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9 février 2011 3 09 /02 /février /2011 21:57

vent-printanier-TN.jpgL'expression-titre pourrait être douce. Mais elle a, depuis juillet 1942, de terribles résonnances: "opération Vent printanier" est le nom de code qui avait été donné à la rafle du Vel’ d’hiv. C’est à cette épouvantable connivence de Vichy avec la "solution finale" (citation tirée de la "présentation de l’éditeur") que se réfèrent les quatre nouvelles réunies dans ce recueil. Quatre nouvelles et quatre enfants. Trois ont survécu aux rafles nazies et se souviennent, au soir de leur vie, à la faveur d’une vision fugitive – un petit bohémien sans feu ni lieu croisé au hasard d’une balade-pèlerinage pour Michaï le violoniste –, d’un événement particulier – la rencontre avec un vieux collectionneur pour David, le marchand de jouets –, ou d’une immersion de plus dans la masse d’archives dont il s’est entouré pour le vieux photographe. De Meranda, gazée et brûlée au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, il ne reste qu’une photographie mais son souvenir est ranimé par un instituteur qui montre à ses jeunes élèves la photo jaunie; et c’est Meranda, plus que les trois survivants, qui a les couleurs de la vie: par le geste de cet instituteur, Adèle, petite fille d’aujourd’hui, s’identifie avec elle comme si elle était sa lointaine parente. L’histoire de ce lien entre Adèle et Meranda est la première nouvelle du recueil; cela est fort de sens: s’affirme ainsi la conviction que l’école a un rôle essentiel à jouer dans la perpétuation de la mémoire, et que se sentir concerné par les atrocités nazies relève de la simple humanité, qu'elles aient ou non pesé de tout leur poids sur les familles.

 

Les quatre nouvelles se donnent la main, se nouent l’une à l’autre comme des points de dentelle par de subtils détails qui se répondent: le portrait de Meranda semble destiné à aller rejoindre la collection du vieux photographe de "La nuit du fou", le violon de Michaï a son reflet inversé dans celui que tient le sous-officier de la Wehrmacht de "Chasse aux lièvres dans la région des moulins", le petit bohémien accordéoniste de "Vent printanier" pourrait très bien être du même cortège que le garçonnet noiraud bousculant le vieux photographe, la boutique de celui-ci paraît la sœur du magasin d’antiquités où s’égare Adèle à la poursuite de son chat Muche. Et Michaï enfant avait aussi un chat…
Dans chacune d’elles s’ouvrent ces brèches par où surgissent les souvenirs, dans le creux desquelles se dessinent des moments flous où l’on perd de vue les frontières chronologiques, les certitudes – ces brèches où se tendent les instants funambules qui peuplent le sommeil de rêves et portent le dormeur au bord de l’éveil mais de l’autre côté du temps. Des brèches, des miroirs, des échos troublés et troublants: autant de piliers fondateurs de l’univers fictionnel d’Hubert Haddad.  

 

Ces nouvelles entretiennent, si l’on veut, une sorte d’illusion d’optique – tels ces édifices magiques dont les dimensions extérieures, modestes, empêchent de soupçonner au premier regard la formidable enfilade de couloirs et de pièces, et l’empilement d’étages, qui se révèlent à quiconque en franchit le seuil: ramassées et resserrées en quelques pages elles ont la richesse d’un roman sans perdre jamais aucune des spécificités qui fondent la juste mesure du récit bref. La narration y est structurée, les personnages sont dessinés et campés avec une infinie finesse, les retours en arrière creusent un avant-récit parfaitement ajusté l’histoire… L’on a le sentiment d’évoluer dans un espace romanesque alors qu’on est bel et bien dans celui de la nouvelle…
Et le livre en tant qu’objet participe aussi de cette manière d’illusion: petit et mince, il tient dans la main comme on garde au fond de soi un secret. Il est d’une dimension telle qu’on peut le lire rien que pour soi sans que personne le voie; il réclame avec son lecteur une intimité profonde que rien ne dérange. Quelque chose d’ineffable se passe quand on lit ces quatre histoires. Elles sont à l’âme ce qu’une aile de libellule traversée de soleil est à l’œil.
Oui, le livre est petit, intime, et pourtant immense: au-delà des destinées individuelles retracées, et de la période historique évoquée, il est d’une portée universelle car "le devoir de mémoire", la part qu’ont les enfants dans son accomplissement, ce que ce dernier réclame des adultes, et les enjeux de ce "devoir" pour l'avenir sont de toutes les époques, et de toutes les régions du monde.

 

En ces quelques pages et ces quatre histoires, de son écriture légère et sublime qu’il a, ici, dépouillée des périphrases et métaphores que seuls peuvent décrypter initiés et érudits, Hubert Haddad réussit un miracle: dire l’indicible, sans pathos mais sans voile, avec poésie et délicatesse – je ne vois pas comment cerner autrement cet hiver du temps (p. 19), ou les effigies d'une douleur anonyme (p. 39) – et rendre hommage à tous ceux que l’horreur à engloutis, à tous ceux qui ont survécu et se souviennent, à ceux, enfin, qui aujourd’hui se donnent pour empêcher que l’on oublie, que l’on efface ou que l’on minimise.


Hubert Haddad, Vent printanier (compend les nouvelles "Meranda ou le devoir de mémoire", "Vent printanier", "La nuit du fou ou les sonneurs de l'ancien monde", "Chasse aux lièvres dans la région des moulins"), Zulma, mai 2010, 64 p. – 4,50 €.

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24 janvier 2011 1 24 /01 /janvier /2011 13:45

prog_eterna-girandola.jpgC’est elle d’abord que l’on voit: tendue sur ses cinq cordages d’un bout à l’autre de la diagonale du plateau, pareille à un éventail à demi ouvert, à moins que l’on songe à une longue main gracile sur laquelle reposeraient des écharpes légères prêtes à capter le vent. Une grand-voile poétiquement étrange faite de trois larges bandes blanches un peu incurvées, creusant des béances entre elles et comme des vagues entre les cordes. Au sol on devine trois corps ramassés. On devine parce que la lumière est chiche: le plateau baigne dans une pénombre à peine éclaircie. On entend un souffle, une respiration – le chant ombreux du sommeil. Peu à peu les corps se meuvent, s’étirent. Est-ce l’éveil? Longtemps, longtemps dure cet éveil, cette émergence. On croit que c’est le début de quelque chose, que le rythme va s’accélérer alors qu’en fait – et je me dis cela bien après avoir assisté au spectacle – rien ne commence, il y a juste une dynamique amorcée qui se poursuit, au long d’une étonnante bande sonore qui fait entendre des sons, des bruits, des musiques sans mélodie et s’interrompt souvent. Le silence, comme la voile blanche, occupe une place prépondérante dans le spectacle. C’est un silence plein. Je pourrais presque écrire "sonore" tant il est signifiant.

 

Aux silences de la bande sonore semble répondre la lenteur des mouvements et des gestes. Une lenteur constante qui va de l’immobilité à la frénésie – car elle s’invite en de certains moments où les déplacements ont une sorte de profondeur qui les ancre dans une durée alors qu’ils sont extrêmement rapides. C’est une lenteur admirable, tout en souplesse mais où l’on sent concentrée une parfaite maîtrise corporelle. C’est une lenteur qui pense, contemple, prend la mesure de l’environnement et s'imprègne de ce qu'il offre afin que le danseur interagisse avec lui, toujours en justesse.

 

 Silences et lenteur mesurée fonctionnent en harmonie avec la pénombre dans laquelle baigne le spectacle. La lumière est chiche. Rare. Parcimonieuse. Mais admirablement posée, juste là où il faut, là où l'intention dramaturgique le requiert. Tandis que dans l'ombre... dans l'ombre beaucoup se choses se passent et le spectateur doit être un acrobate du regard pour suivre à la fois ce que la lumière claire met en évidence et ce que l'obscurité, bel ostensoir, montre en le dissimulant.

