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26 août 2022 5 26 /08 /août /2022 09:07

Jamais jusqu’à présent le silence, le grand blanc de l’absence n’avait été aussi long – si long qu’à chaque tentative pour le rompre qui échouait au seuil de l’intention (se résumant à quelques fichiers inachevés fourrés dans un dossier «brouillons», pourvus d’un titre, parfois d’une image et de quelques lignes-fragments n’étant pas même la plupart du temps des phrases complètes), je me disais qu’il avait atteint son point de non-retour et que ce blog allait rester inerte, tel qu’abandonné le 23 avril 2022 quand déjà je signais un constat d’échec – j’y crois et puis j’oublie – et que j’allais me borner à renouveler au moins une fois ma cotisation annuelle afin de le maintenir exempt de publicités jusqu’à ce que je me lasse et laisse ces dernières peu à peu envahir mes pages comme les adventices un jardin négligé.


Laisser là à prendre poussière, cette lente et pesante poussière à valeur de linceul que déposent partout les jours qui filent, sans pour autant se résoudre à supprimer comme on devrait supprimer courageusement ce qui n’est plus utilisé, consulté, contemplé: voilà une ligne de conduite que, hélas, j’applique tous azimuts. Ni entretien qui conserve, ni utilisation qui vitalise, mais l’ineffable rien dont je recouvre les choses en me détournant d’elles afin, sans doute, de m’enivrer de cette illusion que je les tiens, et moi avec elles, à l’écart des corrosions du temps.


Pourtant aujourd’hui, deux jours après m'être acquittée de cet abonnement qui évite à ces Terres la pollution publicitaire, de nouveau je frappe du pied le fond de ces abysses où je me terrais en dormition scripturale depuis tant de mois. Avec cet espoir que je regagnerai durablement la surface, que ce retour sera plus durable que tous les précédents amorcés après chaque désertion qui très vite se trouaient de défections avant de déboucher sur un nouveau désert.

 

Les déserts sont, dit-on, propices à la méditation; l’on s’y retire quand s’impose à soi la nécessité de «faire le point», de «voir clair» dans quelque obscurité existentielle dont pâtit la moindre occupation quotidienne – quand il faut à tout prix se défaire de ce qui empêche. Aujourd'hui, au terme de ces quatre mois muets (muets ici, mais ô combien chaotiques dès lors que je les considère d'un point de vue introscopique...), je me dis qu'ils sont peut-être de la même espèce que ces absences sous lesquelles se jouent les grandes mutations. Car en effet ces Terres insensiblement ont muté depuis leur fondation... Je m'en suis rendu compte il y a presque deux ans (en plein confinement pour être exacte) et ce constat m'a fait couvrir des pages et des pages de ma petite écriture fébrile qui, courant après le sens et tâchant de coller à la pensée qui galope, se hâte sur la ligne sans pouvoir se tenir droite et dont le pas irrégulier ferait dire qu'elle est ivre pour, in fine, s'avérer illisible... j'examinais les probables pourquoi de ces désertions récurrentes mais sans que rien ne se fixe et, pendant ce temps, le désert ici étendait son emprise.

 

La mutation? Celle du basculement vers l'intime. De plus en plus souvent je déposais ici des textes relevant de la seule écriture intime – page de journal, billet d’humeur, coup de gueule ou de cœur… de ces choses que jadis l’on consignait dans un cahier gardé par-devers soi parfois sous clef et qu’aujourd’hui, confondant dialogue intérieur, conversation entre amis et blablatage public, on publie sans vergogne sur le «mur» de son rézosocial préféré… – quand il ne s'agissait, en 2009, que de me ménager un espace d'expression critique, un coin de Toile bien à moi et configuré selon mes goûts où poursuivre cette «écriture sur» à laquelle je m'adonnais (avec délices!) sur d’autres supports. Mais les chroniques se sont raréfiées à fur et mesure que croissait mon impuissance à les écrire et, à proportion, ma propension à scruter mes seuls débats intérieurs dans le chaos desquels je croyais entrevoir des clartés dignes d’être textifiées afin qu’elles fussent fixées et, ainsi, m’éclairassent durablement.


Or cet «écrire-sur-soi», à tenir de plus en plus de place, m’a paru ne plus devoir la tenir, cette place. Car sauf à être artiste – quel que soit le mode d’expression –, c’est-à-dire savoir assez sublimer ses profondeurs et leurs singularités les plus aigües pour que d’autres y puissent retrouver quelque chose d’eux-mêmes, fût-ce une infimité dont ils n’auront pas conscience mais qui rend la vibration possible et sans quoi l’«œuvre» est frappée d’irrecevabilité, «écrire sur soi» revient, me semble-t-il, à de l’exhibitionnisme banal – ce dans quoi je ne veux verser à aucun prix et vers quoi, justement, j’allais tout droit et de plus en plus systématiquement, sous couvert de «paperolles photographiques», d’«épinglettes quotidiennes (ou presque)»… voire plus explicitement, d’«introscopies»…. Tandis que plus un mot ne sortait qui concernât un livre, une pièce de théâtre, une exposition ou une quelconque expérience que j'aurais eu à cœur de partager.


Alors il me faut rompre avec ce fil introspectif, assez mauvais pour que, telle Atropos, je le tranche – non à coups de ciseaux mais de silences prolongés. Que ces quatre mois de désert aient valeur de creuset d’où émergera quelque philosophalité… Et que cela ne reste pas un pieux vœu!

