Noël est déjà loin et un autre réveillon lui est passé sur le corps. Mais il a certainement laissé des
traces…
Le matin du 25 décembre n’a pas le même visage pour tout le monde. Il sourit à certains – les enfants heureux de
découvrir leurs cadeaux, les chanceux qui ont vécu le réveillon de la veille dans la chaleur des réunions familiales et n’ont, au lever, que le doux souvenir des bonheurs qui durent un peu
au-delà d’eux-mêmes. Pour d’autres, occupés à cuver qui son trop-plein d’alcool, qui son overdose de foie gras, bûche et chocolats mêlés… ce matin un peu particulier a la mine renfrognée d’un
jour levé du mauvais pied : les premières heures ont la saveur rancie que laissent derrière eux les excès dont il faut éponger les suites ; pèsent sur elles la morne mélancolie des arrière-joies
éteintes dans l’ivresse poussée jusqu’à ses confins.
Nausée et gueule de bois signes extérieurs de réjouissances festives… Bien heureux ceux qui les subissent, eux dont on
dit pourtant qu’ils sont "dans un triste état". Parce qu’il y en a de moins gâtés qui n’ont rien autre à cuver que leur solitude ordinaire, à laquelle ils ne trouvent pas même de saveur plus
amère qu’à l’accoutumée tant ils sont rigidifiés par leur longue fréquentation d’un isolement permanent. Et si l’on pousse plus loin, si des yeux l’on fouille ces taches d’ombre encoignées dans
les replis cachés de nos quartiers, l’on en trouvera de plus isolés encore, enivrés de froid et de vin mauvais, pour qui "Noël", ou "Saint Sylvestre" ne signifie rien – sauf peut-être un surcroît
d’aumônes parce que les bien lotis ont en général une conscience à s’acheter.
Ne poussons pas plus avant – sans quoi il faudrait s’engager dans un débat socio-éthique utile et nécessaire certes mais
trop complexe pour cet espace-là. Et revenons du côté des foyers bien douillets – c’est déjà une jolie serra à conflits… Entre cervelle laminée et indigestions, joies authentiques et
remerciements hypocrites, cadeaux tenus serrés près du cœur et présents vite refourgués sur e-bay, Noël a de drôles de relents post-festifs ; en maints endroits se révèlent de ces choses putrides
comme en certain royaume de Danemark…
Noël fête de la nativité : le crime y prend une résonance particulièrement cruelle, une portée symbolique qu’il n’a pas en d’autres
circonstances. C’est aussi le moment privilégié des retrouvailles en famille et des repas afférents : ô magnifiques nœuds vipérins, couvant en leur sein rancœurs et vindictes larvées, tenues
habituellement sous le boisseau du silence poli requis par les convenances mais que de fugaces allusions suffisent à raviver tandis que des secrets pareillement enfouis et étouffés surgissent,
épanchés aux commissures de bouches rendues volubiles par les douceurs dionysiaques généralement dispensées lors de ces agapes – et voilà des festins qui tournent aux foires d’empoignes, aux
claquements de portes et aux disputes virulentes. Les sangs s’échauffent, l’on vomit sa bile au propre comme au figuré, frères et sœurs se découvrent des inimitiés rédhibitoires et ceux que l’on
croyait ses amis s’avèrent de redoutables adversaires. Peut-on rêver marmite plus affriolante pour un écrivain ayant la marotte de construire d’infernales machinations criminelles et de cuisiner
de vénéneux brouets passionnels ? Quoi de plus attirant pour lui que sapins et cheminées garnis de souliers expectatifs pour y semer quelque cadavre ? La matière est là plus riche qu’ailleurs
pour inspirer ces romans dont nous autres amateurs de littérature noire nous délectons – et ce serait une exploration jubilatoire que de partir à la découverte de ce que nos romanciers préférés
on fait de Noël dans leurs œuvres.
J’ai tiré de ma très-brève bibliothèque noire quelques titres, cités un peu au hasard de la mémoire et sans tenir compte
du plaisir de lecture qu’ils m’ont ou non donné : Noël sanglant à Nottig Hill, de Deborah Crombie (Le Livre de Poche, 2004) ; Noir comme la neige, de Peter Robinson (une enquête
de l'inspecteur Banks, Le Livre de Poche, 2007) ; L’Assassinat du Père Noël, de Pierre Véry (lu dans un vénérable Livre de Poche dégotté au fin fond d’un carton familial et dont j’avais
vu à la télévision l’adaptation cinématographique réalisée par Christian-Jacque en 1941 sur un scénario coécrit par Pierre Véry et Charles Spaak) ; Le Noël d'Hercule Poirot, d’Agatha
Christie…
Ah ouiche, on les aime les cadavres et les crimes parfaits – qui cessent de l’être dès qu’entre en scène un de ces héros à l’intelligence
hors pair. Mais à condition qu’ils restent sagement dans les limites de leurs fictions bien ordonnées, tout exprès ourdies pour notre plaisir par les maîtres du genre. Dès que le meurtre commence
à se profiler dans la vraie vie et la violence à s’installer hors des romans et des films, là, on n’apprécie plus vraiment. Même quand on a coutume de se distraire en lisant ou en écrivant des
polars. Je serais d’ailleurs prête à parier que ce sont les auteurs et lecteurs de littérature noire qui ont les mœurs les plus douces et les plus pacifistes – mais je manque de matière pour
aller jusqu’à l’assertion sans réserve…