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30 juin 2019 7 30 /06 /juin /2019 12:50

Noter vite, ne pas redouter l'illisibilité ni la relégation de la paperolle en une zone obscure d'où il sera presque impossible de la déloger parce qu'on en aura tout bonnement oublié l'existence: toutes stratégies restant cependant de quelque utilité pour lutter contre l'éphémérité, même quand on laisse, comme je le fais de plus en plus souvent, choir les mots. Car sous l'aride blancheur des mots chus, subsistent mille fragments que je n'ai su prendre dans les rets phrastiques auxquels je les destinais ‒ ils sont là, tels ces pauvres vestiges que mettent au jour les archéologues, minuscules tessons dont ils feront un vase, lambeaux de papyrus dont ils déduiront un poème... ne tenant pas debout par eux-mêmes mais riches d'assez de signes pour que l'on se pense capable de reconstruire autour d'eux. Dans ces agglomérats survit un peu de sens, comme la braise continue de vibrer sous la cendre. Et quand viennent des moments où se fait pressant le besoin de ne plus se satisfaire, en guise de textualisation, de ces  «commentaires» déposés au bas d'un article «interactif», pouvoir retrouver ces morceaux est une salutaire respiration, et une solide motivation pour mener jusqu'au bout l'effort d'écriture.

Ah! funeste «commentaire» ‒ funeste parce que cette forme encourage à s'abandonner aux réactions épidermiques dont on sait combien elles sont porteuses d'erreurs, et entretient l'illusion que l'on a «dit quelque chose» dès lors qu'on a lâché ses coups de sang en tapotant à toute vitesse sur son clavier, sans se relire sinon pour corriger les fautes les plus grossières. Or je ne pense pas que l'on «dise» quoi que ce soit de quelque densité sans prendre le temps de la réflexion et en laissant filer son texte sur le seul fil tendu d'une émotion portée à son comble ‒ laquelle est d'ailleurs presque toujours de la colère, rarement un enthousiasme. Funeste commentaire, dis-je? Certes! il n'empêche que je m'y suis adonnée comme une forcenée ces derniers temps, heureuse de pouvoir évacuer un trop-plein d'indignation dans le feu d'un tapotage furieux et continu où mes yeux, quittant de temps à autre le clavier pour un rapide regard à l'écran, voyaient à peine ces sinusoïdes rouges surgissant de toutes parts qui font loupioter les mots dès qu'un écart est repéré par le logiciel de vérification orthographique. Avant de poster le «commentaire», tout de même, une pause-relecture ‒ rapide: juste pour éteindre les loupiotages intempestifs, mais surtout sans aller jusqu'à réfléchir aux inévitables raccourcis et apories dont sont inévitablement truffés les propos lâchés trop impulsivement.

Je ne puis nier que cela m'a soulagée. Mais bien éphémèrement, avec au bout du compte un lourd regret dont le poids ne faisait que croître tandis que je «commentais» plus frénétiquement: celui d'avoir baissé les bras devant l'effort qu'eût demandé de consacrer assez d'énergie scripturale à ce qui en aurait pourtant mérité bien plus que ces stupides jets de fiel entachant le bas d'une page web, qui ne modifient en rien ce qui les a suscités et qui, en plus, n'ont même pas cet inénarrable tranchant que savent donner à leurs piques venimeuses et vengeresses les vrais écrivains... Fustiger les ignobles, les sots et les grotesques est un art dont je ne détiens aucune clef, je devrais donc me contenter, si j'avais un peu de sagesse, de cuver en silence les insupportables irritations que me causent ces ignobles sans en abreuver aucun coin de Toile: qu'il me suffise de laisser à ceux qui en ont le talent le soin de les clouer au pilori, et de m'abstenir de sombrer moi-même dans la sottise que je prétends exécrer en m'abandonnant à prononcer de trop brefs avis.

Sous la blancheur, donc, des silences amers, outre ces bribes retrouvées que je ne désespère pas de reprendre, cette précieuse brochure reçue courant mai, le programme qu'elle contient ayant été arrêté dès janvier, présenté à la presse le 8 avril, et mis en ligne peu après. Autant d'étapes auxquelles je suis restée sourde. Compulsée sitôt reçue mais sans que je puisse aller au-delà de la petite exploration personnelle, la tenant donc cachée sous une pile de papiers histoire de ne pas trop songer à  ma surdité et croyant que j'allais bientôt pouvoir dépasser ce stade, rompant enfin avec mon penchant pour la sempiternelle procrastination. Eh non. Déjà, demain lundi 1er juillet, ouverture de la billetterie... Étonnamment, et comme annonçant à l'avance le morne silence par lequel je l'accueillerai, la couverture du fascicule est blanche ‒ pour la première fois depuis que je suis assidûment le festival, l'on a abandonné le rouge profond, n'en conservant qu'un mince bandeau dans la partie supérieure où survit la charte graphique à laquelle j'étais habituée, pour déployer un blanc immaculé où s'ouvre grand un œil noir qui, en cette année égyptomaniaque, aura tôt fait d'évoquer l'oudjat mais dont on voit vite qu'il est plutôt une reprise stylisée d'un des deux yeux du logo festivalier. Et au centre, en guise de pupille, un cercle habilement dessiné par la superposition des noms-vedettes de l'affiche. Des auteurs majuscules de notre littérature, dont le toujours-là Molière. Enfin «majuscules»... je doute qu'Annie Erneaux soit aussi majuscule que Flaubert ou James Joyce, auteurs bien présents à l'affiche qui, eux, eussent mieux été à hauteur de Hugo, Proust ou Céline. Mais sans doute leurs noms n'eussent-ils pas permis de dessiner aussi bien la circularité de la pupille. À moins que l'on ait voulu éviter d'avoir une couverture trop entièrement masculine?

