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16 août 2017 3 16 /08 /août /2017 19:07

La 66e édition du Festival des jeux du théâtre de Sarlat s'est achevée le samedi 5 août. Dès le lendemain s'esquissait quelque chose qui semblait bien se tenir au long d'une ligne d'écriture qui ne demandait qu'un peu de constance pour se réaliser en cohérence avec l'idée même que je m'en faisais sans ajouter encore du temps à un temps qui déjà se distendait et emportait avec lui bien des signifiances. Le 6, le projet était là, et la structure qui lui convenait mais pas le texte; la matière manquait: il allait encore falloir du temps pour que la forme se fixât. Une latence supplémentaire!

Dans ce feuilletage quelque chose de crépusculaire s'infiltre et menace d'extinction l'intention naissante. Mais par-delà une fenêtre ouverte, j'ai vu la lune pleine, regard large et rond dans la nuit "bleue comme une orange"...

ÉPISODE 1

Dimanche 6 août
Ce préfixe «rétro-» s’est imposé d’emblée quand j’ai dû choisir un titre puisque tout ce qui allait le suivre allait être écrit a posteriori, fondé sur quantité de notes prises sur le vif mais rédigé plus tard, mis en forme à la fois par le travail d’écriture, soignant la rectitude phrastique autant que la cohérence de construction, tâchant à l’occasion d’apporter une touche ornementale, et par l’immixtion au propos en cours d’élaboration, à fin de rehauts, de ces innombrables petites choses subreptices dont le moindre temps de latence augmente les impressions et pensées premières. Mais ce matin, songeant à la chronologie à rebours du spectacle de la veille au soir qui clôturait le festival, je me suis dit qu’au lieu de signifier la seule postériorité du geste scriptural, le préfixe «rétro-» me permettait de doubler celle-ci d’un parcours chronologique à rebrousse-jours, qui commencerait par la fin… Donc par ce vide étrange, envahissant comme une marée montante, qui tout d’un coup s’est ouvert devant moi quand, vers 11 heures, je me suis vue rendue à mon banal quotidien au lieu d’avoir à me hâter vers Plamon pour ne pas manquer le début de la rencontre. Vide vite comblé dès lors que je m’attache à remonter le cours de ce qui l’a précédé…

Samedi 5 août
Ce matin a lieu la dernière réunion plamonaise. Pour la première fois cette année les rangs son clairsemés – beaucoup de chaises vides côté public et, sur l’estrade, Valérie Zaccomer, l’une des comédiennes de 31, est seule à côté de Jean-Paul Tribout pour animer la rencontre. L’équipe de Il était une fois le Petit Poucet qui a été joué au jardin du Plantier est déjà à bord du train qui doit les conduire dans la Drôme, où ils jouent ce soir. La discussion s’engage au sujet de ce spectacle et la première réaction à être exprimée est toute négative. Puis d’autres s’égrènent, elles au contraire laudatives, fondées souvent sur le comportement des enfants présents, manifestement captivés. Les échanges se tassent assez vite et c’est alors Valérie Zaccomer qui entreprend de présenter 31 et d’en retracer la genèse.

Valérie Zacommer
[transcription d'après les propos enregistrés le 5 août, à Plamon]

