Claude Bourgeyx est de retour à Sarlat pour l'édition 2014. Voilà qui m'a incitée à ressusciter ‒ et à rafraîchir ‒ ce que m'avait inspiré la lecture, en 2008, de ses Petits outrages en première partie de la Journée SACD (chronique publiée sous sa forme première le 17 août 2008 sur le site lelitteraire.com)
Outrageusement vôtre...
Jean-Paul Tribout s’est attaché au travail de Claude Bourgeyx depuis qu’il a découvert ses Petites fêlures interprétées par Claude Piéplu. Il a ensuite apprécié ses pièces de théâtre et, lorsqu’il lui a fallu choisir l’œuvre qui allait être lue lors de la Journée SACD de cette 57e édition du festival, il a songé aux Petits outrages, un recueil d’une sélection de courtes chroniques parues dans Ouest-France Dimanche paru en 1984 aux éditions du Castor Astral et qui vient d’être réédité*. Assorti de quelques retouches – "du toilettage d’écriture", dira l’auteur qui a ajouté des titres à chaque chronique mais n’a, assure-t-il, rien changé quant au fond.
Souvent parties d’une idée jetée sur le papier ou d’une réflexion surgie à l’improviste qiu sera développée sur un mode un peu errant, ces chroniques sont d’une étonnante variété thématique et tonale. On y trouve pêle-mêle des historiettes dont les personnages sont confrontés à des situations gore, ou absurdes – une jeune femme que gêne l’élastique de son slip finit coupée en deux par ce même élastique; un homme amputé d’une jambe entretient avec son membre coupé une relation affectueuse au point de lui chercher une compagne… ‒ , des textes moins narratifs où des comportements douteux sont poussés jusqu’au plus abominable de leur logique – par exemple "La chasse aux nains" qui, paraît-il, fit scandale lors de sa parution –, des développements cyniques mais d’une drôlerie achevée à partir de problématiques actuelles – quel avenir pour le théâtre quand on en est réduit à proposer des représentations dans une vespasienne? Quel sens donnent à la démarche artistique un sculpteur sur boudin… et l’amateur qui goûte (!) ses œuvres??? – ou encore des méditations éminemment métaphysiques tout de même un peu inattendues – s’est-on jamais interrogé sur la nature de Dieu en allant Le chercher au fond d’une passoire? – sans oublier de savoureuses variations sur les affres de l’écriture et les épineuses délicatesses sémantiques dont est pavé le chemin de tout écrivain.
C’est à partir de la seconde édition que Jean-Paul Tribout a construit la lecture, en sélectionnant quelques chroniques qu’il a réorganisées selon un ordre différent de celui du livre puis dont il a confié l’interprétation aux comédiens en fonction de leur sujet: à Dominique Paquet les incarnations féminines et les questions d’écriture, à Philippe Meyer les discours à résonance professorale… à lui-même, enfin, revenaient les considérations philosophiques et les questionnements concernant Dieu. S’est ainsi révélé sur la scène un bel ensemble dramatique, avec une progression et une cohérence interne parfaitement perceptibles – la lecture s’est ouverte par un texte sur le théâtre et les trois coups de brigadier, et s’est terminée sur trois chroniques traitant de la mort du narrateur. Les trois lecteurs mirent tant de cœur à lire qu’ils en ont littéralement joué les textes – seuls les regards accrochant de temps à autre les feuillets posés sur des lutrins attestaient qu’il s’agissait bien d’une lecture –, se donnant la réplique sans le moindre temps mort et accompagnant leurs paroles de tout un langage corporel qui appuyait avec un parfait à-propos des inflexions de voix elles aussi toujours justes. À voir une prestation aussi enlevée, et brillante, je me suis dit qu’il devait y avoir en amont une longue et minutieuse préparation. Il semble pourtant qu’il n’en ait rien été et qu’une bonne part du spectacle se soit décidée aux derniers moments. Le talent des comédiens n’en est que plus remarquable… Le public d’ailleurs fut unanimement séduit, qui applaudit beaucoup et, par là, incita les lecteurs à prolonger un peu en nous offrant une coda plus ébouriffée, faite de textes épars enfilés à la suite les uns des autres comme autant de perles au bel orient. Un final que l’auteur, installé au premier rang, a sans doute apprécié.
Quand on les lit pour soi, dans l’intimité du face-à-face avec les mots et les phrases, ces textes aux consonances très desprogiennes, demandent chacun un temps d’arrêt pour bien en savourer toutes les notes et ce jusqu’à l’extinction des derniers échos. Aussi pensais-je qu’ils allaient mal supporter d’être assemblés en un tout dramatique. J’avais grand tort: les comédiens les ont abordés avec une telle intelligence qu’ils se sont illuminés les uns les autres et parés d’une vitalité, d’un éclat que je n’aurais jamais pensé leur seoir.
Ainsi pendant un peu plus d’une heure s’est-on finement diverti… Après les saluts, et les applaudissements fervents, il y eut une courte pause avant la discussion post-lecture, laissant aux spectateurs le temps d’assimiler ce qu’ils venaient d’entendre et de fourbir leurs questions à l’auteur. Car les textes de Paul Bourgeyx sont de ceux qui engendrent un rire sérieux, celui dont on éclate de bon cœur alors même que l’on s’interroge sur ce qui fait rire, et sur le pourquoi de cet accès d’hilarité – sauf quand on les entend à un degré qui ne leur convient pas, le tout premier de l’échelle, et l’on réagit alors par de violentes vitupérations… tout naturellement la discussion porta presque uniquement sur le comique parfois très dérangeant de ces Petits outrages et, bien sûr, le nom de Pierre Desproges fut très vite prononcé. Pour constater que, depuis sa disparition, quelque chose avait changé dans la réception, et la diffusion, des œuvres satiriques: alors qu’on le dirait en pleine santé, parce que omniprésent sur nos chaînes de télévision et dans les salles de café-théâtre, l’humour provocateur s’inscrit, en définitive, dans une sorte de "culturellement correct" envahissant et mollasson dont il semble bien difficile de sortir, même en sombrant dans la pire grossièreté. Est-il donc devenu impossible de jouer du pied de nez et du bras d’honneur avec cette finesse relevant du panache aristocratique qui est le propre des très grands humoristes?
Laissant la question en suspens – pouvait-elle, d’ailleurs, ne pas rester en cet état? – spectateurs, artistes et organisateurs rompirent peu à peu les rangs pour aller s’attabler: l’appel des délices périgourdins devenait décidément trop insistant…
Lecture donnée le 27 juillet 2008 à l'abbaye Sainte-Claire.
Durée: 1h15.
* Claude Bourgeyx, Les Petits outrages (seconde édition), Le Castor astral, 2004, 160 p. – 14,20 €.