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3 février 2016 3 03 /02 /février /2016 19:06
Bruyant oxymore

En prenant connaissance, il y a presque un an, du thème finalement arrêté pour la septième édition de Photovision 94 – "Le cri du silence" – j'avais aussitôt senti cet énoncé proliférer de manière totalement anarchique en myriades d'idées textuelles et photographiques mais sans qu'aucune parvienne vraiment à imposer sa pertinence. Silence et absence rimaient richement; l'absence étant douleur et la douleur faisant sourdre les cris, forcément le silence de l'absence se trouvait à hurler. Et dire l'absence, le vide, par l'image, quoi de plus facile (cela même est oxymorique: une image est par définition "présente" et on la chargerait de dire l'absence? Pourtant elle la dit! et avec quelle acuité, justement parce qu'elle est sonorement silencieuse - mais visuellement éloquente) surtout en noir et blanc, cet achromatisme qui fait taire les couleurs, les tue diront certains qui ne supportent pas cette mutité. Bref, je me payais de mots et de discours, beaucoup moins de photographies et, à l'approche du jour où devaient prendre fin la réception des candidatures, j'en étais encore à préparer dans l'urgence mes textimages, envoyés in extremis.

Comme cette fébrilité intense est loin... Déjà, samedi dernier je participais aux ultimes ajustements – trois fois rien puisque l'essentiel avait été mis en place la veille au soir; il ne restait plus qu’à fixer aux emplacements idoines les cartels portant le titre et le texte associés à chaque photo, à équilibrer des écarts dysharmonieux, modifier quelques hauteurs... Ma contribution minuscule à la préparation de l'exposition me permit de découvrir en avant-première la totalité des photographies choisies; cette année encore elles sont toutes d’une qualité remarquable, témoignant bien sûr du talent de leurs auteurs mais aussi de l'exigence des jurés et de la rigueur de leur sélection. Je reconnus au passage des photos déjà vues lors d'une mémorable séance de lecture d'images qui avait réuni une petite dizaine de membres de l'association autour de l'artiste photographe Thierry Volpi un certain samedi 14 novembre 2015. Cette réunion, prévue de longue date, avait été maintenue malgré le séisme survenu la veille et, je l'avoue, j'avais oublié la terreur le temps qu’elle dura tant elle avait été chaleureuse et passionnants les échanges. J'y avais même puisé une petite résurrection de ma motivation à photographier. Ces attentats, et ceux de janvier, d'une... criante «pertinence au thème», sont bien sûr présents dans l'exposition, à travers des œuvres sobres et recueilles – qui sonnent juste.

Je pus aussi me rendre compte qu'une fois de plus l'accrochage était de ceux qui, par-delà les œuvres qu'ils présentent et la manière dont ils les valorisent, ont en eux-mêmes un intérêt esthétique et sont à regarder comme une composition à part entière, non comme un simple cumul d'éléments offerts en pâture au public. Des papiers épars dans la salle, où je reconnus de rapides croquis des murs et des cadres à peine esquissés me donnèrent à penser qu'un plan préalable avait été soigneusement établi, à la manière de ces plans de table que l'on dresse à l'occasion de grands dîners, quand il faut tout à la fois de respecter une étiquette, de ménager des susceptibilités, d'éviter de fâcheux côtoiements et de favoriser certaines rencontres... De fait, c'est un à-propos comparable, pareillement subtil, qui me semble avoir guidé ceux qui ont conçu cet accrochage; ils ont admirablement joué des formes, des dominantes chromatiques, de la taille des images à l'intérieur des cadres, des contraintes imposées par l'espace... pour créer in fine une admirable synergie: chaque photographie se laisse voir dans sa singularité et dans l'intimité du rapport qu'elle entretient avec son texte d'accompagnement mais, en même temps qu'on s'absorbe en elle, on la sent vibrante de ce qui l'entoure... Les œuvres se valorisent les unes les autres sans perdre leur âme...et leur dialogue constant, serein, donne à l'ensemble son âme propre.

Avant de quitter la grande salle où est rassemblée la part la plus importante de l’exposition je me suis attardée à embrasser le tout d’un même regard, songeant à nouveau que cet agencement si bien calculé était une magnifique réussite – une perfection: un silence.
Et… si au lieu de rechercher la plus grande cohérence possible on avait, au contraire, délibérément introduit le trouble, insinué çà et là de légères distorsions? Si, par quelques hiatus, l’on avait fait crisser les équilibres, les impeccables rectitudes et les symétries trop nettes – autrement dit si l’on avait fait du bruit dans cette harmonie, l’accrochage n’aurait-il pas été lui-même «dans le thème»? une image de ce que peut être «le cri du silence»?

L’exposition vient d’ouvrir et il me semble que ce stimulant moment du décrochage d’où avait émergé ce thème qui m’avait si vite emportée dans un tourbillon d’idées un peu trop vortical pour être vraiment fructueux, est encore frémissant de nouveauté alors que, déjà, se profile le prochain décrochage et, dans l’immédiate foulée, la réunion des présents qui feront assaut d'imagination pour lancer, à la volée, leurs suggestions thématiques pour l’édition 2017... Étrange vertige chronologique… Les événements récurrents à périodicité régulière ont cela de terrible qu'ils manifestent crument la constriction du temps: lorsqu'on arrive au seuil d'une édition, on a le sentiment que la précédente est là-derrière, tout contre soi mais, au moment où celle-ci s'achevait, on avait l'impression que la prochaine se noyait dans un horizon hors de vue où bruissaient tous les possibles – ce laps immensément vaste vu rétrospectivement paraît soudain d'une telle ténuité que rien n’y aurait pu éclore.
On se dit alors que le temps est assassin et au premier chef de lui- même, autophage jusqu'à la néantisation. Pourtant, sur son fil on se tient – ou plutôt on tâche de se tenir –, avec cette convictio
n que l'on dure...