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23 avril 2022 6 23 /04 /avril /2022 12:58

Revenir à la vie en "écrivant sur"... J'y crois, dur comme fer, dès que j'ouvre un livre. Très vite naissent, plus ou moins fragmentaires, des pensées que je verrai s'infirmer ou se confirmer au fil des pages en tout cas se compléter, s'affiner, se développer puis s'articuler les unes aux autres. Puis la foi tombe quand je me risque à transposer à l'écrit le si bel ordonnancement mental...

Revenir à la vie en "écrivant sur"... Oui, j'y crois, envers et contre tout.

J'y crois et puis j'oublie.

Et l'oubli de durer, de s'enliser, de se fondre au loin, bien au-delà de la ligne d'horizon.

 

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22 avril 2022 5 22 /04 /avril /2022 12:37

... ma façon de lire qui fait foisonner les idées, les mêle d'émotivité et d'intuitions plus ou moins floues puis qui parvient sans trop de peine à organiser tout cela en pensée articulée, toute prête à impulser un geste scriptural suffisamment sûr pour qu'assez vite, s'esquisse la "chronique"  –  un propos structuré, à travers lequel l’œil et la pensée d'autrui, à la suite des miens, progressent de concert et sans buter sur rien?

Où donc cette jubilation éprouvée à chaque note prise, à chaque illumination survenant au détour d'un passage et clamant "C'est cela, c'est exactement cela qu'il faut mettre en évidence, et dans ces termes-là, ceux-là mêmes auxquels je pense à l'instant!" et croissant en intensité quand, sitôt le texte écrit mentalement il se confirme dans sa justesse une fois saisi, devenu lisible et susceptible d'être peaufiné, corrigé, amélioré?

Ô certes, en lisant je continue à lire et mon esprit reste alerte; le crayon s’active bon train tout au long de la lecture, griffonnant ici une croix, là une rapide accolade afin qu’en refeuilletant mon attention s’arrête, ou bien sur une paperolle de fortune traçant à la hâte quelques phrases que je ne relirai pas sans effort, témoignant tant bien que mal d’une pensée brutalement venue et dont je sais qu’il me faudra renouer les fils pour qu’elle puisse nourrir un texte abouti. C’est, au terme de chaque lecture, toujours le même fouillis de notes, de réflexions, d'émotions, qu'il me faudra patiemment réagencer pour que naisse la "chronique".

Mais au-delà de ce fatras c'est la panne sèche, l'aridité la plus crue qui creuse son sillon depuis... ô depuis si longtemps... Déjà quatre livres lus, bientôt cinq, chacun avec son lot de paperolles, de griffonnages hâtifs devenus indéchiffrables quand s'est trop éloigné le moment où je les traçais et donc dissous leur lien de sens avec le passage imprimé. Ils sont là devant moi, ces livres que l'on dirait augmentés de prothèses tant ils sont hérissés de Post-it et de signets émergeant des pages, alignés bien en vue à côté de l’ordinateur, pareils à des âmes intranquilles me scrutant avec insistance et réclamant leur dû. Tandis que le mur de l’inaccompli continue de grandir d’autres livres arrivent, attendant eux aussi que je les "dise". La dette croît, et avec elle mon incapacité à l'acquitter.

Alors quoi? Consentir sans ciller à l’hébétude, à cette triste inclination qui jette l'esprit dans un état de glaciation avancée? Ou bien plutôt m’accorder encore du temps, laisser en arrière-plan les choses continuer de grouiller un peu sous le crâne dans leur confusion native et, en surface, briser la glace par une "activité de relâche" – en l’espèce: m’emparer d’un livre auquel je ne dois rien, dont ni l’auteur ni l’éditeur n’attendent de moi le moindre retour?

Croyant opter pour la seconde voie, j'ai en définitive tiré de ma bibliothèque un vieux Livre de Poche dont j'attendais non pas le repos salvateur, le "blanc mental" qui tiendra un temps à distance le "non-fait" sans trop l'occulter mais... une amarre me retenant à l'un de ces polars en attente, qui m'a impressionnée dans les grandes profondeurs et auquel je supporte de moins en moins de ne pas rendre justice – Mrs March, de Virginia Feito (Le Cherche-Midi, 2022).

Plus j'avançais dans ce récit à huis clos, qui enferme le lecteur dans l'espace mental de la principale protagoniste (qui a donné son nom au roman) et plus se précisait cette vague conviction qu'il y avait là toutes les caractéristiques du "roman existentialiste". Sans que je puisse l'étayer de manière irréfutable: je n'ai pas vraiment fréquenté ce domaine romanesque – qu'au demeurant je serais bien en peine de définir! – et je sentais que ce rapprochement relevait davantage de lointaines résurgences lycéennes que d'une authentique culture fondée sur de nombreuses lectures approfondies. Un nom bien sûr s'imposait: Jean-Paul Sartre. Dont je n'ai jamais pu aborder l’œuvre philosophique, seulement son théâtre et ses romans, ses nouvelles. Et encore mes souvenirs me trompaient-ils... En fait de "romans et nouvelles" je n'avais lu que Le Mur. Mais en le rouvrant, à quarante ans de distance, l'évidence est là: ce sont bien ces textes qui sont revenus me hanter à la lecture de Mrs March... La seconde nouvelle surtout, La Chambre. Que je relie par mille fils ténus et indéfinis à ce fort roman (plus de 300 pages) qu'est Mrs March. Jusqu'au prénom (erroné) que Pierre, dans La Chambre, donne à sa femme Eve: Agathe. Celui, à une voyelle près, de Mrs March (Agatha)!

