Lorsqu’a été remis le prix Renaissance de la Nouvelle à Ottignies, le 24 avril dernier, le printemps semblait sur le point d’affirmer sa présence pour de bon au point que, l’air étant tiède, le ciel bleu et le soleil radieux, l’on pouvait presque se croire en été – n’eût certaine fraîcheur vite venue en fin d’après-midi, juste avant que l’on serve le dîner. Aujourd’hui les vents polaires ont ressuscité l’hiver, et c’est novembre qui s’invite en mai. Ce regain hivernal me rappelle combien l’atmosphère régnant à la ferme du Douaire m’avait paru imperceptiblement froidie, bien que le soleil fût franc de lumière et l'accueil, qui me comble à chacun de mes séjours ottiniens, pareillement chaleureux. Poignées de main et accolades échangées avaient leur vigueur coutumière et les visages ces mêmes sourires amicaux. Mais l’assistance était plus clairsemée. Et deux jurés manquaient. Puis l’on apprit que le lauréat, habitant Bruxelles, allait arriver avec du retard à cause des embouteillages. Surtout, l’on savait que le cofondateur du prix, Carlo Masoni, s’était éteint au début de l’année. Sans doute était-ce cette disparition qui tissait ce voile d’ombre que je sentais flotter autour de ce 19e prix Renaissance de la Nouvelle. À moins que la morosité générale dont on se plaint depuis de longs mois ait eu sa part de responsabilité…
Chaque fois que j’ai assisté à cette cérémonie, j’ai pu apprécier la façon claire, spontanée et assurée, dénuée d’effets oratoires, dont Michel
Lambert prononce la brève allocution par laquelle il retrace en quelques mots le déroulement des délibérations avant d’annoncer le nom du lauréat et le titre du recueil récompensé. Cette année il
ne s’agissait plus seulement pour lui de parcourir les grandes étapes d’une année de préparation du prix puis de présenter brièvement un recueil et son auteur. Mais de raconter une histoire,
celle de la création du prix, tout en évoquant un homme, Carlo Masoni, longuement côtoyé et estimé autant pour ses qualités humaines que littéraires.
De cette voix sonore mais
sobre aux inflexions posées, avec des phrases dans lesquelles il me semblait retrouver quelque chose de son écriture, Michel Lambert s’est souvenu. Et nous, avec lui, fûmes ramenés vingt ans
en arrière...
C’était un jour de printemps, un jour très ensoleillé pareil à celui-ci…
La phrase pourrait être l’incipit d’une de ses fictions intimistes et délicates tout en simplicité, où l’ambiance entre en résonance avec l’état d’esprit de personnages qu’il excelle à installer dans un récit par petites touches, davantage en égrenant des bribes d’anecdotes qu’en s’abandonnant à de longues descriptions physiques ou morales...
Quasi voisins, ils se voyaient souvent et prenaient plaisir à converser. Au cours d’une de
ces conversations amicales et littéraires, Michel Lambert émit l’idée d’organiser un prix en l’honneur de la nouvelle –
avec une naïveté époustouflante, souligna-t-il…
Et lui, qui était mon aîné d’une génération, qui aurait pu être mon père, avec la même candeur et la même naïveté, m’a répondu : "pourquoi pas
?"
Une fois l’idée lancée avec cette confiance que donne l’enthousiasme partagé, elle a été d’emblée soutenue par la ville
d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, alors en quête d’un projet qui lui permît de s’affirmer comme le principal pôle culturel de la région du Brabant-Wallon, tout juste créée. Et grâce à ce soutien
institutionnel immédiat, le premier prix Renaissance de la Nouvelle fut très vite organisé, sous-tendu par une bipartition franco-belge toujours de rigueur qui lui confère sa spécificité : le
jury est composé pour moitié d’écrivains belges et d’écrivains français, la délibération finale a lieu à Paris tandis que la cérémonie officielle de remise du prix se déroule à Ottignies.
Pendant les dix premières années, rappela Michel Lambert, Carlo Masoni fut un juré très actif. Lecteur
scrupuleux et exigeant qui avait à cœur de lire avec la même attention tous les recueils en lice, il affirmait ses choix avec une fermeté parfois intransigeante – il ne revenait pas aisément sur
ses opinions, quelque effort que l’on fît pour tâcher de les infléchir. Mais cette intransigeance était loin d’être infondée puisque, en dix ans, le prix est revenu à sept ou huit reprises au
recueil qu’avait choisi Carlo Masoni. Lecteur au jugement sûr, il était aussi un grand érudit, un écrivain de talent – et un homme douloureusement obsédé par la fuite du temps. L’hommage de
Michel Lambert s’acheva par des vers d’Appolinaire que l’écrivain défunt citait, paraît-il,
très souvent :
Que les hommes passent leur temps / Comme passe un enterrement/ Tu pleureras l’heure où tu pleures / Qui passe si vitement/ Comme passent toutes les
heures.
J’ai rarement eu, en écoutant simplement quelqu’un parler, l’impression aussi nette d’entendre dire un texte
soigneusement écrit et composé mais possédant l’émouvante spontanéité du discours oral. Cette évocation, plus qu’un hommage, fut une parole d’ami sincère et respectueux.
À peine cités ces vers chers à Carlo Masoni, Michel Lambert en vint au recueil primé et à son auteur. Contrairement aux années précédentes, rien ne fut dit des livres reçus par le jury – ni leur nombre, ni leur tonalité d’ensemble – pas plus que ne fut évoquée, fût-ce à larges traits, la situation éditoriale de la nouvelle. Et l’on ne sut rien, non plus, des éventuelles difficultés d’organisation – des difficultés qui l’an passé avaient été telles que l'on avait eu de fortes craintes quant à l’avenir du prix.
Loin de penser que l’heure est à l’optimisme et l’horizon définitivement éclairci, j’incline plutôt à supposer que
ce silence pudique témoigne de l’extrême délicatesse d’un homme qui, soucieux d’honorer la mémoire d’un ami, a préféré se souvenir des années lumineuses du prix et souligner les mérites
littéraires du lauréat que s’attarder sur une sinistrose dont les pesanteurs ne sont probablement pas levées… En découvrant, dans le compte rendu publié sur le site de la ville
d’Ottgnies, que le jury n’avait reçu que quinze livres – leur nombre est, en général, de l’ordre de la trentaine – je me suis sentie, hélas, confortée dans ce pessimisme.
Malgré tout, cette 19e édition du prix Renaissance de la Nouvelle, marquée du sceau de la
générosité solidaire, laissera une empreinte mémorable et solaire – en effet, François Hinfray a annoncé qu’il cédait l’intégralité de sa récompense, d’un montant
de 3000 euros, à une association ottinoise travaillant à soulager les personnes en difficulté matérielle précise l'auteur de l'article mentionné plus
haut, en ajoutant que Carlo Masoni aurait apprécié ce geste-là.
NB - Le portrait de Carlo Masoni reproduit dans cet article est une image scannée de la photo de Nicole
Hellyn parue en quatrième de couverture du numéro 160 (février-mars 2010) de la revue bimestrielle Le Carnet et les instants, publiée par la Direction générale de la culture de la
Communauté française de Belgique.