Cette ombre ambiante met aussi en valeur le magistral usage qui est fait de la projection vidéo: des images noir et blanc qui semblent très anciennes, qui "grattent" un peu, sont projetées à deux ou trois reprises sur les pans de la voile; elles en épousent très exactement les surfaces et ne débordent en nul endroit. Les images mobiles fusionnent avec les morceaux d'étoffe, se confondent avec chacun d'eux et leurs respirations. Des silhouettes parfois se mêlent en ombre chinoise aux images d'autrefois. Les univers se brouillent celui du film, celui du plateau... à l'entre-deux, les spectateurs contemplent.

 

Les interprètes ne disent pas de texte – mais l’on entend un long chant plaintif, et çà et là, des cris poussés, en deçà du langage – rage? Désespoir? Folie…? La bande sonore est déroutante qui, aux bruits du monde, mêle ou juxtapose des sonorités musicales mais sans véritable mélodie.  La chorégraphie, manifestement, ne mime pas… Les repères figuratifs si l’on veut sont estompés et je ne crois pas qu’un "récit" à proprement parler soit à identifier. Il s’agit plutôt de suggérer des situations humaines – l’exil? Les interminables traversées des premiers navigateurs? Une allusion aux temps primitifs? – qui, mises bout à bout, formeraient une sorte de métaphore de l’histoire de l’humanité. Mais d’une humanité croyante, qui aurait foi en son salut ou, du moins, en son avenir car le spectacle s’achève en une magnifique apocalypse: simultanément ou presque, une vive lumière inonde le plateau, la mélodie surgit dans la bande sonore – significativement à travers une mélopée probablement amérindienne qui glisse ensuite vers un alléluia limpide – et les deux danseurs s’emparent d’un pan de la voile, piqué sur des tiges de bois et transformé en une sorte de bannière, pareil aussi à ces dragons de papier que l’on mène en procession lors de grandes fêtes asiatiques, qu’ils brandissent à bout de bras tandis qu’ils arpentent la scène en tous sens. Suivant leurs pas, la danseuse évolue sous la toile blanche en déployant à deux mains la traîne sombre de son costume. Voile d’aurore vers le ciel, et vague d’ombre au sol… Final resplendissant: c’est, véritablement, une révélation. Et ce qui a précédé le chemin qui, sans faille, y mène.

Envoûtant, tout en secret, ce spectacle donne plus à deviner qu’à voir – il faut scruter l’ombre, écouter respirer les silences, et déceler ce qui se meut dans les lenteurs, les immobilités. Sans se laisser surprendre par les accélérations qui donnent sa densité à l’ensemble. La pièce est à l’évidence parfaitement architecturée, et rythmée avec soin. Cependant sa logique n’est manifestement pas celle de la narration ordinaire; et ce n’est pas par l’entendement qu’on apprécie L’Eterna Girandola, mais par cette part de soi qui est sensible au sacré, au mystère – aux replis obscurs et insondables qui drapent toute chose, même celles que l’on croit bien connaître.

 

Comme Romanze, L'Eterna Girandola est une création de la compagnie Blicke. Ce sont pourtant des pièces très différentes – l’on pourrait dire, je crois, que Romanze est à L'Eterna Girandola ce que la peinture figurative est à la peinture abstraite. On sent à travers elles, s’exprimer deux personnalités artistiques bien marquées – Romanze est une chorégraphie de Virginia Heinen, L’Eterna Girandola d’Enrico Tedde. Mais l'on sent aussi, en profondeur, des similitudes, par exemple dans la maîtrise du mouvement, dans les rapports qui sont tissés entre danse et musique, ou encore dans l’utilisation de l’espace, dans l’art de la construction… Ce qui ne surprendra pas puisque les deux danseurs-chorégraphes, ayant en commun une partie de leur parcours, sont les cofondateurs de la compagnie Blicke.


 

L’Eterna girandola – création 2011
Conception et mise en scène:
Enrico Tedde
Chorégraphie et interprétation:
Jordi Puigdefabregas, Enricco Tedde, Mariangela Siani
Création lumière et vidéo:
Damiano Foà
Musique originale et bande sonore:
Giorgio Tedde
Costumes:
Florence Bonhert
Durée:
1h10
Création de la compagnie Blicke
 

 

Spectacle représenté du 19 au 22 janvier au Théâtre du Lierre – 22 rue du Chevaleret, 75013 Paris. Tél. : 01.45.86.55.83

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19 janvier 2011 3 19 /01 /janvier /2011 10:04

carte-de-voeux-lierre-2011.jpgFarid Paya et sa compagnie, qui ont choisi pour nom Le Lierre parce que c’est celui d’une plante réputée opiniâtre, aux multiples vertus médicinales et dont les significations symboliques sont à l’avenant, ont investi en 1980 un vieil entrepôt désaffecté de la SNCF dans le quartier Masséna-Chevaleret, aux lisières du XIIIe arrondissement de Paris. Ils en ont fait un théâtre-lieu de vie et d’échanges qui s’est vite imposé comme un agent indispensable dans le renfort du tissu social et culturel local à travers les spectacles programmés et les nombreuses animations qu’ils ont développées à leur entour – conférences, rencontres… et surtout une action pédagogique continue sous forme de stages et d’ateliers aussi bien destinés aux amateurs, voire aux néophytes, qu’aux professionnels.

Pendant trente ans, Farid Paya et les membres de son équipe n’ont cessé d’agir en faveur des autres: tout au long des saisons ils ont accueilli d’innombrables compagnies, de non moins nombreux artistes à qui ils ont offert le hall de leur théâtre pour exposer leurs œuvres, et ils ont travaillé sans relâche à la diffusion de la culture, à l’éveil des consciences et des cœurs par de multiples initiatives menées en partenariat avec des associations de quartier, des institutions – par exemple l’université Paris VII-Diderot. Tout cela en montant leurs propres créations, basées sur des textes classiques ou originaux mais reposant toujours sur une conception du théâtre où danse et chant ont une part essentielle dans la dramaturgie.

 

À l’aube des années 2000 il fut décidé que ce lieu serait démoli: il se trouve en effet en plein dans une vaste zone promise à la rénovation. Mais le théâtre du Lierre, avait-on décidé, serait relogé, dans un "nouveau théâtre" bâti non loin de l’ancien, plus spacieux, mieux équipé – mieux adapté à l’accueil du public et aux activités de la compagnie. Je crois même que Farid Paya a été sollicité pour collaborer à l’établissement des plans. Mais tandis qu’approchait l’échéance du déménagement, les institutions se sont mises à mener la vie dure à la compagnie du Lierre. D’abord en diminuant régulièrement les subventions. Puis en laissant entendre que le "nouveau théâtre" ne serait pas celui du Lierre!

Alors les gens du Lierre se sont battus, de mille et une manières – de la pétition à la performance vivante devant le ministère de la Culture et de la communication en passant par des demandes de soutien tous azimuts adressées à des personnalités diverses. Ils ont lutté, avec force, détermination – et leur combat vire au sublime quand, envers et contre tout, malgré les adversités, ils élaborent en 2010/2011 une ultime saison de spectacles, certes restreinte mais qui permet aux compagnies À fleur de peau et L’Estampe de poursuivre leur résidence, à quelques autres de venir présenter leurs créations, et à des artistes d’exposer leur travail.


Lorsqu’en octobre je suis revenue au Lierre pour découvrir la présentation de saison, je vis accrochées dans le hall deux photos montrant, à un mois d’intervalle, l’avancement de la construction du nouveau théâtre. Ils avaient donc enfin obtenu la garantie que ce théâtre serait le leur! Hélas non: je devais apprendre que ces photos avaient été prises, et affichées, pour garder le moral – c’était juste une façon de "faire comme si" ces murs en train de prendre forme allaient en effet les recevoir en septembre 2011. Et aujourd’hui, alors que le mois de janvier s’achève, les gens du Lierre, toujours en butte aux silences de leurs interlocuteurs officiels – la Ville de Paris et le ministère de la Culture – commencent à se dire que ce "nouveau théâtre" ne sera jamais pour eux.
Mais ils continuent à s’indigner. Après tant de luttes échouées, c’est le dernier moyen qu’ils ont de crier qu’ils sont vivants. Et qu'ils ne veulent pas mourir. Que pourrais-je faire pour eux de mon humble voix quand le poids des soutiens qu’ils ont reçus de tous côtés n’ont servi à rien? Juste cela, écrire ces quelques mots pour leur dire une fois de plus mon estime, et reproduire ci-dessous, avec l’autorisation de Farid Paya et de Houda Zerki, chargée de communication, le texte du communiqué arrivé hier soir dans ma boîte à courriel.