Et lors même que je ne dois rien à ce vieux Livre de Poche tout d'un coup je me suis mise à l'annoter au crayon, jusqu'à souligner une phrase-clef* comme si, faisant cela, activant à force de crayonnages ces fils ténus tendus entre La Chambre et Mrs March j'allais pouvoir mieux les saisir et, par ce marchepied, atteindre la chronique. Mais voilà près de quinze jours que les choses en sont là... des griffonnages, des déductions, des connivences repérées entre les deux textes et puis rien autre. Au moins aurais-je déplié ce marchepied, bien que je n'aie pas encore su l'utiliser...

 

* Eve avait perdu l'habitude de cette lumière indiscrète et diligente qui furetait partout, récurait tous les coins, qui frottait les meubles et les faisait reluire comme une bonne ménagère (La Chambre, p. 58).

 

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12 avril 2022 2 12 /04 /avril /2022 09:41

Enfin... timide retour:  le vrai, celui qui signifie des publications assez régulières et consacrées à des livres, des spectacles ou des expositions, s'est amorcé il y aura bientôt un an sur k-libre. Il s'est interrompu depuis plus d'un mois, les ouvrages lus et copieusement annotés se sont accumulés sans que rien n'en sorte qui soit lisible et voilà qu'aujourd'hui, il se réamorce, mû par une renaissance du désir de partager mes découvertes, mes coups de cœur (ou de gueule, selon les cas...). Il y a eu bien sûr un élément déclencheur, et il est théâtral - voici quelques jours à peine j'étais informée de cet événement où convergent mon goût pour la littérature policière, spécialité k-libriste, et mon amour du théâtre... en voici donc les grandes lignes en avant-première, en attendant qu'une publication sur k-libre lui assure une diffusion optimale...

 

Du vendredi 22 au dimanche 24 avril 2022, ce théâtre parisien se met au noir dans les grandes largeurs... Théâtralement bien sûr avec deux pièces so british: Un visiteur inattendu d'Agatha Christie, et Diptyque, d'Andrew Payne. Mais pas seulement: seront aussi de la partie un jeu d'enquête, un débat entre Sophie de Mijolla-Mellor, autrice de Un divan pour Agatha Christie, et Philippe Brenot, médecin psychiatre, un lunch à déguster pendant que des comédiens rendront voix aux échanges entre François Truffaut et Alfred Hichcock*, une enquête interactive et, clou du week-end, une nuit blanche à traverser en salle obscure au fil de quatre films noirs majeurs dans leur genre. Ces trois journées ont pu être organisées grâce au partenariat de la BiLiPo (qui a prêté au théâtre quelques bijoux de sa collection à fin d'exposition), du Musée de la préfecture de police de Paris, du bar à jeux Les mauvais joueurs (46, rue Sedaine dans le 11e arrondissement de Paris, doublé d'une boutique, au n° 63 de la même rue), de la Cinémathèque française et du Forum des images.

Et maintenant les détails de la programmation.

Vendredi 22 avril
19 h 30 - Un visiteur inattendu, d'Agatha Christie (version française: Sylvie Perez et Gérald Sibleyras; mise en scène: Frédérique Lazarini). Durée: 1h30.
22 heures jusqu'à l'aube - Nuit du polar. 22 heures: Le Faucon maltais (1943; John Huston) ; 0 heures: Le Samouraï (1967; Jean-Pierre Melville) ; 2 heures: Little Odessa (1995; James Gray) ; 4 heures: Memories of Murder (2003; Bong Joon-Ho). Plein tarif: 20 € ; tarif réduit:15 € ; pour un seul film: 7 €.

Samedi 23 avril
15 heures - Diptyque, d'Andrew Payne (traduction et interprétation: Robert Plagnol ; mise en scène: Patrice Kerbrat). Durée : 1h10.
17 heures et 20 h 30 - Un visiteur inattendu, d'A. Christie.
18 h 45 - Débat entre le psychiatre Philippe Brenot et la psychanalyste Sophie de Mijolla-Mellor qui a publié Un divan pour Agatha Christie (Esprit du temps, 2020).
De 15 h 30 à 19 heures - ouverture d'un espace en accès libre, en partenariat avec le bar Les mauvais joueurs, pour s'essayer à divers jeux.

Dimanche 24 avril
12 heures - lunch aux saveurs cinématographiques. Les mets seront dégustés sur fond de dialogue Hitchcock/Truffaut. Durée: environ deux heures. Tarif: 20 € par personne. Réservation indispensable - et possible jusqu'au 23 avril.
14 heures - Gilles Reix, ancien policier du Département technique et scientifique, propose au public une enquête interactive sur une scène de crime (enquête et scène de crime toutes deux fictives!).
15 heures - Un visiteur inattendu, d'A. Christie.
17 h 10 et 18 h 15 - Diptyque, d'A. Payne.

Et en toile de fond à ces réjouissances, visible pendant tout le week-end, une exposition de quelques trésors prêtés par la BiLiPo.

Pour les représentations théâtrales, il est indispensable de réserver, soit en ligne soit par téléphone au 01 43 56 38 32.

