Écrire après coup, toujours.
Écrire quand, enfin, on a trouvé ce juste point où brûle encore l’ardeur des émotions ressenties – si fugace mais sans laquelle aucune
phrase n’aura de sève – et qui en même temps est assez éloigné du foyer émotionnel pour que l’esprit puisse prendre la distance qu’exigent l’ajustement du langage écrit à la force brute de
l’émotion, et le cheminement souvent très lent que parcourt la pensée pour lier ensemble de manière cohérente, intelligible à d’autres que soi, tout ce qu’un spectacle aura suscité qui demande à
être dit.
Parfois cette pensée si lente, et rétive à s’ordonner, se tient en une telle immobilité de bête morte que la formulation continue de
balbutier tandis que les souvenirs ont déjà beaucoup terni. Il faut alors accomplir un patient effort de reconstruction pour tâcher non pas de raviver une flamme éteinte mais de redessiner une
image, la plus exacte possible, de cette flamme. Distanciation supplémentaire certes mais qui pourra s’avérer in fine sillon fécond plutôt qu’infranchissable fossé.
Le 61e festival des
jeux du théâtre de Sarlat est clos, et ma plume à la traîne: elle erre encore du côté de Sainte-Claire, avec Arnaud Denis et ses pérégrinations Autour de la folie, peinant à faire la part entre
l’objet scénique en lui-même et les signifiances qu’il véhicule – une mine, rien que cela… – les inévitables réminiscences personnelles qu’il draine – mais ont-elles leur place dans une
chronique? Ne doivent-elles pas être laissées sous le boisseau? – et les réflexions plus générales, hors spectacle, et hors littérature, sur les troubles du psychisme. Tant de "choses à dire" se
pressent là dans le désordre! Malgré cela, elle a su répondre sans que j’aie trop à la prier au véritable coup de cœur que j’ai eu pour Le Porteur d’histoire qui, lui – à deux soirées
près – a presque clôturé le festival… Elle piaffe aussi après Monsieur chasse! et a commencé de tresser une belle couronne de lauriers à ce monument boulevardier – je n’ai pas ri ni même
souri, je n’aime pas le vaudeville mais le spectacle était brillantissime et ce qui fonde cet éclat assez facile à exprimer. La folie devra attendre encore un peu… et avec elle les autres bribes
qui volettent, trop éparses, autour de Chez Jeanne, de La Pitié dangereuse, de Cyrano, de… toutes les pièces que j’ai vues cette année, bribes auxquelles se mêlent des
considérations rétrospectives, ressortissant à une sorte de bilan, des impressions humaines très fortes – matière compacte, et confuse, brute…
Ô bizarreries des dispositions scripturales qui ne se soucient ni de chronologie, ni de logique, pas même d’intensité émotionnelle.
Tant pis: je m’en remets à leur gouvernement qui ne m’a, après tout, jamais trop gravement trahie.
L'ultime matinée plamonaise du samedi 4 août s’est déroulée à
tout petit comité. De ce noyau dur de festivaliers, où manquaient quelques-uns des plus fidèles assidus, j'ai retenu quelques voix: telle spectatrice qui suit le festival depuis vingt ans, telle
autre depuis quatre, cette autre encore qui prépare son séjour théâtral tout au long de l’année, loin de Sarlat, en allant voir de très nombreux spectacles et qui partage ensuite ses
impressions au téléphone avec ses amis, eux aussi festivaliers… Aucune de ces voix n'a discordé: je n’ai entendu ce matin-là que des louanges à l'endroit de la programmation 2012. Je ne pense pas
me tromper en imaginant que c'était là le reflet fiable d’un "indice de satisfaction" plus général. Tous les enseignements de cette édition ne seront véritablement tirés que bien plus tard.
Néanmoins de grandes lignes esquissant le prochain festival sont déjà visibles: les dates en sont arrêtées – du 20 juillet au 5 août 2013 – et le comité d’organisation, sachant
qu’il devra se satisfaire d’un financement à peu près équivalent à celui de cette année, prévoit de programmer le même nombre de spectacles, soit dix-huit.
Cela étant écrit, je consens avec moins de remords à battre les
pages du calendrier comme je ferais d’un jeu de cartes et à ébouriffer ainsi la succession des jours passés au gré des phrases qui daigneront tailler leur route dans la luxuriance des émotions
révolues – mais pas mortes et encore chaotiques. Puisse l'hommage que je souhaite rendre aux artistes n'en pas trop souffrir.