 

Communiqué de presse: Le Théâtre du Lierre va fermer ses portes

 

Pris entre deux feux – la Ville de Paris et l’État – le Lierre ne disposera plus d’un théâtre à partir de juillet 2011.

L’actuel Théâtre du Lierre, fondé par Farid Paya et la Compagnie du Lierre en 1980, est voué à la démolition à l’été 2011. Il se situe dans la ZAC Masséna-Chevaleret, dans le XIIIe arrondissement. Juste à côté de ce théâtre qui va être démoli, la Ville de Paris construit un nouveau théâtre, qui sera opérationnel dès septembre. Selon une décision prise en février 2003 par le Conseil de Paris, et confirmée maintes fois depuis, ce nouveau théâtre a été conçu pour reloger le Lierre. Malheureusement, à cinq mois de l’échéance, la Ville de Paris n’a toujours pas annoncé à qui sera accordée la direction du Nouveau Théâtre.

La Ville de Paris se dit influencée par la décision prise en novembre 2009 par le Ministère de la Culture (DRAC Ile-de-France) de déconventionner le Lierre sur cinq ans à partir de 2010. Seulement, la décision de la DRAC se veut motivée par le fait que l’État ne veut pas financer un nouvel équipement de la Ville, à savoir le nouveau théâtre. Le Ministère maintient que c’est aux tutelles territoriales de soutenir un projet "local", donc il se désengage. La Ville de Paris maintient que ce n’est pas à elle de suppléer au désengagement de l’État.

Le Lierre, une compagnie qui gère un lieu, est depuis longtemps soutenu et par le Ministère de la Culture et par la Ville de Paris. Aujourd’hui, pris entre le marteau et l’enclume, il fait les frais du désengagement culturel de l’État et de la rivalité entre l’État et la Ville de Paris.

En se désengageant du Lierre, l’État confirme sa politique malthusienne récente qui consiste à réduire son soutien à tout ce qui n’est pas structure nationale. Il cherche à justifier sa décision en déclarant qu’un comité d’experts aurait donné un avis défavorable sur la production du Lierre en 2009. Cette décision a été prise sans avertissement, sans preuve et sans appel. Vu les soutiens importants dont bénéficie le Lierre, un tel jugement draconien paraît peu crédible.

En effet, le Lierre, essayant d’inverser la décision de la DRAC et de dialoguer avec la Ville, a mobilisé plusieurs réseaux de soutien. Ceux-ci se sont exprimés de plusieurs manières :
- Une pétition signée par dix mille personnes.
- Des centaines de témoignages de spectateurs.
- Une lettre de soutien adressée à Frédéric Mitterrand par le Syndéac (Syndicat National des Entreprises Artistiques et Culturelles).
- Des courriers adressés, tant à Frédéric Mitterrand qu’à Bertrand Delanoë, par une quarantaine de personnalités du monde de la culture et du monde politique.

Ces efforts auront été vains. L’État maintient son désengagement. La Ville, plus soucieuse de l’événementiel que du travail de fond, fait preuve d’une réelle difficulté à soutenir durablement les structures existantes. Le Lierre espère encore que la Ville mettra fin à ses hésitations et qu’elle lui accordera le Nouveau Théâtre.

Sans cela, le Lierre pourra continuer à exister mais seulement en tant que compagnie sans théâtre. Mais sans l’activité d’un théâtre, il sera vraisemblablement contraint de procéder à un licenciement collectif. Avec la fermeture du Théâtre du Lierre, implanté dans le XIIIe arrondissement, déjà pauvre en équipements artistiques, ce n’est pas seulement une entreprise culturelle qui disparaît. C’est toute une équipe, une expérience, un savoir et un public qui seront sacrifiés. Et des compagnies confirmées et inclassables qui ne seront plus accueillies…



La saison n'est pas finie, des spectacles et des expositions sont encore à voir d'ici juillet. Y assister est encore le meilleur témoignage de soutien que le public puisse apporter à cette compagnie courageuse...

Théâtre du Lierre - 22 rue du Chevaleret, 75013 Paris. Tél.: 01.45.86.55.83

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16 janvier 2011 7 16 /01 /janvier /2011 11:42

programme-romanze.jpgUne histoire d’amour exceptionnelle et banale à la fois, passionnelle et conflictuelle, d’une violence tendre – ainsi est présentée la pièce Romanze... A-t-on remplacé le "c" par un "z" plus crissant pour mieux faire entendre les frictions inhérentes à la relation de couple?
On ne voit d’abord que le décor en coin, au bord du plateau: deux parois perpendiculaires barbouillées de larges à-plats de peinture bleutée, pareilles à un bras plié enlaçant une paire de fauteuils recouverts d'un drap. Une échelle est adossée à l'un des "murs", percé d’une porte; l’autre arbore un tableautin représentant une pomme, tout petit mais si visible! ô le fruit signe-de-couple! la pomme à croquer, la pomme de discorde – mais "ceci n'est pas une pomme" puisque c'est un dessin! et cela n'est pas une histoire de couple puisque c'est un spectacle de danse-théâtre... Il n’empêche: c’est bien un couple qui se révèle peu à peu au fond du plateau, dans l'exact prolongement diagonal de ce petit bout de pièce à vivre. Une forme indéfinissable est lovée au sol qui très lentement commence à se mouvoir; ce sont deux corps étroitement embrassés. Il n’est pas question de préliminaires, le couple est déjà constitué. On le rencontre d’emblée dans sa plus belle phase, l'absolue fusion. Puis, de reptations en reptations, dans l'imperceptible bruissement des vêtements, des corps glissant l'un sur l'autre et caressant le sol, les deux qui paraissaient ne faire qu'un se séparent, se distinguent. S'engagent dans un lent ballet et commencent ainsi à écrire leur histoire duelle...

 

qui se déploie au long d’une bande sonore a priori surprenante, s’ouvrant sur l’andante du Nisi Dominus de Vivaldi, puis allant vers Marin Marais, Tom Waits, et des morceaux aux sonorités résolument contemporaines composés par Filippo Zamponi. Cet éclectisme à aucun moment ne choque l’oreille; la juxtaposition de registres et de genres musicaux si différents n’a rien d’improbable. Sans doute doit-on cette harmonie aux talents du compositeur qui, en plus d’avoir inclus ses propres compositions, a su penser la succession des morceaux et l'habiller d’arrangements judicieux. Mais cette harmonie musicale que l’on ressent par-delà l’apparente disparité des genres vient probablement, aussi, de ce que la chorégraphie est toujours en phase avec la musique. Sans l’illustrer ni l’épouser ou la suivre, la danse entretient cependant avec la musique un rapport étroit – un peu comme si les gestes des danseurs donnaient un visage à la musique, un visage mobile et expressif dont les traits changent, allant du sourire à la grimace amère. Outre cela, le spectacle est beau de la manière dont les interprètes utilisent l’espace, manipulent les éléments du décor, tous mobiles, et disent des extraits de texte – dont la palette est elle aussi très éclectique: l'on entend Dante, Shakespeare, Musset... et Régis Jauffret – comme s’ils jouaient d’accessoires. Ils voyagent à travers tout le plateau et font voyager avec eux les objets, les mots, les gestes… et les émotions.

 

L'on va de l'harmonie fusionnelle à l'affrontement avant que revienne la concorde – différents états ont passé et lorsque l'homme et la femme se retrouvent enfin, quelque chose de nouveau commence; ce n'est plus la fusion du début. Il y a eu évolution, donc une narration est à suivre. Pourtant ce n'est pas tout à fait une histoire qui est racontée, plutôt un cheminement émotionnel avec ses pics et ses creux, ses aléas: des états d'âme et de corps se succèdent, admirablement exprimés dans toutes les nuances de leurs variations et de leur intensité par la chorégraphie et la mise en scène. Cette succession se déploie tout en fluidité, comme est fluide la gestuelle des danseurs, marquée au sceau du Kinomichi – une technique corporelle dérivée de l'Aïkido, sur laquelle se base la recherche chorégraphique de la compagnie Blicke. Sachant que le nom "Aïkido" peut se traduire par "voie de la concordance des énergies", on comprend d'où provient cette harmonie, cette souplesse dans les interactions des danseurs, et ce jusque dans l'affrontement où, au lieu que les deux êtres en état d'hostilité se heurtent et fassent hiatus ils se coulent l'un par rapport à l'autre; leur opposition est claire, forte, mais on sent que dans l'opposition leurs énergies respectives se rencontrent, se complètent, circulent de conserve.