Comme chaque année, des spectacles tout auréolés de mystère qui se présentent à moi dans la seule vêture que leur a donnée la personne ayant rédigé les résumés et dont j'ai bien du mal à savoir s'ils m'attirent ou non, d'autres que de toute façon j'irai voir parce que l'auteur, parce que le titre... ainsi l'adaptation de Voyage au bout de la nuit ‒ par Franck Desmedt, à voir le mercredi 31 juillet à l'abbaye Sainte-Claire ‒ ou  Ruy Blas, l'une de ces pièces dont le texte suffit à m'emporter mais que je suis toujours curieuse de découvrir à travers le prisme d'une mise en scène particulière, a fortiori si le metteur en scène m'est inconnu, comme cette année Roch-Antoine Albaladéjo, qui proposera son spectacle le mercredi 24 juillet sur la place de la Liberté. Et puis d'autres enfin que j'irai voir de toute façon quel que soit le texte qui les fondent parce que les artistes qui les montent  me sont chers ‒ ainsi Xavier Lemaire et Isabelle Andréani, respectivement metteur en scène et interprète d'Un cœur simple de Flaubert, à voir le vendredi 2 août à l'abbaye Sainte-Claire. Quant au Molière de l'année, Les Fourberies de Scapin... que ferai-je? J'ai vu à Sarlat deux mises en scène très différentes, l'une signée Arnaud Denis où, au summum de sa félinité, il incarnait le facétieux valet; une autre en 2016 montée au Jardin du Plantier par Jean-Philippe Daguerre; Kamel Isker y campait un Scapin formidable, donnant raison à Jean-Paul Tribout qui l'avait présenté comme «un jeune comédien bourré de talent». Mais je doute d'aimer assez ce texte pour avoir envie de me confronter à une troisième mise en scène. Quoique... Il me faut compter avec «l'effet Plamon»: il ne s'est pas passé une année sans que ces rencontres matinales entre public et artistes fassent naître en moi l'irrésistible envie d'aller vers au moins un spectacle ‒ mais le plus souvent, plusieurs ‒ que de prime abord j'aurai négligé. Et je m'en suis presque toujours félicitée. Cette année ne devrait pas faire exception.

68e ÉDITION DU FESTIVAL DES JEUX DU THÉÂTRE DE SARLAT
Du samedi 20 juillet au lundi 5 août.
Programme accessible en ligne.
Ouverture de la billetterie: lundi 1er juillet.
Informations concernant la location: sur cette page.

 

 

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27 juin 2019 4 27 /06 /juin /2019 12:15

Blanc comme "silence" - "absence", "oubli".

Blanc comme le point le plus cru que puisse atteindre une luminosité avant qu'aveuglé on cesse de la voir.

Blanc comme le son d'une voix portée au plus ténu du murmure et que l'on n'entend plus fors la trace qu'elle laisse, accrochée tel un lambeau aux syllabes jetées dans un souffle.

Blanc comme l'abîme ouvert au seuil de la parole par le mot perdu, disparu, celui qu'on ne sait pas prononcer pour en appeler d'autres et ainsi faire phrase, donner à l'idée son essor.

Depuis le 20 mai où déjà le "désastre" sentait son tas de poussière, c'est un peu comme si j'avais  avancé à travers un monceau de mots aptères, chus faute d'avoir été agrégés à d'autres pour pouvoir tenir haut leur sens et faire signe - des mots desséchés, en décomposition, que chacun de mes pas disperse en volutes pulvérulentes et qui s'effritent en particules plus infimes encore si d'aventure je tends les doigts pour tâcher de les retenir.

RIEN, donc, devant mes pieds que ces amas de mots défaits, trop affaiblis pour se défroisser et retrouver tout leur potentiel de sens, mais pas assez dégradés pour ne pas obscurcir le grand blanc de la mutité et lui conserver son absoluité qui, intacte, possède au moins quelque vertu enivrante.

 

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20 mai 2019 1 20 /05 /mai /2019 04:07

Voici quelques jours une séance de tirage a viré à la catastrophe. Une catastrophe pas vraiment annoncée car rien dans les premiers tests ne laissait prévoir de défauts rédhibitoires sur l'image, préalablement sélectionnée sur planche contact après scrutation attentive au compte-fil. Une fois les critères d'exposition déterminés, la voie était ouverte pour le tirage grand format. Mais lorsque je  sors l'épreuve de son bain de rinçage des plages de flou inattendues se révèlent... je refais la mise au point, mais le négatif bouge légèrement alors il faut réajuster les réglages... et la seconde épreuve est pire que la précédente, pas même regardable, bonne pour la poubelle: j'ai laissé l'optique à pleine ouverture après avoir réglé la mise au point. Qu'à cela ne tienne: troisième épreuve. Avec cette fois une vigilance accrue, des vérifications redoublées. Nouvelle déception: du flou toujours où il n'y en avait pas d'abord... et rien qui permette d'expliquer pourquoi une zone de l'image s'est floutée en cous de route. Or comment résoudre un problème quand on ne comprend pas ce qui le cause?
Alors c'est l'abandon. J'arrête là les frais. Mais je garde en mémoire la vision persistante de ce tirage tout amolli par ces flous inexplicables et, tournant en boucle comme une obsession mauvaise, la succession de mes gestes sous l'agrandisseur, le passage de la feuille de papier dans ses bains successifs et au bout du processus l'implacable constat: le tirage est foutu. Des jours durant tout cela s'est remâché dès qu'un peu de mou était donné aux pensées. Comme une bouchée à l'acmé de son amertume coincée entre langue et palais, que retiennent là des dards acérés qui empêchent de la déglutir et maintiennent en continu la lente instillation de son fiel... Sans discontinuer ce goût strident s'est longtemps répandu, envahissant le cœur qui se soulève.
Mais enfin cela passe – les dards s'émoussent, l'amère bouchée se délite, ne laissant plus qu'un souvenir agaçant de flaveurs discordantes qui elles aussi s'atténuent et finissent par se taire. Je n'oublie cependant rien de l'échec, mais je ne renonce pas non plus. Pas question de mettre de côté cette photo: puisque le négatif n'est pas à incriminer, je dois donc pouvoir obtenir en grand format ce que promet la planche contact... Ce sera l'affaire de la prochaine séance.

