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4 août 2014 1 04 /08 /août /2014 14:08
Cupidonneries

La Journée des auteurs, qui met à l'honneur des auteurs vivants à travers deux représentations, étrécit parfois sa cohésion en réunissant deux auteurs aquitains, une cohésion scellée mieux encore quand la compagnie elle-même est régionale qui a monté la pièce jouée en seconde partie. Cette année, l’unité fut d’ordre thématique: de L’Île de Vénus aux Écrits d’amour, c’est bien évidemment la flèche de Cupidon qui tend le fil. Mais un Cupidon affligé d’une telle myopie qu’il manque ses cibles ‒ Roger et Florence en savent quelque chose ‒ ou bien, s’il touche dans le mille, fait éclore des sentiments quelque peu altérés ‒ et les épistoliers convoqués par Claude Bourgeyx en témoignent, tous très amoureux mais...

L’ÎLE DE VÉNUS
Texte de Gilles Costaz. Lu par Noémie Elbaz (Florence), Thierry Harcourt (Roger) et Gilles Costaz pour les didascalies.

D'ordinaire est lu en première partie un texte qui n'a encore jamais été monté ‒ ou bien que l'on est en train de monter comme, l'an dernier, la pièce de Jean-Claude Idée dont se percevait déjà quelques éléments de mise en scène. Cette année l'on a dérogé à la règle: L’Île de Vénus a déjà été montée mais, pour des raisons diverses qui n'ont guère d'importance, il n'a pas été possible d'amener à Sarlat le spectacle abouti. Or Jean-Paul Tribout tenait beaucoup à ce que cette Île fasse escale au festival – elle y fut donc amarrée sous forme de lecture, avec une nouvelle distribution: Noémie Elbaz remplaçant Julie Debazac et le metteur en scène Thierry Harcourt se substituant au comédien Nicolas Vaude. Avec, à leurs côtés, l'auteur en personne pour dire les didascalies – faire advenir les noirs, préciser les ellipses temporelles qu'ils signifient...
L'argument: Roger, un scientifique, vit depuis plusieurs années sur une île déserte à la suite d'un naufrage. Il a fini par s'adapter, tant bien que mal, aux contraintes de la survie et de la solitude. Un jour échoue sur cette île une magnifique jeune femme, Florence. Elle aussi a fait naufrage. C'est un mannequin, qui voyageait en mer à l'occasion d'une séance de photos de mode. Quand ces deux solitudes, cernées par l'hostilité d'une nature sur laquelle l'homme n'exerce aucune maîtrise, devraient tout naturellement se réconforter mutuellement, Roger et Florence vont en fait demeurer chacun dans son univers, impénétrable à l'autre. Elle réclame à cor et à cri le confort de sa chambre de palace, lui se préoccupe du devenir de ses travaux, de sa place qu'à probablement dû prendre son rival... Parfois l'on sent une fissure qui va peut-être les rapprocher mais elle se ferme vite.
Thierry Harcourt et Noémie Elbaz nous ont offert une lecture éblouissante. Sans jamais quitter leur chaise, avec simplement leur voix, la richesse de leurs inflexions et de leurs intonations, et tout un langage corporel extrêmement signifiant ‒ quel art de lever les yeux au ciel, d'exprimer le dédain d'un geste de la main! ‒ ils ont incarné Roger et Florence sans les jouer... N'ayant pas le secours du texte de Gilles Costaz pour me remémorer ce moment exceptionnel, je n'en ai que la trace laissée grâce au talant des comédiens ‒ beaucoup d'humour, mais aussi de la profondeur dissimulée derrière, et quelques étincelles de poésie, par exemple cette réplique qui m'a si bien accrochée l'oreille que je l'ai notée sitôt sortie:
Roger: Que doit faire un homme pour vous plaire?
Florence: Traverser mon champ de vision et laisser des regr
ets à ma rétine.

Le lendemain, à Plamon, Gilles Costaz a expliqué combien c'était touchant pour un auteur de redécouvrir son texte sous différentes formes, la pièce d'abord, la lecture ensuite... et à chaque fois un nouvel "objet". Son intention a été d'écrire une comédie sentimentale mais d'où la philosophie ne serait pas tout à fait absente: son propos était de réfléchir sur ce qui nous reste lorsque nous n'avons plus rien, rien de ce qui faisait notre quotidien avant un événement-rupture (ici, un naufrage). Interrogé sur ses références théâtrales il a cité, entre autres, Goldoni, et Marivaux dont il a, dit-il, voulu restituer l'esprit dans le miroitement des sentiments. J'ai tout de suite aimé la formule pour elle-même, me disant, mais bien plus tard, qu'en matière de miroitements, Florence et Roger étaient aux premières loges sur leur île...

