Fruit d’un désœuvrement tenace que vint un jour imperceptiblement déchirer une petite velléité d’écriture d’où émergea un texte impossible à ranger dans l’une ou l’autre des catégories existantes mais que je tenais à inscrire ici, celle ci-nommée «sans nom» fut ouverte afin de l’y accueillir et, à sa suite, ceux qui à sa semblance me paraîtraient inclassables mais dignes d’être fixés et publiés. Trois, avant celui qui était en train de s’ébaucher quand me vint l’idée de rédiger ce chapeau, ont été comme lui suscités par mon attirance incoercible pour les boîtes à livres et en ont reçu une intitulation toujours identique où seul change le numéro d’ordre. Cela ressemble de plus en plus, à fur et mesure que croît l'ordinal, à un nom de catégorie. Mais peu confiante dans ma constance à tenir le rôle de mes trouvailles dans ces boîtes, je m’en tiens, pour ce texte encore, à l'ordinal qui seul distingue.
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Je n’ai pas, à ce jour, traversé d’affres si noires ni senti mes pensées prises dans un tel étau que mon intérêt pour les boîtes à livres en ait été éteint. S’en présente-t-il une sur mon chemin que mon regard s’arrête – assez longuement pour en explorer le contenu, à peine le temps d’identifier l’objet «boîte à livres» si celui-ci se réduit à quelques étagères offertes aux intempéries ou s’il montre un entassement trop désordonné et peu propice à préserver les ouvrages. Quant à cerner ce qui motive mon geste de saisie... parfois le titre du livre, parfois le nom de l’auteur – et de temps en temps, mais beaucoup plus rarement, l’identité visuelle du volume m’indiquant son appartenance à une collection bien particulière, ou encore en première de couverture un nom de préfacier accompagnant celui de l’auteur, la mention d’un appareil critique remarquable… tous facteurs me murmurant que ledit volume mérite de venir doubler un exemplaire du même titre déjà en ma possession.
Ayant retrouvé une petite dizaine de polars signés Charles Exbrayat dans les bibliothèques familiales – et parmi eux un ou deux que je me souvenais d’avoir lus à l’adolescence, quand je m'étais lassée des séries policières de la Bibliothèque verte, mais sans les avoir véritablement appréciés ni en avoir été marquée d’une façon ou d’une autre –, j’avais entrepris il y a quelques mois, de redécouvrir cet auteur qui, voici plus de trente ans, m’avait laissée indifférente. Je commençai par un des romans que j’étais certaine de n’avoir jamais lus – La Nuit de Santa Cruz; puis ce fut Un joli petit coin pour mourir et, peu après, Dors tranquille Katherine. Cela me fit comprendre à la fois pourquoi je n’avais pas «accroché» à 15 ans… et pourquoi, aujourd’hui, j’étais conquise. J’avais découvert un style, une langue soignée exempte de fautes grossières, une subtilité dans la manière de construire l’intrigue autant que le récit lui-même en jouant habilement de la digression et du rebondissement, un talent pour doter les personnages d’une psychologie dense et complexe qui me ravissaient – autant d’aspects ressortissant de la narratologie et de la stylistique auxquels on ne peut être sensible qu’à la condition de savoir les identifier et les apprécier, que l’on y ait été éveillé académiquement ou qu’on sache les repérer grâce à sa seule intuition naturelle. À 15 ans, je ne me souciais guère d’analyse littéraire et n’avais d’yeux que pour l’«histoire». Digressions et monologues intérieurs m’ennuyaient profondément, quant à l’humour dans un polar qui n’était pas un San A., il m’agaçait.
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Bref – aujourd’hui au seuil de la vieillesse je lis différemment; Charles Exbrayat est devenu un auteur que je recherche assez pour décider de compléter petit à petit la série de ses polars que je possède. Mais «à la chineuse», en m’en remettant aux surprises des boîtes à livres ou des étals de bouquinistes qui offrent cette merveilleuse possibilité du surgissement, ce piment du promeneur qui relève de son inimitable piquant les plus mornes errances.
C’est ainsi que je piochai, d’abord, Les Messieurs de Delft. Non pas seulement mue par le nom de l’auteur mais parce que je me souvenais d’avoir vu, enfant, à la télévision une série intitulée Ces messieurs de Delft (la différence de déterminant doit être signifiante, je suppose...) Sans en avoir de souvenir plus précis que cette subsistance du titre. De rapides investigations sur Internet me donnèrent quelques informations qui, cependant, ne ravivèrent rien dans ma mémoire mais attisèrent mon appétit de lecture. Puis, ce mardi 13 août, de passage à Brive entre deux trains et bien que préoccupée par l’absence de plan qui m’eût permis de repérer le chemin à suivre pour atteindre la rue où je devais me rendre, j’ai succombé instantanément à l’attrait de la petite boîte à livres implantée au sortir de la gare, que je trouvai peu garnie, donc vite explorée. Et là... Un Exbrayat. Sûre que Le Clan Morembert manquait à ma collection, je m’en suis emparée.
Je n’ai lu ce roman que bien plus tard (j'y ai aussi croisé des messieurs que je n’ai pu m'empêcher de comparer à ceux de Delft; cette orientation comparatiste s’est vite étendue à d’autres points du récit et perdura tout au long de ma lecture dont elle fut comme l’ombre portée), mais l’allégresse que son... surgissement me procura s'est avérée suffisamment persistante et motivante pour nourrir cette page.