hantée par les jeux de sens, les glissements de nuance, les interrogations quant aux choix de reformulation que je faisais; un mois à écrire sans cesse dans ma tête de longs discours raisonneurs lorsque je devais résoudre une difficulté d'interprétation comme j'aurais écrit une dissertation en réponse à une question philosophique; un mois à penser "mots", "faux amis", figure de style", "logique textuelle"; un mois à explorer d'énormes masses de ressources, en anglais et en français, fort heureusement disponibles aisément grâce à la Toile, à découvrir des auteurs, des œuvres, des parcours intellectuels et artistiques, à sentir une multitude d’interconnexions s’établir, s’éclairer mutuellement et, par là, jeter leur lumière sur ce que je devais amender… Tout un foisonnement extrêmement stimulant mais épuisant qui me laissait à la fin de chaque journée le sentiment d'être une vieille chose toute dénervée, avachie au bord des heures longues du soir sans autre force que celle de me mettre l'esprit en vacances devant l'une ou l'autre de ces séries télévisées policières qui me renvoient à mes plaisirs d'enfant télévore – mon doudou d’adulte en quelque sorte: un réconfort facile, mais plus indispensable que jamais quand les journées s'achèvent sans que se profile le sentiment du travail (bien, si possible) accompli...

Souvent je pensais "photo" mais de loin ‒ pas vraiment comme à un désir inassouvi, encore moins comme à une activité relevant de la passion dont j'aurais été douloureusement privée, c'était plutôt comme un imperceptible courant d'air, frais sur la peau mais dont je n'aurais pu identifier la provenance ou la cause... Quelque chose de vague, de flou ‒ mal identifié et presque étranger. S'il m'arrivait de penser, au vif d'une "chose vue" qui tout d'un coup happait mon regard "Oh, si seulement j'avais eu mon appareil! j'aurais fait une belle photo!" très vite l'idée photographique s'envolait. Pourtant, de cette dernière quelque chose persistait: la "chose vue" durablement inscrite en mémoire et, attachés à elle, quelques considérations de cadrage, de mise au point, une part "littéraire" (parfois juste un titre, ou un micro-récit qui se formulait à toute allure)… et, surtout, le regret de "la photo que je n'ai pas faite". Un regret tempéré toutefois par la certitude que, si j'avais en effet eu entre les mains mon appareil, je n'aurais peut-être même pas pris la photo car souvent, ce que mon œil perçoit comme une "belle photo" potentielle ‒ ou du moins une photo parlante, signifiante ‒ devient, dans le viseur, quelque chose de muet, d'inerte. Et si cette "inertie" ne m'apparaît pas avant de déclencher, c'est au moment du tirage que l'image se révèle complètement désubstantifiée par rapport au ressenti de mon œil nu. Sans doute parce que mon œil est couplé avec mon esprit qui fait parler les "choses vues" à coups de souvenirs, de sentiments et autres objets mentaux quand mon appareil est, lui, régi par les seules lois de l'optique et qu'appuyer sur le déclencheur avec mon doigt ne suffit pas à établir le raccord avec ma pensée. Il n'y a pas, chez moi, prolongation absolue comme chez les grands photographes entre mon œil, ma pensée, mon doigt-qui-déclenche et mon appareil...

Tout cela pour dire qu’une fois de mon travail accaparant la principale étape bouclée, j’avais devant moi un petit temps de latence et que j’ai voulu le mettre à profit pour tenter de retrouver un regard véritablement photographique qui ne fût plus seulement celui me permettant la saisie de rapides images numériques. Mais que faire? Renouer avec l’exploration de quelques thématiques que je creuse depuis des années dans les mêmes lieux à différents moments de l’année mais, par là, risquer des gestes, des regards routiniers qui finiraient par me boucher la vue – pourtant, puisque je travaille avec un "esprit de série" dans mes recherches thématiques, il me faut bien m’astreindre à une certaine continuité de façon à engranger suffisamment d’images pour espérer en tirer un nombre suffisant qui soient satisfaisantes? Ou bien partir à l’aventure et baguenauder par les rues en laissant traîner le regard au gré du vent, à l’affût de l’instant visuel qui méritera la photo – mais alors, c’est un autre risque que j’encours: celui de ne rien voir qui m’émeuve ou soit photographiable… et d’endurer alors une morne frustration.
Comme je redoutais la frustration et que, pour réapprendre à regarder il me fallait être sûre de trouver matière à photographier, je suis allée au plus simple: une balade au cimetière du Père-Lachaise. Assez vaste pour me réserver des zones inexplorées malgré mes nombreuses visites, et source abondante pour quelques-uns de ces thèmes auxquels je m'intéresse – les crucifix, les fleurs, les ferrures rouillées, etc. avec, comme en tout lieu, de possibles surgissements inattendus… Ce que mon appareil argentique aura fixé, je ne le sais pas encore puisque le film est toujours dans mon boîtier. Quant à mon compact numérique qui toujours m’accompagne, il ne m’a guère servi, à cause de l’intense luminosité de ce dimanche après-midi… Je n’ai ramené que deux images, peut-être, d’ailleurs, d’assez piètre valeur plastique, mais à partir desquelles j’ai pu développer (!) quelques réflexions.

