Noter vite, ne pas redouter l'illisibilité ni la relégation de la paperolle en une zone obscure d'où il sera presque impossible de la déloger parce qu'on en aura tout bonnement oublié l'existence: toutes stratégies restant cependant de quelque utilité pour lutter contre l'éphémérité, même quand on laisse, comme je le fais de plus en plus souvent, choir les mots. Car sous l'aride blancheur des mots chus, subsistent mille fragments que je n'ai su prendre dans les rets phrastiques auxquels je les destinais ‒ ils sont là, tels ces pauvres vestiges que mettent au jour les archéologues, minuscules tessons dont ils feront un vase, lambeaux de papyrus dont ils déduiront un poème... ne tenant pas debout par eux-mêmes mais riches d'assez de signes pour que l'on se pense capable de reconstruire autour d'eux. Dans ces agglomérats survit un peu de sens, comme la braise continue de vibrer sous la cendre. Et quand viennent des moments où se fait pressant le besoin de ne plus se satisfaire, en guise de textualisation, de ces «commentaires» déposés au bas d'un article «interactif», pouvoir retrouver ces morceaux est une salutaire respiration, et une solide motivation pour mener jusqu'au bout l'effort d'écriture.
Ah! funeste «commentaire» ‒ funeste parce que cette forme encourage à s'abandonner aux réactions épidermiques dont on sait combien elles sont porteuses d'erreurs, et entretient l'illusion que l'on a «dit quelque chose» dès lors qu'on a lâché ses coups de sang en tapotant à toute vitesse sur son clavier, sans se relire sinon pour corriger les fautes les plus grossières. Or je ne pense pas que l'on «dise» quoi que ce soit de quelque densité sans prendre le temps de la réflexion et en laissant filer son texte sur le seul fil tendu d'une émotion portée à son comble ‒ laquelle est d'ailleurs presque toujours de la colère, rarement un enthousiasme. Funeste commentaire, dis-je? Certes! il n'empêche que je m'y suis adonnée comme une forcenée ces derniers temps, heureuse de pouvoir évacuer un trop-plein d'indignation dans le feu d'un tapotage furieux et continu où mes yeux, quittant de temps à autre le clavier pour un rapide regard à l'écran, voyaient à peine ces sinusoïdes rouges surgissant de toutes parts qui font loupioter les mots dès qu'un écart est repéré par le logiciel de vérification orthographique. Avant de poster le «commentaire», tout de même, une pause-relecture ‒ rapide: juste pour éteindre les loupiotages intempestifs, mais surtout sans aller jusqu'à réfléchir aux inévitables raccourcis et apories dont sont inévitablement truffés les propos lâchés trop impulsivement.
Je ne puis nier que cela m'a soulagée. Mais bien éphémèrement, avec au bout du compte un lourd regret dont le poids ne faisait que croître tandis que je «commentais» plus frénétiquement: celui d'avoir baissé les bras devant l'effort qu'eût demandé de consacrer assez d'énergie scripturale à ce qui en aurait pourtant mérité bien plus que ces stupides jets de fiel entachant le bas d'une page web, qui ne modifient en rien ce qui les a suscités et qui, en plus, n'ont même pas cet inénarrable tranchant que savent donner à leurs piques venimeuses et vengeresses les vrais écrivains... Fustiger les ignobles, les sots et les grotesques est un art dont je ne détiens aucune clef, je devrais donc me contenter, si j'avais un peu de sagesse, de cuver en silence les insupportables irritations que me causent ces ignobles sans en abreuver aucun coin de Toile: qu'il me suffise de laisser à ceux qui en ont le talent le soin de les clouer au pilori, et de m'abstenir de sombrer moi-même dans la sottise que je prétends exécrer en m'abandonnant à prononcer de trop brefs avis.