Confrontations glissées, accords fusionnels... Une sismographie amoureuse que cette approche du mouvement et des interactions corporelles exprime idéalement.

 

 

Romanze - création 2011
Chorégraphie:
Virginia Heinen, avec la collaboration de Martin Grandperret
Interprétation:
Martin Grandperret, Virginia Heinen
Bande sonore, arrangements et compositions originales:
Filippo Zamponi
Décor:
Jean-François Frering (construction) et Anne Masquida (peinture)
Créations lumière et vidéo:
Damiano Foà
Durée:
1 heure

Création de la compagnie Blicke

 

Spectacle représenté du 12 au 15 janvier au Théâtre du Lierre - 22 rue du Chevaleret, 75013 Paris. Tél.: 01.45.86.55.83.
Et du 19 au 22 janvier, un second spectacle de la compagnie Blicke est à découvrir,  toujours au Théâtre du Lierre, L'Eterna girandola.

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12 janvier 2011 3 12 /01 /janvier /2011 18:10

Après avoir été fermée durant l'automne pour que soient effectués de grands travaux de rénovation, la Maison de la poésie de Paris* vient de reprendre le cours de sa programmation. Elle accueille désormais artistes et public dans un environnement aux couleurs franches et joyeuses (Claude Guerre, directeur de la Maison) et marque sa réouverture par l'instauration d'un nouveau rendez-vous qui mettra à l'honneur, à chaque saison, quelques-uns des plus importants représentants de la poésie francophone contemporaine. Tel est le projets des Géants: célébrer, à travers une série d'événements variés – conférences, lectures, tables rondes, spectacles... – ces grandes figures qui ont laissé et continuent de laisser leur empreinte profonde dans le monde, bien loin au-delà du seul macrocosme poétique ou littéraire.

La première édition des Géants propose quatre "journées" et deux "soirées", étalées entre le 7 et le 16 janvier, dont un partie sera enregistrée par France Culture pour une diffusion, le mois prochain, dans l'émission de Blandine Masson, "Fictions, perspectives contemporaines". Le samedi 8 janvier fut une journée "spéciale Bernard Noël" qui écarta un temps le poète de la Maison de la poésie pour un bref détour par le centre Wallonie-Bruxelles**: il y était invité en même temps que le peintre Paul Trajman, à qui il a consacré un livre – Paul Trajman ou la main qui pense – et dont quelques œuvres sont exposées à la librairie du centre jusqu'au 5 février.

 

couv_la-main-qui-pense-copie-1.jpgLorsqu'à l'orée de janvier je reçus de la par du CWB une invitation pour cette soirée qui devait inaugurer l'exposition Paul Trajman et au cours de laquelle il était prévu que l'on entendrait le poète lire des extraits de son texte après avoir assisté à la projection d'un documentaire consacré à la rencontre des deux artistes, je n'ai pas hésité longtemps à réserver une place. Justement parce que je ne connaissais ni Bernard Noël, ni Paul Trajman je me disais qu'une telle soirée serait une belle opportunité de les découvrir. De plus, mon inclination pour les manifestations de tous ordres proposées par le CWB, si bien organisées et dont le déroulement s'est toujours avéré parfait, m'incitait fortement à me rendre à cette soirée.

Aujourd'hui il me faut bien convenir que j'ai été un tout petit peu déçue. Il y avait foule. Cela est évidemment réjouissant pour les invités comme pour les organisateurs, mais le public, lui, eut à subir quelques inconforts... Ainsi ai-je cru comprendre que l'on avait dû refuser du monde à la projection parce que le nombre de spectateurs excédait la capacité d’accueil de la salle de cinéma – heureux ceux qui avaient pris la précaution de réserver leur place. Et si la projection se déroula dans les meilleures conditions, les choses se gâtèrent quand il fallut rejoindre la librairie pour écouter la  lecture de Bernard Noël. C'était la cohue! Les gens se serraient comme ils pouvaient entre les tables et les présentoirs, et malgré le micro, il fut difficile d’entendre le poète dont la voix, portant peu, parvenait mal aux oreilles de qui se trouvait trop loin de lui… Il y eut ensuite une longue queue de lecteurs désireux d’obtenir une dédicace, ce qui ne laissa guère le loisir à quiconque n’avait pas entre les mains un livre à faire signer d’approcher le poète. Il faut dire, à la décharge des organisateurs et des invités, que le passage à la libraire du CWB était à temps compté et qu’il n’était pas question de s’attarder: Paul Trajman et Bernard Noël devaient être de retour à la Maison de la poésie à 20h30 pour clore cette journée exceptionnelle. Quel marathon cela a dû représenter pour eux…


La soirée a sans doute été victime de son succès et de la renommée des deux artistes. Toujours est-il que, à défaut d’avoir été en contact avec Paul Trajman ou Bernard Noël, j’ai vu un film remarquable qui montre véritablement, plus que des hommes, des pensées-en-acte
 – celle du peintre au seuil de la matérialisation créatrice et celle du poète s'efforçant de mettre en mots ce qu'il perçoit du peintre-en-train-de-faire puis du résultat de ce "faire".illus_soiree-BN-PT.jpg
Encre sur encre Paul Trajman peint à l'encre de Chine, Bernard Noël écrit sur les pages d'un carnet ligné. Les mots à l’épreuve des traits: d’une petite écriture minutieuse aux caractères réguliers, Bernard Noël tente de plier sa langue poétique à la frénésie de ces tracés hirsutes jetés à grands gestes rapides et syncopés, tantôt brefs tantôt amples, jaillis d'un écrasement du pinceau sur la feuille de papier qui fait rayonner les poils comme autant d'éclaboussures ardentes. Et plier ces traces à la langue cela passe par la saisie de la musique du geste-qui-peint, puis par un effort d’identification des formes – ici, des jambes… vite contré par la conscience aigüe qu’une telle tentative est vaine, voire qu’elle fait obstacle au juste ressenti de l’œuvre et de ce qui se joue en elle. Pendant que Paul Trajman donne corps à ce que Bernard Noël appelle le déferlement de l’invisible, le poète tâtonne dans le crépuscule des mots et de ses émotions pour tâcher de donner phrases à l’indicible…

 

Le pinceau crisse, racle, c'est un bruissement tumultueux qui semble être la voix de ces traces bourrues et chaotiques. On croit entendre de la colère, de la rage, ou des hantises pressantes quelque chose qui se meut  sans contrôle, avec violence. Mais non: l'image s'arrête suffisamment sur le regard intense du peintre pour que l'on voie combien son geste au contraire est maîtrisé, sûr. Et la profonde concentration qui ferme son visage maculé d'encre, qui creuse un abîme sombre dans ses yeux scrutateurs, témoigne assez de cette maîtrise. Cherchant à qualifier ces traces, Bernard Noël parle, si ma mémoire ne me trahit pas, d'enregistrement sismographique. L'expression est d'une grande justesse car elle rend compte à la fois de l'aspect visuel de la trace, du crissement du pinceau, et du mouvement de la main.