Sur une dalle noire et lisse tout inondée de lumière lorsque le soleil se dévoilait à plein, presque parfaitement centré sur la croix en relief ce bouquet de dahlias desséché. C'est d'abord sa disposition, si remarquable d'un point de vue géométrique, qui a arrêté mon œil, et la manière dont les sommités fleuries étaient étalées sur le bras de la croix, les pétales fanés formant comme une déliquescence figée au plus aigu de l'arête saillante – on aurait dit qu'une main patiente avait pris le temps d'écarter avec soin chaque fleur en laissant les tiges liées. En même temps j'admirai le magnifique effet chromatique de ce jaune paille à la fois pâle et intense sur le gris-noir granité de la dalle. Puis, le regard ainsi en arrêt, j'ai aperçu l'infime trace iridescente sans doute laissée par un escargot ou une limace qui faisait aux fleurs mortes comme un impalpable habit de Cellophane. Tout de suite j'ai voulu fixer cela par une photo – numérique puisque mon boîtier argentique était équipé d'un film noir et blanc. Mais avec le soleil, pas moyen de juger, sur l'écran de mon compact Coolpix, du rendu réel de l'image même en me mettant à l'ombre car ma vue est assez longue à accommoder lors d'importants changements de luminosité; tout juste ai-je pu entrevoir que le cadrage n'était pas tout à fait celui que je voulais. Il est vrai que j'avais dû tâtonner beaucoup pour éviter de photographier mon reflet, bien difficile à éviter sur cette dalle impeccablement polie, pour finalement décider de conserver cette image-là, la première que j'ai prise et consciente qu'elle ne rendait pas grand-chose de cette belle géométrie d'ensemble à laquelle j'avais été si sensible.

Sur une dalle noire et lisse tout inondée de lumière lorsque le soleil se dévoilait à plein, presque parfaitement centré sur la croix en relief ce bouquet de dahlias desséché. C'est d'abord sa disposition, si remarquable d'un point de vue géométrique, qui a arrêté mon œil, et la manière dont les sommités fleuries étaient étalées sur le bras de la croix, les pétales fanés formant comme une déliquescence figée au plus aigu de l'arête saillante – on aurait dit qu'une main patiente avait pris le temps d'écarter avec soin chaque fleur en laissant les tiges liées. En même temps j'admirai le magnifique effet chromatique de ce jaune paille à la fois pâle et intense sur le gris-noir granité de la dalle. Puis, le regard ainsi en arrêt, j'ai aperçu l'infime trace iridescente sans doute laissée par un escargot ou une limace qui faisait aux fleurs mortes comme un impalpable habit de Cellophane. Tout de suite j'ai voulu fixer cela par une photo – numérique puisque mon boîtier argentique était équipé d'un film noir et blanc. Mais avec le soleil, pas moyen de juger, sur l'écran de mon compact Coolpix, du rendu réel de l'image même en me mettant à l'ombre car ma vue est assez longue à accommoder lors d'importants changements de luminosité; tout juste ai-je pu entrevoir que le cadrage n'était pas tout à fait celui que je voulais. Il est vrai que j'avais dû tâtonner beaucoup pour éviter de photographier mon reflet, bien difficile à éviter sur cette dalle impeccablement polie, pour finalement décider de conserver cette image-là, la première que j'ai prise et consciente qu'elle ne rendait pas grand-chose de cette belle géométrie d'ensemble à laquelle j'avais été si sensible.

Vite lassée de ne pouvoir correctement juger des résultats de mes prises de vue, je n'aurai finalement retenu des divers essais effectués après ma première photo que celle-ci. Elle me paraît, mieux que la première, restituer l'effet de matière si particulier que produisait le soleil vif sur ces pétales fanés, secs, sur lesquels avait dû glisser un escargot (ou une limace). Mais, dans l'une comme dans l'autre, il manque quelque chose de ce que m'a chuchoté à l'oreille la vision furtive au moment où elle m'a arrêtée. Un "quelque chose" parfaitement formel et plastique, sans rien de "littéraire", de l'ordre de l'émotion pure et pas même transmuté par quelque discours intérieur – donc en toute logique "photographiable" et que pourtant je n'ai pas su capter par la photo.

Vite lassée de ne pouvoir correctement juger des résultats de mes prises de vue, je n'aurai finalement retenu des divers essais effectués après ma première photo que celle-ci. Elle me paraît, mieux que la première, restituer l'effet de matière si particulier que produisait le soleil vif sur ces pétales fanés, secs, sur lesquels avait dû glisser un escargot (ou une limace). Mais, dans l'une comme dans l'autre, il manque quelque chose de ce que m'a chuchoté à l'oreille la vision furtive au moment où elle m'a arrêtée. Un "quelque chose" parfaitement formel et plastique, sans rien de "littéraire", de l'ordre de l'émotion pure et pas même transmuté par quelque discours intérieur – donc en toute logique "photographiable" et que pourtant je n'ai pas su capter par la photo.

