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17 août 2011 3 17 /08 /août /2011 12:02

don-juan-huster-TN.jpgLe mythe, les femmes, la Mort


Le Don Juan 2011 de la Troupe de France, menée par Francis Huster, était sans doute LE spectacle le plus attendu du festival; dernier à avoir les honneurs de la place de la Liberté, il fut surtout le premier à afficher complet, peu de temps après que la billetterie eut été ouverte. Les organisateurs, qui avaient invité le spectacle alors qu'il n'existait pas encore, ont dû se sentir récompensés d'avoir pris le risque de ne se fier qu'à la qualité d'un projet... Il faut dire que le risque était minime: comment imaginer que le Don Juan de Molière, mis en scène par Francis Huster et avec Francis Huster dans le rôle-titre, puisse être boudé par le public? Par ailleurs inscrit dans la perspective du double hommage que le metteur en scène souhaitait rendre à Louis Jouvet et Jean Vilar, ce Don Juan 2011 se parait d’une aura supplémentaire. Sans compter que le rôle de Sganarelle était joué par Francis Perrin, une autre vedette bien connue du (très) grand public. Une affiche rutilante! Mais ce qui brille n’est pas toujours d’or, et derrière l’affiche alléchante je me suis trouvée face à un spectacle qui m’a beaucoup déçue.

 

L’ouverture déjà déconcerte: en lieu et place du préambule attendu – en 1951, en Avignon, des comédiens sont interrompus dans leur travail de répétition par l’annonce de la mort de Louis Jouvet. Jean Vilar décide alors, en son honneur, de monter son Don Juan – qui eût justifié les costumes adoptés, évidemment contemporains, et le cadre que l’on devine être le hall d’un grand hôtel, on entend Edith Piaf chanter de toute sa voix "Non, je ne regrette rien" pendant qu’arrivent sur la scène les protagonistes de la pièce qui vont s’asseoir les uns après les autres sur des chaises disposées en rang d’oignon. Assurément, Don Juan est un personnage qui "ne regrette rien" , et qui "se fout du passé", faisant de lui table rase chaque fois qu’il se lance dans une nouvelle entreprise de séduction. Mais pourquoi avoir confié à la célèbre chanson le soin d’annoncer ce trait de caractère – d'autant qu'elle n'a aucun rapport avec l'année 1951, puisqu'elle n'était pas encore écrite? Plus étrange encore, cette femme qui vient arpenter le devant de scène comme si elle défilait sur un podium, perchée sur d’élégants escarpins et couverte d’un voile noir transparent sous lequel on aperçoit un manteau ocellé d’où dépassent des franges argentée – est-ce une façon discrète de signaler que l’on doit les costumes à la Maison Dior? On saura à la fin qui elle est, et que sa prime apparition relève aussi d’un effet d’annonce. Son allure et sa gestuelle de mannequin n’en posent pas moins question…
 

 

Et tout au long du spectacle d’autres questions ont surgi: pourquoi la distinction sociale entre maîtres et valets, qui participe du sens de la pièce, a-t-elle disparu – tous les hommes portent en effet des sortes de smoking à peu près identiques? Que viennent faire dans un grand hôtel les paysans de Molière – qui, d’ailleurs, sont là sans y être: Pierrot, Charlotte, Mathurine paraissent et tiennent leur rôle mais avec des vêtements qui n’évoquent même pas la paysannerie du milieu du XXe siècle et disant phonétiquement le texte tel que Molière l’a écrit – au XVIIIe siècle il correspondait à la transcription d’un certain parler paysan mais aujourd’hui il ne renvoie plus à rien. Pourquoi entre deux actes réentend-on "Non, je ne regrette rien", en version DJ cette fois, tandis que Le Pauvre exécute un numéro de break dance – on s'éloigne de 1951... Quant à la façon dont a été traité le personnage d’Elvire, je ne l’ai pas comprise. Pourquoi apparaît-elle d’abord moulée dans un fourreau en lamé jetant mille feux, louvoyant autour de Don Juan comme une vamp rompue à l’art de croquer les hommes, pour ensuite se présenter à Don Juan en se dépouillant de la gaze noire qui la couvre des pieds à la tête et sous laquelle elle est entièrement nue? Bien sûr, elle n’a plus rien puisqu’elle a renoncé à sa vengeance comme à son amour. Mais n'est-ce pas un moyen trop explicite pour exprimer le dénuement de l'âme et du cœur que de se mettre ainsi à nu?


Nous ne devons qu’être des ouvriers du mot, des artistes du verbe, des serviteurs du sentiment, écrit Francis Huster dans une note d’intention présentant son approche de la mise en scène*. On ne peut que souscrire à cette assertion, ainsi qu’à la manière dont il invite, plus loin, à l’humilité face à un texte qui, plus de trois cents ans après sa rédaction, n’est plus seulement "ce texte" mais aussi la somme des mises en scène qui l’ont jusqu’à aujourd’hui porté sur les planches. Dans cette note Francis Huster est brillant, pertinent, humble – magistral et clair en deux mots. Malheureusement, je n’ai pas trouvé que sa mise en scène reflète les intentions déclarées là… Si le décor en effet est réduit au strict et seul minimum de meubles [requis] pour jouer Don Juan – une table recouverte d’une nappe blanche, des chaises de bois doré à l’assise de velours rouge – le spectacle entier baigne dans une espèce d’exhibitionnisme bizarre, où ont été multipliés des effets qui monopolisent l’attention et la détournent du texte. Au milieu de ce tape-à-l’œil général, Francis Perrin campe un Sganarelle tout en finesse: sans criailler ni outrer son jeu, il parvient à manifester par des glissements très nuancés de mimiques et d’intonations la poltronnerie, la générosité, l’attachement à son maître… et quand le texte lui impose d’être un peu ridicule, il l’est avec élégance et discrétion. Chapeau bas! Francis Huster, lui, est un Don Juan magnifiquement exécrable dont toute la sinistre arrogance est astucieusement soulignée par ces cigarettes qu’il a sans cesse au bout des doigts – mais il y a une part d’ostentation dans son interprétation qui finit par gêner.
 

 

C’est, in fine, un spectacle clinquant, confus, qui produit beaucoup de sens mais de manière trop profuse pour être signifiante; il y a cependant de beaux choix scéniques, et les comédiens sont tous de formidables artistes du verbe.

 

* Texte publié dans un petit livret promotionnel édité par L’atelier Théâtre actuel, tourneur du spectacle, vendu 5 euros lors de la représentation.

 

 

Don Juan ou le festin de pierre
Comédie en cinq actes et en prose de Molière.
Mise en scène :
Francis Huster
Avec :
Pierre Boulanger, Dorel Brouzeng-Lacoustille, Valérie Crunchant, Pauline Deshons, Olivier Dote-Doévi, Simon Eine, Romain Emon, Frédéric Haddou, Francis Huster, Sylvain Mossot, Francis Perrin, Frédéric Siuen, Géraldine Szajman, Gaïa Weiss
Costumes :
Maison Dior

Durée :
2h10


Représentation donnée le dimanche 24 juillet sur la place de la Liberté.

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