 

Admirablement construit et monté, le film est à la fois narratif et monstratif. Il permet de suivre pas à pas une histoire double – celle de l’exécution d’une œuvre et le déchiffrement de cette histoire par un autre artiste, lui aussi, comme le peintre, en train de penser, de créer. Et montre, par une alternance extrêmement habile de plans très rapprochés allant des yeux à l’extrémité des doigts, tantôt du poète, tantôt du peintre, un fascinant contraste entre la frénésie tendue des encrages de Paul Trajman et la minutie appliquée de l’écriture de Bernard Noël. Le lent chemin des mots s’affrontant à l’énergie vif-argent des tracés…
L’on sent à travers ce film que la réalisatrice a su adopter une posture d’une extrême délicatesse, là au plus près des êtres – sans quoi, comment eût-elle pu réussir ses plans rapprochés si émouvants? – et en même temps en retrait, presque absente de sorte que seule la présence de chacun des artistes envahit l’image, la sature d’une vibration quasi tangible. Le talent de Sarah Blum conduit le spectateur à la lisière de l’intimité des êtres – au bord des regards, tout au bout des doigts, là où l’on croit voir affleurer les émotions les plus intimes – sans franchir le seuil de l’indiscrétion. Le montage respecter à merveille la fragile posture de la réalisatrice – non, mieux que cela: il la magnifie et la révèle.

 

Juste avant la projection, dans son allocution de présentation, Pierre Vanderstappen a dit du film de Sarah Blum qu'il était "une excellente introduction au travail de Paul Trajman". Je partage cet avis sans aucune réserve, j’écrirais même qu’à mon sens on ne devrait plus exposer les œuvres de ce peintre ni vendre le livre de Bernard Noël sans proposer, à l'instar de la librairie du CWB, le DVD de ce film.

 

 

*À la Maison de la Poésie (Passage Molière, 157 rue Saint-Martin) les événements liés aux Géants de la poésie contemporaine se poursuivent jusqu'au 16 janvier. Mais en dehors de cela, toute la programmation culturelle de la Maison vaut que l'on s'y intéresse de près....

 

**Exposition d'œuvres de Paul Trajman à la librairie du centre Wallonie-Bruxelles de Paris (46 rue Quincampoix) jusqu’au 5 février.

 

Bernard Noël, Paul Trajman ou la main qui pense, Ypsilon coll."Ymagier", mai 2010, 96 p. 39,00 €.

Sarah Blum, Encre sur encre, film documentaire couleur de 26 mn, Nana films production, DVD  15,00 € (en vente à la librairie du CWB et sur le site internet de la société de production).

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8 janvier 2011 6 08 /01 /janvier /2011 12:58

Marie-Annick.jpgJe connais Marie-Annick Jagu depuis une dizaine d’années. Nous nous sommes rencontrées grâce à la photo et au tatouage. J’étais alors entre les mains d’un artiste tatoueur de grand talent qui m’encrait le dos, et elle, peintre et professeur d’arts plastiques, venait régulièrement au studio pour photographier les gestes surtout s'il m'en souvient bien. J'avais l'intention de suivre des cours d'initiation à la photographie argentique noir et blanc, aussi une relation s'est-elle tout naturellement nouée. Je dois à Marie-Annick, entre autres choses précieuses et mémorables, mes premières expériences de modèle vivant. Puis de passionnantes séances où je photographiais ses élèves en train de peindre ou de dessiner. J’ai aussi été son élève, tâchant de traiter en photo ce que les autres abordaient par le dessin. En toutes circonstances, que j’aie été modèle, photographe-observatrice, élève… ou simplement amie prenant un café avec elle, sa compagnie et sa conversation m’ont enrichie, aussi bien humainement que dans la conduite de mes recherches photographiques ou dans l’approfondissement de mes connaissances artistiques. J’aimerais la remercier pour tout cela. Alors j’ai imaginé de rendre compte, en images et en textes, de quelques-uns des cours qu’elle donne hors de l’atelier – au Louvre, au Jardin des plantes, en de multiples autres lieux de Paris qu'elle aime ou qu'elle a envie de découvrir et de faire découvrir…


Voir, dessiner, écouter – et entendre


Marie-Annick apprend à voir. À poser son regard à côté de là où on a l’habitude de le poser et à adopter un point de vue qui, dès le croquis, permet de dépasser l’imitation, la reproduction. Pour inculquer ce réflexe neuf, elle énonce des sujets parfois déconcertants dont on se sent fort embarrassé de prime abord – par exemple: "Où voyez-vous du vide autour de vous? où allez-vous choisir de placer ce vide dans votre dessin?" Et l’on n’y répond pas toujours, croyant pourtant s’y tenir de près… parce qu’on aura entendu l’énoncé de travers, ou plutôt parce que la compréhension se sera heurtée à l’un ou l’autre des mille blocages de toute nature qui entravent l’esprit et surgissent justement dans la façon dont on réagit à ses propositions. Une fois le travail achevé, elle parlera autant de cela avec l’élève que de la justesse de telle ligne, de l’écart qui, en cours d’exécution, se sera creusé entre le résultat graphique et l’intention de départ… En plus d’être professeur, elle est un regard et une âme sensibles à tout ce qui se joue/se noue/ se dit entre les êtres, entre les êtres et les choses, entre regardants et regardés… toutes interactions qui conditionnent le geste créateur. C’est leur expression dans le dessin (le croquis, la peinture, la photo…) qu’elle s’efforce de révéler à ses élèves. À l’image de ces tissages, les pistes de travail qu'elle indique invitent à étudier des rapports plutôt qu’à imiter ou reproduire motifs et figures: jeux de vides et de pleins, d’ombres et de lumières, de lignes droites et de courbes, mélanges de textures et/ou de matières, etc. Elle-même se fait élève pendant les séances en extérieur; carnet et crayon en main, elle croque et dessine. Mais ne quitte jamais sa casquette de professeur et, tout en dessinant, elle s’approche tour à tour de chaque élève qu’elle conseille, guide et soutient – sans imposer aucune option: elle tâche juste de révéler au dessinateur ce qu’il est en train de faire et de lui suggérer ce qu’il convient de corriger pour que le trait corresponde à l’intention avouée. Les séances durent environ deux heures. Elles se concluent par une petite réunion où chacun montre ses réalisations et parle de ses éventuelles difficultés, de ce qui l’a gêné ou au contraire motivé… Ces échanges, toujours très riches, nourrissent autant l’attitude plastique, l’imaginaire créatif, que la dimension humaine de l’être.
Suivre les cours de Marie-Annick, c’est prendre une leçon d'ouverture et de vie.

 

 

Mercredi 5 janvier 2011. Antiquité et clair-obscur

 

Les cours du mercredi ont lieu au Louvre, en soirée – de 18 heures à 20 heures. Pour la première séance de l’année, le rendez-vous avait été fixé à l’entrée du Hall Napoléon, où se tient actuellement l’exposition "L’antiquité rêvée – Innovations et résistances au XVIIIe siècle". Arrivée avant l’heure dite, Marie-Annick a parcouru les salles afin de prendre la mesure de ce qui est exposé et de ce que l’ensemble peut inspirer comme thème de travail. Nous bavardons un peu en attendant les élèves. D’emblée, elle me glisse que ce type d’exposition, ce n’est vraiment pas sa tasse de thé… mais qu’elle a néanmoins vu beaucoup de pièces intéressantes. Comme pour faire écho à cette tasse qui n’est pas de son thé favori, elle constate en fouillant dans son sac qu’elle a oublié ses lunettes et que tous ses carnets de croquis sont pleins. Sauf un. Ouf… Quatre élèves doivent être de la partie: Andréa, Hélène, Monique et Muriel – toutes des habituées que Marie-Annick connaît depuis longtemps. Un petit quart d’heure est nécessaire pour que le groupe soit au complet. Il est temps alors de découvrir le sujet de la soirée… Il s’agira d’observer les différentes formes de clair-obscur – "Comment passe-t-on de l’ombre à la lumière, du foncé au clair? Brutalement, de façon très contrastée? ou au contraire dans la nuance, tout en douceur?" – aussi bien dans les œuvres elles-mêmes que dans les salles, où la scénographie de l’exposition et les éclairages génèrent des jeux d’ombres qui méritent l’attention.

