22 avril 2009
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Annie Saumont, Les Croissants du dimanche (nouvelles), Julliard,
janvier 2008, 184 p. – 16,00 €.
Y a-t-il encore des dimanches ? Annie Saumont le sait : ce sont ces jours où il nous est donné de cueillir, selon la recommandation de Jean-Noël Blanc, ces plaisirs inappréciables et doux, les liens familiaux, la chaleur de l’amitié, la beauté des saisons… – et, pourquoi pas ? – le grain doux d’un croissant chaud et odorant.
Des jeunes gens ont décidé de "chercher la vallée", ils marchent par les sentiers d’une île, d’un paysage qui n’en finit pas, croisant d’autres randonneurs animés des mêmes intentions… trouveront-ils ? Savent-ils seulement le bon itinéraire ? Une inquiétude s’insinue… le premier Jardin est toujours au-delà, plus loin… Marcher, c’est le grain même de l’existence, la saveur du temps, celle d’un croissant…
S’enchaînent les exercices de vie, ou peut-être d’espérances et de désespérances de vie. Derrière les écrans des chasseurs de palombes se cachent d’inavouables pratiques, une justicière de douze ans, une forte odeur de rhum, la haine du prédateur, l’ouverture de la porte du malheur…
Le monde est là, la vie qu’on est contraint d’y mener est éprouvante, dangereuse : Juliette et Peter attendent les désastres inéluctables munis du principe de précaution et d’un kit de survie… Mais le désastre est-il celui qu’ils ont imaginé ?
Plusieurs de ces nouvelles sont ombrées de mystère, et parfois assez elliptiques pour exiger qu’on leur accorde plus de temps qu’on ne l’avait imaginé. Annie Saumont ne vend pas de café moulu, ni de champignons lyophilisés, ni de petits pots prédigérés : elle ne fait vraiment rien pour réconcilier le frileux lecteur, le lecteur distrait, avec l’art de la nouvelle. Elle fait de l’art, elle se fout du monde ! Elle a bien raison.
Le monde, oui, si comme Andréas vous êtes orphelin, dans les mains d’une tante qui vous soumet à la tyrannie de la propreté et de l’ordre strict, eh bien, il vous faudra l’éponger lui aussi ! Et ne croyez pas que de vous exiler au loin vous permettra d’y échapper : entre les gamins Juan et Manuel, au Mexique, un collier découvert dans une décharge restera le trait d’union ou de désunion des années à venir. Toujours l’auteur laisse planer les éventualités, les aléas seuls prévisibles. La nouvelle, ce n’est pas une grille de mots croisés, un puzzle dont toujours on possède toutes les pièces.
Parmi les histoires les plus marquantes (une nouvelle, c’est une histoire, n’est-ce pas ?), retenons celle d’Amélie, d’Arnaud et d’Yvan… venus par la force des choses de leur campagne à la ville, peu diplômés ils se débrouillent : chantage, prostitution, délinquance bien tempérée… Ils repassent au village de temps à autre, et les vieux copains, les enracinés, les fauchés les voient avec les yeux de l’envie, de l’admiration, de l’espérance… Annie Saumont se ficherait-elle aussi de la morale ? C’est à craindre : on peut cuisiner à merveille le pavé de cabillaud pour les amis, les amis viendront-ils ? Il y a un flic au pied de l’immeuble. On dit qu’un homme est mort… qui donc ? Buvons en attendant. Non, même la vie ordinaire se fout de la morale !
Dans l’embrouillamini des horaires de chemins de fer auxquels on ne comprend goutte, on peut être de la haute, fils de ministre, fille de PDG, eh bien, on se fait flinguer par un loubard, parce que finalement on est rentrés en Porsche… mais attention, "ça pourrait être une blague". Rien n’est sûr. La roulette russe, les loteries du destin manquent aussi totalement de sérieux ! À qui, à quoi se fier ? Kit de survie ? Quelle drôle d’idée ! Dans la serre de votre maison tranquille, là où vous surveilliez la floraison des pohutukawas, une saute d’humeur de la croûte terrestre et hop ! La serre s’écroule, une lame de verre vous tranche la gorge ! Même pas le temps d’être étonné. Alors, la "Faute à qui ?" La nouvelle portant ce titre ne vous dira pas si le coupable est le chômage, l’alcool, papa, maman, l’enfant ? La faute à tout le monde, ou à personne !
Solutions ?
Rions. Faisons-nous factotum dans un couvent de nonnes : passons inaperçu, soyons le jardinier, donnons-nous pour "un cadeau du Bon Dieu", laissons-nous choyer, et qu’arrive une nonnette affriolante, nous prendrons des vitamines, sèmerons un peu de chanvre et cultiverons des brocolis auxquels les Romains attribuaient quelque vertu aphrodisiaque"! Le ciel s’éclaire un instant ! Lumière céleste ! Ou bien allons en villégiature à Brighton. Là où, entre passé, avenir et imperceptible présent, l’ordinaire nous saisira aux épaules, au ventre… Allons en ces lieux où l’on n’est qu’à peine… Le ciel se ferme un peu au-dessus de la jetée d’où l’on peut regarder des bateaux qui vont vers les îles.
