Cette année le 59e festival des jeux du théâtre de Sarlat portera brassard noir, en mémoire des trois grands comédiens qui se sont éteints en ce mois de juillet – Laurent Terzieff le 2, Pierre Maguelon le 10 et Bernard Giraudeau le 17. Triste trinité… qui certes ne va pas empêcher le spectacle de continuer, ni les rires d’éclater pendant ces trois semaines de festivités théâtrales. Mais les gaîtés et les joies auront cette bizarre résonnance qu’elles prennent lorsqu’elles heurtent le vide creusé par les absences amères.
Endeuillé, le festival a cependant commencé comme prévu, en fanfare et en pompe grande mais légèrement décalée, avec Les
Grooms, ceux-là qui, en 2008, avaient "baronné" à travers les rues de Sarlat et séduit un public qui s’était entièrement pris au jeu et avait ri de très bon cœur.
Plus de baronnade ambulatoire cette fois mais une représentation sédentarisée place de la Liberté, à même le pavé laissé libre par les cafés dont les terrasses s’étendaient loin hors des murs en
cette journée de plein soleil. L’on a retrouvé avec plaisir les costumes groomiens – pantalon noir, jaquette rouge à boutons dorés, casquette assortie – et les cuivres de la fanfare, l’art des comédiens à
interpeller le public, à jouer avec lui… non pour de joyeuses interactions comiques plus ou moins improvisées mais pour un opéra! Les Grooms se proposaient rien moins que de jouer devant le
public ébahi Le Roi Arthur, composé par Henry Purcell à la fin du XVIIe siècle sur un livret de John Dryden… Enfin, Un roi Arthur car, bien évidemment, la fameuse œuvre baroque
a été revisitée par ces musiciens-comédiens talentueux à la fantaisie débridée.
L’intrigue, passablement compliquée, qui
doit davantage aux inventions de Dryden et au passé historique de la Grande-Bretagne qu’à la légende arthurienne proprement dite, fut d’abord brièvement exposée en même temps qu’était retracée la
genèse de l’œuvre et précisé son caractère patriotique – dans un préambule assaisonné, on s’en doute, de drôleries bien piquées. Puis ce fut du théâtre de rue à grand spectacle, avec changements
de costume, multiplication d’accessoires, et des effets spéciaux par fumigation! À grand renfort de théâtralité exagérée et assumée comme telle, l’on assista à une farce désopilante, où le
grotesque délibérément accentué des costumes le disputait à une gestuelle outrée du meilleur effet.
Entre fausses barbes grossièrement accrochées, casque à cornes orné de fausses tresses blondes et string à frous-frous arboré quand il s'est agi de mimer un combat façon sumotori, le délire le
plus total a régné pendant les 55 minutes qu’a duré la représentation.
La musique, et le chant dans tout cela? Ils étaient là, ô combien présents – mais jamais dénaturés ni parodiés. Les airs ont été chantés par de vraies voix lyriques, superbes, et les morceaux instrumentaux, adaptés pour un orchestre de cuivres, ont tous été joués avec la plus respectueuse justesse. Pas un couac, pas une note volontairement faussée, pas de voix qui déraille… Le comique s’est déployé, et dans les grandes largeurs, autour de la musique et du chant. Mais eux ont été abordés avec le plus grand sérieux et un respect tout aussi grand.
"Spectacle tout public", indique le programme. Tout public? Assurément: tout le monde, des plus jeunes enfants aux plus âgés des adultes, est forcément accroché par cette farce délirante qui rutile et dévide les gags visuels à un rythme soutenu. Il faut avoir l’esprit singulièrement chagrin ou grincheux pour ne pas se laisser aller à rire de ce bon rire qui détend et réconcilie avec la vie. Quant à bien comprendre ce qui est raconté, cela demande de tendre l’oreille, d’aller au-delà du brillant vernis comique et d’avoir l’attention en éveil, ce qui caractérise rarement les dispositions d’un public par définition passant et qui n’est pas là en premier lieu pour assister à une représentation théâtrale. Enfin, il n’est pas sûr du tout que cette parodie, pour respectueuse et inventive qu’elle soit, "démocratise l’opéra": je ne crois pas qu’avoir ri aux éclats en voyant Les Grooms incite à la découverte ceux qui n’ont jamais écouté d’œuvres lyriques d’assez près pour les apprécier. Et je ne crois pas non plus que la beauté des voix que l’on entend chanter les airs du Roi Arthur suffise à dérider les oreilles de qui n’est pas initié à l’opéra.
Quels que soient les rapports que l'on a avec l'opéra, on gardera le souvenir d'un spectacle foisonnant, à coup sûr goûté
par les mélomanes qui auront pu apprécier la mesure du savoir-faire musical des Grooms qui doit être grand pour parodier de la sorte un opéra. À la fin du spectacle, j'ai même vu et entendu
du coin de l’œil, tandis que l'on déballait sur une table tous les "supports de communication" de la compagnie – entendez par là les DVD, posters, affiches et cartes postales proposés à
la vente – un spectateur à l'évidence sujet de Sa Gracieuse Majesté qui félicitait, dans la langue de Shakespeare, les deux chanteurs lyriques pour leur interprétation, et leur prononciation du
vieil anglais...
La compagnie des Grooms, constituée essentiellement de musiciens, est née en 1984. Elle est menée par Christophe Rappoport qui, en matière théâtrale, a de qui tenir puisqu'il est le fils du metteur en scène Jacques Livchine, notamment pionnier du théâtre de rue en France et comptant parmi les créateurs de la Ligue d'improvisation. On ne se risquera pas à résumer sa riche carrière mais on dira tout de même que, une fois nommé à la direction de la scène nationale de Montbéliard, il la rebaptisa Centre d'art et de plaisanterie.
À voir les créations des Grooms,
il est évident que père et fils ont avec le théâtre des rapports similaires... Ces musiciens émérites créent des spectacles musicaux décalés et pleins d'humour mais témoignant à la musique le
plus grand respect. Passionnés d'opéra, ils ont pour ambition de démocratiser un art réputé peu accessible
aux profanes. Leur arme? La parodie. Une parodie à la fois intelligente, délirante, infiniment drôle, et respectueuse.
Il paraît qu'ils se sont attaqués à la tétralogie de Wagner! Mais à quoi peut bien ressembler ce monument passé entre leurs mains, et projeté hors des salles sur le pavé des rues...
Un roi Arthur
Opéra pour fanfare et trois chanteurs, d’après Henry Purcell
Arrangements:
Antoine Rosset et Serge Serafini
Mise en scène:
Etienne Grebot
Adaptation:
Jacques Auffray
Avec:
Jacques Auffray, Danièle Cabasso, Damien Ferrante, Macha Lemaître, Christophe Rappoport, Antoine Rosset, Serge Serafini, Bruno Travert
Durée:
55 mn
Représentation donnée le 17 juillet sur la place de la Liberté.