 

Ce calamiteux moment de tirage eut aussi pour conséquence d'éteindre en moi toute velléité de photographier. Jusqu'à ce que je réalise combien comptait pour moi de vivre un instant visuel, indépendamment de toute perspective de «réussite photographique»… Marcher les yeux au vent, regarder tous azimuts pour tâcher de voir. Et quand enfin je vois... m'arrêter, boire le voir jusqu’à sa lie; atteindre alors une forme sinon d’ivresse du moins de «perception modifiée» du réel comme sous l’effet d’une pensée stupéfiante... Puis initier la chorégraphie si souvent répétée de la prise de vue et recommencer autant de fois que je peux modifier mes cadrages. Cette lente danse en état de quasi hypnose ne revient-elle pas à guetter l’échelle de corde dont parle André Breton*? Est-ce parce que j'entrevois, subreptice, le mol balancement de cette échelle juste chue du haut des ténèbres que je me cale derrière mon viseur? Car je sais bien que, fondamentalement, je ne photographie pas pour retenir quoi que ce soit. Mais pour tenter de «prendre» le surgissement de cette échelle de corde ou, plutôt, ce qui dans la chose vue annonce son arrivée et lui donnera loisir de se maintenir perceptible, invitant sans relâche à la gravir. Si la photo est «bonne», alors l’échelle sera toujours là, à l’horizon du tirage, suscitant chez tout regardeur l’irrésistible envie de grimper après elle. Il faut deviner dans les tréfonds de l’image cet appât mouvant pour que l’image ait son plein pouvoir d’enchantement. Sinon, la photo ne sera rien autre qu’une photo – peut-être «bien composée», «bien équilibrée», et «rendant justice au sujet visé» mais d’où ne se déroulera jamais l’échelle bretonnienne.
Il se peut cependant que cet hypnotique rapport au voir ne soit pas pour moi un très bon atout photographique: perdue en scrutation, cherchant sans doute à attraper l'échelle de corde, à m'y cramponner pour atteindre son inaccessible sommet qui serait la clef de l’énigme, la fin des ténèbres de la «chose vue», comment puis-je alors accomplir le juste geste photographique – on ne peut être à la fois, à la même seconde, rationnellement, techniquement «photographe» et se noyer dans la nuit des choses….


* Dans Le Surréalisme et la Peinture, Gallimard, 1979.

 

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10 mai 2019 5 10 /05 /mai /2019 11:54

Mais ici le verbe sèche ai-je écrit il y a peu parce que je ne savais plus, en traçant ces mots, comment ordonner ce qui continuait de me mettre en rage. Depuis je suis parvenue à canaliser une petite fraction de mes indignations, et le lest est prêt à être lâché...

Lorsque Marine Le Pen clame en meeting électoral, dans le cadre de la campagne pour les élections européennes, que son parti entend lutter contre les méfaits d’un ultralibéralisme mondialisé et défendre le localisme, les circuits courts, la conversion à l’agriculture sinon «biologique» du moins «raisonnée», le retour des services publics dans les zones rurales, etc. comment n’être pas enthousiasmé par pareilles propositions? N’importe quel altermondialo-écologiste sincère le serait et moi la première. Pourtant, malgré ces colorations programmatiques bien vertueuses il est un point qui devrait inciter à se tenir éloigné du Rassemblent national comme de la peste: Marine Le Pen et les siens n'ont pas hésité, tout récemment, à dérouler le tapis rouge sous les pieds de Steve Bannon, qui a proclamé en public et sous des applaudissements nourris qu’il fallait être fier d’être raciste – qu’il fallait «porter comme un badge d’honneur» les accusations de racisme et de xénophobie qu’on pouvait recevoir… Ce n’est pas autre chose que de l’incitation à la haine raciale. En France, c’est un délit puni par la loi. C’est du moins ce que je croyais. Pourtant, M. Bannon n’a pas été sanctionné pour ses propos ignobles. Il continue à promouvoir, en toute liberté, son suprémacisme blanc ouvertement revendiqué. Mais comment cela est-il possible quand la France, par la bouche de ses dirigeants, persiste à se targuer d’être la «patrie des droits de l’homme» et de traiter tous ses citoyens à égalité sans distinction d'aucune sorte? Certes, Bannon est loin d’être le seul suprémaciste blanc à répandre librement son poison; il a, hélas, de nombreux frères idéologiques un peu partout mais qu’au moins à notre petite échelle nationale, et le touchant lui seul, il y ait eu des sanctions significatives eût été réconfortant. Or rien ne s’est produit. C’est révoltant.
Je ne comprends pas qu’il y ait le moindre seuil de tolérance envers cette idéologie putride dont la propagation ne relève nullement de la liberté d’expression puisqu’elle passe outre les limites que nos lois, fort heureusement, assignent à cette liberté. J'ai envers le supémacisme blanc une indicible répulsion. Et j’espère que tous les contempteurs de l’ultralibéralisme qui pourraient, ne serait-ce qu’un instant, se sentir convaincus par le programme «européen» du Rassemblement national voudront bien se souvenir, avant de glisser leur bulletin dans l’urne, de cet accueil fait à Steve Bannon: il y a d’autres partis et mouvements tout aussi hostiles au libéralisme débridé, qui défendent avec autant d’ardeur le localisme et les circuits courts et qui, eux, n'ont rien à voir avec ce que cet homme représente.

La rage est expulsée. Mais il me faut bien constater, en la regardant bien en face, qu'elle est le fruit d'une radicale intolérance, cela même qui me fait horreur chez ceux qui me hérissent... Car «être tolérant» suppose de l’être totalement, donc envers les plus intolérants, sans quoi l’on est soi-même dans la posture que l’on dénonce. Jusqu’à quel point la tolérance peut-elle donc s’exercer sans accueillir sa propre négation? Question abyssale, qui soulève une bien cruelle aporie que je suis, pour ma part, incapable de dépasser.