Observer d’abord, puis transposer ces clairs-obscurs dans son dessin, et garder nettes à l’esprit les motivations de ses choix – pourquoi telle œuvre, tel contraste, et pourquoi telle traduction graphique: voilà ce qui va sous-tendre la séance. Comme souvent, l’énoncé du sujet suscite la perplexité, et quelques sourires désenchantés – un objet bien encombrant que cette invitation au dessin, semble-t-il…

 

Je n’avais quant à moi aucune raison d’être troublée par le sujet, n’étant pas là pour le traiter mais pour tenter de saisir la façon dont Andréa, Hélène, Monique et Muriel allaient s’en emparer. J’avais si fort pensé au type de photos que j’allais faire que j’avais mentalement construit quelques images avant même d’arriver au Louvre et d’être en situation de les réaliser. J’imaginais des prises de vue qui puissent montrer le regard de l’élève, sa direction, son intensité, l’émotion en train de passer dans un plissement d’yeux… des prises de vue qui fixent le geste-dessin, la main en suspens pendant que la "chose vue" se taille la route de l’œil à l’esprit puis de l’esprit au bout des doigts, ou bien le crayon courant à toute vitesse sur la feuille de papier pour que le trait colle au plus près de l’intention juste surgie – et je visualisais sans peine ce que je devais chercher à obtenir: un beau flou dynamique traduisant le mouvement tandis que se devine, sur la surface de la feuille, le net du dessin déjà tracé. Mais il me fallut très vite renoncer à tout cela: quelques tests avec mon appareil argentique m’indiquèrent que la luminosité était trop faible pour que je puisse travailler confortablement sans pied, en ouverture et vitesse moyennes – je ne suis pas assez habile pour obtenir des images de qualité à main levée en dessous du soixantième de seconde, et je ne songeais pas à me satisfaire des images sans profondeur de champ qu’aurait engendrées une ouverture maximale. Et je n’avais pas envie non plus de pousser la sensibilité de mon film – je n’imaginais pas, pour le propos qui était le mien ce soir-là en tout cas, des images à la granularité très prononcée.
Ma déconvenue était cependant tempérée par la perspective de pouvoir utiliser, par défaut, mon appareil numérique. Eh bien non: de cela il ne fut pas question non plus car il est précisé, à l’entrée de l’exposition, qu’il est interdit de photographier, même sans flash… J’en fus toute déstabilisée, ne sachant plus, alors, comment j’allais établir ce premier "carnet de cours" dont Marie-Annick avait accepté le principe avec, je crois, un certain enthousiasme…

 

cours-5-janvier_1.jpg

 

Je réussis néanmoins à "voler" quatre images avant d’être réprimandée par un gardien. Marie-Annick eut beau me montrer – discrètement cela va de soi – comment prendre des photos sans en avoir l’air, je renonçai, tout bonnement, à photographier. À la réflexion, je me dis qu'en insistant un peu, en promettant de ne pas viser les œuvres et de me borner à photographier les élèves et leur professeur, j'aurais peut-être pu infléchir la rigueur du gardien. Mais non. Je ne m'y suis pas risquée, et j'ai simplement visité l'exposition, tout en restant à l'affut de ce que faisaient les dessinatrices quand mes déambulations rencontraient les leurs, curieuse de voir ce que leur inspirait le sujet.

 

Je croisai d’abord Monique, contemplative devant une grande toile mais sans carnet ni crayon: elle préfère voir l’exposition dans son entier avant de déterminer ce qu’elle va dessiner. Un peu plus loin, Andréa, assise juste en face d’une toile de Giuseppe Cades, Ulysse jouant de la lyre, scrutait le tableau avec attention. C’est le contraste entre la forte clarté jetée presque au milieu de la toile par le corps d’Ulysse, assis de trois quart, portant une tunique claire lui découvrant l’épaule, et le reste de la scène, tout en tons sombres, qui l’intéresse. Sur son carnet l’esquisse a pris forme. Et Marie-Annick, assise près d’elle, commente déjà son dessin: pour que son traitement du clair-obscur soit juste, il lui faut tenir compte d’un autre type de contraste dont seule la couleur peut jouer, l’opposition entre tons chauds et tons froids – car la tunique d’Ulysse, d’un blanc très légèrement bleuté, qui lui permet de rester visible sur la peau très blanche mais d'un blanc plus rosé, est bordée sur un côté par une étoffe rouge foncé. Andréa qui travaille au crayon noir doit donc trouver un moyen de traduire en nuances de gris ce jeu particulier de tonalités.


À visiter cette exposition, présentant quelque cent cinquante œuvres – tableaux, dessins, gravures, sculptures, meubles et objets décoratifs – le temps a vite passé et, tandis que je rêvassais en quelque point du parcours, tout d’un coup Marie-Annick passa en hâte derrière moi, me soufflant que le cours s’achevait et qu’elle partait à la recherche des autres élèves – tout le monde devait être réuni en une dizaine de minutes pour le petit bilan de fin de séance. Celui-ci fut assez bref: l’inspiration semblait avoir un peu manqué aux élèves – ainsi Monique n’a-t-elle, en définitive, rien dessiné; elle a profité du temps imparti pour s’attarder à son gré au long des salles, mais n’a pas sorti son matériel – le clair-obscur ne l’a pas vraiment passionnée. En revanche, les pieds, ceux des figures peintes ou sculptées comme ceux des éléments de mobilier, l’ont fascinée…
Après un rapide coup d’œil aux carnets de chacune et le dévoilement de ce qu’elle-même avait fait – une série de dessins au feutre noir, aux tracés assez durs, traduisant les ombres très accusées que les éclairages créent sur les sculptures et autour d’elles – Marie-Annick remarqua tout d’abord que le sujet posé entraînait inévitablement à s’interroger sur la notion de contour, que l’on a envie de tracer sous le coup d’une première impulsion surtout quand on s’intéresse aux clairs-obscurs fortement contrastés. Alors qu’il n’y a pas de contours à proprement parler dans la réalité, seulement des masses et des surfaces qui se distinguent les unes des autres par leurs couleurs, leur matière, etc. Que doit donc dire le dessin de cela? Mais ce n’est pas le thème du cours, ni le travail graphique qui occupa majoritairement la conversation; celle-ci s’orienta assez vite sur le contenu de l’exposition, sa conception, son intérêt… et se termina par la présentation de la prochaine séance.

 

Je quittai le Louvre évidemment déçue de n'avoir pu mener où je le voulais mon projet photographique quand je me heurte au principe de réalité, il m'est difficile de reprendre pied. Mais comblée malgré tout car j'ai appris des choses qui comptent pour moi et j'ai aussi compris j'y reviendrai sans doute, ailleurs pourquoi prendre des photos à la sauvette ne pouvait pas me contenter.
Au sortir du musée, j'avais conservé intact ce réflexe de brandir mon appareil numérique dès que j'aperçois une image qui m'intéresse
. Par exemple, cette façade illuminée, dressée dans la nuit au-delà des structures de métal et de verre de la pyramide... 

 

louvre-la-nuit.jpg

 

Marie-Annick enseigne à l’atelier Grenelle (7 rue Ernest Psichari – 75007 Paris. Tél. : 01.47.53.97.54).

En vous connectant au site de l’atelier, vous accèderez à ses pages et découvrirez les jours et heures de ses cours (en atelier et en extérieur), ainsi que le tarif des séances. Vous pouvez aussi la joindre directement au 06.85.67.25.44. 

Précision qui a son importance: l'enseignement de Marie-Annick est basé sur la méthode Martenot.

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1 janvier 2011 6 01 /01 /janvier /2011 11:48

De 2010 à 2011 Le passage s’est fait au gris – à Paris et alentours, du moins.
Peu importe, au fond, l’état du ciel – clair ou pluvieux, brumeux, neigeux…
Une année finie aura toujours un air de ruine.
Et le tour de celle qui la suit viendra aussi de ne plus être nouvelle
De n'être plus que la cendre des jours consumés

 

1er-janvier-2011.jpg

 

Au-devant les friches de ces à-venir dont on ne sait rien
Il en ira ainsi jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’après.
Jusqu’à la fin de l’histoire – jusqu’au degré zéro du Temps:
La béance du Néant

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26 décembre 2010 7 26 /12 /décembre /2010 12:07

Attablée dans un café, devant un thé chaud bien réconfortant quand, dehors, sévit un froid vif, j’attends en rêvant, n’attachant ma pensée à rien, les yeux errant au-dehors. Derrière la baie vitrée la vie urbaine défile, vibrante – la circulation automobile est dense, les bus peinent un peu malgré les couloirs qui leur sont réservés, les gens passent. Emmitouflés, le nez levé cependant pour ne rien perdre du soleil qui sourd à grands flots d’un ciel clair et dégagé. Qui est-elle cette dame qui tout d’un coup s’arrête un instant, hésite, le temps de regarder à l’intérieur, puis repart? Je la découvre en visualisant la photo numérique que je viens de prendre – je visais les jeux de reflets entre vitre et objets réfléchis, sans remarquer, en déclenchant, qu’au milieu de ces images troubles s’encadrait à merveille une passante, floutée juste ce qu’il faut pour évoquer le vacillement, la fugacité. Et les mystères d’une existence qui m’est inconnue et que je pourrais tout à loisir recréer pour en écrire l’histoire, ou pour en faire l’élément d’un roman plus ample qui graviterait autour d’elle.