Ultime solution : lire Les Croissants du dimanche, se nourrir de leur pâte chaude, apprécier leur croustillant, comme notre vie, comme nos 37 degrés de vie, les savourer, prendre la mesure des interstices où chaque matin se dissimulent les mystères, les zones d’ombre…
Michel Host
Y a-t-il encore des dimanches ? Annie Saumont le sait : ce sont ces jours où il nous est donné de cueillir, selon la recommandation de Jean-Noël Blanc, ces plaisirs inappréciables et doux, les liens familiaux, la chaleur de l’amitié, la beauté des saisons… – et, pourquoi pas ? – le grain doux d’un croissant chaud et odorant.
Des jeunes gens ont décidé de "chercher la vallée", ils marchent par les sentiers d’une île, d’un paysage qui n’en finit pas, croisant d’autres randonneurs animés des mêmes intentions… trouveront-ils ? Savent-ils seulement le bon itinéraire ? Une inquiétude s’insinue… le premier Jardin est toujours au-delà, plus loin… Marcher, c’est le grain même de l’existence, la saveur du temps, celle d’un croissant…
S’enchaînent les exercices de vie, ou peut-être d’espérances et de désespérances de vie. Derrière les écrans des chasseurs de palombes se cachent d’inavouables pratiques, une justicière de douze ans, une forte odeur de rhum, la haine du prédateur, l’ouverture de la porte du malheur…
Le monde est là, la vie qu’on est contraint d’y mener est éprouvante, dangereuse : Juliette et Peter attendent les désastres inéluctables munis du principe de précaution et d’un kit de survie… Mais le désastre est-il celui qu’ils ont imaginé ?
Plusieurs de ces nouvelles sont ombrées de mystère, et parfois assez elliptiques pour exiger qu’on leur accorde plus de temps qu’on ne l’avait imaginé. Annie Saumont ne vend pas de café moulu, ni de champignons lyophilisés, ni de petits pots prédigérés : elle ne fait vraiment rien pour réconcilier le frileux lecteur, le lecteur distrait, avec l’art de la nouvelle. Elle fait de l’art, elle se fout du monde ! Elle a bien raison.
Le monde, oui, si comme Andréas vous êtes orphelin, dans les mains d’une tante qui vous soumet à la tyrannie de la propreté et de l’ordre strict, eh bien, il vous faudra l’éponger lui aussi ! Et ne croyez pas que de vous exiler au loin vous permettra d’y échapper : entre les gamins Juan et Manuel, au Mexique, un collier découvert dans une décharge restera le trait d’union ou de désunion des années à venir. Toujours l’auteur laisse planer les éventualités, les aléas seuls prévisibles. La nouvelle, ce n’est pas une grille de mots croisés, un puzzle dont toujours on possède toutes les pièces.
Parmi les histoires les plus marquantes (une nouvelle, c’est une histoire, n’est-ce pas ?), retenons celle d’Amélie, d’Arnaud et d’Yvan… venus par la force des choses de leur campagne à la ville, peu diplômés ils se débrouillent : chantage, prostitution, délinquance bien tempérée… Ils repassent au village de temps à autre, et les vieux copains, les enracinés, les fauchés les voient avec les yeux de l’envie, de l’admiration, de l’espérance… Annie Saumont se ficherait-elle aussi de la morale ? C’est à craindre : on peut cuisiner à merveille le pavé de cabillaud pour les amis, les amis viendront-ils ? Il y a un flic au pied de l’immeuble. On dit qu’un homme est mort… qui donc ? Buvons en attendant. Non, même la vie ordinaire se fout de la morale !
Dans l’embrouillamini des horaires de chemins de fer auxquels on ne comprend goutte, on peut être de la haute, fils de ministre, fille de PDG, eh bien, on se fait flinguer par un loubard, parce que finalement on est rentrés en Porsche… mais attention, "ça pourrait être une blague". Rien n’est sûr. La roulette russe, les loteries du destin manquent aussi totalement de sérieux ! À qui, à quoi se fier ? Kit de survie ? Quelle drôle d’idée ! Dans la serre de votre maison tranquille, là où vous surveilliez la floraison des pohutukawas, une saute d’humeur de la croûte terrestre et hop ! La serre s’écroule, une lame de verre vous tranche la gorge ! Même pas le temps d’être étonné. Alors, la "Faute à qui ?" La nouvelle portant ce titre ne vous dira pas si le coupable est le chômage, l’alcool, papa, maman, l’enfant ? La faute à tout le monde, ou à personne !
Solutions ?
Rions. Faisons-nous factotum dans un couvent de nonnes : passons inaperçu, soyons le jardinier, donnons-nous pour "un cadeau du Bon Dieu", laissons-nous choyer, et qu’arrive une nonnette affriolante, nous prendrons des vitamines, sèmerons un peu de chanvre et cultiverons des brocolis auxquels les Romains attribuaient quelque vertu aphrodisiaque"! Le ciel s’éclaire un instant ! Lumière céleste ! Ou bien allons en villégiature à Brighton. Là où, entre passé, avenir et imperceptible présent, l’ordinaire nous saisira aux épaules, au ventre… Allons en ces lieux où l’on n’est qu’à peine… Le ciel se ferme un peu au-dessus de la jetée d’où l’on peut regarder des bateaux qui vont vers les îles.
Ultime solution : lire Les Croissants du dimanche, se nourrir de leur pâte chaude, apprécier leur croustillant, comme notre vie, comme nos 37 degrés de vie, les savourer, prendre la mesure des interstices où chaque matin se dissimulent les mystères, les zones d’ombre…
Michel Host