Un jour, Stéphane Corbin [l’auteur des chansons du spectacle, qu’il accompagne lui-même au piano sur la scène – NdR], qui organise des concerts caritatifs au profit d’une association de lutte contre l’homophobie, Les Funambules, a eu envie de monter un spectacle de théâtre musical qui parle de l’homosexualité mais sans être ni militant, ni lénifiant, qui soit juste du théâtre hors des sentiers battus. Et il a demandé à Gaétan Borg et Stéphane Laporte d’écrire un spectacle qui corresponde à ça. À partir de là, ils ont écrit une histoire d’amour entre deux hommes mais qui s’inscrit dans une histoire d’amitié: les deux hommes, donc, et deux filles, quatre amis qui fêtent tous les 31 décembre ensemble depuis vingt ans. Stéphane Laporte a eu l’idée formidable de raconter l’histoire à rebrousse-poil, comme dans le film Mémento. C’est donc une succession de petites scènes de 31 décembre, ça commence en 1999 pour remonter jusqu’en 1979, et on découvre au fur et à mesure de ces réveillons la genèse de ces rencontres, de cette amitié, et bien sûr comment a évolué l’histoire d’amour entre les deux garçons puisque c’est une comédie romantique. Mais ce n’est pas tout à fait le cœur de l’histoire – il s’agit plutôt d’explorer ce qui fonde l’amitié, sur quoi reposent les rapports affectifs et amoureux.
Quant aux chansons que Stéphane a écrites, elles parlent d’amour, tout simplement, de telle façon qu’elles pourraient indistinctement être chantées par des hétéros ou des homos… c’est la Manif pour tous, doublée de cette prise de conscience que les gens ne se rendent pas bien compte de ce que traversent les homosexuels, les adolescents notamment qui peuvent avoir du mal à assumer une sexualité qui n’est pas dans la norme – car on note depuis quelque temps une recrudescence de suicides chez ces jeunes – malgré les discours ambiants et la légalisation du mariage «pour tous», qui a incité Stéphane à écrire ses chansons de cette façon.
Quand Virginie Lemoine [qui a mis en scène la pièce – NdR] a rejoint le projet, elle a tout de suite tiqué sur le rôle donné aux femmes. Moi aussi, à vrai dire: je trouvais qu’elles étaient un peu trop les faire-valoir des deux amoureux. Du coup elle a beaucoup retravaillé le texte avec nous, afin de revaloriser la place de ces deux femmes, et finalement, la formidable histoire d’amitié a pris davantage de consistance, pour en définitive peser autant que la seule histoire d’amour entre les deux garçons. Et cela permet à un très large public de se reconnaître dans ces personnages, indépendamment des particularités sexuelles. C’est au fond une histoire assez mélodramatique mais il y a toujours de l’humour pour rattraper la chose; on s’éloigne certes des grands questionnements existentiels, mais ça fait parfois du bien de voir un spectacle tendre, romantique, drôle, qui finit bien, avec des chansons bien écrites et bien composées dont la mélodie reste en mémoire…

Dès lors, tous les échanges ou presque seront centrés sur les problèmes liés à l'homosexualité, sur la question de ce que l'on peut ou non montrer sur une scène de théâtre... Et la rencontre se clôturera sans que surgissent vraiment dans la conversation  comme cela se produit en général lors du "dernier Plamon", les impressions globales sur l'édition qui s'achève, le petit bilan de fréquentation, les petits ou les grands projets à l'étude qui pourraient modifier le visage du festival... es dates de la 67e édition ne sont pas annoncées non plus. Ce soir, peut-être, quand le président Jacques Leclaire prononcera son allocution de clôture au cours de laquelle sont remerciés un à un tous ceux qui ont permis aux spectacles de se dérouler au mieux, aux artistes et au public d'être accueillis comme autant d'hôtes de marque?

31 - La représentation...

Quatre amis, donc, se retrouvent au soir du 31 décembre 1999 – une petite pancarte à chiffres mobiles le signale en bord de scène, qui scandera d’ailleurs toutes les dates – pour fêter le Nouvel an, champagne à l’appui, discutant de ce Big Bug que les Cassandre du numérique nous promettaient en guise de grand saut dans le nouveau millénaire: Stéphane – qui doit son «drôle de prénom pour une fille» à une actrice célèbre; Victoire qui «fait les yeux» à ses amis dès qu’ils la contrarient ou agissent, selon elle, contre leurs propres intérêts; Anthony dit «Titoun», jeune P-D.G. prodige amoureux de Ruben mais qui n’ose pas le lui dire, Ruben mal parti dans la vie qui est aussi amoureux d’Anthony mais ne le laisse pas davantage paraître. Sans oublier les invisibles, les absents pourtant omniprésents tant ils vivent au fil des dialogues: la tante Yaël, et Tariq, le mari de Stéphane.