Mais je ne suis pas écrivain, et cette femme, dont je ne peux m’empêcher de penser qu’elle a le regard fixé sur moi depuis cet autre côté du temps fixé d’un coup de déclencheur, restera un amas de pixels, sans histoire et sans nom, emprisonné là quand je croyais ne viser que ces verres alignés ressemblant à des corolles de crocus…

 

cafe-des-editeurs

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25 décembre 2010 6 25 /12 /décembre /2010 11:36

Sait-on jamais pourquoi, tout d’un coup, l’œil inattentif ou au contraire rivé en quelque lointain point intérieur, et la pensée errante à des lieues de l’endroit et du moment présents, s’attachent à un élément du monde que rien ne les prédisposaient à remarquer? Ainsi allai-je, dimanche dernier, par la rue du Montparnasse toute voûtée à cause du froid, le regard collé au trottoir pour tâcher d’éviter les trop larges amas de boue qu’avait formés la neige tombée le matin et peu à peu fondue par le soleil vague qui pointait. Je songeais à mille choses éparses – autant écrire "à rien" – et concentrais mon attention sur cette bouillie brunâtre et glacée dans laquelle il me fallait bien patauger. Puis, mue par je ne sais quoi de fulgurant, à la fois effacé sitôt surgi au bord extrême du champ visuel et qui pourtant contraint à la halte – peut-être un coin d’affichette placardée sur la vitre, ou un très rapide aperçu de l’espace au-delà de cette vitre, vaste et blanc, où je devinais des toiles accrochées aux murs – je me suis arrêtée devant la galerie du Montparnasse.

beressi-king_montparnasse.jpgMais, à la réflexion, je crois qu’en ce très bref instant ces bribes visuelles ont été dominées par l’impression que me laissait une toile grand format représentant une figure humaine en pied, dont les traits du visage, l’attitude et la vêture me rappelaient les peintures des XIV-XVe siècles vues au Louvre. Était-ce donc une exposition d’œuvres anciennes qui se tenait là? Oui, je crois vraiment que c’est cette brusque irruption des siècles passés dans mon esprit qui m’a poussée à l’intérieur de la galerie. Je découvrais alors que cette toile étonnante était signée James King, un jeune artiste des plus contemporains – au sens strictement chronologique du terme. Ses toiles et quelques nus au fusain occupent la partie gauche de la galerie – à gauche en entrant. Des figures humaines, en pied, en buste, isolées ou en nombre, originales ou copiées d’après les maîtres anciens – toutes d’un réalisme très classique, avec cependant quelque chose dans la solidité carrée des silhouettes, dans le rendu des expressions du visage qui atteste à la fois du style de l’artiste et de notre aujourd’hui.

Leur font face des œuvres que l’on dira, de prime abord, non figuratives: des formes géométriques sans contour autre que la limité assignée par leur couleur, enrichies d’effets de matière obtenus soit par insertion, sous la couche colorée, de parcelles de divers matériaux – carton ondulé, tissu, écorce d’arbre – soit par addition de sable dans la peinture (du moins est-ce ce que me suggère la granularité colorée), ou, encore, par la façon d’appliquer la couleur, en grands à-plats tout pailletés de nuances ton sur ton. Fascinant travail de modelage à même la toile! et quelles harmonies de teintes, que soient déclinées des tonalités similaires ou, au contraire, cultivés les contrastes, les complémentarités chromatiques… Alors on se rend compte que, sans figurer par imitation, ces œuvres figurent par allusion suggestive: l’on songe, tout de suite, à des portes, à d’étroites ruelles de village, à des murs séculaires écrasés de soleil quand, à l’aplomb de la lumière de midi les ombres se taisent et s’arrête le temps. Mais l’être humain n’est pas loin – de la même artiste, Arlette Beressi, sont présentés quelques nus accrochés. D’autres, sur des toiles de tout petit format, sont rangés de telle manière qu’on les compulse comme on feuilletterait un livre, d’autres encore sont sous plastique, dans un grand porte-documents.

Ce qui est exposé de James King et d’Arlette Beressi montre deux types de peinture très différents, des orientations picturales que rien ne semble apparenter, et l’on se dit que le choix est bien curieux d’avoir réuni ces deux artistes. Mais en regardant leurs nus, peints sur toile ou tracés au fusain sur papier, on comprend qu’ils partagent une même sensibilité au corps humain. Chacun avec son style propre transcrit dans ses dessins et croquis une corporéité fragile et vivante – les formes ne sont ni idéalisées, ni simplifiées jusqu’au dépouillement essentiel, mais saisies dans la fugitivité d’une pose élégante ou alanguie, comme abandonnée à la plus totale spontanéité. Je crois, avec le recul, que James King et Arlette Beressi sont stylistiquement liés l’un à l’autre par ce rapport au corps, perceptible à travers leurs dessins, et ce lien justifie amplement qu’ils aient été réunis pour exposer.

Préposée à l’accueil du visiteur, Arlette Beressi, vestale du jour, se tenait assise à une petite table où étaient disposés dépliants et catalogues. Quand elle m’a abordée, alors que j’arrivais au terme de ma visite, je n’ai su que dire – je contemplais les dernières toiles et les mots n’avaient pas encore trouvé leur chemin de mon regard à ma pensée. Les impressions étaient là, diffuses, mais le verbe absent qui les eût pu exprimer. Fort heureusement, l’artiste a la parole facile, et claire. À peine s’était-elle présentée qu’elle m’expliquait le pourquoi de cette exposition en duo – le souhait de la Mairie qui voulait exposer deux artistes travaillant dans le 14e – puis évoquant son passé de styliste-voyageuse, notamment son séjour en Inde. Ses phrases, alors, se déploient, vives et allègres… Il me semble qu’elles brassent et font bruisser, du bout de leurs mots, d’innombrables coupons de tissus colorés dont seraient éprouvées au toucher les textures… La présence de la matière et de la couleur dans ses toiles m’est révélée – je la comprends et la ressens a posteriori avec force et évidence, grâce aux mots de l’artiste. Et, le temps aidant, ce sont mes mots qui ont fini par trouver leur route de mon regard à ma pensée...
 
Cet arrêt de hasard à la galerie du Montparnasse fut l’occasion d’une agréable découverte – un de ces événements venus me rappeler qu’il n’est pas toujours nécessaire de chercher les choses, et qu’elles viennent à nous, à un moment ou à un autre, d’une façon ou d’une autre, pour peu qu’elles nous soient destinées par quelque bord.

 

James King et Arlette Béressi
Exposition à voir jusqu'au 29 décembre à la galerie du Montparnasse, 55 rue du Montparnasse - 75014 Paris. Tous les jours de 14 heures à 20 heures.

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18 décembre 2010 6 18 /12 /décembre /2010 13:03

 

La compagnie À fleur de peau, fondée en 1988 par Denise Namura et Michael Bugdahn, poursuit sa résidence au Théâtre du Lierre. Un lieu, un temps privilégiés pour travailler à la création d'un nouveau spectacle, Ça s'appelle reviens, en tester les prémices auprès du public et en même temps faire œuvre de pédagogie à travers conférences et stages.

Stages? Deux sont programmés pour les prochains mois, l'un du 31 janvier au 4 février 2011, "Des mots qui bougent", et le second du 7 au 11 mars, "La mise en forme du discours chorégraphique". L'enseignement se déroule de 10h15 à 14h15, et le coût du stage, par personne, est de 160 €. Renseignement et inscriptions se prennent auprès de la compagnie À fleur de peau, au 06.03.22.20.60.