 

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30 avril 2019 2 30 /04 /avril /2019 18:39

D'ordinaire lorsque je reviens ici après un long silence j'invoque pour expliquer celui-ci des phases d'apathie mentale plus profondes que de coutume, des périodes durables d'inclination à l'àquoibonisme, une humeur aranéeuse et morne particulièrement invasive mais ce mois-ci que je rattrape in extremis par le fond de culotte de son dernier jour avant qu'il ne file au loin, les jambes à son cou, rien de tel - ce qui m'a tenue à l'écart de ces Terres ombreuses est, au contraire, une pensée sans cesse en état de crue, soumise aux feux croisés d'indignations multiples et foisonnantes qui n'ont cessé de la faire déborder et donc de la pousser continuellement hors du lit où elle doit se cantonner pour se muer en discours solidement articulé. En d'autres termes je me suis abandonnée presque chaque jour ce mois-ci à ces réaction épidermiques dont je me méfie de plus en plus, car ces dernières années j'ai eu à maintes reprises l'occasion d'apprendre que certaines des opinions, des intentions les plus louables cachaient toujours en leur sein un effet pervers, une aporie suffisant à les ruiner - et dans le même temps que des intentions, des opinions a priori abominables et condamnables sans appel pouvaient par un côté ou un autre sinon receler un "point positif", du moins être la résultante grimaçante d'une  de ces "intentions hautement louables". J'ai gagné en lucidité mais j'ai perdu en confiance... et en capacité à espérer. Comment en effet ne pas sombrer dans le désespoir le plus pesant en voyant surgir au cœur des causes les plus nobles et des principes les plus fondamentaux dont on se demande comment il peut se trouver des êtres se prétendant  humains pour les contester, des incohérences flagrantes, qui sitôt perçues brisent net l'adhésion que l'on pouvait spontanément éprouver pour ces causes et dont s'emparent avec jubilation les détracteurs pour aussitôt les amplifier, les dilater avec une partialité, une déloyauté, une perversité affligeantes jusqu’à la caricature?

Me méfiant des "réactions épidermiques" je n'ai pas pour autant la sagesse, le degré de détachement voulu pour être capable de les bannir tout à fait. Ces épidermismes à haute teneur en indignations m'ont assaillie tout au long du mois d'avril sans que je puisse les tempérer par un bon bain de "saine raison". Et sans que je puisse non plus les reléguer au loin tant ces indignations étaient tenaces. Incapable de les canaliser par la construction écrite mais tout aussi incapable de les traiter par le mépris et de ne plus m'en soucier, je me suis lâchée presque chaque jour sur les forums, les sites d'informations interactifs ou encore en laissant de longs messages chaque fois que je signais une pétition en ligne. Quelques mots ici, là, ailleurs, contre la maltraitance animale, contre les gaspillages éhontés, les vraies fausses mesures "en faveur de l'environnement"... peut-être ce faisant me suis-je attachée à de pauvres arbustes qu'il ne sert à rien de défendre et que des mal-intentionnés agitent à dessein juste sous nos yeux pour mieux cacher la forêt que l'on détruit en silence derrière. Mais tant pis. J'assume.

Et puis j'assume aussi d'écrire en vrac ces indignations qui, décidément, à cette heure me démangent trop...

De partout on réclame des "droits" - droit de manifester, droit de s’exprimer, droit de … et de… et encore de… mais pas une voix pour évoquer les devoirs. Veut-on "manifester" puisque c’est de cela dont il est surtout question en ce moment? Eh bien qu’on le fasse sans porter atteinte ni aux personnes, ni aux biens, ni aux édifices. "Manifester", "protester" n’a en aucun cas pour corollaire systématique la violence, n’en déplaise aux "Français en colère": pendant qu’à la périphérie des jaunissements hebdomadaires on agresse et détruit, il s’organise des manifestations bien plus massives et parfaitement pacifiques, comme celle des désobéissants civils qui par milliers ont bloqué les sièges des multinationales à La Défense sans qu’un seul geste violent soit esquissé et en conséquence de quoi les forces de l’ordre présentes n’ont rien eu à faire. L’équation est simple: pas de violences chez les manifestants = pas de violences policières. Point barre. Si "manifester", "exprimer son mécontentement" est en effet un droit que l’on devrait se réjouir de pouvoir exercer librement, détruire et agresser n’en est pas un – c’est un délit, puni par la loi, et le commettre expose à des sanctions.

Côté discours politiques, ils ne sont guère réjouissants: tous azimuts prolifèrent la brièveté de vue en tous domaines;  les certitudes assénées à grand renfort de contre-vérités et d’infox auxquelles on réagit au quart de tour sans même relever que l’on répond à des sottises; les avis péremptoires proférés par des juges autoproclamés qui ne se sont pas donné la peine de peser un tant soit peu leurs arguments et qui mettent dans leur voix une agressivité telle que si elle pouvait tuer l’on assisterait à des hécatombes… et, par-dessus tout, la mauvaise foi, le cynisme, l’incommensurable arrogance avec laquelle certains croient identifier les maux et "trouvent" les solutions…

D'autres rages démangent, le prurit n'est pas éliminé... mais ici le verbe sèche.

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31 mars 2019 7 31 /03 /mars /2019 10:54

... Et une dernière avant la clôture définitive du mois courant.

Photographier, textifier… c’est, pour moi, tout un: il s’agit, ce faisant, de triompher d’une confrontation avec le tranchant des choses, de clarifier ces moments impromptus où, sous l’effet d’une obscure convergence de signes que je sais à l’œuvre tous ensemble sans en entrevoir aucun avec assez de «piqué», quelque chose se perçoit qui affole les émotions, mêle percepts et souvenirs et contre quoi l’entendement butte, échouant longtemps à recourir à la langue lors même que, aporétiquement, il ne peut que s’en remettre à elle pour exprimer ce qui soudain le submerge.