ÉCRITS D’AMOUR
Textes de Claude Bourgeyx. Interprétation et mise en scène: Jean-Claude Falet. Collaboration artistique: Jacques Bourdat. Direction d’acteur: Seï Shiomi. Création lumière: Thierry Rousseau. Bande son: Cédric Poulicard.

Les Écrits d’amour sont des paires de lettres échangées entre des correspondants de toute sorte: un mari parti en voyage de noce sans son épouse à laquelle il écrit tendrement, un fœtus qui met sa mère en garde quant à ses mauvaises dispositions jusqu'à l’admiratrice qui envoie à l'auteur un message vibrant… le panorama des couples est riche et leurs missives révélatrices de l’humour grinçant, caustique, de Claude Bourgeyx – dont j’avais eu un aperçu quand avaient été lus quelques-uns de ses Petits outrages dans le cadre, déjà de la Journée des auteurs. Ces Écrits ont été mis en scène pour la première fois en 1995 par Jean-Paul Rathier. Plusieurs metteurs en scène s’en sont emparés ensuite et, en 2008, Jean-Claude Falet se lance à son tour dans l’adaptation scénique de ces lettres.

De l’ensemble il retient quatorze échanges, en ajoute un très bref façon SMS, propre à son spectacle, entre Kevin et Samantha… et prend le parti d’incarner à lui seul la totalité des épistoliers, hommes et femmes – "cette multiplicité de rôles est extrêmement jouissive pour un comédien, et plus encore quand, homme, il faut interpréter une femme", dira-t-il en substance à Plamon. Il court ainsi pendant plus d’une heure d’un personnage à l’autre et d’un objet à l’autre – au gré des échanges il arpente en effet tout le plateau, où plusieurs groupes d’objets recouverts d’un tissu sont disposés qui seront dévoilés au fur et à mesure du spectacle. Avec une virtuosité formidable il incarne tour à tour Suzanne, Édouard, Gérard, Jeannine… distinguant chacun par un petit détail dans la voix et dans la posture, par un accessoire – un bout de tissu à broder, un drap devenu soutane… Le rythme est étourdissant mais des silences sont opportunément ménagés – le tempo est savamment étudié. C’est à la fois désopilant, émouvant… Par le texte comme par le jeu du comédien et la mise en scène, le spectacle fait mouche. Pendant quelques secondes à peine, faisant brusquement rupture, un noir inopportun survient – Jean-Claude Falet "revient" alors d’entre ses personnages et hèle le technicien pour qu’il rallume le projecteur. Encore un coup des Intermittents?? demande-t-il… puis le spectacle reprend son cours. Une façon à la fois artistique, humoristique et militante d’exprimer sa solidarité avec le mouvement de protestation qui soulève l’ensemble des gens du spectacle. Pour cela aussi sans doute, outre sa superbe prestation, il fut chaleureusement applaudi.

De tout ce qu’a dit Jean-Claude Fallet à Plamon, j’ai retenu cette phrase: Le travail avec Claude Bourgeyx a été une très belle aventure humaine et artistique. La collaboration avec l’auteur a d’abord été très étroite et les échanges intenses, jusqu’à ce point où Jean-Claude Falet a demandé à Claude Bourgeyx de ne plus assister aux répétitions, de ne plus intervenir avant la première: le moment était venu pour lui de rester seul à seul avec les textes, les remarques et suggestions de l’auteur, ses propres idées de mise en scène, d’interprétation… de manière à s’approprier l’ensemble et laisser le champ libre à sa sensibilité, à ses intuitions de créateur. Une belle complicité s’est nouée pendant ce travail que n’a pas brisée cette mise à distance par ailleurs fort bien comprise, et qui s’est prolongée en solide amitié.

À l’issue de la représentation, Jean-Claude Falet a annoncé aux spectateurs qu’il avait apporté quelques exemplaires des Écrits d’amour – initiative des plus appréciables car la librairie locale qui chaque année propose un rayon "spécial festival" avait bien en vitrine des Écrits d’amour… mais ce n’était pas ceux de Claude Bourgeyx! Outre ce recueil de lettres il y avait aussi Les Petits outrages, Heureux qui comme moi, Tant pis pour eux… De quoi se constituer d’emblée une petite bibliothèque Claude Bourgeyx – ou en compléter une déjà amorcée.

Représentations données le dimanche 20 juillet au Centre culturel.
Ce dimanche encore en effet il a fallu transporter les représentations prévues à Sainte-Claire au Centre culturel pour des raisons météorologiques. Précaution ô combien fondée: tout au long de la soirée l’on a perçu, du dehors, le vacarme des averses battantes – qui, par un bel effet de "hasard objectif", a fort à propos favorisé l’instauration d’une ambiance insulaire en prolongeant la bande son accompagnant le début de la lecture: une musique mêlée de ressac…

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  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui
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