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12 août 2010 4 12 /08 /août /2010 13:57

 

Le 59e festival de Sarlat me tend deux perches pour opérer un petit retour en 2009  et, enfin, saluer comme il le mérite un Hamlet audacieusement charmeur... Son metteur en scène, Igor Mendjisky, était de retour en Périgord cette année comme acteur cette fois, à l'affiche de Soudain l'été dernier de Tennessee Williams mis en scène par René Loyon et l’on a vu, le 2 août 2010, un Préjugé vaincu lui aussi plein d’audace, et lauréat du prix des Compagnies au festival d’Anjou comme l'avait été Hamlet l'an passé...

 

hamlet_salut-sans-cou.jpg

 

Ils saluent comme des pendus qui se seraient eux-mêmes passé la corde au cou, levant un poing que l’on dirait victorieux… ou révolté; ils sont jeunes à peine 30 ans de moyenne d’âge et s’emparent d’une pièce fameuse de plus de 400 ans  pour en offrir une version qui décoiffe. La pièce est abrégée, la narration un tantinet remaniée, le texte adapté par-ci par-là et l’ensemble scénographié avec audace et vigueur: là où Shakespeare ouvre par un dialogue inquiet entre deux gardes frigorifiés, on voit un bal psychédélique battre son plein au son de "Sweet Dreams" d’Eurythmics; LE to be or not to be n’est pas dit mais écrit à la craie; les traditionnelles entrées et sorties de scène sont remplacées par des chorégraphies évoquant quelque ballet contemporain; on reconaît pêle-mêle dans les costumes patchworks hippies, gilets afghans, velours, brocarts et crevés de la Renaissance, Hamlet et Laërte renoncent à l’épée pour mener leur duel "à la bassine", chacun portant la sienne, pleine d’eau, et se plongeant la tête dedans…


Ils, ce sont les Sans cou, un groupe d’amis constitués en compagnie dont ce Hamlet mis en scène par Igor Mendjisky était le quatrième spectacle. Les Sans cou osent; ça fonctionne admirablement sur le plateau, et leurs créations séduisent plus qu’elles ne heurtent. Jean-Paul Tribout a d’abord vu comment ils avaient accommodé Le plus heureux des trois de Labiche – C’était incroyablement gonflé dans le jeu… c’est un de ces spectacles où l'on se dit "ils ne vont pas oser, quand même!" et puis si, ils osent, et ça marche!" Le spectacle a failli venir à Sarlat, mais il me semblait qu’il n’était pas tout à fait abouti. Séduit, donc, mais pas entièrement convaincu… Jusqu’à ce qu’il voie leur Hamlet – et là c’était gagné: Shakespeare revu par les Sans cou était programmé au festival de Sarlat 2009.
Tous animés par une même énergie, une même fougue de jeunesse, un même enthousiasme créatif, ils parviennent à faire du théâtre avec trois fois rien. Et quel théâtre! Presque sans décor ni accessoires mais riche et profus, sous lequel on sent le foisonnement des idées. Sans cou, mais bourrés de talent et d’imagination…

 

 

Petite histoire de la compagnie et d’une certaine approche d’Hamlet
Florilège de propos recueillis lors des Rencontres de Plamon des 30 et 31 juillet 2009 en présence de Thibault Joulié (créateur lumières; régisseur et responsable technique de la compagnie), Igor Mendjisky (metteur en scène), Yves Jego (comédien, joue les rôles de Claudius et du Spectre).

 

Les Sans cou se connaissent bien: ils se sont rencontrés sur les bans de l’école d’art dramatique de Jean-Louis Martin-Barbaz et sont devenus amis. D’eux tous, seul Igor Mendjisky a fréquenté le Conservatoire. Avant Hamlet

Thibault Joulié:
… la compagnie a monté trois spectacles. Il y a eu d’abord deux petites créations que nous avons écrites nous-mêmes – nous en avions un peu marre de ne travailler que sur des classiques – où ça part un peu dans tous les sens. Puis le Cinéthéâtre 13 nous a commandé une comédie pour l’hiver. Nous avons donc choisi la pièce de Labiche, qui a plutôt bien marché, puis Igor et Romain (Cottard) ont décidé de monter Hamlet.
On n’a pas essayé à tout prix de "moderniser" la pièce – qui est déjà "moderne" mais on s’est efforcés de suivre Shakespeare et de faire du théâtre vivant. Tout le classicisme de la pièce est là; on a vraiment respecté tout ce que Shakespeare a écrit – il n’y a que très peu de modifications textuelles dans la traduction – et on a tâché de faire un spectacle jeune, où on est tous engagés à 100 % dès qu’on est sur le plateau. D’ailleurs, les comédiens ne le quittent presque jamais: il n’y a pas de sortie ni d’entrée de scène sauf cas exceptionnel.
La pièce a été jouée cinquante fois au Cinéthéâtre 13. La première date de tournée était pour le festival d’Anjou, où l’on a obtenu le prix des Compagnies, et Sarlat est notre deuxième date de tournée.