 

Avant que je m’arrête à la forme ci-dessus un mot longtemps a tourné dans mon esprit: «vainqueur». Je devais, dans mes premières formulations et au terme de maints brouillons, «sortir vainqueur de la confrontation au tranchant des choses». «Vainqueur»… «vainqueur»… décidément c’était le mot qu’il fallait. Et tandis qu’à l’entour le reste de la phrase commençait de se fixer je réalise soudain que «vainqueur» est un mot masculin… Or, étant un être féminin qui n’entend nullement renier son genre ni consentir à sa neutralisation au nom d'un refus de tout ce qui discrimine – ni d’ailleurs à l'inverse l’affirmer avec excès, au nom cette fois d’une nécessaire et légitime visibilisation – mais le porter simplement, comme une partie constitutive de moi-même, je m’avise que «vainqueur» ne convient pas… et qu'il ne peut se mettre au féminin, ni en tant que substantif, ni en tant qu’adjectif! Ce dérivé de «vaincre» n’existe lexicalement que sous sa forme phallique. À n’en pas douter cela est signifiant: serait-ce que par le truchement d’un usage linguistique serait déniée aux femmes la faculté de vaincre? Sans doute n’est-ce pas si simple puisque les femmes peuvent être «victorieuses» - mais l’on a alors affaire à un dérivé de «victoire». L’on peut donc remporter une victoire au féminin, mais non pas vaincre… d’où je conclus que la signifiance de cette exclusion genrée est à trouver dans les profondeurs de l’étymologie et des processus de dérivation.

Jusqu’à aujourd’hui, les féminisateurs et féminisatrices forcenés, souvent enclins à des outrances grotesques, avaient tendance à m’exaspérer. Suite à ce constat, je pense mieux entendre leurs voix, et avoir plus d'indulgence à leur égard.

 

 

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30 mars 2019 6 30 /03 /mars /2019 04:53

J’avais commencé à écrire ce texte avant d’aller voir l’exposition consacrée au trésor de Toutankhamon et je m’étais interrompue tandis que je tâchais d’évoquer, avec une pointe d’ironie amère, ce que m’inspirait l’attitude des antiquaires et brocanteurs s'opposant catégoriquement à ce que l’on photographie leur marchandise alors même qu’ils ne vendaient pas de créations dont ils eussent eu à craindre qu’on les duplique d’après la photo prise. Songeant à cette conviction si répandue jadis (peut-être encore aujourd’hui?) que l’âme d’une personne était  volée» quand on la photographiait, j’étais prête à imputer ces refus et réticences répétés à une sorte de «pensée magique» leur faisant redouter que chaque cliché emporte une fraction de l’objet photographié, le désubstantifiant ainsi peu à peu jusqu’à ce qu’il soit sinon dissous du moins invendable. C’était AVANT La Villette… Mais, ayant là-bas été témoin du comportement de la plupart des visiteurs, plus soucieux d’activer leur smartphone et de balancer leur butin sur la Toile grâce à sainte Wi-Fi sitôt les objets empixélisés que de véritablement s’attacher à regarder ce qui était exposé et à s’en émerveiller, plus proches de carnivores affamés en quête de proies que d’individus doués de raison et de curiosité attirés par de prestigieux vestiges, je perçois désormais pleinement  la dimension prédatrice du geste photographique – d’ailleurs la langue le dit: on prend une photo davantage qu’on ne la fait, même si l’usage consacre les deux verbes pour un même acte. Alors qu’on fait un dessin, un croquis, sans jamais le prendre… et, de là, je comprends mieux les motivations de ces commerçants qui, durant cette balade aux Puces, m’ont parfois lancé de péremptoires «Pas de photos!» du fin fond de leur boutique tandis que je m’attardais auprès d’un de leurs articles à l’étal.
Je ne me suis, quant à moi, jamais sentie animée par la moindre volonté de m’approprier quoi que ce soit quand je photographie; la prise de vue est un voyage intérieur, à plus ou moins grandes profondeurs selon ce qu’à travers mon viseur je tente d’approcher, et je réalise qu’elle tient aussi de l’exploration ontologique – aller vers soi par le truchement d’un aller-vers l’être des choses… Au fur et à mesure que j’affine la mise au point, que je vois se préciser l’exacte zone de netteté que j’aspire à obtenir sur le futur tirage, j’ai le sentiment très aigu de connaître un «moment d’être», d’accéder à une réalité plus-que-visuelle de ce que je cadre… une réalité dont je retrouverai la trace vive au tirage si ma prise de vue a été ontologiquement juste – et, surtout, techniquement bien menée. De tels «moments d’être» me sont clartés, des clefs… c’est un peu comme si, Eurydice, j’apercevais Orphée venu me tirer des Enfers. Lorsqu’on m’intime «Pas de photo!» cela revient à me dire «reste dans ta nuit!» Et lorsque sous l’effet d’une autocensure quelconque je renonce à une photo, je m’enjoins à moi-même de ne pas quitter mes ténèbres.

 

Mais revenons à nos Puces…

À la faveur d’une permission de photographier accordée à l’une d’entre nous que je suivais de près, un antiquaire souriant et disert engagea la conversation, s'enquit de l'endroit d'où nous venions, des buts de notre association, etc. De mon côté, je restai à l’écart: j’avais repéré, accrochés tout autour de son pas de porte, des miroirs de toutes formes suspendus en une abondance à demi organisée et dont les réflexions s'augmentaient de celles générées par d’autres objets vitrés tout proches. Un afflux de reflets, parmi quoi je tentais de déterminer ce qui allait être photographiable. Me voyant de la sorte absorbée, l'antiquaire s'adresse à moi, me questionne sur ma façon de photographier car il ne lui a pas échappé que j'avais entre les mains un boîtier argentique ‒ une bizarrerie aujourd'hui quand le numérique règne, du reflex le plus sophistiqué au téléphone le plus rudimentaire. Et moi de m'étaler avec complaisance, d'expliquer que je suis les cours d'un artiste-photographe qui a donné comme sujet à ces élèves les reflets. «Ah, mais si vous cherchez des reflets, vous avez de quoi faire... Tenez, regardez! là, et là... là encore... c'est drôle: je ne fais pas de photo et c'est moi qui vous montre où trouver vos sujets!» conclut-il en me désignant du doigt mille objets, et bien trop vite pour que je puisse cadrer, mettre au point, ajuster vitesse et ouverture puis réfléchir (!) assez jusqu’à décider de déclencher ou non car, nonobstant le thème qui m’occupe, face à un reflet, le déclic n’est pas automatique.

