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10 février 2015 2 10 /02 /février /2015 19:42
Il est encore temps......

Jusqu'au 21 février le vaisseau du Mariage de Figaro, mis en scène par Jean-Paul Tribout, est amarré au Théâtre 14. Le 6 janvier avait lieu la première parisienne et, pour avoir vu le spectacle l'été dernier à Sarlat je me réjouissais à l'avance d'entamer mon année théâtrale en revoyant cette pièce pleine d'énergie, de pétulance et de drôlerie, aux dialogues brillants où s'entend une indéniable tonalité révolutionnaire qui résonne encore en ce début de XXIe siècle au point que certains propos, notamment ceux que tient Figaro dans son fameux monologue, paraissent avoir été fraîchement écrits. Je jubilais à la perspective de voir comment le magistral ballet orchestré par le metteur en scène qui avait si justement habité la vaste scène montée place de la Liberté (pouvait-on rêver meilleure adéquation entre le "fond" d'un spectacle et le nom du lieu où il se donne?) allait se couler dans l'espace beaucoup plus intimiste du Théâtre 14. J'avais réservé ma place pour la représentation du 10 janvier et, tandis que j'étais sur le point d'envoyer mes vœux à toute l'équipe au lendemain de cette première le message a été séché net par l'annonce du massacre à la rédaction de Charlie Hebdo... Comment, après ça, adresser des vœux de "bonne année"? Et rebondir malgré tout quand, ensuite, les massacres se poursuivent? Les comédiens, eux, ont continué. Avec talent, avec panache: outre que le spectacle avait, à mes yeux, gagné en éclat depuis le mois de juillet je vis, en ce soir du 10 janvier, des artistes admirablement "Charlie". Sans bannière, sans slogan et sans annonce retentissante, avec quelques mots affûtés et confiés, au milieu des saluts, à celui qui venait d'incarner Figaro et d'en dire brillamment le monologue, la troupe entière, encore nimbée du climat joyeux de la pièce et de cette gaîté singulière qu'irradient les comédiens quand ils ont joué de tout leur cœur, la troupe entière s'est insurgée contre la barbarie. Mais peut-être la réaction la plus émouvante a-t-elle tenue en cela: avoir joué après la barbarie, avoir si bien réussi à faire exister, sur scène, le pétillement textuel et dramatique de la pièce de Beaumarchais, ses subtilités - sur quoi il convient, maintenant, d'insister.

Un plateau nu fermé en son fond par une simple paroi à plusieurs pans dont deux sont percés d'une porte, à peine visible dans les couleurs dont ils sont peints et qui reconstituent un ciel tranquille - un bleu clair parcouru d'imperceptibles nuances que des nuages tout en rondeurs, d'un blanc moelleux infléchi de gris évanescents: rien autre. Un ciel qui, s'il m'en souvient, est inspiré par l’œuvre de Fragonard - une référence picturale qui, me semble-t-il, se lit aussi dans l'affiche : le couple enlacé me rappelle assez nettement Le Verrou, cette toile dont le motif se met à foisonner dès lors qu'on en creuse un peu la lecture. Comme foisonne la personnalité de Beaumarchais, dramaturge certes, et fondateur de la SACD mais qui fut aussi un horloger de talent et inventeur d'un nouvel échappement (dispositif régularisant les oscillations du pendule ou d'un balancier d'une horloge ou d'une montre, indique le TLF), une sorte d'agent secret, un libertin... bref, qui eut de si nombreuses facettes que tenter de les assembler toutes ne ferait encore qu'esquisser l'homme nommé Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais. La nudité du plateau, à laquelle on ne s'attend guère au vu des indications de décor très détaillées que donne l'auteur pour chacun des cinq actes, est au contraire ce qui paraît le mieux y correspondre puisque à même de s'adapter à tous les environnements, de la chambre au jardin en passant par la salle du trône, et le fond de scène céleste pareillement - le ciel ne se tient-il pas toujours au-dessus des têtes, que l’on soit à l’intérieur ou à l’extérieur? Fond de scène qui, en outre, figurera le plein jour ou la pénombre crépusculaire selon la lumière dont on l'inondera.

