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21 mai 2014 3 21 /05 /mai /2014 10:22

Un mois ou peu s'en faut passé en immersion quasi complète dans une traduction de l'anglais dont il a fallu presque continûment redresser l'adéquation avec le texte original qui, à la relecture, s'avérait plutôt... inadéquate; un mois à être littéralement hantée par les jeux de sens, les glissements de nuance, les interrogations quant aux choix de reformulation que je faisais; un mois à écrire sans cesse dans ma tête de longs discours raisonneurs lorsque je devais résoudre une difficulté d'interprétation comme j'aurais écrit une dissertation en réponse à une question philosophique; un mois à penser "mots", "faux amis", figure de style", "logique textuelle"; un mois à explorer d'énormes masses de ressources, en anglais et en français, fort heureusement disponibles aisément grâce à la Toile, à découvrir des auteurs, des œuvres, des parcours intellectuels et artistiques, à sentir une multitude d’interconnexions s’établir, s’éclairer mutuellement et, par là, jeter leur lumière sur ce que je devais amender… Tout un foisonnement extrêmement stimulant mais épuisant qui me laissait à la fin de chaque journée le sentiment d'être une vieille chose toute dénervée, avachie au bord des heures longues du soir sans autre force que celle de me mettre l'esprit en vacances devant l'une ou l'autre de ces séries télévisées policières qui me renvoient à mes plaisirs d'enfant télévore – mon doudou d’adulte en quelque sorte: un réconfort facile, mais plus indispensable que jamais quand les journées s'achèvent sans que se profile le sentiment du travail (bien, si possible) accompli...

Souvent je pensais "photo" mais de loin ‒ pas vraiment comme à un désir inassouvi, encore moins comme à une activité relevant de la passion dont j'aurais été douloureusement privée, c'était plutôt comme un imperceptible courant d'air, frais sur la peau mais dont je n'aurais pu identifier la provenance ou la cause... Quelque chose de vague, de flou ‒ mal identifié et presque étranger. S'il m'arrivait de penser, au vif d'une "chose vue" qui tout d'un coup happait mon regard "Oh, si seulement j'avais eu mon appareil! j'aurais fait une belle photo!" très vite l'idée photographique s'envolait. Pourtant, de cette dernière quelque chose persistait: la "chose vue" durablement inscrite en mémoire et, attachés à elle, quelques considérations de cadrage, de mise au point, une part "littéraire" (parfois juste un titre, ou un micro-récit qui se formulait à toute allure)… et, surtout, le regret de "la photo que je n'ai pas faite". Un regret tempéré toutefois par la certitude que, si j'avais en effet eu entre les mains mon appareil, je n'aurais peut-être même pas pris la photo car souvent, ce que mon œil perçoit comme une "belle photo" potentielle ‒ ou du moins une photo parlante, signifiante ‒ devient, dans le viseur, quelque chose de muet, d'inerte. Et si cette "inertie" ne m'apparaît pas avant de déclencher, c'est au moment du tirage que l'image se révèle complètement désubstantifiée par rapport au ressenti de mon œil nu. Sans doute parce que mon œil est couplé avec mon esprit qui fait parler les "choses vues" à coups de souvenirs, de sentiments et autres objets mentaux quand mon appareil est, lui, régi par les seules lois de l'optique et qu'appuyer sur le déclencheur avec mon doigt ne suffit pas à établir le raccord avec ma pensée. Il n'y a pas, chez moi, prolongation absolue comme chez les grands photographes entre mon œil, ma pensée, mon doigt-qui-déclenche et mon appareil...

Tout cela pour dire qu’une fois de mon travail accaparant la principale étape bouclée, j’avais devant moi un petit temps de latence et que j’ai voulu le mettre à profit pour tenter de retrouver un regard véritablement photographique qui ne fût plus seulement celui me permettant la saisie de rapides images numériques. Mais que faire? Renouer avec l’exploration de quelques thématiques que je creuse depuis des années dans les mêmes lieux à différents moments de l’année mais, par là, risquer des gestes, des regards routiniers qui finiraient par me boucher la vue – pourtant, puisque je travaille avec un "esprit de série" dans mes recherches thématiques, il me faut bien m’astreindre à une certaine continuité de façon à engranger suffisamment d’images pour espérer en tirer un nombre suffisant qui soient satisfaisantes? Ou bien partir à l’aventure et baguenauder par les rues en laissant traîner le regard au gré du vent, à l’affût de l’instant visuel qui méritera la photo – mais alors, c’est un autre risque que j’encours: celui de ne rien voir qui m’émeuve ou soit photographiable… et d’endurer alors une morne frustration.
Comme je redoutais la frustration et que, pour réapprendre à regarder il me fallait être sûre de trouver matière à photographier, je suis allée au plus simple: une balade au cimetière du Père-Lachaise. Assez vaste pour me réserver des zones inexplorées malgré mes nombreuses visites, et source abondante pour quelques-uns de ces thèmes auxquels je m'intéresse – les crucifix, les fleurs, les ferrures rouillées, etc. avec, comme en tout lieu, de possibles surgissements inattendus… Ce que mon appareil argentique aura fixé, je ne le sais pas encore puisque le film est toujours dans mon boîtier. Quant à mon compact numérique qui toujours m’accompagne, il ne m’a guère servi, à cause de l’intense luminosité de ce dimanche après-midi… Je n’ai ramené que deux images, peut-être, d’ailleurs, d’assez piètre valeur plastique, mais à partir desquelles j’ai pu développer (!) quelques réflexions.