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27 décembre 2013 5 27 /12 /décembre /2013 14:39

Cette année encore, j'ai soumis cinq photographies doublées chacune du texte exigé par le règlement à la sélection du jury de Photovision94, ce concours réservé aux photographes amateurs du Val-de-Marne auquel j'ai pris part pour la première fois en 2011 et dont la cinquième édition donnera lieu à une exposition au centre socioculturel Madeleine Rébérioux de Créteil, du lundi 1er au vendredi 14 février 2014. Le thème, qui avait été choisi en mars dernier par les exposants présents au décrochage des "textimages" invitant à "faire un rêve", était ainsi énoncé: "Bizarre? Vous avez dit bizarre?" Très vite mon imagination s'était emballée et je me souviens d'avoir, à un rythme accéléré dès les jours suivants, vu défiler mille et une photographies à faire qui puissent être aussi "bizarres" que possible, et dans leur sillage s'énoncer autant de bribes textuelles susceptibles de les accompagner. Bien sûr, rien ou presque de ce que j'avais visualisé n'a été concrétisé. Aucune surprise de ce côté-là: je suis coutumière de ce foisonnement mental qui ne résiste jamais ou presque à l'épreuve du réel et se réduit, quand je tente de donner corps à l'une ou l'autre de mes imaginations, en un pitoyable résultat. J'ai cependant trouvé cinq photos à proposer, et composé pour chacune un texte. Je sais maintenant que deux d'entre elles seront exposées. Au fil de mes participations, l'envie a germé de constituer ici, qui est mon lieu de réflexion, de mise en perspective, les "albums" de mes candidatures successives – celles-ci en effet ne prennent sens, en ce qui regarde mon travail personnel, mon rapport aux thèmes, qu'à travers la totalité des "textimages" que j'ai envoyés, quelles que soient leur qualité, leur "(non-)pertinence au thème", leur valeur esthétique... Or, et l'on comprend sans peine pourquoi, le site de l'événement ne publie, pour chaque édition, que les œuvres retenues par le jury.

Je ne reviendrai pas sur les "abstractions urbaines" dont j'ai tout repris dans le "prologue". En revanche, puisque rien n'a filtré ici du thème suivant, "Intimités" – ce serait d'ailleurs très éclairant pour moi d'explorer d'une part ce silence, et d'autre part mon relatif échec dans le traitement du thème puisqu'une seule de mes photos a été exposée, une vue recadrée de surcroît et que je n'ai pas pu tirer moi-même puisqu'elle était en couleurs – je commencerai donc cet album par ces "Intimités" et je poursuivrai, de très chronologique manière, par les "rêves" de 2013. Quant aux "bizarreries" de 2014, il me semble plus opportun de m'y arrêter au moment de l'exposition.

Mais avant de regarder en arrière, quelques mots de ce qui se lève à l'horizon... Car sous le nom Photovision,bien des mouvements se sont produits depuis mars dernier. Tout d'abord le concept de ce concours départemental s'est étendu: une édition "75" est née, autour du même thème et régie par un règlement identique mais réservé cette fois aux habitants de Paris. Voilà une première concrétisation de cette vocation très tôt affirmée de ce concours à s'étendre à l'échelle nationale, mais toujours "territorialisé" au niveau départemental. Et le dynamisme des organisateurs, qui a permis cette première déclinaison hors du Val-de-Marne, est aussi à l'origine de la création d'une association "loi 1901" dont l'objet dépasserait la seule organisation annuelle des différentes versions du concours, et destinée surtout à être un bouillonnant lieu d'échanges pour ses membres. Les statuts sont, à l'heure où j'écris, en passe d'être très bientôt déposés. Les quelques réunions préparatoires auxquelles j'ai participé laissent augurer de superbes projets photographiques, très mobilisateurs, et avant même de m'être acquitté de ma cotisation, je me sens tout entière, par le cœur et l'esprit, membre de cette association. La perspective de la rejoindre a formé un creuset où s'agitent, en fusion, maintes réflexions et dont il n'est pas temps encore de vider le contenu...

Place donc aux albums, intimes et rêvés...

Intimités (1). Comme les replis d’un vêtement préservent l’intimité d’un corps, ruelles et venelles de la vieille ville s’entrecroisent en de mystérieux labyrinthes celant aux promeneurs l’espace privé des maisons. Dans l’échancrure d’une arche trouant un mur, trois marches soudain entraperçues laissent deviner qu’un escalier, là bas, s’épanouit en secret. Souvent gravi pour rejoindre l’être aimé – ou dévalé pour le quitter…

Intimités (1). Comme les replis d’un vêtement préservent l’intimité d’un corps, ruelles et venelles de la vieille ville s’entrecroisent en de mystérieux labyrinthes celant aux promeneurs l’espace privé des maisons. Dans l’échancrure d’une arche trouant un mur, trois marches soudain entraperçues laissent deviner qu’un escalier, là bas, s’épanouit en secret. Souvent gravi pour rejoindre l’être aimé – ou dévalé pour le quitter…

Intimités (2). La maison abandonnée gît, toute figée dans son cocon de broussailles. Ses derniers occupants sont morts il y a presque cent ans et plus personne depuis n’est entré là. Le bois de la porte, épais, s’est fendillé mais il résiste encore. Le loquet s’est rouillé – mécanisme grippé. Le secret est scellé pour jamais de ces pièces qui, à l’intérieur, avec leurs meubles, leurs bibelots, ont dû garder intacte sous la poussière la mémoire des jours anciens Telles des pages flétries d’un journal intime où se seraient écrits au fil des ans les chagrins et les rires de toute une famille.

