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25 novembre 2009 3 25 /11 /novembre /2009 14:15
Le 11 novembre le Théâtre du Lierre ouvrait sa programmation 2009-2010 avec Krash Knights, un spectacle de danse proposé par la compagnie Shonen, chorégraphié et mis en scène par Éric Minh Cuong Castaing. Il y eut cinq représentations de cette pièce très riche, sous-titrée "opéra électro-rock et chœur de souffles" - déjà tout un système euphonique dans ces mots…

Le décor ? Les parois noires de l’espace scénique du Lierre. Et trois cadres, l’un au sol tendu d’une membrane dorée, deux suspendus au plafond, l’un pareillement tendu d’or et l’autre de blanc opaque. C’est minimaliste à l’extrême mais l’on verra vite quelles ressources les artistes vont tirer de si peu. Les acteurs ? Quatre danseurs, deux musiciens – l’un derrière son pupitre électroacoustique, claviers et percussions, l’autre debout, guitare électrique en bandoulière, devant son micro. Peut-être ce parti pris scénographique est-il une façon de montrer que tous sont acteurs de la pièce, que la musique n’est pas seulement un fond sur lequel on brode une chorégraphie mais qu’elle est vivante, charnelle – même sortie d’un synthétiseur…


Avant même que les danseurs entrent le climat installé par la musique et les lumières envoûte. Tout de suite le corps et l’esprit du spectateur se trouvent réunis en une totalité réceptive par ce qui commence de se jouer se joue sur le plateau. Il n’y a pas de temps de flottement – aucun de ces instants vacillants où l'on titube un peu à l'orée d'un spectacle, frileux, redoutant de s'aventurer. On est pris, emporté d’emblée. Puis quand vient la danse, fascine aussitôt le rapport qui s’établit entre la musique et les corps – ils ne suivent pas la musique ; c’est elle qui les pénètre et les meut ; elle est à ces corps ce que les fils invisibles sont aux marionnettes. Et les corps mouvants sont l’incarnation de la musique. Quand elle s’interrompt et que les danseurs continuent à danser, ils inscrivent dans l’espace la trace charnelle, la mémoire vive des notes rendues au silence. Car la pièce est très structurée, avec des pauses, des variations de rythme et d’intensité tant dans la chorégraphie que dans le jeu ou la musique, comme varie la respiration d’un être vivant en pleine activité, qui passerait de l’affût à la traque et à l’affrontement avant de se reposer, repu, ou de s’écrouler, vaincu…

Ils sont sauvages – ne parlent pas mais bougent, se meuvent et signifient avec tout leur corps, à demi vêtu et peint. Des motifs à mi-chemin entre maquillage et peinture de guerre sur lesquels jouent les lumières. Dès les premiers moments on pressent, tout au fond de soi et pas seulement à la superficie des sens, un mélange entre l’humain – les gestes sont infiniment complexes et transcrivent, avec beaucoup de finesse, les nuances de l'approche, du contact allant d'une quasi carresse au choc belliqueux, la voix du chanteur est très douce et courbe l’inflexion de la ligne mélodique de sa chanson – et une certaine brutalité archaïque – toute cette puissance qui émane des corps, seuls vecteurs de langage! ces percussions omniprésentes qui, dans la courbe de la mélodie, font battre la pulsation élémentaire de rythmes très anciens… comme le cœur de la Terre.

La profonde symbiose qui unit corps et musique est si parfaite, si éloquente, que j’en ai un peu oublié de regarder à sa périphérie – plus exactement je n’ai regardé ailleurs que du coin de l’œil…Je sais que j’ai manqué une bonne part de la symphonie visuelle jouée par les lumières tombant sur les danseurs, rebondissant en reflets mouvants sur les surfaces réfléchissantes ; que je n’ai pas saisi toutes les subtilités de ce qu’expriment les gestes des danseurs ; que je n’ai pas vraiment écouté l’histoire que l’on voulait me raconter et que je n’en ai compris que des bribes. C’est une pièce qu’il me faudrait revoir. Pour vivre à nouveau de belles émotions mais, surtout, pour mieux apprécier ce que j’ai simplement happé au vol la première fois.

En invitant à "rentrer dans la danse" avec Krash Knights, il m’a semblé que l’équipe du Lierre incitait à faire retour sur Le Pas de l’homme, à mettre en regard ces deux pièces qui, chacune à sa façon – l’une plus textuelle que l’autre – entraînent vers les racines archaïques de l’humanité et parlent d’une sauvagerie toujours prégnante. Ces deux spectacles, certes très différents, ont aussi pour dénominateur commun leur richesse et leur complexité ; l’un et l’autre offrent une même poésie du corps magnifié par les chorégraphies, les lumières, la musique, les costumes… et un questionnement sur Soi et l’Autre, sur une relation toute d’ambivalence que n’édulcore nullement notre soi-disant "civilisation".


Krash Knights
Scénario, mise en scène et chorégraphie :
Éric Minh Cuong Castaing
Musique électro-acoustique :
Alexandre Daii Castaing
Guitare et chant :
Yannick Boudruche
Lumières :
Anne Roudiy
Costumes :
Mario Faundez
Interprètes :
Entissar Al-Hamdany, Salomon Baneck-Asaro, Kevin Kanchan (remplacé par Adrien Goulinet pour cause de blessure), Éric Minh Cuong Castaing.

Cinq représentations ont été données  du 11 au 15 novembre 2009 au Théâtre du Lierre – 22 rue du Chevaleret, 75012 Paris. Tel : 01.45.86.82.89

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  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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