Situation embarrassante: habituellement lente à photographier je me sentais, là, pressée d’agir bien au-delà de ma vitesse de croisière coutumière. Comment, sauf à ne pas redouter de paraître indélicat, ou impoli, ne pas photographier avec frénésie quand on est si chaleureusement invité à le faire? Et Dieu sait que le feu des reflets s'y prêtait. Pourtant, je n'ai réalisé que quatre prises de vue, qui semblent «réussies» à l’examen du négatif mais que je dois encore mener jusqu'au tirage de lecture pour juger vraiment de leur qualité. C'est que je ne photographie pas un reflet pour la seule raison qu'il est un reflet; il faut que, à mes yeux tout du moins, surgisse dans le phénomène même de la réflexion des superpositions, des correspondances, des juxtapositions plastiquement intéressantes, ou drôles, ou surprenantes... ou qui simplement me parlent (une parole qui peut tenir du murmure, de l'à-peine intelligible tant elle est ténue, de l’infimité sémiotique…). Ainsi l'aimable antiquaire me montrait-il en effet des reflets mais parmi ceux-là, bien peu se sont révélés susceptibles, une fois cadrés et soumis aux réglages voulus, de mener vers cet au-delà de la visualité qui eût justifié le déclic... Il y avait par exemple, derrière une paroi de verre dotée de sa propre capacité réfléchissante un pan de mur entièrement couvert de petits miroirs semi-sphériques au cœur desquels de petites parcelles de réalité réfléchies et déformées s’agitaient en myriades mouvantes... Quel pullulement! mais à travers mon viseur, je ne voyais plus rien qu’un cafouillis dont je ne parvenais à isoler aucune bribe signifiante. Et quand à un moment je crus tenir dans le cadre un jeu satisfaisant de formes, je dus renoncer à déclencher car au premier plan se dressait une lampe de chevet que je ne pouvais évidemment pas déplacer et qui «bouffait» tout ce qui se tramait d'intéressant derrière elle, au pays des reflets...

En expliquant à l’antiquaire accueillant que je travaillais le thème des reflets, je faisais preuve d’une double inactualité – d’une part c’était la piste proposée l’an dernier aux élèves de l’atelier argentique du centre Rébeval, d’autre part c’est un motif dont je me suis rendu compte, en explorant occasionnellement mes archives, qu’il m’a inspirée dès mes années d’initiation. Alors continuons de verser dans l'inactualité… en convoquant ici un griffonnage non daté mais que je sais ancien, conservé bien que tracé sur un presque-déchet – une feuille de papier froissée amputée de lambeaux – et qui me paraît, aujourd’hui encore, juste de sens tout fragmentaire qu'il soit.

Reflet = corporéité dématérialisée des choses, sujette à tous les frissons, à tous les frimas de la perception...

Surface vitrée = lieu par excellence où le monde s'altère – id est:  se modifie» et «devient autre». Plus que le miroir, la vitre où ne s’attardent plus que des traces transparentes se substituant aux corporéités pleines est un lieu de bouleversements généralisés.

Et ce texte: lieu de convergence des temps; les périodes y fusionnent et les états de pensée – lui-même à sa manière phénomène de réflexion (dans tous les sens du terme!).

 

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27 mars 2019 3 27 /03 /mars /2019 10:08

Au gré des velléités voyageuses de l’homme ressortissant peu ou prou à la navigation la langue multiplie les -nautes de tous ordres – argo-, spatio-, cosmo, thanato-, inter-… et le moins que l'on puisse dire est que ce suffixe est extrêmement prolifique. Manquent pourtant à la liste (enfin, je crois...) les ontonautes, ceux qui vouent leur vie à naviguer entre les mille strates de l’être, forts de l’espoir de parvenir un jour sinon à le définir du moins à trouver une périphrase qui le puisse cerner avec assez de justesse – «l’infini mystère du monde» par exemple?

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24 mars 2019 7 24 /03 /mars /2019 18:23

Avec l'ouverture, hier samedi 23 mars, de l'exposition-événement à la Grande Halle de la Villette consacrée aux trésors de Toutankhamon, il est impossible de n'être pas pris, d'une façon ou d'une autre, dans le déferlement égyptomaniaque qui submerge tout. Et le terrain était préparé de longue date: dès l'automne dernier les billets étaient en prévente. D’ordinaire exaspérée par ce genre de battage médiatique, j'ai néanmoins succombé… De vieux restes de fascination enfantine pour les civilisations antiques sont encore bien vivaces en moi et sans que ceux-là m'aient sinon guidée vers des professions qui m'eussent permis d'être en étroit contact avec elles ‒ archéologue, historienne, sémiologue spécialisée dans les langues anciennes… ‒ du moins transformée en amateur éclairé compulsant les ouvrages «de référence» et courant les musées, je reste sensible à toute évocation des Antiquités. Donc, dès novembre, j'achetai en ligne mon droit d'entrée pour le samedi inaugural, soupçonnant évidemment que j’aurai à subir de ces bains de foule dont je m’accommode de plus en plus mal mais me disant, aussi, que la somptuosité des objets exposés méritait bien que je consentisse à cet inconvénient.

Et au lendemain de ce grand jour, c'est une amère déception mâtinée d'indignation qui m'habite. Les prémices étaient pourtant prometteurs: tandis que je débouchais sur l'esplanade de la Grande Halle, moins encombrée que je ne le redoutais, j'étais tout émue à l'idée de vivre un moment exceptionnel et certaine que malgré l'affluence, je saurai m'abstraire assez du flot de visiteurs pour contempler les trésors et tourner autour d'eux comme l'avait recommandé  l'un des commissaires de l'exposition entendu sur France Culture. Mais à l'entrée déjà, un détail égratigna cette heureuse disposition. Empruntant la file que déterminait la tranche horaire inscrite sur mon billet, j'aperçus à proximité des portes d'accès, tel un check point, une colonne de carton-pâte flanquée d'un guetteur et derrière laquelle émergeait un clavier d'ordinateur que tapotait un autre guetteur chaque fois qu'une personne franchissait le passage. Sans doute est-on photographié à des fins de contrôle ai-je pensé... Que nenni! L’on propose en fait aux arrivants de réaliser une photo-souvenir sous la forme de leur portrait capté après qu’ils ont pris la pose devant le fond vert fluo ménagé à cet effet puis collé numériquement sur un arrière-plan de «pyramides en décor naturel»… qu’ils auront tout loisir d’acheter à la sortie. Ce shooting n’ayant aucun caractère obligatoire, je me suis empressée de m’y soustraire – mais je n’en avais pas fini avec le ridicule.