Les scènes – une pour chaque 31 décembre évoqué – se succèdent à un rythme soutenu; le décor, basé sur quelques éléments blancs modulables et transformables (des cubes, et des sortes de grandes armoires dont on peut selon les besoins ouvrir les portes pour faire naître un lieu aisément identifiable ou les maintenir fermées et créer ainsi un environnement plus neutre) est réagencé pendant les noirs à toute vitesse par les comédiens eux-mêmes, avec une telle fluidité qu’ils semblent obéir à une chorégraphie parfaitement réglée. Jusque dans ces aspects scénographiques ce récit, dont une large partie est à entendre dans les chansons, qui va à reculons par bribes narratives entrecoupées d’interstices sollicitant beaucoup la faculté de déduction/reconstruction du spectateur, donne un peu le sentiment que l’on est pris dans un tourbillon où l’on ne maîtrise plus tout à fait ni ses émotions ni son entendement. Car on n’est pas très sûr, au bout du compte, d’avoir parfaitement compris la logique des événements vécus par les personnages et la manière dont leurs liens se sont construits. On se dit parfois que ça va trop vite, qu’on aurait besoin ici d’une confirmation, là d’un démenti et les moments lents, savamment ménagés il faut le dire, quand les tristesses, les hésitations surgissent – et s’expriment surtout à travers les chansons – ne suffisent pas toujours à se remettre les idées en place. C’est un rien étourdissant mais l’on est happé; on guette avidement chaque scène, on est captivé par les chansons qui se glissent harmonieusement dans la dramaturgie et sont superbement interprétées, d’emblée on s’attache aux personnages et l’on se soucie de ce qui leur arrive… Une émotion profonde se communique au public: la partie est gagnée.

J’ai parfois été irritée par les accès trépignants, colère ou joie extrême, de Stéphane, qui m’ont paru un peu surjoués, et je n’ai pas bien compris la justification narrative du «blanc» de dix ans qui sépare 1979 de 1989 – réelle faiblesse d’écriture ou bien ai-je, moi seule, manqué quelque chose? – mais je garde malgré tout un excellent souvenir de 31, que je reverrai avec plaisir si l’occasion se présente.

31
Comédie musicale de Gaétan Borg et Stéphane Laporte.
Mise en scène:
Virginie Lemoine.
Musique et chansons:
Stéphane Corbin.
Avec:
Carole Deffit, Alexandre Faitrouni, Fabian Richard, Valérie Zacommer, Stéphane Corbin au piano.
Décors:
Grégoire Lemoine.
Lumières:
Denis Koransky.
Costumes:
Cécilia Sebaoun.
Durée:
1h20

Représenttion donnée le samedi 5 août au jardin de Enfeus.

Une fois passés les saluts – et les nombreux rappels du public qui à l’évidence s’est laissé embarquer sans réticence dans cette drôle d’odyssée sentimentale qui prend le temps à rebours mais les cœurs dans le sens de l’amour –, le président Jacques Leclaire se lance dans la traditionnelle allocution finale; après un très rapide bilan de l’édition qui s’achève – où l’on apprend qu’il y a eu 280 spectateurs supplémentaires – voilà venu le temps de la présentation minutieuse de toutes les petites mains qui ont contribué à la bonne marche du festival. Les noms s’égrènent et les appelés l’un après l’autre montent sur scène, applaudis comme ils le méritent.
Ce soir, il me semble qu’on quitte les gradins plus lentement, que les échanges entre habitués se prolongent plus que de coutume  – il est vrai qu’il n’y aura pas de Plamon demain et que cet après-spectacle est le seul moment possible pour échanger les impressions, se dire «à l’année prochaine» – quel audacieux pari sur l’à-venir! à ne songer qu’à moi seule, je me dis que 2018 sera ma treizième édition sarladaise et que c’est là un ordinal bien funeste mais… dois-je être superstitieuse? – et se souhaiter une bonne continuation d’ici là. D’ici là! rien moins qu’une parenthèse d’un an! que pensera-t-on de ce laps, long vu d’aujourd’hui mais qui ne sera plus rien lorsqu’on se retrouvera comme cette année et les précédentes à l’entrée de l’un ou l’autre des lieux de représentation?


Le 67e festival des jeux du théâtre de Sarlat aura lieu du 19 juillet au 4 août 2018.
Du jeudi au samedi, comme cette année. Des dates qui commencent de resserrer beaucoup la parenthèse…

 

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