Intimités (2). La maison abandonnée gît, toute figée dans son cocon de broussailles. Ses derniers occupants sont morts il y a presque cent ans et plus personne depuis n’est entré là. Le bois de la porte, épais, s’est fendillé mais il résiste encore. Le loquet s’est rouillé – mécanisme grippé. Le secret est scellé pour jamais de ces pièces qui, à l’intérieur, avec leurs meubles, leurs bibelots, ont dû garder intacte sous la poussière la mémoire des jours anciens Telles des pages flétries d’un journal intime où se seraient écrits au fil des ans les chagrins et les rires de toute une famille.

Intimités (3). Le soleil est à son zénith. Sa chaleur marmoréenne réduit le village immobile au silence. Les maisons trapues aux murs épais ont refermé leurs portes et leurs volets sur le peu de fraîcheur conservé du matin – sur les siestes sans faille de leurs habitants. Là comme dans un rêve, je suis seule à cette heure à ne pas dormir. À pas lents j’arpente les rues vides. Derrière ces murs clos j’imagine le mouvement de la vie – ses pulsations secrètes, alenties où avivées – sans rien savoir des existences particulières qu’il anime. Levant les yeux à l’improviste j’aperçois, crevant une façade, cette petite béance sombre en forme d’accent circonflexe. Le demi-sourire éclairant furtivement le visage d’un taiseux sur le point de se livrer : des bouffées d’intimité s’en échappent.  Un écrivain en aurait sans doute fait tout un roman. Je ne suis qu’une promeneuse de hasard et ma petite histoire s’arrête ici…

Intimités (3). Le soleil est à son zénith. Sa chaleur marmoréenne réduit le village immobile au silence. Les maisons trapues aux murs épais ont refermé leurs portes et leurs volets sur le peu de fraîcheur conservé du matin – sur les siestes sans faille de leurs habitants. Là comme dans un rêve, je suis seule à cette heure à ne pas dormir. À pas lents j’arpente les rues vides. Derrière ces murs clos j’imagine le mouvement de la vie – ses pulsations secrètes, alenties où avivées – sans rien savoir des existences particulières qu’il anime. Levant les yeux à l’improviste j’aperçois, crevant une façade, cette petite béance sombre en forme d’accent circonflexe. Le demi-sourire éclairant furtivement le visage d’un taiseux sur le point de se livrer : des bouffées d’intimité s’en échappent. Un écrivain en aurait sans doute fait tout un roman. Je ne suis qu’une promeneuse de hasard et ma petite histoire s’arrête ici…

Intimités (4). La nuit souvent invite à d’impossibles voyages –  L’on va en des terres obscures, à soi réservées que l’on visite en solitaire. Aussi loin que l’on aille  Une paupière entrouverte suffit à rompre l’intimité du rêve. Et l’on se retrouve au cœur de la chambre où l’on s’est endormi. Que vienne un souffle d’air et le rideau lui aussi se soulèvera –  Livrant passage à la rumeur du jardin.

Intimités (4). La nuit souvent invite à d’impossibles voyages – L’on va en des terres obscures, à soi réservées que l’on visite en solitaire. Aussi loin que l’on aille Une paupière entrouverte suffit à rompre l’intimité du rêve. Et l’on se retrouve au cœur de la chambre où l’on s’est endormi. Que vienne un souffle d’air et le rideau lui aussi se soulèvera – Livrant passage à la rumeur du jardin.

Intimités (5. L'élue...). Elle a perdu beaucoup d’êtres chers. Mais ils ne lui manquent pas : elle vient souvent leur parler. À chacune de ses visites, ce sont de longs conciliabules silencieux entre âmes qui se comprennent – car ils lui répondent, et l’entretiennent de la vie d’après, tandis qu’elle tâche de leur raconter le cours du temps terrestre.  Elle aime être seule avec eux. Voit-elle quelqu’un se recueillir sur l’une ou l’autre des tombes du petit cimetière qu’elle s’effraie et s’en va, remettant à plus tard le tête-à-tête intime avec ces morts qu’elle chérit tendrement.  C’était aujourd’hui l’anniversaire de sa mère. Elle lui avait apporté ses roses préférées.  Un intrus a surgi – l’effarouchée a laissé son bouquet.

Intimités (5. L'élue...). Elle a perdu beaucoup d’êtres chers. Mais ils ne lui manquent pas : elle vient souvent leur parler. À chacune de ses visites, ce sont de longs conciliabules silencieux entre âmes qui se comprennent – car ils lui répondent, et l’entretiennent de la vie d’après, tandis qu’elle tâche de leur raconter le cours du temps terrestre. Elle aime être seule avec eux. Voit-elle quelqu’un se recueillir sur l’une ou l’autre des tombes du petit cimetière qu’elle s’effraie et s’en va, remettant à plus tard le tête-à-tête intime avec ces morts qu’elle chérit tendrement. C’était aujourd’hui l’anniversaire de sa mère. Elle lui avait apporté ses roses préférées. Un intrus a surgi – l’effarouchée a laissé son bouquet.

Faisons un rêve (1. L'une des élues...). Le rêve est un mot ailé – comme une fée. Flou, fugace – mais tenace comme un vol arrêté. Et toujours un peu perdu.

Faisons un rêve (1. L'une des élues...). Le rêve est un mot ailé – comme une fée. Flou, fugace – mais tenace comme un vol arrêté. Et toujours un peu perdu.