* Pendant une semaine, durant l'été 1962, Hitchcock a accordé une série d'entretiens à François Truffaut; il est est résulté un livre paru en 1966 aux éditions Robert Laffont. Il subsiste également cinquante-deux bobines audio de 30 minutes chacune, retrouvées en 1992 par le critique Serge Toubiana, alors qu'il travaillait sur les archives de François Truffaut.

Théâtre Artistic Athévains
45 Rue Richard Lenoir
75011 Paris
Courriel: aatheatre@gmail.com

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12 avril 2022 2 12 /04 /avril /2022 09:38

Depuis janvier à nouveau le désert, l'immense désert de silence au bord de nuits qui n'en finissent pas d'être ombres profondes, abîmes parcourus de tourmentes malgré ici ou là quelques trouées de lumière qui empêchent l'absolue déréliction de submerger l'âme. Et dans cette obscurité mouvante les mots corsetés, qui ne veulent plus s'assembler autrement qu'en suites discontinues, éphémères, volatiles et évaporées sitôt pensées. Des rages impuissantes, des navigations introspectives qui recroquevillent l'être tout entier sur ses fragilités, ses fragmentations et le montrent à lui-même poussière, dispersible et que rien ne sauve de la pulvérisation ultime.

Une fois de plus pourtant l'être se rassemble, un peu. Revient à la vie, réamarre sa barque ici, et reprend pied sur la terre où germent les phrases. Pour combien de temps... Mais? Faut-il vraiment se le demander, et déjà se bâillonner par crainte d'une trop grande éphémérité de l'impulsion scripturale, on bien plutôt ne point songer en termes de durabilité et ne se soucier que du besoin de dire - le ressentir étant l'indéniable signe qu'on est vivant, pas encore enseveli sous les tombereaux d'ignominies que ne cesse de déverser ce qu'il est convenu d'appeler "le monde réel"...

Cette brève émergence répond, pour le moment, à la question.

 

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6 janvier 2022 4 06 /01 /janvier /2022 18:30

Au printemps 2021, histoire de retrouver un peu d'oxygène mental grâce à l'écriture mais n'ayant plus aucune motivation pour me risquer aux «introspcopies», et pas davantage pour muser en «petites errances», je me suis dit que la meilleure voie était de tenter un retour à la chronique: une «écriture sur» qui engage, contraint à ne pas abandonner en cours de route – je serai tenue. Aussi ai-je humblement demandé à Julien Védrenne de me rouvrir les portes de k-libre. Ce qu'il fit le plus amicalement du monde, sans émettre le moindre reproche pour mes longues années d'absence. Depuis, je reçois régulièrement des ouvrages en service de presse et, parmi ceux-là, deux petits volumes des éditions 10/18 signés Patricia Wentworth, issus d'une même série de la collection «Grands détectives», les Enquêtes de miss Maud Silver. Auteur et personnage m'étant inconnus, je me suis livrée à de rapides investigations avant même que de commencer mes lectures. Bien moins de trouvailles que je l'espérais (l'une cependant mérite d'être signalée: un passionnant article paru dans la revue en ligne Textes et Contextes, signé Françoise Dupeyron-Lafay). Ce que je découvre ne laisse pas de m'étonner. Patricia Wentworth a écrit presque autant de romans policiers qu'Agatha Christie, miss Silver a commencé d'enquêter avant miss Marple et cette dernière lui emprunterait bien des traits... J'ai pourtant l'impression qu'un abîme sépare la réception de ces deux romancières – l'une a été intronisée «reine du crime» et la bibliographie secondaire la concernant est pléthorique,  l'autre a eu pour seule couronne celle de «Teacake Lady», n'a manifestement pas eu droit à la moindre biographie, même en anglais (mais je me dois de rester extrêmement prudente à cet égard: ce constat ne se fonde que sur de premières recherches peu approfondies), et je ne sache pas que miss Maud Silver ait vu ses enquêtes portées à l'écran aussi souvent que sa consœur.

Peut-être les romans de Mrs Wentworth pâtissent-ils de faiblesses qui expliqueraient cela? Les deux «enquêtes» rééditées en novembre dernier – Un troublant retour et La Dague d'ivoire – ne vont en tout cas nullement en ce sens: ces récits sont particulièrement bien ficelés, saupoudrés d'humour (parfois mordant mais toujours discret), composés avec un sens aigu des rythmes narratifs et du suspense, où les personnages sont finement campés. Ils m'ont assez séduite pour que j'aie envie de lire d'autres enquêtes de miss Silver, en commençant par la première, Grey Mask (1928). Il se trouve qu'une traduction a paru en 1930, chez Firmin-Didot*. Et... si j'essayais de m'en procurer un exemplaire? Un excellent prétexte pour satisfaire, en même temps que ma curiosité pour cette demoiselle forte en tricot et sa créatrice, un goût pour les vieux bouquins, ceux qu'on lit en sentant passer sous les doigts, à chaque page tournée, le vibrato des ans, celui, aussi, d'intangibles  traces qui sont, peut-être, les ondes muettes gravées dans la substance du papier jauni et laissées en dépôt, tels de vagues messages codés fantomatiques,  par  les lecteurs successifs.