Avant d’accéder à l’exposition, il faut s’entasser dans une sorte de sas où, passées les informations d’usage – pas de photos avec flash, services divers, etc. – l’on est préparé à la visite par une brève projection vidéo assortie d’une harangue énoncée d’une voix à la solennité surfaite débitant un discours singulièrement enflé. L’on y promet aux entrants un fabuleux parcours, sur les traces du pharaon défunt entamant son long voyage dans l’au-delà jusqu'au paradis. Enfin les portes s’ouvrent, sur des salles baignant dans une pénombre bleutée. Et c’est la cohue… par flux et reflux l’on s’agglutine en grappes compactes autour des caissons de présentation – à l’intérieur desquels, bien protégés par d’épaisses vitres, les objets sont magnifiquement mis en valeur, disposés de telle manière que l’on peut TOUT en voir à condition de se donner la peine de faire le tour des caissons qui le permettent et d’aller chercher le détail, le cartouche minuscule, la gravure infinitésimale – le nez quasi collé à la paroi transparente… quand on n’a pas le bras armé de l’incontournable smartphone shootant à qui mieux mieux. Voit-on, regarde-t-on seulement ce que l’on photographie avec tant d’avidité? Parfois de brèves décrues s’opèrent, dont je profite aussitôt pour m’approcher et regarder – pas «contempler», non… dans une atmosphère à ce point saturée de bruits il est impossible, fût-ce avec la meilleure volonté, de se mettre en état de contemplation. Du moins ai-je vu assez pour avoir par intermittence le clair sentiment d'entendre, en découvrant l'insigne finesse des ciselures et des inscriptions portées sur de minuscules accessoires ou en levant les yeux vers l'imposante majesté des sculptures monumentales, quelque chose qui pourrait être le murmure des siècles écoulés, ou peut-être les soupirs vagues du pharaon voués à arpenter les temps telle une brise éternelle. Mais il m'en a coûté bien de la concentration pour percevoir ces minces bribes, moins empêchée par la foule que par la «musique d'ambiance» répandue en flots continus…

Comme dans un vulgaire supermarché, on évolue d’une salle à l’autre enveloppé par une siruposité d’un mauvais goût confondant et diffusée à un niveau sonore assez puissant pour surmonter la rumeur de la multitude… Sonoriser de la sorte une exposition me semble non seulement superflu mais nuisible et dérangeant: comment, déjà gêné par l’abondance des visiteurs, nouer un rapport durable et de quelque profondeur avec ce qui est exposé, éprouver un tant soit peu d’émotion quand on a de surcroît dans les oreilles pareille étoupe? Ce bruitage eût été non pas agréable mais à la rigueur supportable si, au moins, l’effort avait été fait d’offrir en fond sonore une musique composée puis jouée à partir des vestiges et connaissances dont on dispose, qui eût alors suggéré au public ce que l’on écoutait à la cour de Toutankhamon. Comble du pathétique: ce sirop kitschissime et on ne peut plus contemporain est vendu enregistré sur CD...

À ce degré de scénarisation, l’exposition vire à l’indécence. D’autant qu’il s’agit, faut-il le rappeler, d’objets sacrés qui avaient pour rôle d’accompagner le défunt dans son voyage par-delà sa vie terrestre. Cela me semble de nature à exiger un certain recueillement que ne permet justement pas cette surabondance de décorum sonore et visuel.
Un dernier panneau me fit quitter les salles le cœur un peu moins chagrin où l’on voit en gros plan la photographie du visage momifié de Toutankhamon jouxtée de cette précision: la momie du pharaon a été laissée dans son sarcophage, à l’intérieur de son tombeau dans la Vallée des rois. Il y a donc tout de même un semblant de respect qui persiste à imposer de préserver des restes sacrés de cette disneysation généralisée affectant aujourd'hui tout ce que l’on veut montrer au public et ce jusqu’aux vestiges les plus anciens, fragiles, précieux – les plus émouvants.

Enfin la «boutique de l’exposition», que l’on est forcé de traverser pour gagner l’extérieur. Configuration mercantiliste s’il en est. Et quelle boutique! tout un fatras d’articles divers et variés, depuis le dromadaire en peluche coiffé d’un némès à la reproduction grandeur nature du masque funéraire de Toutankhamon – un «bijou» à 26 000 euros! – en passant par les inévitables scarabées en pierre, faïence, métal doré… bref, autant de gadgets dignes des plus banales échoppes à souvenirs touristiques. Mais de livres point,  en dehors du catalogue. Pas même le numéro spécial de Connaissance des Arts consacré au Trésor du pharaon. Pour en savoir plus sur  l'épopée d'Howard Carter, sur le Livre pour sortir au jour dont tant de citations émaillent les cartels explicatifs, pas la peine de compter sur ce bazar à broutilles: il faut s'en remettre à sa bonne vielle librairie.

Je crois que cette exposition, désespérément bling-bling, a atteint des sommets en termes de mercantilisme et de mise en scène grotesque. C’est affligeant: à tant verser dans un excès de clinquant confinant à la vulgarité dès lors qu’on affiche l’ambition de s’adresser «au plus grand nombre», on n’est pas près d’éveiller les sensibilités. Le «plus grand nombre» mérite quand même mieux que ça, et nos trésors du passé aussi. Car enfin, on peut vulgariser sans être vulgaire – les exemples abondent en ce sens – et non seulement on le peut mais on le doit. C’est impératif si l’on veut que le beau mouvement, en constante expansion, mobilisant les énergies qui œuvrent à «favoriser l’accès de tous à la culture» ait quelque chance de porter des fruits.