Faisons un rêve (2). A-t-on jamais pensé, fût-ce une seconde, que l’on «descendait» en ses songes, en ses espoirs? Toujours «rêver» est ascensionnel… Une volée de marches entrevue, et voilà que l’on imagine ouverte la voie vers le paradis!

Faisons un rêve (2). A-t-on jamais pensé, fût-ce une seconde, que l’on «descendait» en ses songes, en ses espoirs? Toujours «rêver» est ascensionnel… Une volée de marches entrevue, et voilà que l’on imagine ouverte la voie vers le paradis!

Faisons un rêve (3). Derrière les vitrines, tant de chimères! Bibelots, vêtements, accessoires… 	Si proches, à les regarder,  	Mais hors de portée. Derrière les vitrines des femmes en sont parées 	pour mieux attiser nos rêves. Mais elles? Nous sommes-nous jamais demandé si elles rêvaient? Et de qui? Et de quoi? 	De nous peut-être, tout simplement. 	De nous et de nos vies, là-derrière les vitrines.

Faisons un rêve (3). Derrière les vitrines, tant de chimères! Bibelots, vêtements, accessoires… Si proches, à les regarder, Mais hors de portée. Derrière les vitrines des femmes en sont parées pour mieux attiser nos rêves. Mais elles? Nous sommes-nous jamais demandé si elles rêvaient? Et de qui? Et de quoi? De nous peut-être, tout simplement. De nous et de nos vies, là-derrière les vitrines.

Faisons un rêve (4. Deuxième élue...). Rêver? À moi qui suis né parmi les damnés de la Terre, cela est interdit. Chaque fois que mes yeux quittent la fange pour tâcher d’apercevoir le ciel, l’horizon s’efface. Et c’est un vieux portail rouillé qui le remplace.

Faisons un rêve (4. Deuxième élue...). Rêver? À moi qui suis né parmi les damnés de la Terre, cela est interdit. Chaque fois que mes yeux quittent la fange pour tâcher d’apercevoir le ciel, l’horizon s’efface. Et c’est un vieux portail rouillé qui le remplace.

Faisons un rêve (5. Troisième élue...) Depuis que je suis toute petite, la mer clapote au bord de mes rêves. Mais je ne l’ai jamais vue qu’en images – cartes postales, calendrier des Postes…  Je vis loin d’elle, dans un taudis que je ne quitterai plus maintenant – et je ne la verrai jamais. Alors j’essaie d’inviter la mer à mon seuil… Ce vieux transat, tiré de la décharge, suffira-t-il à faire venir près de moi l’été et le sable avant que je meure?

Faisons un rêve (5. Troisième élue...) Depuis que je suis toute petite, la mer clapote au bord de mes rêves. Mais je ne l’ai jamais vue qu’en images – cartes postales, calendrier des Postes… Je vis loin d’elle, dans un taudis que je ne quitterai plus maintenant – et je ne la verrai jamais. Alors j’essaie d’inviter la mer à mon seuil… Ce vieux transat, tiré de la décharge, suffira-t-il à faire venir près de moi l’été et le sable avant que je meure?

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7 octobre 2013 1 07 /10 /octobre /2013 16:59

Ilfobrom B 119 2n
Blanc cristal
12,7x
17,8 cm


Sur le dessus de cette boîte de papier photo, une date, "Mai 1978", et le mot "normal", tracés au stylo bille d'une écriture fine et pointue, aux caractère serrés et réguliers – celle de mon grand-père. Cheminot retraité, touche-à-tout de génie que j'ai connu jardinier, cruciverbiste, à l'occasion maçon, tailleur de pierre, carreleur et, quand une panne quelconque l'exigeait, plombier ou électricien mais, surtout, passionné d'astrophysique et de sciences en général qui avait été mortifié, sans trop le montrer il est vrai, de ce qu'à 15 ans, j'avais obstinément décliné son offre de m'expliquer la théorie de la relativité... J'ai su aussi sur le tard qu'en ses jeunes années il avait gratté le banjo et joué du saxo dans les bals de village. Mon grand-père donc, en ce mitan de l'année 1978, avait décidé de se lancer dans le développement et le tirage, et de ne plus seulement "prendre des photos" comme il le faisait très souvent, presque exclusivement, à en juger par les albums et les boîtes de diapositives, pour fixer les souvenirs de famille. Avec l'aide de mon père il se fabriqua un petit laboratoire et, pendant quelques mois, il développa des films noir et blanc, fit des tirages... mais cette expérience ne dura pas et le labo, s'il m'en souvient, fut vite abandonné. Rien cependant ne fut jeté. Ni les produits chimiques restant, ni les boîtes de papier, entamées ou non, ni le matériel: tout fut stocké au grenier, soigneusement rangé et bien enveloppé pour ne pas trop souffrir de la poussière. L'abandon qui sans doute devait n'être que temporaire s'avéra définitif.

Je n’étais pas, en 1978, intéressée le moins du monde par la "chose photographique" et je ne crois pas – mais puis-je en être sûre? – avoir jamais demandé à mon grand-père de m’ouvrir les portes de son labo ni de me laisser assister à une séance de tirage. Je ne suis donc pas de ces personnes qui, au contact d’un proche passionné par le grain d’argent, ont eu dès leur plus jeune âge le cœur et l’esprit attirés par la photographie et, de là, le regard aiguisé puis entraîné à toutes sortes de prises de vue. Si je devais cependant parvenir à démêler tous les fils ou presque qui m’ont au gré du temps amenée à "faire de la photo", je ne doute pas de découvrir que mon grand-père, sans avoir jamais eu en telle matière le statut de mentor, a tissé une bonne part d’entre eux.

