Il y a , pour moi, deux façon d’aller au théâtre: la «manière nue», consistant à assister à une représentation en ne sachant rien autre de l’œuvre jouée que ce qu’en dit le programme – éventuellement étoffé de ce qu'exposent un dossier de presse, une note d’intention du metteur en scène (ou de l’auteur lorsque les deux se confondent), le site web de la compagnie –, et l’autre, en un bien moins simple appareil – celle-là même que je conçois de moins en moins de ne pas adopter – et déclinant plusieurs degrés de vêture, allant de la simple lecture du texte, théâtral ou non, porté à la scène jusqu’à l'exploration à l’entour de celui-ci de documents divers, touchant au contexte historique, à l'auteur... en passant par la lecture du roman d'origine et de son adaptation quand le spectacle est issu d’un texte dramatique écrit d'après une œuvre romanesque – comme l'est Voyages avec ma tante, pièce que Giles Havergal a écrite, en anglais, à partir du roman éponyme de Graham Greene (pour ne mentionner, à titre d'exemple, que ce spectacle vu à Sarlat cet été, auquel je n'ajouterai pas La Vénus à la fourrure puisque la pièce de David Ives n'est pas une adaptation du roman de Sacher-Masoch).
La «manière nue» reste synonyme d'une certaine superficialité, comme si elle ne permettait de voir que l'ombre portée d'un objet théâtral, la projection fragile et seulement en surface du travail en profondeur qu'ont fait en amont de la représentation metteur en scène et comédiens. Comment en effet dépasser la posture pour le moins rudimentaire du jugement affectif – j'aime / je n'aime pas, toutes les nuances jouant entre ces eux pôles comprises – si l'on n'a pas au moins lu le texte représenté? Mais lire le texte dans le silence de l'intime tête-à-tête a aussi l'inconvénient de verrouiller l'esprit sur cette "idiolecture" et, peut-être alors, d'empêcher de bien entendre celle qu'en proposeront les artistes? D'autant que l'on peut très bien, et de cela j'ai souvent fait l'expérience, être très profondément atteint par un spectacle de théâtre en allant au-devant de lui l'esprit et le cœur nus, dépourvu de toute connaissance préalable et en étant simplement grand ouvert à ce qui advient.
Ainsi faudrait-il idéalement pouvoir aller au théâtre en ayant cette nudité intérieure qui laisse transparent à l'avènement, tout en portant les habits de savoir sous lesquels l'âme se réchauffe et grandit de toujours apprendre davantage, grâce à quoi toute chose perçue prend une épaisseur, une densité dont la seule conscience procure une immense joie... Ou alors savoir se dépouiller à temps de son vêtement d'érudition quand on en possède un, le ranger de côté, pour ne s'en recouvrir qu'après s'être laissé traverser – et sans doute est-ce là l'attitude la plus juste, celle des "grands" spectateurs de théâtre ("grands" employé au sens d' "éminents" car je crois qu'il y a de "grands" spectateurs comme il y a de "grands" artistes; ce sont les "rencontres de Plamon" qui me soufflent cette idée, pour m'avoir toutes confrontée à une fascinante diversité d'interventions parmi le public présent...)