En quelques clics je trouve le volume rêvé sur AbeBooks (avec Livre Rare Book, mon site favori pour chiner des éditions anciennes): prix accessible, état d'usage avec «léger manque en coiffe de pied». Et puis cette indication: le volume proposé à la vente comporte «un envoi du traducteur** au romancier et critique Jacques des Gachons». Je ne suis pas collectionneuse de dédicaces ni assez bibliophile pour apprécier la valeur d'un tel envoi mais le nom «des Gachons» m'interpelle: une mienne cousine a publié une thèse d'histoire de l'art sur André des Gachons***, un artiste-peintre qui est le frère du «romancier et critique»! Un signe. Quelque chose à n'en pas douter se noue. J'ignore quoi; qu'est-ce donc qui serait ainsi fléché? Cela se révélera le moment venu. Pour l'heure, il s'agit de d'acquérir ce livre et de découvrir miss Silver dans ses premières œuvres. Je le reçois deux jours après l'avoir commandé...

 

* Patricia Wentworth, L’Homme au masque gris (adapté de l’anglais par M.-L. Chaulin), Paris, Firmin-Didot, 1930.

 

** Le «traducteur» est en fait une traductrice; les initiales «M.-L.» sont celles du prénom Marie-Louise. Ce masculin est venu sous la plume même de Marie-Louise Chaulin qui rédige ainsi son envoi: «à monsieur Jacques des Gachons, hommage du traducteur M. L. Chaulin» – sans doute le vendeur s'est-il contenté de reprendre les termes de l'envoi pour écrire son descriptif. Après quelques recherches tâtonnantes, avec divers mots-clefs lancés à la volée dans mon moteur de recherche, j'ai fini par découvrir enfin à quoi correspondaient ces initiales et, de là, que Marie-Louise Chaulin a été distinguée par l'Académie française qui lui a décerné en 1938 son prix Langlois pour sa traduction de The Lives of a Bengal Lancer (Les Trois Lanciers du Bengale) publié en 1930 par l'écrivain britannique Francis Yeats-Brown (1886-1944). Il serait intéressant de savoir si le critique et romancier a honoré cet hommage d'un article... (à creuser).

 

*** Delphine Durand (préface de Jean-David Jumeau-Lafond), André des Gachons et la modernité fin de siècle, Presses universitaires de Rennes, coll. «Art & société (Rennes)», 2014.

 

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Dans les brumes d'automne...

Après avoir passé plus de quatre ans à voyager de par le monde, Charles Moray revient à Londres prendre possession du legs dont il est l'unique bénéficiaire – un siège au Parlement, et une vaste demeure, Thorney Lane, laissée pendant son absence aux bons soins du couple Lattery. Il récupère les clefs de la maison par un morne soir d’octobre mais ne prévoit de s'y rendre que le lendemain matin. Il passera la nuit à l'hôtel après avoir dîné avec son vieil ami Archie Millar. Mais celui-ci est retenu; Charles prend son repas seul, puis décide d'aller à Thorney Lane. Contre toute attente, le portail du jardin est ouvert et le hall éclairé... Des voix résonnent... Sur ses gardes, Charles se dissimule et tend l'oreille tandis qu'il observe la pièce d'où émanent les voix. De curieuses silhouettes se désignant par des numéros, parmi lesquelles il identifie Margaret, son amour de jeunesse, complotent rien moins qu'un assassinat. Quelle est donc cette société de «gens invraisemblables», présidée par un Masque Gris? Bouleversé, il fait part de sa mésaventure à Archie, qui lui conseille de s'en remettre à une certaine miss Silver, «une véritable merveille qui rendrait des points à Sherlock Holmes». Dans le même temps, une jeune fille de 18 ans, Margot Standing, tout juste revenue de son pensionnat suisse à la suite du décès de son père, surprend une conversation laissant entendre qu'on projette sinon de la tuer, du moins de l'enlever afin de capter son héritage.

 

Comme on peut s'y attendre, les deux branches du récit ne tardent pas à se conjoindre. De complexes intrications se révèlent petit à petit, plongeant en des antériorités extradiégétiques ramenées dans le fil de la narration par le truchement de souvenirs refluant à la faveur de réminiscences intériorisées, de découvertes fortuites, ou au détour d'une conversation – un très habile entre-tissage chronologique par quoi le récit est d'emblée, et jusqu'à son terme, densifié de mystérieuses épaisseurs que l'on explore pas à pas, avec délices. À fur et mesure que l'on va d'une strate l'autre, que l'on suit la trame si adroitement ourdie par la romancière, les secrets se fissurent; se dévoilent alors des liens de cousinage tous azimuts, des identités cachées, des filiations douteuses, des amours blessées et, dessous tout cela, des richesses convoitées motivant toutes sortes de menées malveillantes. Ce sont à l'évidence les ressorts convenus d'innombrables intrigues criminelles – en particulier, à ce que j'ai pu entrevoir, beaucoup de celles auxquelles est confrontée miss Silver. Mais la matière est ici fort bien travaillée... et pas seulement en ce qui regarde la maîtrise du suspense.