Du 15 au 19 décembre, on a pu voir quelq ues bribes de Ça s'appelle reviens, offertes en première partie d'une reprise de Villa, fantaisie onirique, pièce créée en 2009 à l'occasion du cinquantième anniversaire de la mort du compositeur brésilien Heitor Villa-Lobos.

 

a-fleur-de-peau_dec-2010.jpg

 

Revoir cette Fantaisie qui, l'an passé, ne m'avait pas séduite, a été une sorte de révélation... J'ai saisi l'étroitesse des liens entre gestes, musique, texte, vidéo qui hier m'avaient échappé; je pense avoir mieux compris la pièce et, par là, mieux cerné la façon dont la compagnie conçoit ses spectacles. J'ai le sentiment que les chorégraphies de Denise Namura et Michael Bugdahn relèvent, non de la danse pure mais d'une danse narrative empruntant au théâtre, très proche du mime ou de l'expression corporelle. Le "style" de la compagnie s'émaille d'un certain humour de geste et de posture qui évoque souvent le cinéma burlesque mouvements saccadés, pas "en canard"... - dont je n'avais pas perçu la tonalité à la fois tendre et drôle, délicate surtout. Cette gestuelle assez singulière, réellement attachante, confère aux pièces une poésie particulière que je n'aurai appréciée qu'après "y être revenue" mais dont le charme conquiert au premier coup de très nombreux spectateurs. Cette seconde vision m'aura rafraîchi le regard, et là où je m'étais hier sentie étrangère je fus, cette fois, non pas emportée ni subjuguée mais présente, pleinement là, tout à l'événement scénique. Ainsi l'architecture de Villa m'est-elle apparue, avec ses séquences récurrentes qui à chacun de leur retour changent subtilement et marquent l'évolution de la narration. Relayées par le fonctionnement en écho de plusieurs motifs mots, accessoires, phrases musicales elles structurent un véritable récit, certes fantaisiste et quasi surréaliste mais très construit et c'est un vrai bonheur que de percevoir ce déroulement dans toute sa cohérence. Sans parler des interprètes, remarquables, qui semblent évoluer dans la joie d'un rêve poursuivi envers et contre tout "Mon rêve le plus cher serait..."  L'un d'eux surtout m'a fascinée, Alex Sanders dos Santos qui est un bel acrobate au visage formidablement expressif; il incarne brillamment un ensommeillé perpétuel qui, oreillers sous les bras quand il ne parvient pas à en glisser un sous sa tête, ne peut pourtant pas dormir: dès qu'il se risque au repos bienheureux,  des incursions oniriques pas toujours agréables viennent le troubler. De mimiques éloquentes en sursauts bondissants, Alex Sanders dos Santos montre cela, lumineusement, de tout son corps.

 

Me voilà désormais "en familiarité" avec le travail de la compagnie À fleur de peau. Les extraits de la nouvelle création me rendent curieuse de la découvrir dans son entier. D'autant qu'un intermède a séparé les deux "volets" qui ne laisse pas de m'intriguer; d'une tonalité assez différente, plus dure et sans humour... qu'est-ce donc? Un extrait d'un autre spectacle, ou bien véritablement un intermède qui se glissera dans la trame de Ça s'appelle reviens? Réponse à la saison prochaine, je suppose...

 

Comme il est de coutume au Lierre, une exposition dans le hall du théâtre accompagne la programmation. Les "Courriers du corps" de Mirella Rosner ont succédé aux toiles de Jannick Chiraux. Depuis plusieurs années, Mirella Rosner récupère les enveloppes des lettres qu'elle reçoit. D'un coup de pinceau encré elle trace sur leur dos, entre adresse et tampons ou bien les recouvrant partiellement, la silhouette d'un corps, et voilà le bout de papier promis à la poubelle sauvé du rebut. Rassemblées en séries cohérentes ou laissées seules, habillées d'un cadre ou posées sur un support, elles deviennent œuvres.
Aux marques successives imprimées par le "trajet" du courrier, Mirella Rosner ajoute la sienne, celle fulgurante d’une "pensée de corps" que, sitôt surgie et visualisée, elle fait courir au-delà de ses doigts jusqu’au bout de ses pinceaux pour la matérialiser en larges traces de couleurs translucides figeant, sur chaque enveloppe, parfois ouverte et dépliée comme une étoffe dont on chercherait à aplanir les secrets, une silhouette segmentée, fixée en une posture solidement affirmée. Plusieurs strates sémantiques ainsi se conjuguent, et
les plis infligés au papier par les manipulations plus ou moins précautionneuses – une histoire peut se déceler, ce qui est la moindre des choses pour un objet épistolaire réinterprété par une artiste plasticienne.

 

La façon dont sont exposés ces "Courriers du corps" dans le hall du théâtre constitue une véritable installation qui, dans son ensemble, "fait sens": de grands panneaux où sont juxtaposées des enveloppes de même format accueillant des silhouettes de même couleur côtoient, en une disposition qui semble mûrement réfléchie, des "solos", enveloppes isolées généralement rehaussées d’un entourage, ou d’un support qui les habille. De loin les corps ont d'admirables proportions, le dessin des postures est net comme une calligraphie. De près on mesure mieux une approximation qui annule toute individualisation. C'est un autre message que l'on déchiffre selon qu'on s'approche ou s'éloigne – selon que le regard s'attache à l'un ou au multiplié... Et elles sont si nombreuses, ces enveloppes encrées, et les silhouettes qu’elles portent si légères, de couleurs si variées que l’on dirait un immense essaim de papillons qui serait venu s’accrocher aux murs du théâtre…

Voyage, transmission, transfiguration de la missive aux ailes de papillon en passant par l'expression corporelle: l'on ne saurait mieux dire que la danse est l'écriture des corps, et l’adéquation de l'exposition être plus parfaite avec la programmation du Lierre. D'autant que ces "Courriers du corps" seront toujours exposés quand arrivera la compagnie Blicke*.

 

Oui, l'installation est émouvante, et entre magnifiquement en résonance avec le lieu ce théâtre promis à la démolition, animé par des gens qui, malgré la fragilité de leur situation, continuent envers et contre tout à tâcher de diffuser leur "idée de la culture", large et ouverte au plus grand nombre – et la programmation chorégraphique. L'intention de l'artiste aussi est belle. Reste que... je me demande tout de même si un amateur d'art consentira à dépenser quelques dizaines d'euros pour acquérir un de ces "solos" de petit format qui, d'une part, perd de son sens une fois extirpé de l'installation, et d'autre part est vendu "sans cadre", alors que ce cadre, choisi par l'artiste, participe selon moi de l'objet artistique...


 

Première partie: Ça s'appelle reviens

Volet 1: "Lumière blanche"
Conception, chorégraphie et interprétation:
Michael Bugdahn (avec la participation d'Orane Mounier)
Durée:
15 mn

Volet 2: "Objets trouvés"
Conception, chorégraphie et interprétation:
Denise Namura


Entre les deux volets, un intermède composé de deux pièces réalisées par les danseurs de la compagnie, Comme si et Between.

 

Seconde partie: Villa - fantaisie onirique

Conception et chorégraphie:

Denise Namura et Michael Bugdahn
Musique:
Heitor Villa-Lobos
Texte, bande son et vidéo:

Michael Bugdahn

Interprétation:

Bruno Brazete, Michael Bugdahn, Ana Mariolani, Danila Massara, Denise Namura, Alex Sanders dos Santos

Durée:

40 mn

 

Les enveloppes peintes de Mirella Rosner seront exposées jusqu'au 22 janvier 2011.
Le hall est ouvert au public du lundi au vendredi de 10 heures à 13 heures et de 14 heures à 18 heures, ainsi que les soirs de représentation.

* Après avoir fait écho au spectacle de la compagnie À fleur de peau,  elles seront encore là, "poste restante", pour accueillir la compagnie Blicke, qui proposera Romanze du mercredi 12 au samedi 15 janvier, puis L'Eterna Girandola du mercredi 19 au samedi 22 janvier 2011.
Jusqu'au bout des danses, les papillonnages des corps...

 

Théâtre du Lierre

22 rue du Chevaleret

75013 PARIS. Tél.: 01.45.86.55.83

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