Passée une première initiation à la photographie argentique voici une dizaine d'années, j'ai exhumé du grenier le matériel qui, un temps, occupa ma salle de bains que je transformais de temps en temps en chambre noire au prix de quelques aménagements fastidieux – obstruction de la fenêtre à l'aide de plusieurs couches de plastique noir qu'il fallait scotcher au mur puis décoller à la fin de la séance, installation d'un système d'éclairage inactinique exigeant force fils et interrupteurs provisoires... Avec agrandisseur, margeur, cuvettes, pinces, cuves et spires, la chimie – pas grand-chose en fait, hormis un sachet de Microphen dont je ne me servis pas car la poudre s'était solidifiée en un bloc infrangible – et quelques boîtes de papier. Persuadée que ces feuilles avaient entièrement perdu leur photosensibilité, mais pas absolument certaine toutefois, je m'abstins de les utiliser pour mes tirages sans pour autant les jeter. Je me suis bornée à leur accorder quelques années supplémentaires de dormition, au fond de mon placard. Et voilà que, sous l'effet d'une brusque pulsion d'expérimentatrice un peu aventureuse, je me suis décidée, il y a quelques jours, à tester le contenu d'une de ces boîtes, dans laquelle il restait à peu près la moitié du contenu d'origine.

Ilfobrom B 119 2n...

J’ai tout d’abord exposé une feuille entière à la lumière de l’agrandisseur, sans négatif dans le porte-vue et l’objectif ouvert au maximum, pendant une trentaine de secondes. Puis je l’ai plongée dans le révélateur. Ne voyant pas d’image monter, j’en ai déduit, sans surprise aucune, que le papier était épuisé. Mais c’était oublier, habituée que je suis aux papiers RC modernes à contraste variable, et peu au fait des divers types de papier photo fabriqués au fil des ans, que l’Ilfobrom est un papier baryté et que l’image, sur ce type de support, monte très lentement. Je me désintéressai donc de ma feuille au bain pour continuer mes tirages de lecture et insérer un nouveau négatif dans le porte-vue. Et au moment de glisser dans le révélateur la feuille RC multigrade que je venais d’exposer, je vois la feuille-test entièrement noircie! Ce papier fabriqué voilà plus de trente ans, et conservé dans des conditions loin d’être optimales, réagit à la lumière! Certes mais est-il pour autant apte à restituer une image positive de bonne qualité? Aussitôt, je place une feuille de ce vieux papier sous l’agrandisseur encore garni du négatif que je viens de tirer. Mais je double le temps d’exposition, et je retire le filtre 2,5 que j’avais utilisé, m’avisant que le chiffre 2 porté sur la boîte indiquait le grade – évaluations rapides et instinctives, déduites de ce que je sais des différences entre papier RC et baryté, de ce que me laissait soupçonner l’ancienneté de l’Ilfobrom en matière de temps de réaction… Cette fois, à l’affût devant le bac de révélateur, j’attends patiemment que l’image monte. Et elle monte! Fort bien, même! Dès que toutes les étapes du traitement eurent été accomplies, je me suis hâtée d’aller comparer les deux tirages à la lumière blanche. Elles sont quasi identiques en termes de contraste, de piqué, de nuances de gris… De plus, la vieille feuille n’accuse même pas d’imperfection, pas la moindre tache, ou trace, qu’aurait pu laisser quelque altération de la couche photosensible…

Le résultat de cette petite expérience m’a rendue profondément heureuse. Bien sûr, j'étais ravie de me découvrir une provision inespérée de papier photographique. Mais cette joie profonde venait surtout de ce que j'avais senti naître des intuitions pour les voir ensuite s'avérer justes. Et puis aussi de ce que me suggère de la permanence et de la durabilité cette chimie encore pleinement réactive après tant d’années, en dépit de conditions de stockage peu précautionneuses...

En achevant ces lignes, et un épinglant la photo que j'ai choisie parmi les trois tirages réalisés mais sans réfléchir particulièrement à cette signification, je me rends compte combien cette image, reflets et perspective, ouvertures, lignes... exprime visuellement les mille complexités du "feuilletage chronologique" qui enserre une photo argentique, ici augmentées des replis temporels auxquels renvoient cet étonnant "réveil chimique"...