 

Car l'atmosphère du roman a des notes bien singulières. D'une tonalité résolument sombre et trouée de béances abyssales, esquissée dès l'incipit – la familiarité des lieux s'ébrèche (la nuit est tombée, la brume règne, le jardin est «plongé dans l'obscurité», l'on approche avec le personnage d'une maison restée inhabitée pendant de longues années) puis se mue en inquiétante étrangeté lorsque se manifestent des présences incongrues et peu amènes –, elle s'éclaire dès que la jeune Margot entre en scène. Dotée d'un «teint de lys et de roses, [de] cheveux dorés aux ondulations naturelles» et d'yeux bleus «les plus beaux du monde», elle reste d'une humeur légère et rieuse à peine ombrée lorsqu'elle pleure son «pauvre Papa» ou tente d'échapper à de sinistres poursuivants, et troque vite les larmes contre des rires sonores, des bavardages frivoles, heureuse dès qu'elle peut sortir, choisir des vêtements... et grignoter des chocolats. Sa situation est-elle périlleuse, voire tragique – elle la juge «follement romanesque»... Une attitude peu crédible dont je ne suis pas sûre qu'elle ait pour fonction d'instiller un rehaut de drôlerie; en revanche, par la légèreté ainsi opposée aux noirceurs, les séquences visitées par la jeune fille deviennent des sortes d'intermèdes-bonbonnières dont la couleur et le ton ménagent un puissant effet de clair-obscur. Les phases les plus noires de l'histoire, fortement accusées, deviennent plus impressionnantes, comme un visage acquiert du caractère quand ses reliefs sont affûtés par certaines incidences lumineuses.

 

Quant à miss Silver, elle possède, dès cette première enquête, quelques-uns des traits qui la caractériseront quand elle deviendra l'enquêtrice attitrée de Patricia Wentworth, une dizaine d'années après cette apparition inaugurale: elle tricote, cite Tennyson, elle est petite, frêle, d'aspect insignifiant... mais perd à plusieurs reprises sa mine rassurante, au point de provoquer «une sorte d'effroi» (p. 106), voire «une peur effroyable» (p. 119) lorsque, par ses remarques et ses questions, elle montre à son interlocuteur qu'elle a percé à jour ses dissimulations. On la voit, en outre, suivre son client sans qu'il s'en aperçoive, surgir brusquement à ses côtés dans l'obscurité puis disparaître tout aussi soudainement telle une créature désincarnée... La voilà nimbée d'une aura sinon surnaturelle du moins un tantinet inquiétante, qui l'apparente presque à une créature féerique.

 

Effleuré par l'aile de l'étrange sans en être véritablement touché même aux heures les plus glaçantes de l'histoire – qui ne manquent pas! – l'on baigne dans une sorte de noirceur merveilleuse. Les effets, excellemment ménagés, semblent primer sur la vraisemblance mais l'on tombe malgré tout sous le charme terrifique de ce roman aux accents mélo-terrifiques; on sursaute, on s'émeut, le cœur bondit et l'on éprouve ce délicieux frisson que procure toute forme de « peur-en-canapé ».

 

[aparté]

Il y a un je-ne-sais-quoi de daté dans cet Homme au masque gris – peut-être parce que certaines tournures récurrentes sont devenues rares, «souhaiter de» précédant un infinitif, par exemple? Est-ce la traduction qui a ce parfum de temps jadis? Ou la fiction elle-même? Pour en avoir le cœur net – vraiment net – il faudrait lire le roman en anglais et confronter la traduction de Marie-Louise Chaulin à la nouvelle, parue en 1995 – dont le titre marque déjà une différence: Le Masque gris. Et puis ce détail de formulation: il n’est pas indiqué «traduit de l'anglais par...» mais «adapté de l’anglais par...». Est-ce une simple formule éditoriale, d'un usage courant autrefois, ou bien la marque d'un choix délibéré? On peut alors se demander quels sont les écarts, les libertés prises avec l'original qui justifient le terme «adapté» plutôt que «traduit». Mais il se peut aussi que cette sensation de désuétude me soit en partie communiquée par l'aspect du volume, bien défraîchi, avec ses pages rêches et marquées de rousseurs, aux bords irréguliers trahissant une coupe hâtive et que je sens si fragiles en les tournant... En tout cas, la sensation est au diapason de l'ambiance du roman, à laquelle je me suis si volontiers abandonnée après avoir poussé le portail du premier chapitre et mis mes pas dans ceux de Charles Moray...

 

Ayant eu le courage de défier ses fantômes, il les vit peu à peu disparaître dans l’ombre. Fier de cette victoire, il continua sa route, et se trouva bientôt à lentrée du jardin; sa satisfaction se changea alors en colère: le portail était ouvert... (p. 4)

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31 décembre 2021 5 31 /12 /décembre /2021 11:13

