Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 novembre 2015 7 15 /11 /novembre /2015 13:47

C’est, à Paris et en Île-de-France, une très belle journée d’automne que ce dimanche 15 novembre: la température est douce, le vent d’une force modérée – arbres et buissons bruissent une mélodie légèrement entêtante; les feuilles mortes se soulèvent et retombent comme animées d’une respiration ample et régulière; les stores de plastique à demi baissés frémissent; le pas du marcheur se dilate sous une poussée allègre – et dans le ciel bleu pur, quasi sans nuages, luit un soleil resplendissant, bas sur l’horizon, dispensant une lumière longue qui approfondit les couleurs et embrase les teintes feu des feuillages. C’est une journée météorologiquement magnifique; dans la cour de ma résidence des enfants rient en jouant, des chiens tout à leur sortie matinale folâtrent tandis que leurs maîtres bavardent paisiblement avec des passants.

Pourtant, quelques dizaines d’heures à peine se sont écoulées depuis les attentats perpétrés dans la nuit de vendredi à samedi; les scènes de crime sont encore brûlantes d’horreur, maculées de sang, encombrées de gravats, les échos des explosions et des tumultes de panique qui leur ont succédé semblent continuer de se répercuter, recouvrant de leurs ondes terribles les bruits ordinaires du monde… La vie de certains blessés graves reste menacée de s’éteindre à tout instant – et en suspens eux aussi, amis et parents inquiets se tiennent à leurs côtés, accrochés au moindre signe qui pourrait se donner à lire sur leur corps, ne tenant plus au réel que par cette attention rivée à l’être souffrant. Quant aux rescapés, ils seront traumatisés à jamais, tout comme ceux qui doivent prendre le deuil parce qu’un des leurs a péri dans la tragédie. C’est un séisme dont les répliques vont se propager longtemps; un abîme s’est creusé dont on se dit qu’il n’est pas près de se fermer. Malgré tout, il est difficile de ne pas songer que les jours vont continuer de se lever au sortir des nuits et les nuits de venir après les jours radieux ou moroses, tempétueux ou calmes selon des humeurs météorologiques peu soucieuses de se mettre au diapason des déchirements humaines.
Le «cours des choses» taille sa route, bête entêtée…

Entre le 1er mai et le 4 juin 1937, Picasso peignait Guernica en réaction au bombardement de la petite ville espagnole par les avions allemands, survenu le 26 avril. Cette œuvre ne m’avait jamais vraiment émue, j’étais juste esthétiquement troublée, vaguement rebutée par ces corps violemment malmenés, distordus, ces angles durs et ces proportions disharmonieuses. Mais aujourd’hui, alors même que j’ai la chance d’avoir été épargnée par les attentats puisque je n’ai pas été physiquement atteinte et n’ai perdu dans la tragédie personne que je connaisse, ayant donc la chance d’être «en distance» d’un point de vue personnel par rapport à l’horreur, et me souvenant de ce que tout récemment j’écoutais, dans le cadre d’un cours en ligne consacré à Picasso, une analyse détaillée de cette toile et de sa genèse, c’est une sorte de lumière qui se fait en moi. Tout d’un coup m’apparaît qu’il ne peut y avoir d’image plus appropriée que cette toile pour dire, dans le silence d’un objet purement visuel, l'espace réduit à la planéité des deux dimensions, et l’immobilité atemporelle d’une chose peinte, l’inexprimable chaos consécutif à une tuerie, les bruits assourdissants, les senteurs âcres des matières et des chairs calcinées, la vertigineuse rapidité des mouvements désordonnés qui s’enchaînent, les foules en panique…

Guernica, ou la parfaite représentation de tous les carnages...

Chaos
Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Terres nykthes
  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
  • Contact

Aux Manettes...

  • Yza
  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui
  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui

Recherche

Articles Récents

  • Rapace giratoire
    Le besoin – le besoin, non le désir, ou l’envie, ni même la pulsion au sens d’inclination incontrôlée quasi pathologique – de former des phrases, un texte, qui emprisonnent des fulgurances (constats, sentiments/sensations, pensées, résurgences, développements...
  • Réveil sur le fil noir de la mélancolie
    Plantée au cœur de la nuit L’insomnie. Le vaste blanc du sommeil interrompu – sans brutalité, comme cela… avec une douceur de voile qu’on soulève. Corps délassé, souffle ample, cœur lent... mais de sommeil, point. Yeux clos, sur le dos, je suis d'une...
  • Être là le 9 avril 2024 ...
    …et mettre en ligne une page de journal écrite le matin même. De retour à Gourdon et prise dans les lises infiniment visqueuses des démarches, des paperasses, des formalités dont je ne savais pas un traître mot jusqu’à ce que la mise en vente du Barry...
  • D'outre-tombe, peut-être...
    Serai-je sortie vivante du voyage? Malgré ce sentiment de mort imminente, qui rend toutes choses futiles, dérisoires, risibles (au premier chef desquelles ces microscopiques réalisations que l'on tient pour si importantes parce qu'en elles tient, croit-on,...
  • Ci-gît...
    Demain je pars. Une fois de plus, seule et au volant, le trajet en voiture vers Gourdon. Et toujours la même terreur, la même sensation d'aller vers l'abîme. Certes justifiée désormais par le danger, réel, que représente un parcours routier pour une conductrice...

Pages