Sur une dalle noire et lisse tout inondée de lumière lorsque le soleil se dévoilait à plein, presque parfaitement centré sur la croix en relief ce bouquet de dahlias desséché. C'est d'abord sa disposition, si remarquable d'un point de vue géométrique, qui a arrêté mon œil, et la manière dont les sommités fleuries étaient étalées sur le bras de la croix, les pétales fanés formant comme une déliquescence figée au plus aigu de l'arête saillante – on aurait dit qu'une main patiente avait pris le temps d'écarter avec soin chaque fleur en laissant les tiges liées. En même temps j'admirai le magnifique effet chromatique de ce jaune paille à la fois pâle et intense sur le gris-noir granité de la dalle. Puis, le regard ainsi en arrêt, j'ai aperçu l'infime trace iridescente sans doute laissée par un escargot ou une limace qui faisait aux fleurs mortes comme un impalpable habit de Cellophane. Tout de suite j'ai voulu fixer cela par une photo – numérique puisque mon boîtier argentique était équipé d'un film noir et blanc. Mais avec le soleil, pas moyen de juger, sur l'écran de mon compact Coolpix, du rendu réel de l'image même en me mettant à l'ombre car ma vue est assez longue à accommoder lors d'importants changements de luminosité; tout juste ai-je pu entrevoir que le cadrage n'était pas tout à fait celui que je voulais. Il est vrai que j'avais dû tâtonner beaucoup pour éviter de photographier mon reflet, bien difficile à éviter sur cette dalle impeccablement polie, pour finalement décider de conserver cette image-là, la première que j'ai prise et consciente qu'elle ne rendait pas grand-chose de cette belle géométrie d'ensemble à laquelle j'avais été si sensible.

Sur une dalle noire et lisse tout inondée de lumière lorsque le soleil se dévoilait à plein, presque parfaitement centré sur la croix en relief ce bouquet de dahlias desséché. C'est d'abord sa disposition, si remarquable d'un point de vue géométrique, qui a arrêté mon œil, et la manière dont les sommités fleuries étaient étalées sur le bras de la croix, les pétales fanés formant comme une déliquescence figée au plus aigu de l'arête saillante – on aurait dit qu'une main patiente avait pris le temps d'écarter avec soin chaque fleur en laissant les tiges liées. En même temps j'admirai le magnifique effet chromatique de ce jaune paille à la fois pâle et intense sur le gris-noir granité de la dalle. Puis, le regard ainsi en arrêt, j'ai aperçu l'infime trace iridescente sans doute laissée par un escargot ou une limace qui faisait aux fleurs mortes comme un impalpable habit de Cellophane. Tout de suite j'ai voulu fixer cela par une photo – numérique puisque mon boîtier argentique était équipé d'un film noir et blanc. Mais avec le soleil, pas moyen de juger, sur l'écran de mon compact Coolpix, du rendu réel de l'image même en me mettant à l'ombre car ma vue est assez longue à accommoder lors d'importants changements de luminosité; tout juste ai-je pu entrevoir que le cadrage n'était pas tout à fait celui que je voulais. Il est vrai que j'avais dû tâtonner beaucoup pour éviter de photographier mon reflet, bien difficile à éviter sur cette dalle impeccablement polie, pour finalement décider de conserver cette image-là, la première que j'ai prise et consciente qu'elle ne rendait pas grand-chose de cette belle géométrie d'ensemble à laquelle j'avais été si sensible.

Vite lassée de ne pouvoir correctement juger des résultats de mes prises de vue, je n'aurai finalement retenu des divers essais effectués après ma première photo que celle-ci. Elle me paraît, mieux que la première, restituer l'effet de matière si particulier que produisait le soleil vif sur ces pétales fanés, secs, sur lesquels avait dû glisser un escargot (ou une limace). Mais, dans l'une comme dans l'autre, il manque quelque chose de ce que m'a chuchoté à l'oreille la vision furtive au moment où elle m'a arrêtée. Un "quelque chose" parfaitement formel et plastique, sans rien de "littéraire", de l'ordre de l'émotion pure et pas même transmuté par quelque discours intérieur – donc en toute logique "photographiable" et que pourtant je n'ai pas su capter par la photo.

Vite lassée de ne pouvoir correctement juger des résultats de mes prises de vue, je n'aurai finalement retenu des divers essais effectués après ma première photo que celle-ci. Elle me paraît, mieux que la première, restituer l'effet de matière si particulier que produisait le soleil vif sur ces pétales fanés, secs, sur lesquels avait dû glisser un escargot (ou une limace). Mais, dans l'une comme dans l'autre, il manque quelque chose de ce que m'a chuchoté à l'oreille la vision furtive au moment où elle m'a arrêtée. Un "quelque chose" parfaitement formel et plastique, sans rien de "littéraire", de l'ordre de l'émotion pure et pas même transmuté par quelque discours intérieur – donc en toute logique "photographiable" et que pourtant je n'ai pas su capter par la photo.

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  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui

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