Ainsi donc l’espace scénique s’offre d’emblée comme le champ de tous les possibles. Et dès les premières minutes, en guise de prologue tandis que s’égrène la mélodie bien connue des Noze di Figaro – l’opéra de Mozart sera, d’ailleurs, le fil conducteur du spectacle, renaissant à chaque noir, se colorant à la fin de sonorités jazzy pour donner au tout un ultime grain de fantaisie ‒ une petite foule de masques entre, va, vient, virevolte, emplit la scène d’une agitation fébrile qu’un personnage armé d’une toise semble vouloir régler. Puis la toise se fait brigadier, trois coups enfin… c’est la première scène. Que de sens dans ce prologue! la tonalité donnée à la fois par la musique et par le petit ballet de personnages, les masques annonçant les multiples quiproquos qui vont venir compliquer les préparatifs de mariage… Et Figaro toise en main, esquisse anticipée du rôle de grand ordonnateur qu’il va jouer. Voilà, en quelques minutes savamment concoctées l’esprit mis en condition. Il lui en faudra, de l’agilité, pour suivre sans se perdre les entrelacs amoureux – Figaro aime Suzanne qu’il va épouser mais il est poursuivi par Marcelline après qui soupire Bartholo… Suzanne tâche de se soustraire aux assiduités du comte Almaviva, que la Comtesse voudrait bien reconquérir et qui s’efforce de se dérober à l’amour de Chérubin, lequel, bien que charmé par la Comtesse, est loin de dédaigner Fanchette à qui il est fiancé… ‒ complexifiés par des péripéties secondaires surgissant à qui mieux mieux et qui sous-tendent tout un arsenal de stratagèmes ourdis par les uns pour déjouer les pièges des autres… Ce qui devait n’avoir que la fébrilité particulière aux préparatifs d’une noce se mue très vite en une "folle journée", magnifiquement dramatisée par Beaumarchais, et magistralement déployée, ici, par la conjonction d’une interprétation irréprochable et d’une mise en scène extrêmement habile qui, en faisant le vide sur le plateau, ne conservant, d’accessoires, que ce qui est indispensable pour qu’il n’y ait jamais hiatus entre les répliques et le jeu, laisse à l’exubérance de la "folle journée" une vastitude où elle puisse s’épanouir. Déplacements millimétrés, rythme effréné aux pauses opportunes, gestuelle et intonations toujours justes, diction impeccable : le texte brille, le jeu pétille, les intrigues emportent… On se régale.

Des coupes ont été opérées qui resserrent la pièce à l’essentiel des intrigues… et au plus fin des propos. En coupant, le metteur en scène a peut-être ôté à la pièce ce que sa longueur même avait de signifiant quand elle a été écrite (Beaumarchais prenait, avec Le Mariage de Figaro, une sorte de revanche sur un public qui avait exigé de lui qu'il raccourcisse son Barbier de Séville - Cf. la présentation d'Elizabeth Lavezzi dans l'édition GF "avec dossier" du Mariage). Mais cette longueur a perdu cette signifiance, aujourd'hui que toutes les durées sont admises, des marathons de plusieurs heures aux micro-représentations de moins d'une heure, et il me semble que le resserrement sert la portée profonde de la pièce, que Jean-Paul Tribout expose avec finesse et intelligence. Un spectacle rondement mené, net et précis – de la haute horlogerie, si je puis dire…
Deux heures qui font aimer Le Mariage de Figaro, Beaumarchais et, plus largement, le théâtre.

LE MARIAGE DE FIGARO OU LA FOLLE JOURNÉE
Comédie en cinq actes et en prose de Pierre-Augustin Car
on de Beaumarchais.
Mise en scène:
Jean-Paul Tribout
Avec:
Éric Herson-Macarel, Marie-Christine Letort, Claire Mirande, Agnès Ramy, Thomas Sagols, Marc Samuel, Alice Sarfati, Xavier Simonin, Jean-Marie Sirgue, Pierre Trapet, Jean-Paul Tribout.
Lumières:
Philippe Lacombe.
Costumes:
Aurore Popineau
Décor:
Amélie Tribout
Durée:
Environ 2 heures.

Jusqu'au 21 février 2015. Représentations du mardi au vendredi à 21 heures, le samedi à 16 heures et à 20h30. Réservations du lundi au samedi de 14 heures à 18 heures.
Théâtre 14
20 avenue
Marc Sangnier
75014 PARIS.