Sous la blancheur, donc, des silences amers, outre ces bribes retrouvées que je ne désespère pas de reprendre, cette précieuse brochure reçue courant mai, le programme qu'elle contient ayant été arrêté dès janvier, présenté à la presse le 8 avril, et mis en ligne peu après. Autant d'étapes auxquelles je suis restée sourde. Compulsée sitôt reçue mais sans que je puisse aller au-delà de la petite exploration personnelle, la tenant donc cachée sous une pile de papiers histoire de ne pas trop songer à ma surdité et croyant que j'allais bientôt pouvoir dépasser ce stade, rompant enfin avec mon penchant pour la sempiternelle procrastination. Eh non. Déjà, demain lundi 1er juillet, ouverture de la billetterie... Étonnamment, et comme annonçant à l'avance le morne silence par lequel je l'accueillerai, la couverture du fascicule est blanche ‒ pour la première fois depuis que je suis assidûment le festival, l'on a abandonné le rouge profond, n'en conservant qu'un mince bandeau dans la partie supérieure où survit la charte graphique à laquelle j'étais habituée, pour déployer un blanc immaculé où s'ouvre grand un œil noir qui, en cette année égyptomaniaque, aura tôt fait d'évoquer l'oudjat mais dont on voit vite qu'il est plutôt une reprise stylisée d'un des deux yeux du logo festivalier. Et au centre, en guise de pupille, un cercle habilement dessiné par la superposition des noms-vedettes de l'affiche. Des auteurs majuscules de notre littérature, dont le toujours-là Molière. Enfin «majuscules»... je doute qu'Annie Erneaux soit aussi majuscule que Flaubert ou James Joyce, auteurs bien présents à l'affiche qui, eux, eussent mieux été à hauteur de Hugo, Proust ou Céline. Mais sans doute leurs noms n'eussent-ils pas permis de dessiner aussi bien la circularité de la pupille. À moins que l'on ait voulu éviter d'avoir une couverture trop entièrement masculine?
Comme chaque année, des spectacles tout auréolés de mystère qui se présentent à moi dans la seule vêture que leur a donnée la personne ayant rédigé les résumés et dont j'ai bien du mal à savoir s'ils m'attirent ou non, d'autres que de toute façon j'irai voir parce que l'auteur, parce que le titre... ainsi l'adaptation de Voyage au bout de la nuit ‒ par Franck Desmedt, à voir le mercredi 31 juillet à l'abbaye Sainte-Claire ‒ ou Ruy Blas, l'une de ces pièces dont le texte suffit à m'emporter mais que je suis toujours curieuse de découvrir à travers le prisme d'une mise en scène particulière, a fortiori si le metteur en scène m'est inconnu, comme cette année Roch-Antoine Albaladéjo, qui proposera son spectacle le mercredi 24 juillet sur la place de la Liberté. Et puis d'autres enfin que j'irai voir de toute façon quel que soit le texte qui les fondent parce que les artistes qui les montent me sont chers ‒ ainsi Xavier Lemaire et Isabelle Andréani, respectivement metteur en scène et interprète d'Un cœur simple de Flaubert, à voir le vendredi 2 août à l'abbaye Sainte-Claire. Quant au Molière de l'année, Les Fourberies de Scapin... que ferai-je? J'ai vu à Sarlat deux mises en scène très différentes, l'une signée Arnaud Denis où, au summum de sa félinité, il incarnait le facétieux valet; une autre en 2016 montée au Jardin du Plantier par Jean-Philippe Daguerre; Kamel Isker y campait un Scapin formidable, donnant raison à Jean-Paul Tribout qui l'avait présenté comme «un jeune comédien bourré de talent». Mais je doute d'aimer assez ce texte pour avoir envie de me confronter à une troisième mise en scène. Quoique... Il me faut compter avec «l'effet Plamon»: il ne s'est pas passé une année sans que ces rencontres matinales entre public et artistes fassent naître en moi l'irrésistible envie d'aller vers au moins un spectacle ‒ mais le plus souvent, plusieurs ‒ que de prime abord j'aurai négligé. Et je m'en suis presque toujours félicitée. Cette année ne devrait pas faire exception.
68e ÉDITION DU FESTIVAL DES JEUX DU THÉÂTRE DE SARLAT
Du samedi 20 juillet au lundi 5 août.
Programme accessible en ligne.
Ouverture de la billetterie: lundi 1er juillet.
Informations concernant la location: sur cette page.