Avant de me rendre à La Villette, je me promettais de ne pas rater, à l’automne, le prochain «grand événement» culturel de l’année, l’exposition majuscule consacrée à Léonard de Vinci dans le cadre de la célébration du 500e anniversaire de sa mort. Maintenant, je crains le pire… qu’aura-t-on inventé autour des œuvres du Maître pour se mettre au diapason d’un public hélas croissant qui semble ne plus savoir s’émerveiller à la seule vue d’une œuvre ou d’un objet et qui est devenu incapable de se confronter à l’art et/ou à l’histoire sans que le propos scientifique soit enrobé des oripeaux d’un décorum de pacotille? Pour l’heure, il semble que seules les expositions-événements aient à souffrir de cette inflation d’artificialité et que les collections permanentes de nos musées échappent à cette gangrène. L’on peut encore parcourir des salles dans le silence et s’informer par de simples cartels sans être abreuvé d'intempestives fictionnalisations vidéo. Mais jusques à quand???  

 

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12 mars 2019 2 12 /03 /mars /2019 15:08

À la faveur d’une sortie photo aux Puces de Saint-Ouen avec quelques membres de l’association Photovision France – tous fervents et habiles numéristes au milieu desquels j’étais la seule équipée d’un boîtier argentique – et tandis que nous déambulions, à l’affût des photogénies qui pourraient se présenter, la conversation a, inévitablement, glissé sur des comparaisons entre les deux pratiques. Sans doute ai-je eu des propos irréfléchis, ou mal interprétés car bien vite a fusé la question «Mais enfin, pourquoi tu opposes le numérique et l’argentique?»
Ce que, justement, je ne fais jamais puisque je pratique les deux – ce sont d’ailleurs presque toujours des images numériques que je glisse dans les pages de ce blog –, et souvent simultanément pour les mêmes sujets. Avec la même propension à cogiter, à tâcher d’élucider ce qui, pour moi, est en jeu dans l’une et l’autre approche, mais avec, aussi, cette certitude que chacune est déployée dans des sphères d’intention totalement différentes, ne se chevauchant pas fût-ce d’un iota quand bien même j’ai cadré/capté avec chaque appareil une bribe de réel identique. Je crois bien n’avoir rien dit de sensé ni de clair dans le feu des échanges, me trouvant prise de court comme toujours dans ces contextes conversationnels où mon «esprit d’escalier» m’empêche de tenir des propos argumentés et intelligiblement formulés; et le regret que j’en ai m’intime de mettre au net, par ce texte-là, un peu de ce qui m’apparaît de mes rapports différenciés avec l’image argentique et l’image numérique.
En simplifiant beaucoup, je dirai que le numérique a partie liée avec l’immédiateté – on voit, on déclenche, on examine ce que l’on vient de prendre et l’on décide ce que l’on en fait dans un même mouvement ramassé dans un très court laps de temps; ce qui relèvera ensuite du choix et du post-traitement des images choisies ne change rien à ce tassement de l’intention, de geste et de la décision photographiques en une seule unité de prise de vue – quand l’argentique implique des temps d’attente plus ou moins longs après la prise de vue, des temps blancs si l’on veut, des temps de silence visuel, puisque le résultat ne sera visible qu’à l’étape finale des traitements, celle du tirage sur papier.


Voilà un premier déblaiement. Et puis il y a cet écart majeur: la photographie numérique est désespérément a-sensorielle… point d’olfaction – les pixels n’ont pas d’odeur, les chimies argentiques, si… même les films sentent quand on les dégage de leur étui pour les placer dans le boîtier, et les feuilles de papier quand on les sort de leur pochette… ‒ ni de tactilité: hormis le tripatouillage de clavier et de souris, les pixels n’exigent pas que l’on touche (l’image numérique n’a pas besoin du papier pour exister, un écran lui suffit), le grain d’argent, si; le toucher est sans cesse sollicité: on touche le film pour l’insérer dans le boîtier puis l’en sortir, ensuite pour le développer quand on fait cette opération soi-même, les feuilles de papier pour les plonger dans les cuves, les rincer, les mettre à sécher… En argentique la manipulation est permanente d’où ce sentiment que j’ai d’avoir véritablement et de bout en bout «la main» sur mon image, d’être pleinement opérative.


Au fur et à mesure que j’écris d’autres choses se pressent que je pourrais continuer d’énumérer pour éclairer mes «rapports différenciés» avec l’argentique et le numérique mais je prends conscience, aussi, que cet éclaircissement n’était pas le but d’abord poursuivi par ce texte. La toute première motivation était de fixer une fulgurance, puis cela fait il m’a fallu étoffer, enrober, défulgurer d’une certaine manière et voilà la «fulgurance» affectée d’un long préambule dont je ne suis plus sûre qu’il ne la gâte pas…


Le lendemain de cette sortie photo, donc,

… réfléchissant une fois de plus à ce que je faisais réellement – je veux dire au-delà du déclenchement – lorsque je prenais (et le verbe «prendre» est ici employé dans toute l’ampleur de son déploiement sémantique) une photo argentique, cela a fulguré:

J’essuie les larmes du temps.

Cette très brève phrase a brillé, imposé son tranchant dans le mol endormissement de ma réflexion. Longtemps elle a tournoyé satisfaite d’elle-même, a résisté au sommeil de la nuit qui pourtant, bien souvent, frappe de ridicule en se dissipant au matin ce qui la veille luisait d’un tranquille éclat, s’est indurée au lieu d’être, penaude, éjectée de la mémoire et garde sa nécessité alors même que je la saisis au clavier après l’avoir écrite à la main sur un bout de papier en transit. Alors sans doute dois-je comprendre que je continuerai ainsi à pratiquer la photo argentique tant que je serai encline à éponger les sanglots du temps. Jusqu’à ce que je cesse de l’être – soit que le souci de visualité en vienne à être seul à m’animer, et l’image numérique suffira dès lors à me satisfaire pleinement, soit que le temps s’arrête un jour de pleurer. De passer?

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  • : Terres nykthes
  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui
  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui

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