Il me reste, d’un moment étrange vécu il y a bien des semaines, à la fois un souvenir très vague et une obsédante trace qui continue de me poursuivre au point qu’enfin je tâche de m’en délivrer ici (en sachant fort bien que ce délestage se substitue à un autre dont je suis pour l’heure incapable mais qui s’accomplira quand l’inextricable nœud de colère et d’indignation aura été dompté par le bon ordre que l’expression écrite exige de mettre à tout «discours intérieur»).
Un matin, alors que je me tenais debout face à la grande baie vitrée de ma cuisine en attendant que vienne à frémissement l’eau destinée à ma tasse de thé, je rêvais à demi en contemplant la clarté grise du petit jour, l’esprit plein de mille mots flottant désordonnés dont pas un ne coagulait en bribes intelligibles – et que je ne cherchais pas à retenir. Soudain une éphémère contracture fulgura dans ma hanche droite, peu douloureuse mais brutale, puis s’évanouit aussitôt. Instantanément cette phrase curieuse se forma à sa suite comme la queue prolonge la comète:
« Je viens de ressentir dans mon corps le point où résonne la mort d’une étoile aux confins de l’univers.»
Elle me parut aussitôt frappée d’évidence, sans que pour autant j’en pusse entendre le sens – et je m’étonnais moins de l’étrangeté de la phrase que de la manière dont elle s’était présentée à moi, tout énigme, mais là, aussi évidemment là dans la simplicité de ses mots constituants que tous les objets dont j’étais entourée.
La phrase a subsisté, quasi intacte; et le travail d'écriture me paraît, ici, rendre à peu près justice au ressenti, au pensé d’alors – avec cette réserve qu’une part de la singularité de ce «ressent-pensé» s’est dissoute dans l’instant même où je le vivais, perdue à jamais, et échappant définitivement au piège que pourrait tenter de lui tendre l’un ou l’autre langage.
Le sens de cette fulguration – l’intelligibilité de la phrase construite autant que les modalités de son surgissement – m’échappe toujours mais je me dis que c’est peut-être, simplement, un jalon sur un chemin où je ne ferais que mes premiers pas.
D’ailleurs, depuis quelques jours, de petits fragments phrastiques bourdonnent avec insistance; ils cherchent obstinément à prendre forme… je crois ce soir pouvoir leur assigner celle-ci:
Un jour, je gravirai la montagne, l’aînée de tous les toits du monde, au sommet si haut, et si vieux, que la vue s’en perd pour ne plus le retrouver qu’en ce point purement métaphysique où, une fois parvenue, je sentirai enfin résonner en moi le chant des étoiles et ses échos mille fois dupliqués dans les vastitudes intersidérales.
Geste sans doute lié, en une énigmatique... constellation, à tout ce qui précède: j’ai changé avant-hier la série d’images aléatoires qui se relaient de jour en jour pour former le fond d’écran de mon ordinateur. Ce sont maintenant des photographies spatiales de la NASA qui emprisonnent aux dimensions dérisoires de cet écran les incommensurables distances cosmiques… Là, quelque part mais hors champ bien sûr, le sommet de «ma» montagne.