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Peaufinant ce matin un texte de premier jet écrit à la hâte dimanche dernier(soit le 18 janvier) après avoir pris quelques photos numériques du campus universitaire situé tout à côté de chez moi, je m’aperçois qu’en l’affinant et en le structurant, il se raboute à un compte rendu qu’a publié Marie-Annick juste avant le Nouvel an à propos du «papier non travaillé» dans un dessin, sur quoi je méditais quelques développements. Qui sont d’ailleurs toujours en souffrance mais… ne commenceraient-ils pas de trouver, ici, une manière de… soulagement?
Quelle couleur donnent, au vide, aux rues et places désertes, un ciel d’orage creusé de lividité, un doux crépuscule faisant monter le rose aux joues de nues évanescentes, un azur nu et un soleil cloué en son zénith tuant dans l’œuf les ombres? Toujours la même et sans guère de variantes me semble-t-il – et qui est moins une couleur, une nuance chromatique, qu’un son ; un son qui n’est ni le brouhaha de la foule en vie ni le silence de l’absence, pas même la ponctuation égrenée de trilles éparses dans la vague rumeur, urbaine ou rurale car ville et campagne sont pareillement bruissantes quoique les bruits ne soient pas les mêmes ni les décibels aussi élevés aux champs qu’à la ville. Un son qui n’en est pas un mais un écho, une trace – la trace que laissent derrière elles les présences évanouies, disparues et devenues absences ; la trace qui leste tout ce qui avant de n’être plus a été et le rend à jamais présent. Intangiblement présent mais présent.
Alors comment une photographie – «écriture avec la lumière» – pourrait-elle capter cet «intangiblement présent»? Elle ne peut que le signifier de manière symbolique, par métaphore si l’on veut. Seuls les artistes authentiques réussissent cet exercice de présentification de l’irreprésentable, comme seuls réussissent à mettre en mots l’indicible les authentiques écrivains et poètes. Ce n’est pas, cependant, une présentification objective; je crois qu’elle advient par les «objets» mais se ressent au-delà d’eux, dans les interstices, vers où justement artistes et poètes mieux que quiconque savent attirer l’attention: par l’image ou par les mots (dont on s’avisera qu’ils sont, à regarder les premiers signes graphiques qualifiables d’«écriture» des images en bout de course, des images peu à peu dépouillées de certaines de leurs «qualités contingentes» pour se détacher tant et si bien de leur référent concret qu’elles se font oublier en tant que telles sous les mots) ils font vibrer cet entre-deux où peut, et là seulement, se percevoir l’irreprésentable. C’est par l’intensité de cette vibration qu’ils touchent, davantage sans doute que par les «objets» – motifs peints/dessinés/photographiés; mots et phrases – entre lesquels elle fibrille. Je ne me sens aucune légitimité à me prétendre artiste ou poète et, pourtant, regardant avec quelque recul certaines de mes photos de chantier, d’espaces vides, de ruines ou de choses en déliquescence, j’y réentends un peu de cet «écho d’absence» qui m’a touchée lorsque j’ai appuyé sur le déclencheur.
Un écho qui me parvient chaque fois que j’arpente, le dimanche et quelles que soient l’heure, les conditions atmosphériques, ce campus universitaire sorti de terre il n’y a pas dix ans, ce même écho propre à tout site désertifié après avoir été fourmillant d’activité.
Alors je me dis que ces photos sont «réussies»: par-delà le temps, et les mutations de mes perceptions inhérentes à son passage, elles restent loquaces. Peut-être suis-je seule à les entendre… auquel cas sont-elles vraiment loquaces?
En contre-plongée, ainsi vidés de ceux qui les fréquentent en semaine, les bâtiments montrent nues leurs lignes et courbes. Rien de vivant n'en parasite l'expression rendue à son aridité géométrique.
Passant devant l'entrée de la cafétéria, m'arrête un instant cet aligmenent parfait de tables et de chaises dont je ne vois, à travers la vitre, qu'une partie, un "dessus" en perspective. Il me murmure plus que tout autre endroit de ce campus l'absence..
Ce sol nu et ces papiers sales qui traînent... je ne puis m'empêcher de songer au film Le Survivant (avec Charlton Heston; adaptationdu roman de Richard Matheson Je suis une légende) et aux plans qui se succèdent de rues encombrées de véhicules, de détritus - mais sans aucun être vivant, ni animal ni humain, qui les parcourent excepté... le survivant et, la nuit, ceux qui ont été réduits à l'état de vampires.