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11 août 2014 1 11 /08 /août /2014 15:48
Des Flamands, des Flamands, des Fla, des Fla des Flamands......

formi, formi, formi fomidables!

Pourquoi ce nom de Framboise Frivole?
Peter: Parce que nous faisons de la musique sans fraise. Euh, pardon… de la musique française!

Cette explication… n’est pas tout à fait la bonne* mais, improvisée dans le feu des échanges plamonais au lendemain de la représentation, elle donne le la de ce qu’est Delicatissimo: à première vue concert classique donné par un violoncelliste et un pianiste en grande tenue, entrecoupé de quelques interventions discursives, cela dérape dès les premières minutes (le morceau joué en ouverture est annoncé comme le Concerto à une fois [entendez: voix] de Saint-Preux…) et vire au sketch comique mais d'un genre unique: les calembours sont verbaux et musicaux, ils jaillissent à la vitesse d'un feu de mitraille mais, loin d’être gratuits, chacun énoncé ou joué pour lui-même, ils sont sertis dans une mise en scène flamboyante et s’égrènent le long d’une narration très construite. Bon, soit… un peu délirante cette histoire d’archet caché dont il s’agit de retrouver la trace grâce à un Journal secret tenu par Maurice Jarre mais enfin, c’est un récit – qui au passage revisite drolatiquement l'épisode de l’Arche(t) de Noé, croisé avec certaine Arche perdue ‒ soigneusement architecturé dont on tient fermement le fil du début à la fin, en dépit des fortes turbulences calembouriennes et de la luxuriance d'effets lumineux splendides, qui, rehaussés de fumées et dignes des meilleurs spectacles de grande illusion, tendent à subjuguer l'attention.

Les références musicales sidèrent par leur nombre et par la diversité des registres, des domaines auxquels elles sont puisées: les airs, thèmes et mélodies viennent autant des compositions classiques que des chansons de variété, empruntent aussi aux musiques de film et même au "degré zéro de la ritournelle", l'onomatopée – quatre notes résonnent, à peine le temps d'être entendues, reconnaissables entre toutes pour les amateurs de cartoons: le" rire" de Woody Woodpecker! Textuellement, le spectre est tout aussi large, et les jeux de mot arpentent toute la gamme des subtilités, depuis le niveau"almanach Vermot" jusqu'aux effets les plus poético-surréalistes en passant par des clins d'oreille à cette arrière-zone de la "culture" qu'est la publicité – l'on entend passer les slogans de Leroy-Merlin et de L'Oréal...

Outre qu'elles sont très nombreuses, et diverses, ces références sont convoquées à très, très grande vitesse et il faut une extrême agilité d'esprit pour les saisir, jouir ainsi de leur plein impact. Quoique... écrivant cela je ne suis pas tout à fait juste: le spectacle n'est pas seulement rapide, étourdissant, il est rythmé, très finement rythmé – car les deux concertistes-chanteurs sont aussi d'excellents comédiens et ils prennent le temps de jouer, de raconter l'histoire.

Delicatissimo est un bijou à tous points de vue – construction, virtuosité musicale et textuelle, effets visuels… Au point que le comique, pourtant omniprésent, m’est devenu secondaire au regard des merveilles émerveillantes: j’ai certes beaucoup ri, mais l'admiration jubilante pour la polyvirtuosité de Bart et de Peter le disputait sans cesse à l’envie de rire – et gagnait la partie. Un état de corps et d’esprit au fond tout aussi cathartique, et nirvanesque, que la franche hilarité. Quant à risquer des comparaisons avec quelque autre formation, ou type de spectacles… Impossible à mon avis: je crois bien que La Framboise Frivole est unique, hors catégorie – qu’elle joue seule dans sa cour artistique.

* La veille un festivalier avait déjà posé la question et Bart, alors seul présent, avait répondu que le choix s'était fait de manière assez... hasardeuse: à ses débuts voici plus de trente ans, la formation n’avait pas de nom et, tâtonnant entre plusieurs propositions, l'on s'était finalement arrêté sur une expression flamande dont la consonance plaisait et qui correspond, à la lettre, au français "framboise frivole". Si je ne me trompe pas dans mes notes et souvenirs...

Retenues de Plamon...
... quelques clefs ouvrant sur leur méthode de travail qui ont achevé de me confondre d'admiration.

