Mardi 2 septembre
Un peu de vent au point du jour, un ciel grand bleu. Peu à peu de la grisaille l’envahit, par rouleaux – des nues girondes aux mille nuances de gris, et le ciel n’est plus bleu que par bribes. Je pense à la mer. (À cause des "rouleaux" ou bien ai-je eu ce mot en tête à la vue des nuages parce que justement je pensais déjà à la mer sans le savoir et, surtout, sans me le formuler clairement?) Je me dis que seule la mer, avec sa vastitude, sa rumeur, son mouvement perpétuel, peut habiter sous un ciel pareil et en être grandie, magnifiée. Moi qui avais prévu, au soleil naissant largement échancré à l’horizon, d’aller à la mi-journée passer quelques heures au musée Zadkine avec mon appareil photo pour tâcher de travailler un peu autour des jeux d’ombres et de formes que la lumière suscite entre feuillages et sculptures, j’y ai renoncé dès les premières montées de gris. Alors j’ai ouvert, pour en commencer la lecture, La Vie matérielle, de Marguerite Duras, le livre que, cet été Claire Deluca* m'avait recommandé pour aborder l'univers durassien. Le premier texte, "L'odeur chimique", débute sous la lumière diffuse et blanche du ciel couvert et celle, charbonneuse, des orages. À Trouville...
La mer, le ciel, les nuages. Synchronicité...
Il y eut d'abord la "grisaille par rouleaux", la mer, puis le renoncement photographique, et presque aussitôt force bavardages mentaux – la ville laide sous les nuages où les pas s’engluent comme l’humeur, la campagne désolée, fléchie comme un paysage post-apocalyptique avec sa verdure autant que ses terres plombées aux cumulus, et le regard photographique, ce qu’il est chez moi, ce qui le motive, l’inhibe, le dévoie… au bout de quoi est venu un "premier jet" morcelé, exécrable de discontinuité. Enfin cela, maintes fois relu, corrigé, repris. Mais sans que j'aie à jeter à la corbeille des poignées de feuillets froissés ni à affronter d’illisibles gribouillis: tout s’est fait numériquement… Disparues, les pistes méandreuses du "travail en cours", les successions de repentirs – pas de ratures sur un fichier word, pas de traînées de blanc correcteur, ni de gommures, encore moins de paperolles collées et surajoutées [aparté: qu'ont à se mettre sous l'intellect les doctes spécialistes de l'art littéraire qui veulent étudier le processus d'écriture des auteurs d'aujourd'hui convertis aux ordinateurs, et n'ont donc plus à disposition ces brouillons et manuscrits si précieux à leurs spéculations? Plus largement, ne manque-t-il pas quelque chose à l'émotion de la lecture quand on ne peut plus avoir idée de ce à quoi ressemble l'écriture manuscrite d'une personne?].
Copier-coller.
Remplacer.
Ajuster la phrase aux modifications et veiller à éteindre tous les avertissements du correcteur automatique.
Relire quand même – le vérificateur ne réagit pas à toutes les fautes.
Au final, du propre et du lisse.
Ça me va.
* Claire Deluca, comédienne et metteur en scène, a présenté au festival de Sarlat 2014 un montage de textes puisés dans plusieurs œuvres de Marguerite Duras, Duras, la vie qui va, qu'elle a conçu, mis en scène et interprété avec Jean-Marie Lehec.