Vendredi 31 décembre, dernier jour de l'année. Il ne me viendrait pas à l'idée de prononcer l'une ou l'autre de ces formules consacrées pour accueillir une année nouvelle. Comment oser dire, écrire le sempiternel "bonne et heureuse année" – même si l'on souhaite, et de tout son cœur, le meilleur à ceux que l'on aime ou, simplement, que l'on connaît – alors qu'on verra se lever le premier jour de l'année 2022 non pas seulement sous la menace d'une pandémie mais sous la chape de plomb de mesures aussi punitives qu'incohérentes... On dit que le vaccin n'empêche pas de transmettre le virus, mais l'on invalide le test négatif récent pourtant garant de non-transmissibilité au profit de la seule preuve vaccinale pour être autorisé à fréquenter les "lieux publics". On prétend vouloir freiner la propagation d'un "variant inquiétant" mais on RÉDUIT la durée d'isolement des personnes POSITIVES... On voudrait accélérer les contaminations que l'on ne s'y prendrait pas autrement. Mais comme il faut avoir l'air de vouloir le bien de tous, on "prend des mesures drastiques" (drastique: voilà un mot qui fait bien, donne le sentiment qu'on a le gouvernail bien en main! Celui de la coercition, sans aucun doute; celui du bon sens, certainement pas): on surveille davantage et on punit plus fort, bien évidemment, mais ça ne suffit pas... il faut brider davantage la vie! on ferme les discothèques, on interdit de danser... sans même qu'il soit prouvé que danser ou se retrouver dans des boîtes de nuit soit propice aux "clusters" certaines expériences auraient même été menées qui ont démontré l’innocuité de ces rassemblements. Depuis mars 2020 nous vivons tant bien que mal en Absurdie, sous le coup d'incohérences qui apparaissent dès que l'on prend la peine de se pencher un tant soit peu sur les informations officielles on se contentera de celles divulguées sur le site franceinfo pour comprendre qu'il y a d'innombrables hiatus entre les données rendues publiques, par exemple entre certains des chiffres dont on est abreuvé et les mesures gouvernementales censées s'appuyer dessus pour "freiner la pandémie". Pas besoin d'aller naviguer chez les complotistes ou les antivax pour saisir qu'il y a absurdité en la demeure...

Et donc... Tandis que l'on continue de nous ensevelir vivants, de nous réduire à l'état de fossiles pompéiens dé-facés mais sommés de subir en silence et de continuer (quoi... on se le demande bien!) hier tout d'un coup m'a traversée un instant d'euphorie légère qui m'a fait trouver beau le ciel bleu et agréable l'anormale douceur du soleil hivernal. Un infime accroc au regard. Marchant nonchalamment dans une rue courte et étroite, les yeux traînant de droite et de gauche soudain je m'arrête devant un minuscule bout de papier tout baigné de lumière, coincé dans un battant de lucarne mal refermé.

Sans doute sont-ce ses couleurs et ses motifs – dominante de rouge et de vert, des rameaux de sapin frangés de givre qui, me faisant aussitôt penser à l'une de ces étiquettes que l'on colle sur les emballages des cadeaux offerts à Noël, ont pénétré jusqu'en mes tréfonds inconscients où gisent tant d'heureux souvenirs d'enfance et m'ont, ainsi, forcée à l'arrêt. Je lis alors l'injonction toute simple qui est écrite. Elle m'arrive sous les yeux justement quand, quelques minutes auparavant, je me suis en effet laissé guider par mon cœur, suivant jusqu'au bout une vague intention dont je me disais qu'elle resterait comme tant d'autres dans les réserves, ô combien encombrées, de mes velléités inhumées. La pleine lumière, l'invite, la résurrection des souvenirs, le fouillis palpitant qui s'est immédiatement mis à bruire dans mes pensées où se tissait dans le plus grand désordre les phrases qui précèdent: une foisonnante convergence de signes qui, dans le vague de sa perception, a motivé la prise de vue.

Et malgré les mots écrits, malgré l'image fixée, le message que je sais reçu n'est en rien décrypté. Ma seule certitude: il y a là quelque chose à entendre.

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30 décembre 2021 4 30 /12 /décembre /2021 11:14

Comme la «quotidienneté ou presque» de ces épinglettes a été vite remisée au magasin des vœux pieux! Ma volonté de constance minimale aura été bien rapide à fondrer* et à s'engluer dans d'innombrables morosités. Intérieures et profondes, noyées d'obscurité, qui par intermittences éclipsent tout et réduisent à l'immobilisme psychique. Et ces autres morosités, bien plus faciles à cerner, imputables aux amertumes qui ne passent pas, écorchent le palais, ne veulent pas se laisser déloger par l'artifice des petites phrases-exutoires qui soulagent de sentiments trop intenses dont on est encombré, voire meurtri.

Il faudrait pour tenir à peu près debout pouvoir se fermer aux fétidités morbides dont on ne cesse d'être submergé et que ne peuvent même plus atténuer ces micro-merveilles dont chaque jour est riche pour quiconque sait les accueillir. Une senteur, une incidence lumineuse traversant une feuille ou frappant la surface d'une flaque... Tout cela est bien impuissant à amoindrir les coups répétés que les «autorités» depuis deux ans nous infligent au motif de nous «protéger», en réalité pour fracturer ce qu'il y a d'humain en nous – jusqu'à nous dé-facer derrière des masques et nous voilà effacés – , exaspérer autant que faire se peut les tensions, les haines ordinaires et, in fine, rendre les gens fous de lassitude, de peur, quand ce n'est pas de précarité et de misère. Quelques poches de résistance sont encore là mais pour combien de temps? Jusques à quand le sol sera-t-il bosselé de ces aspérités qui freineront le rouleau compresseur des pouvoirs mondiaux? Ces fétidités, pareilles à une marée haute refusant de redescendre, sont de ces choses que l'on doit s'efforcer de tenir à distance puisque l'on ne saurait, à se rebeller contre elles, que se fracasser contre un mur.

Ces mesures – peut-être en effet protectrices mais peut-être pas tant que cela – ne me semblent, hélas, être que la part la plus visible, la plus envahissante, d'un ensemble de propos politiques et gouvernementaux qui, tous domaines confondus, m'apparaissent de plus en plus marqués au sceau du mensonge, de l'intention propagandiste, et de la très, très mauvaise foi électoraliste. Je n'ai pas la liberté d'esprit requise pour poser loin de moi les sentiments que cela m'inspire; chaque mesure annoncée me fait l'effet d'une pelletée de cendres reçue en pleine face – et chaque jour d'être ainsi plus cinéraire que la veille et bien moins que le lendemain.