Ajustements et petits arrangements…
Jouer Hamlet en intégralité aboutit, au bas mot, à un spectacle dépassant allègrement les trois heures. Revue et corrigée par les Sans cou, la pièce dure environ 1h40… Comment en sont-ils arrivés là?
Thibault Joulié:
Il y a eu évidemment des coupes dans le texte – des scènes qui ont été coupées, d’autres qui ont été déplacées ou remaniées. Il faut savoir que toutes les pièces de Shakespeare ont été écrites de façon à ménager des temps de repos pour les comédiens – par exemple la scène des fossoyeurs, très courte et très comique, qui a vraiment été écrite pour que les comédiens se reposent – et aussi en fonction des habitudes du public, qui entrait, sortait pendant les représentations: il fallait donc introduire ici et là de petits "résumés" pour que le spectateur ne perde pas le fil. Or aujourd’hui, le public n’a plus du tout ce type de comportement; on a donc pu couper tous ces rappels. Et les acteurs sont dans une énergie de jeu différente de celle du temps de Shakespeare; on peut retrancher beaucoup de choses, pas forcément inintéressantes mais qui ne servent pas directement la pièce. On récupère dix minutes par-ci, cinq minutes par-là et, dans la mise en scène telle qu’on l’a conçue, ce n’est pas nécessaire de jouer Hamlet dans son intégralité. En revanche au niveau du rythme – il y a des moments très rapides, très vivants, mais aussi des passages plus lents – on respecte l’écriture de Shakespeare parce que c’est comme ça que ça doit se jouer.


Puisque le texte d’origine est en vieil anglais, la question de la traduction se pose – et, au fait, pourquoi entend-on ici et là quelques bribes d’anglais?
Igor Mendjisky:
Parce que c’est Shakespeare! Et puis après avoir vu le Hamlet de Peter Brook, en anglais, il m’a paru évident que certains mots ne pouvaient pas ne pas être dits en anglais…
Thibault Joulié:
Concernant la traduction, on est partis de celle qu’a faite François-Victor Hugo. Parce qu’on y trouve le romantisme qu’on voulait donner à la pièce, et aussi parce que c’est un texte magnifique, très bien écrit, qui traverse le temps. C’est la traduction qui nous a semblé la plus adaptable à notre projet. Et la plus belle…
Igor Mendjisky:
On a passé trois semaines à travailler avec sous les yeux toutes les traductions françaises de Hamlet et le texte d’origine. On est en effet partis du texte de François-Victor Hugo, dans lequel on a fait des coupes – on a d’abord obtenu une version d’environ deux heures, et là-dessus, on a affiné, on a encore enlevé des choses et on en a ajouté d’autres. Les apports personnels se situent surtout au niveau des petits dialogues, où l’on n’entend pas la grande poésie de Shakespeare: on s’est dit que là on pouvait retravailler un peu en impro et retrouver un rapport au texte plus direct. On a fait une sorte de montage. Et quand on sentait que le texte de François-Victor Hugo ne convenait plus, on regardait celui de Jean-Michel Desprats, le texte anglais… On a retraduit certains passages pour arriver à la version qu’on joue.
Yves Jego:
Il y a une multitude de choix possibles pour Hamlet, et le parti pris d’Igor a été la simplicité; pendant les répétitions il arrivait chaque jour en disant "Ce qui est important c’est qu’on raconte une histoire; à partir de là il faut être cohérent et emmener le spectateur". Les coupes et les récritures telles qu’on les a pratiquées réduisent et donnent du rythme: on avance très très vite dans l’histoire alors que Hamlet c’est d’abord une succession de monologues, ce qui est toujours un écueil. On avait pour objectif de ne jamais oublier qu’on racontait une histoire. Point. Après, chacun la reçoit de telle ou telle manière, et on peut théoriser sans fin sur Hamlet… En tout cas, la mise en scène d’Igor n’a pas pour but de donner un éclairage particulier à la pièce.
Thibault Joulié:
Il y a à la fois du drame et de la comédie. Mais dans la compagnie, on aime rire. Je trouve qu’Igor a très bien tiré parti de tous les moments comiques de la pièce; et rire à certains moments permet de pleurer là où l’on doit pleurer. Il me semble que l’équilibre est très bien fait.


