Je rencontrai Michel Host pour la première fois sur les traces
d'un Petit chat de neige voici un peu plus d'un an. Avant d’atteindre le chaton mignon, il semait sur son chemin une cinquantaine de petites proses narratives délicieuses, qui
allient à la puissance de l’aphorisme la densité émotionnelle d’une nouvelle qui, dans sa brièveté, contient suffisamment de matière pour que le lecteur puisse tout de même se sentir pénétré d’un
univers. Y sont épinglés avec malice et humour mais sans concession les travers des hommes et les faillites des sociétés occidentales contemporaines. Ces textes pourtant ne relèvent pas de
la satire à proprement parler : ce sont des historiettes-billets d’humeur admirablement épurées, ou bien des portraits taillés au plus juste pour qu’en soient bien accusées les imperfections.
Le recueil m’avait été envoyé par Alain Kewes, un éditeur dont je voudrais, au passage, saluer le travail ; il édite à Auxerre sous le label Rhubarbe, histoire d’annoncer, sous l’égide de
cette plante à la saveur sauvage et qu’il faut savoir gustativement apprivoiser, qu’il aime les raretés littéraires aux perfections peu amènes pour le lecteur dépourvu d’exigence et de
curiosités. Dans son catalogue se côtoient des ouvrages de genre et de registres si variés qu’il est impossible de décliner l’identité de Rhubarbe sinon en écrivant qu’elle n’en a aucune de
précisément définie.
Là donc, entouré d’autres
objets littéraires atypiques, le recueil de Michel Host… La chronique que je lui consacrai me valut un courriel chaleureux, qui initia une correspondance épisodique mais régulière. Nous nous
rencontrâmes au Salon du Livre de Paris. Comme cela arrive rarement, je me trouvai en face d’un homme en qui je percevais l’exacte incarnation du ton de ses textes et de ses messages : je voyais
en ce visage rayonnant d’où semble sourdre la générosité, encadré de cheveux blancs mi-longs, illuminé d’yeux clairs imperceptiblement plissés par le sourire et brillants d’un éclat relevé par
les fines lunettes rondes le parfait écho de ce que j’avais perçu dans l’écriture – une fantaisie délicate, sérieuse presque mais qui incline inévitablement le lecteur à la bonne humeur. À des
lieues de la grosse plaisanterie cache-drame, la fantaisie de Michel Host est pure finesse d’esprit et insigne adresse littéraire sachant donner aux épreuves et aux tragédies le tour plaisant qui
tient le pathos à l’écart. Et cette voix douce, qui ne force pas son chemin pour se faire entendre, cette élocution assurée qui jamais ne bute ni n’hésite avec souvent au coin des phrases le rire
qui s’esquisse… Je réalisai presque instantanément –pour cette première rencontre peu de mots furent échangés : séance de dédicace oblige, l’heure n’était pas aux papotages et il lui fallut
très vite gagner sa place derrière la table qui lui était attribuée – que l’écriture, le visage, la voix, le regard, composaient un ensemble merveilleusement harmonieux. Et je conservai de cette
brève entrevue une impression lumineuse.
À quelque temps de là il me
conviait à l’un des cafés-club qu’il anime tous les mois en fin d’après-midi au Vieux Châtelet, dans l’idée de prolonger aujourd’hui, modestement mais
fermement, la tradition des "cafés littéraires" du XVIIIe siècle. Il y avait là des gens de lettres, un jeune photographe et une artiste peintre ; des photos circulèrent, des poèmes
furent lus et de bien agréables propos tenus. Mais l’on ne s’en tint pas aux graves questions esthétiques et culturelles – l’on parla chats et j’appris que Michel Host, amoureux fervent de ces
félins, avait fondé L’Ordre des Chevaliers du Mistigri dans le but d’assurer défense et sauvegarde de la gent féline – mais, n’étant pas sectaire, il
étend cette protection à tout animal qui pourrait être menacé. Comptée comme membre bien que non encore officiellement adoubée – je n’ai toujours pas, ô infâme distraction, renvoyé au Maître mon
Acte d’adoubement rempli – je reçois périodiquement Entre Chats, le bulletin de l’Ordre où se mêlent photos, anecdotes… et très-littéraires histoires de chats.