Le vernissage aura lieu le samedi 6 février à partir de 18h30.
À 19 heures: carte blanche à l’atelier d’improvisation théâtrale de D
enis Morin.


EXPOSITION EN PLACE DU 3 AU 19 FÉVRIER 2016.
Centre socioculturel Madeleine Réberioux
27, av
enue François Mitterrand
94000 CRÉTEIL
Tél. : 01.41.94.18.15
Courriel :
contact@mjccreteil.com

Horaires de visite:

Lundi: 16h / 19h30
Mardi: 9h / 12h30 et 17h / 20h30
Mercredi: 9h30 / 19h
Jeudi: 10h / 12h30 et 14h /
20h45
Vendredi: 14h / 20h
Samedi: 10h / 17h

**************************************************************************************************************************

J'avais proposé cinq textimages à la sélection, deux ont été retenues, Rebut, et Silence du sens. Des deux, Rebut est davantage "dans le thème" que l'autre par la triste histoire qui lui est attachée: ce tirage est issu d'un film que j'ai perdu (avec une bonne dizaine d'autres films...) tandis que je venais de commencer à travailler sur ses images dans la chambre noire. Je ne l'avais même pas scanné. Paradoxalement, Rebut, par sa présence, sa matérialité dure – d'autant plus dure que la photographie est exposée, qu'elle a une existence dans un espace public – me figure de manière plus aigüe que si elle n'avait pas été tirée le vide creusé par la disparition du film, laquelle m'est une inextractible écharde au cœur.

Un mot encore sur l'aspect bizarrement sépia de Rebut et de Vacuité: il n'a rien de délibéré. C'est même un défaut de numérisation que j'aurais bien aimé corriger mais... je ne suis pas équipée pour. Je veux dire par là que, ne pouvant pas scanner ces deux tirages argentiques ni leurs négatifs, j'ai dû les photographier avec mon Coolpix pour obtenir leur version numérique, indispensable pour poser sa candidature (que je réutilise donc ici, pour la mise en ligne). Or mon compact numérique ne peut pas "ignorer les couleurs" (enfin, pas que je sache, mais sans doute ai-je mal exploré cet appareil?) d'où cette transcription bizarre des gammes de gris, de plus aucun de mes ordinateurs ne possède de logiciel de retouche qui permette de transposer en véritable noir et blanc les couleurs d'une image numérique.

REBUT. Couvert de lettres peintes, le mur défait a pris la parole – la télé cassée et rebutée retrouve un semblant de voix.

REBUT. Couvert de lettres peintes, le mur défait a pris la parole – la télé cassée et rebutée retrouve un semblant de voix.

SILENCE DU SENS. Je ne sais plus où, ni quand – ni même quoi. Tombant sur cette image au hasard d’une pérégrination dans mes archives, je la regarde, la scrute, mais je n’entends plus rien de ce que j’ai bien pu me raconter pour être ainsi poussée à déclencher. Reste une vague mélodie de lignes infléchies en courbes douces, de nuances de gris… Je la trouve avenante. Même sans paroles.

SILENCE DU SENS. Je ne sais plus où, ni quand – ni même quoi. Tombant sur cette image au hasard d’une pérégrination dans mes archives, je la regarde, la scrute, mais je n’entends plus rien de ce que j’ai bien pu me raconter pour être ainsi poussée à déclencher. Reste une vague mélodie de lignes infléchies en courbes douces, de nuances de gris… Je la trouve avenante. Même sans paroles.

VACUITÉ. Silence rime avec absence, avec souffrance Et attente, aussi, au prix d’une consonne – presque rien, une ténuité sonore.  Mais un cri quand même qui se déploie, et s’amuit dans tout ce vide.

VACUITÉ. Silence rime avec absence, avec souffrance Et attente, aussi, au prix d’une consonne – presque rien, une ténuité sonore. Mais un cri quand même qui se déploie, et s’amuit dans tout ce vide.

OÙ?  Le souvenir des destinations s’est perdu depuis longtemps sous les herbes folles. Nulle part est le silence de l’espace, la voie morte le cri muet du paysage.

OÙ? Le souvenir des destinations s’est perdu depuis longtemps sous les herbes folles. Nulle part est le silence de l’espace, la voie morte le cri muet du paysage.

CHAOS. Hier des excavatrices, des pelleteuses, des bennes, des ouvriers. Aujourd’hui dimanche, rien ni personne. Pas un bruit ne sourd du site en repos. Dans ces bris en suspens ne résonnent plus que des fantômes – ceux des grondements des marteaux-piqueurs, des craquements sourds de l’asphalte cassé et des roulements des graviers bouleversés… Silencieux tumulte du plus-rien et du pas-encore.

CHAOS. Hier des excavatrices, des pelleteuses, des bennes, des ouvriers. Aujourd’hui dimanche, rien ni personne. Pas un bruit ne sourd du site en repos. Dans ces bris en suspens ne résonnent plus que des fantômes – ceux des grondements des marteaux-piqueurs, des craquements sourds de l’asphalte cassé et des roulements des graviers bouleversés… Silencieux tumulte du plus-rien et du pas-encore.

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  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui
  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui

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