Trouver le chemin qui mène du percept, ou de la pensée, au texte puis en couvrir la distance de bout en bout… cela m’est chaque jour plus difficile. Et je ne fais guère plus que rêver mes phrases au lieu de les écrire – rêvées, encore intangibles, elles ont toujours fière allure mais à peine ai-je commencé de tracer, ou de taper un à un les caractères qui vont former les mots que déjà la phrase entière dont seul le début est pris dans la concrétude écrite se fissure, se met à grincer – à devenir sinon hideuse du moins ridicule…
Alors je persiste et rêve – de phrases courtes et ramassées où je saurais, en quelques signes à peine, silences compris, rassembler un concentré de sens à haute densité mais aussi de phrases longues et étales, sans anfractuosité aucune où s’éraillerait le rythme, qui diraient par leur planéité même tout le poids oppressif du temps, celui que l’on a perdu, celui que l’on n’a plus, celui qui est compté d’une main si parcimonieuse et si prompte à en rompre le cours.
Le rêve tien bon, le geste demeure en suspens, au bord de cet insondable abîme qu’est le «texte à écrire».