Ce dépeçage savamment reconduit des espoirs, au creux desquels on s'efforce bon an mal an de loger les désirs, les aspirations afin de rester vivant, n'en finit pas d'imposer sa brutalité tsunamique. Mais ce que j'en écris là n'en dit au fond presque rien.

Une visualité récente sera bien plus loquace, saisie à la faveur d'une errance du regard au ras du sol... Sur le bitume tout soudain ce pauvre pigeon mort, dont seules subsistent les ailes et les plumes de la queue avec, en guise de corps une carcasse déchiquetée: et c'est aussitôt l'image de mon état d'âme du moment que je vois – comme si j'avais devant moi un miroir reflétant la part défaite de mes intériorités, jusqu'aux plus secrètes. La violence est extrême qui émane d'un animal mort et j'ai pour habitude de me détourner des corps que je peux croiser – les voir est insupportable: cela suffit à infuser une si forte idée de souffrance mortelle qu'il me semble en être physiquement parcourue. Mais là...

Passé un premier mouvement de recul je ne puis m'empêcher de reposer les yeux sur ce cadavre pour en observer les lignes, les reliefs, les teintes, la figure géométrique qu'il dessine – au point que l'oiseau massacré disparaît pour céder la place à une bouleversante composition archétypique du Désastre et de la Défaite.

Parce que l'oiseau a disparu derrière la figure, le regard posé, puis la photo sont devenus possibles.

* = sombrer en de profondes fondrières.

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5 décembre 2021 7 05 /12 /décembre /2021 13:42

Hier samedi 4 décembre série de retrouvailles amicales autour de la mémoire de Pierre-Guillaume de Roux... En m'éloignant du lieu de rendez-vous je lève la tête sans que je puisse - même a posteriori, donc après avoir pris ce temps dont j'aime tant m'emparer pour fouiller les arrière-fonds d'un geste, d'une pensée, et arpenter ainsi ces méandres obscurs qui mènent à eux - expliquer pourquoi, à ce moment précis j'ai regardé vers le haut alors que je faisais simplement demi-tour pour gagner la station de métro la plus proche. Mais à peine avais-je les yeux levés que je voyais cette pièce de street art qui m'a paru aussitôt être en résonance avec les circonstances que je traversais et les pensées qui les accompagnaient (pensées profuses et indémêlables mais auxquelles s'associaient les notions d'essor, de laisser-partir, d'à-venir dégagé placé sous le signe du beau et de l'harmonieux comme me le soufflerait, par exemple, un fugace rayon de lumière frappant une transparence florale: je venais de côtoyer de belles personnes, et d'évoquer avec elles un ami).

Je sors mon Galaxy et je capte, comme je le fais si souvent chaque fois que je vois. Une seule prise. Je n'en vérifie même pas la qualité, je ne la double pas: c'est un one shot, en harmonie avec la rapidité, la force de la fulgurance visuelle et mentale qui est survenue et ne se modifie pas.

Fugacéphémérité !

Plus tard je verrai bien que la qualité est médiocre, que l'image manque de netteté. Pourtant je la conserve, mieux: je l'insère ici, à titre illustratif comme si elle méritait d'être exposée. C'est que les lignes fuyantes pas vraiment voulues et ce ciel [qui] est par-dessus le toit me semblent souligner, appeler l'envol de l'oiseau, et que le flou lui-même peut passer pour un bougé qui serait celui de l'envolé...

Mais ce n'est là que littérature, du texte déversé par-dessus une image qui sans lui n'aurait aucune valeur, privée de son sens par son manque de qualité photographique...

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15 novembre 2021 1 15 /11 /novembre /2021 18:02

Cette photo de rose que j'avais choisie pour la soumettre au jury de Photovision lors des sélections pour l'exposition "Sur tous les tons", en pensant à toi et au jeu auquel nous jouions toutes les deux quand j'étais enfant, pendant les longs trajets en voiture qui nous emmenaient à Gourdon (ou nous ramenaient à Vincennes...). "Sans T cette fleur": il fallait non pas identifier une senteur mais trouver un nom de fleur qui fût dépourvu de la lettre T. "Rose" comptait parmi les réponses admises...

Quelles étaient les règles et comment nous jouions je ne le sais plus vraiment. Mais à jamais cette phrase ludique et toi, maman, êtes liées dans ma mémoire. Et les roses, toutes les roses car tu les aimais toutes. Celle qui a été mon modèle pour cette image venait de Meyraguet. Là où désormais tu reposes depuis un an aujourd'hui. La fleur, le vase où elle est, l'arrière-plan aussi bien que la photo elle-même et son tirage, tout cela tisse une histoire qui n'est pas étrangère au fait que je veuille te la dédier au bas de ces pauvres lignes. Mais en ce 15 novembre, il ne s'agit que d'une chose. Te dire ce que je n'ai pas été capable de te dire tant que tu étais là.

Maman je t'aime.

Et me demander une fois de plus pourquoi je n'ai pas su t'aimer à la hauteur de cette affection inconditionnelle que toi tu m'as donnée.

 

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  • : Terres nykthes
  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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