D’Entre Chats en courriels, nous nous écrivîmes régulièrement, mais nous vîmes peu.J’appris au fil des échanges que Michel Host écrivait pour la revue littéraire La Sœur de l’Ange, et que, dans ce même esprit à la fois sérieux et ludique qui préside à la rédaction d’Entre Chats, il avait entrepris d’écrire deux ou trois fois l’an un recueil de notes de lectures intitulé La Mère Michel a lu qu’il diffuse par courriel auprès de ses amis internautes. Dans cette petite dizaine de pages présentées en fichier Word s’exprime un facétieux goût du collage typographique – ce sont, pour chaque numéro, plusieurs couleurs et pas moins de quatre ou cinq polices différentes qui sont utilisées ! Papyrus, Book Antiqua, Copperplate Gothic Bold, Wingdings, Lucida Handwriting… Au fait, qu’est-ce qui, en elles, du nom ou du graphisme, a séduit notre écrivain ? Pour ébouriffer un peu plus lesdits fichiers, faisons apparaître les marques de mise en page – et c’est un feu d’artifice d’alinéas, de tabulations manuelles, de retraits marqués par une succession d’espaces : autant de figures variées qui se mettent à courir à travers les blocs de texte. Cela achève de peaufiner le poème graphique et pose l’ultime rehaut à cette fantaisie allègre que là encore je décèle.
Aimant le jeu mais n’étant pas Narcisse au point de trop priser le "je", il fait appel à son fidèle avatar la Mère Michel
pour porter sa bonne parole de lecteur, qu’il dépose, comme le coucou, dans le nid de [ses] amis. Parmi eux certains disposent
d’un site ou d’un blog et relaient ces notes de lecture – par exemple la revue Encres Vagabondes, et l’écrivain Jean Claude Bologne. Je vais désormais
faire de même, puisque l’auteur m’en a donné l’autorisation – une autorisation qu’il ne m’a pas retirée quand je lui ai dit que j’allais sans doute tailler chaque bulletin en autant d’épisodes
qu’il y a de chroniques, et que je ne pourrai pas conserver tels quels les jeux de police et de couleur du fichier Word.
Je l’en remercie car c’est un honneur que d’enrichir ces Terres Nykthes des humeurs livresques d’une Mère Michel toujours en quête de son chat et qui en oublierait (presque) de faire son
ménage…
Le mot de la fin
Chaque chronique fera l’objet d’une mise en ligne distincte, suivant l’ordre de parution des bulletins et, dans ceux-ci, l’ordre que l’auteur a adopté. Le premier texte publié ici sera donc le
premier article figurant dans le premier bulletin, paru en hiver 2007. Il y est question de voyage et de chats… Mais avant il faut encore citer le délectable incipit que porte chaque livraison de
La Mère Michel a lu – reflets sans doute des dilections littéraires autant que des attitudes de lecture de leur auteur :
La Mère Michel a lu un livre ! Au lieu de faire son ménage ? Eh bien, c’est comme ça qu’elle l’a perdu son chat !
Denis Diderot, Billet à
Sophie Volland (coll. privée)
Les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie,
mais de l’obscurité et du silence.
Marcel Proust, Le Temps retrouvé
Notre vie est un livre qui s’écrit tout seul. Nous sommes des personnages de roman qui
ne comprennent pas toujours bien ce que veut l’auteur.
Julien Green, Adrienne Mesurat
Note brève & introductive.
Ne possédant ni site, ni blog, ni kloog ni kangourou apprivoisé transportant le courrier dans sa poche, la Mère Michel a décidé de s’en remettre à cette pièce jointe appelée à une parution
relativement régulière et destinée à être aussi largement diffusée que possible aux amis, connaissances et même au Lecteur Inconnu.
Quant à la formule de clôture, elle est du même cru :
La Mère Michel a lu ce qu’elle a lu, et quand elle a pu : tout de même, elle doit faire son ménage, et quoi qu’on dise toujours elle cherche son chat. Elle ne lit
pas à la manière des critiques – qui, selon le mot de Valéry, voudraient faire croire qu’ils peuvent nous donner bien plus qu’ils ne possèdent – mais en découvreuse, en amateur ou, comme qui
dirait, en amoureuse. Amoureuse, la Mère Michel ! Vous m’en direz tant !
Après cela, le moyen de ne pas se pourlécher les yeux à l’idée de lire les notes de la Mère Michel ?