Du 31 janvier au 13 février 2015 aura lieu la 6e édition de Photovision 94*. Le thème à traiter était "L'envers du décor". Comme chaque année depuis que j'ai découvert cet événement réservé aux amateurs – fin 2010, quand a été publié l'appel à candidature autour du thème "Abstraction urbaine" – j'ai proposé cinq images à la sélection. Et, pour la première fois depuis que je suis candidate, aucune de mes photos n'a été sélectionnée. Déçue, oui, bien sûr... Dans la mesure où l'on décide de soumettre un travail à un jury c'est bien que l'on a quelque espoir de le voir retenu sans quoi, et quand bien même on a une piètre opinion de ce que l'on a fait, on ne participerait pas.
Je dois cependant reconnaître, dès lors que je réfléchis un tant soit peu, que j'ai, au fond, délibérément provoqué ce résultat. Comme on dit d'un contrevenant qu'il "cherche le bâton pour se faire battre", par la manière même dont j'ai "participé" j'ai littéralement appelé le refus de mes images. D'abord, j'en ai envoyé deux sous une forme qui interdisait leur sélection. Il est expressément stipulé dans le règlement que les images doivent parvenir au jury par courriel, en format .jpg uniquement, donc scannées pour les clichés argentiques; or j'ai fourni ces deux-là sous forme de fichier word: j'avais en effet décidé de composer des montages – ce que le règlement admet tout à fait, étant entendu que chaque montage constitue une seule image candidate – et, ne sachant pas faire de montage avec un logiciel de traitement d'image, je me suis débrouillée avec la fonction "insérer une image" de Word... Ce faisant, je me doutais bien que ces deux montages ne seraient même pas regardés, la contrainte de format visant à simplifier la tâche du jury qui, confronté à un grand nombre de photos à départager, ne peut se permettre de gérer plusieurs types de fichiers lors de la délibération. Et puis j'ai transmis ma candidature au tout dernier moment, empêchant de la sorte que l'on puisse éventuellement me suggérer un moyen de mettre mes deux montages en conformité avec les exigences du règlement. Enfin, des cinq "textimages" que j'ai envoyés, ce sont évidemment les deux "vilains petits canards" qui étaient les plus pertinents au thème... les trois autres ont été choisis au pied levé, en tirant bien fort sur les cheveux pour les faire correspondre à "l'envers du décor".
Bref: cela s'appelle de la candidature sciemment sabotée. La logique à l’œuvre dans cette triste entreprise? Celle qui préside à ce rapport complexe, sans cesse conflictuel, que j'entretiens avec la photo: je sens en mes tréfonds qu'il m'est impossible de ne pas photographier; de ne pas réfléchir à ce que signifient, ce que recouvrent, le geste et l'intention de photographier; de ne pas utiliser la photographie pour manifester ma façon d'être au monde. Et en même temps me taraude cette souffrance répétée de constater, presque systématiquement lorsque je procède au tirage, que je suis passée à côté de mon intention, que la photo obtenue est à des lieues de la construction mentale que je tâchais de concrétiser. Encore la déception est-elle peu douloureuse si, techniquement, l'image a de l'intérêt, mais si, en plus de ne rien me murmurer, l'image est sinon ratée du moins complètement plate en termes d’esthétique photographique (mauvaise exposition, composition brouillée, zones de netteté mal définies, etc.) me submerge alors un immense dégoût – comme un glas, la certitude que sonne l'extinction prochaine de tout désir de photographier. Il arrive souvent que, le moment de la prise de vue étant fort éloigné de celui du tirage, j'aie perdu le fil de mon intention. Le rapport à l'image étant ainsi épuré de toute sensation autre que visuelle, de tout souvenir parasite, ce qui apparaît dans le révélateur parfois fait sens malgré tout, et m'insuffle la conviction que j'ai atteint quelque chose, qu'un lien s'est tissé de moi au monde et du monde à moi. Cette conviction est rarissime mais, aussi rare soit-elle, elle rend vivant – elle me rend vivante. Je la ressens grâce à la photo, grâce, aussi, à l'écriture – quand enfin je sens que j'ai mis en cohésion un sentiment, une réminiscence, une sensation, et des mots, des phrases. C'est pour cette pulsion de vie, ténue, ô si ténue mais infiniment précieuse quand elle jaillit, que je ne renonce pas – pas encore – ni à la photo ni à l'écriture, ces deux "gestes d'être" eussent-ils pour fruits de minables infinitésimalités au regard de ce que font les grands écrivains, les grands photographes.
Mais autre chose encore a, je crois, présidé à cet autosabotage, qui a à voir avec le thème même de cette sixième édition. Quand il avait été dévoilé, je l'avais tout de suite adoré; j'avais immédiatement imaginé plusieurs photos, visuellement mais aussi "pratiquement", je veux dire en songeant très précisément à la façon dont je pourrais les réaliser. Puis, le temps passant, rien de ce à quoi j'avais pensé ne se concrétisait. L'échéance du 5 décembre approchait, je ne parvenais à rien et, du coup, j'en suis venue à haïr le thème – il est évidemment plus facile de haïr le facteur, ou la circonstance, hors de soi que de puiser en soi la force de surmonter l'empêchement. Dans un tel état d'esprit, comment aurais-je pu, fût-ce en fouillant dans mes anciennes photos, opérer une sélection pertinente?
Quoi qu'il en soit, et parce que je ne déteste pas tout à fait mes "envers du décor", j'en recompose ici l'album...
* Exposition organisée par l'association Photovision France au centre culturel Madeleine Rebérioux 27 avenue François Mitterrand - 94000 Créteil.
Avant. L’envers du décor ? Ce que l’on ne verra qu’au prix d’une indiscrétion, parfois d’une indélicatesse ; au sens figuré, l’avant, voire l’extrême avant des choses – en peinture, précédant même le geste de l’artiste d’où émergera l’œuvre: le pinceau, les couleurs, le désordre de l’atelier…
De loin. Plutôt que de regarder, par-dessus l’épaule du peintre, l’œuvre naître au fur et à mesure de ses gestes, je me suis aventurée du côté du modèle. La genèse se poursuit sans que j’en voie rien – autre chose cependant se dévoile.
Entre-deux. D’un côté le refuge de la chambre. De l’autre le jardin. Lequel est l’envers de l’autre ?
L'avant-décor plutôt que l'envers...
L'envers du décor au sens le plus strict de l'expression...