Long sommeil
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24 janvier 2013 4 24 /01 /janvier /2013 10:56

aff-expo-photovision-2013-TMe replongeant à l'occasion de ce billet dans cette rubrique que j'avais ouverte voici plus de deux ans, je me rends compte qu'y figure un seul texte – et je ne prends qu'aujourd'hui la mesure de la déshérence dans laquelle je l'ai laissée. Alors que j'ai rempli des pages de notes, de bribes diverses touchant à ma pratique photographique… Réfléchissant beaucoup – mais concrétisant peu – je me suis abusée moi-même, imaginant que ces réflexions si fort pensées, et partagées de-ci de-là au gré de bavardages impromptus, avaient été dûment finalisées, rédigées, mises en ordre puis en ligne ici. Mais non: tous ces articles traitant du "filet noir", de la raison pour laquelle, adepte indéfectible de la photographie argentique noir et blanc (la couleur, seulement de temps à autre à titre expérimental, pourrais-je dire) je possède malgré tout un compact numérique dont j'aime à me servir, etc. n'existent qu'à l'état embryonnaire, telles des larves dont le développement serait interrompu, les empêchant ainsi d'atteindre jamais le stade d'insecte parfait – et, par là, les préservant de décevoir en n'étant pas conformes à la "perfection" que suppose ledit état…

Curieusement, je rouvre le ban aujourd'hui, à l'occasion de ce même concours qui m'avait incitée à créer cette rubrique fin 2010, ce même concours auquel j'ai participé l'an passé mais dont rien n'a filtré dans ces pages. La matière est lourde et dense qui s'est accumulée en tant de mois. Et ce geste en soi de vouloir rattraper ce qui a été manqué en écrivant cette laborieuse "introduction", de regarder loin derrière avant de consentir à tourner ses yeux vers l'à-venir – ce geste en soi mériterait scrutation. Mais ce n'est pas là le lieu de s'y livrer.

Retour, donc, aux moutons d'argent… 

 

Du 4 au 22 février 2013, le centre culturel Madeleine Rébérioux de Créteil* accueillera la quatrième exposition des photographes amateurs du Val-de-Marne.

J'avais découvert cet événement lors de sa deuxième édition, au moment où était diffusé dans le magazine de la ville l'appel à participation, en novembre 2010, juste après m'être inscrite au cours que donne Jean-Philippe Jourdrain à la MJC Créteil-Village afin de me remettre au tirage guidée par un professionnel. Ayant eu la joie de voir deux de mes images sélectionnées puis celle, ensuite, de parvenir à réaliser, efficacement secondée il est vrai par Jean-Philippe, des tirages honorables sur papier baryté (voilà qui répond, avec plus de deux ans de retard, à la question que je me posais à la fin du seul et unique texte écrit ici), et enchantée de l'ambiance qui avait régné lors de l'après-midi consacrée au décrochage des photographies – échanges passionnants, vifs et enthousiastes des participants présents, réunis autour d'une collation, thé et petites friandises, aussi chaleureuse que les conversations… j'avais renouvelé ma candidature pour l'édition suivante et cette année encore, j'ai soumis cinq images au choix du jury. Trois ont été retenues; elles ont toutes été tirées sous le regard attentif de Jean-Philippe, encadrées et déposées au centre culturel, n'attendant plus maintenant que le jour du vernissage, prévu le samedi 9 février à 18 heures.

 

inv-vernissage-photovision-.jpg Ce n'est pas tant la satisfaction purement narcissique de compter une nouvelle fois parmi les exposés qui me pousse à revenir sur cette manifestation mais plutôt la série de réflexions, de fond ou plus personnelles, qu'elle amène. Sans compter les quelques commentaires qu'appellent certaines particularités du règlement. Quelques mots tout d'abord de présentation générale: l’exposition Photovision 94, qui se tient chaque année, à quelques variations près, au mois de février, réunit des photographies choisies un peu en amont, en décembre, par un jury qui, dès l’été, lance un appel à participation aux photographes amateurs résidant en Val-de-Marne (le concours est à eux seuls réservé) en leur proposant un thème dont le libellé ouvre maintes voies d’interprétation ("Intimités" en 2012, "Abstraction urbaine" en 2011 et, cette année, "Faisons un rêve") mais en leur laissant une entière liberté quant à la technique – numérique ou argentique, couleur ou noir et blanc. Pour proposer ses images – pas plus de cinq par personne – on peut les envoyer par courriel ou déposer des tirages sur place; c’est là une commodité notable: pas besoin de faire réaliser des tirages d’expo avant de savoir si l’on est ou non sélectionné. Autre particularité notable: participer à la sélection, et à l’exposition si ses images sont choisies, n’implique pour le candidat le versement d’aucune cotisation. En revanche, il revient aux élus de financer les tirages définitifs et leur encadrement, lequel doit répondre à des critères de dimension et de présentation clairement posés dans le règlement afin d’assurer un minimum de cohérence visuelle à l’exposition – mais ces critères laissent, tout de même, une certaine latitude: ainsi la taille de l’image, la couleur de la marie-louise sont-elles laissées à la seule décision du photographe du moment que sont respectées les prescriptions concernant le cadre proprement dit.

 

Jusque-là rien ne distingue vraiment ce concours de ses pairs, fussent-ils thématiques. Reste cette clause, présente depuis la première édition en 2010 et plutôt inhabituelle pour ce que je sais des concours photographiques: "Chaque photographie doit IMPERATIVEMENT [le mot est ainsi, en capitales et en gras dans le texte, c’est dire l’importance que les organisateurs accordent à cette spécification] être accompagnée d’un texte narratif ou poétique, représentatif de la relation du photographe à cette photo. (…) Seules les photographies accompagnées d’un texte seront proposées pour sélection."