Le personnage de Claudius
Entre jeans râpés et perruque hirsute, la tenue que porte l’oncle d’Hamlet n’a rien de très attrayant. Pourquoi ces choix vestimentaires?
Igor Mendjisky:
Dès qu’on a commencé à travailler la pièce, je savais que ce serait le même acteur qui jouerait le père d’Hamlet et Claudius. Il fallait qu’il y ait un vrai contraste entre les deux personnages. J’ai donc demandé à Yves d’être ce que dit Hamlet de son père quand il devait jouer ce rôle, c’est-à-dire quelqu’un de doux, avec une voix chaleureuse – un papa qu’on aimerait avoir. En revanche, Claudius m’est apparu comme quelqu’un de sale; un personnage qui est dans l’ombre et qui tout d’un coup prend la lumière en tuant son frère. Il fallait qu’il soit sale. J’en ai parlé à la costumière et celui qui a réalisé les costumes a fait une tenue un peu "rock dégoûtant" pour que Claudius devienne un personnage avec qui on n’a pas envie de parler, qui "sent mauvais" rien que par son aspect. Yves porte une perruque quand il incarne Claudius pour que le spectateur puisse distinguer l’oncle du père d’Hamlet.


hamlet_sans-cou_bassine.jpgLe duel aux bassines…
Igor Mendjisky:
On a d’abord essayé de jouer un vrai duel, avec des armes. Or les comédiens – je ne dis pas cela pour leur jeter la pierre! – n’étaient pas spécialement doués en escrime. Et si on n’est pas un bon bretteur, à quoi bon faire un duel à l’épée? De plus, la salle du Cinéthéâtre 13, où le spectacle a été créé, est toute petite, et il y avait quelque chose qui clochait. On ne pouvait pas jouer un duel à l’épée… il fallait donc qu’on trouve une solution pour faire un duel sans armes. On a expérimenté plusieurs choses, et puis un soir, en fin de répétition, Clément passe devant moi en disant "moi je pense qu’il faut de l’eau". Et il s’en va… En rentrant chez moi, je me suis mis à cogiter… Il faut de l’eau! Le lendemain matin je suis allé au Monoprix, j’ai acheté deux bassines en plastique, et je suis arrivé en répétition en disant aux comédiens: "On va essayer de faire un combat avec la tête dans les bassines." Ils m’on regardé bizarrement… puis on a essayé. Je pensais à la fois au supplice de la baignoire, à des enfants qui se lancent des défis – par exemple rester le plus longtemps possible sous l’eau… En essayant on s’est rendu compte que relever la tête hors de la bassine, avec les éclaboussures d’eau, était beaucoup plus violent qu’un coup de bâton. Je me suis dit que ça marchait, que ça allait être ça, le duel. Ensuite, on a passé pas mal de temps à bricoler les bassines pour que l’eau se reflète sur les murs – on a fixé des lampes au fond avec du scotch… C’est très artisanal! Quant au texte que disent les comédiens pendant le duel, il s’agit des didascalies: comme le duel se joue sans arme, il fallait qu’on entende son déroulement – par exemple Hamlet attaque en pointe, etc. – pour retrouver la texture du combat armé… sans les armes.

LE to be or not to be...
Igor Mendjisky:

Je n’ai pas souhaité ne pas le prononcer, l'idée est venue très vite, en répétition. Ça s'est produit de façon assez bizarre… Ce monologue est tellement énorme! Quand on va voir Hamlet, on se demande tous plus pu moins comment va être dit être ou ne pas être, to be or not to be. On s’est dit que ce monologue ne devait pas être une grosse réflexion intérieure et que Shakespeare écrivait pour un acteur qui parle au public. Être ou ne pas être, telle est la question… c’est vraiment quelqu’un qui se lève et demande à la cantonade "Être ou ne pas être c’est quoi la question???" On a alors décidé qu’on allait jouer ce monologue et cette réplique tellement puissants comme une sorte de grand cours universel, comme si on se faisait cours à soi-même... et on a écrit la réplique... De cette façon, on coupait court aux rerpoches: on n’allait pas pouvoir nous reprocher de ne pas l’avoir dite, ni la façon dont on l’aurait dite. Et puis il y avait aussi une volonté de surprendre le spectateur qui attend tellement ces mots, lesquels finalement n’arrivent pas...

 

hamlet_sans-cou-craie.jpg

Le salut
Igor Mendjisky:
On salue comme ça depuis qu’on a créé la compagnie; on l’a volé à Jacques Brel quand il chante "Au suivant!"

 

 

Hamlet
de William Shakespeare – Texte français de François-Victor Hugo.
Adaptation:
Igor Mendjisky et Romain Cottard
Mise en scène:
Igor Mendjisky assisté de Clément Aubert
Avec:
Clément Aubert, James Champel, Romain Cottard, Fanny Deblock, Yves Jego, Imer Kutllovci, Dominique Massat, Arnaud Pfeiffer
Costumes:
May Katrem
Lumières:
Thibault Joulié
Musique:
Hadrien Bongue
Durée:
1h40
Compagnie Les Sans cou


Représentation donnée à Sarlat le 30 juillet 2009 au Jardin des Enfeus.

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