Je me souviens avoir discuté de cela assez longuement avec Jean-Philippe et que ce point précis du règlement avait suscité chez lui une forte réticence: il percevait cette "obligation textuelle" comme une sorte de gadget, une superfluité injustifiée car, selon lui, une photographie doit toucher par ses seules qualités visuelles, étant bien entendu que ces qualités ne relèvent pas à proprement parler de la "perfection technique" mais de la force signifiante qu'acquiert une image grâce aux choix opérés par le photographe (équilibre ou déséquilibre des volumes, contraste ou au contraire "fondu" des teintes et des valeurs, harmonie ou dysharmonie de la composition, etc.). Lorsque, pour préciser son sentiment, il se référa à ces "œuvres d'art" si hermétiques qu'elles ne prennent un semblant de substance qu'à travers les gloses dont on les entoure, leur auteur figurant en général au premier rang de ces glosateurs bavards, suivi de près par la cohorte des "critiques" pro- ou -anti qui, par leurs cris d'orfraie ou d'enthousiasme contribuent pareillement à substantifier une chose vide, je compris qu'il ressentait ce texte demandé comme une béquille susceptible de maintenir debout une photographie qui, sans lui, serait par trop bancale.

 

Si je partage l'exécration de Jean-Philippe pour ces "œuvres" ne valant que par les discours que l'on tient sur elles – que le peintre Pierre Souchaud a qualifié, lors d'un colloque auquel j'ai récemment assisté, de crème fouettée discursive – et si moi aussi je pense qu'une photographie doit ne prendre sens que par ses qualités proprement… photographiques, je ne crois pas que le texte exigé des participants aux concours Photovision puisse être rapproché d'aussi près de la "chantilly verbale" à laquelle s'est référé Pierre Souchaud. Pour moi, loin d'être une facilité, il ajoute au contraire une difficulté à l'exercice photographique car les participants ne doivent pas se contenter de proposer de "bonnes" images, attrayantes d'un point de vue techniques et esthétiques, et en adéquation au thème de l'exposition, il leur faut AUSSI se montrer capable de verbaliser une impression, une idée, puis d'écrire cela de telle manière que le texte entre en résonance avec l'image mais pas seulement: le texte doit pouvoir se lire, s'apprécier seul comme un "objet littéraire". L'image de son côté doit avoir assez de puissance signifiante pour se contempler isolément. Le texte n’est pas une béquille ni l’image; ni l’un ni l’autre ne sont convoqués pour pallier les défauts de l’autre: un poème étincelant ne relèvera pas une photo médiocre ni une photo pesant son poids de sens un texte maladroit. Ce n'est pas tout: les deux associés doivent in fine offrir un ensemble qui, par les liens tissés entre ses deux phases, fasse sens. Mais alors peut-être conviendrait-il de ne pas présenter l'exposition Photovision 94 comme "photographique" et de trouver un nom qui évoque convenablement les "textimages" exposés…  


La contrainte textuelle imposée aux participants a de plus la vertu de les obliger à dépasser le "geste photographique", à l'envisager au-delà de ses composantes propres, techniques et esthétiques. Le photographe est contraint de réfléchir, au pourquoi de la prise de vue d'abord et, ensuite, au pourquoi de son choix de telle image pour répondre au thème proposé – ce qui suppose une réflexion quant au rapport entretenu avec ce thème. Participer aux concours Photovision 94 implique que l'on sache ne pas se contenter d'une pratique intuitive de la photographie et permet donc, j'en suis convaincue, de gagner en lucidité.

 

Je ne suis pas certaine quant à moi de m'être améliorée mais j'ai en tout cas compris que j'avais tendance à photographier de façon 'littéraire" – je veux dire par là que j'appuie rarement sur le déclencheur parce que je perçois une belle lumière, ou des rencontres de lignes, de masses, de volumes qui puissent à l'intérieur du cadre imposé par mon format d'appareil, le 24x36, constituer une composition intéressante. Mais plutôt parce qu'une "chose vue" engendrait en moi, à des degrés plus ou moins affleurants de ma conscience, un mot, une phrase, voire une micro-histoire qui m'enthousiasmaient. D’où une déception quasi systématique lors de la révélation de l’image latente au laboratoire: n’ayant pas obéi à des réflexes purement photographiques – dont je manque d’ailleurs cruellement faute de pratique assez intensive – qui m’eussent amenée à bien paramétrer mon appareil lors de la prise de vue, je ne retrouve, une fois le film développé et l’image tirée, qu’une photo ratée, techniquement piètre – zones de netteté mal placées, exposition lamentable, composition sans intérêt – et qui, pire, ne me restitue rien de l’impulsion littéraire qui avait suscité mon geste.
Plus lucide quant aux fondements réels de ma démarche, je n’en suis pas pour autant meilleure photographe – au contraire: j’ai plutôt le sentiment, au fil des années, de me "déméliorer"… Plus je me sens pencher vers ces "déméliorations" plus je deviens réticente à prendre mon appareil quand je devrais, pour espérer rompre ce cercle vicieux, m’en emparer le plus souvent possible et tenter des expériences qui m’entraînassent loin de ces inclinations littéraires inappropriées à la photographie, et pourvoyeuses de tant de déceptions…  
 

 

 

* Centre Socioculturel Madeleine Rebérioux - 27 avenue François Mitterrand, 94000 Créteil.
Tél: 01.41.94.18.15
Métro: ligne 8, terminus Pointe du Lac
Bus: 393 – K, arrêt "Pointe du Lac". 117, arrêt "Côteau".

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