- Il y a en tout quelque 230 références musicales tous genres confondus, et plus d'une centaine de "sutures" qu'il a fallu écrire pour que le glissement d'un air à l'autre se fasse comme s'il s'agissait d'une seule partition... J'imagine le degré de maîtrise qu'il faut avoir de l'écriture musicale (et de l'interprétation, bien sûr) pour parvenir à de telles transfigurations.

- En écoutant leurs formidables jongleries verbales, et qui plus est ancrées dans les replis les plus franco-français de l'univers référentiel, on a du mal à se figurer que Bart et Peter ne sont pas français. Pourtant, ils ne sont même pas francophones! Tous deux sont flamands et néerlandophones. Ils écrivent d'abord leurs spectacles en flamand puis traduisent les textes en français, et élaborent leurs jeux de mots en se basant sur les proximités de sonorités. Cela leur donne, dit Peter, une liberté que n'a pas le francophone qui peut être "bridé" parce qu'il connaît le sens des mots. Eux l'ignorant, ils ont plus de latitude pour s'amuser musicalement avec le langage. Et puis ils étaient leurs jeux de quelques recherches sur la Toile, recourent parfois au traducteur automatique, dont les versions sont souvent d'un bizarre des plus comiques... qu'ils utilisent à l'avantage de leur spectacle. Ils peaufinent enfin leur écriture en échangent avec des francophones. Sidérante méthode, dans laquelle je vois l'exacte correspondance avec la brillante exubérance de leur show.

- Chaque effet est testé, testé encore, ajusté au millimètre et revu si besoin en fonction des réactions du public. Ainsi nous racontèrent-ils qu’ils avaient essuyé un "blanc" là où ils attendaient des éclats de rire lors de la première représentation de la version française de Delicatissmo, en Alsace: à un moment ils imitent le chant du coucou qu’ils déclinent en plusieurs versions selon l’origine présumée de l’oiseau – par exemple le coucou berbère fait couscous, couscous… ‒ et, parmi les coucous internationaux, s’en trouvait un chinois qui avait pour chant un mot flamand désignant les fameux beignets de crevettes servis dans les restaurants asiatiques. En Alsace, ce chant sino-flamand n’a manifestement rien évoqué au public et personne n’a ri… De questionnements en investigations, Bart et Peter ont finalement naturalisé alsacien le coucou problématique et, désormais, l’on entend chanter choucrout’, choucrout’… au fond des bois francophones et ensuite résonner les rires attendus.

- Chaque spectacle existe en néerlandais et en français. Il ne s'agit bien évidemment pas d'une simple transposition d'une langue à l'autre: il faut procéder, pour chacune, à tout un ajustement de références. Ils écrivent et tournent d'abord la version néerlandaise puis travaillent ensuite à la version française. Quand celle-ci commence à tourner, ils entament l'écriture du spectacle suivant. Ainsi la polyvirtuosité des artistes se prolonge-t-elle dans leur façon de travailler, de créer, de répéter… Elle trouve même son écho dans le formidable piano de Bart. Un piano à queue apparemment classique mais couplé à un ordinateur et permettant, outre de jouer du piano de façon tout à fait "normale", d’exploiter toutes les ressources d’un synthétiseur, et mille autres choses comme, par exemple, d’être commandé via un iPad – possibilité qui, d’ailleurs, donne matière à une série de numéros et gags époustouflants. Un piano Yamaha – la précision n'est pas anodine: cela ajoute du sel à certain numéro de moto, même s'il s'agit de la Harley chère à Bardot!

DELICATISSIMO
De et avec Peter Hens (chant, violoncelle) et Bart Van Canegem (piano et chant).
(À qui il faudrait ajouter le créateur lumière et l'ingénieur du son Nous sommes quatre en tout, ont expliqué Peter et Bart – eux aussi, à l'évidence, virtuoses dans leur domaine respectif).
Durée:
1h40

Représentation donnée le vendredi 25 juillet au Centre culturel.

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6 août 2014 3 06 /08 /août /2014 14:10
Égratignures

En marge du festival de Sarlat, et des trésors ramenés de Plamon, de petits bouts de réel glanés çà et là, dont quelque chose m'a paru devoir subsister et que j'ai tâché d'enserrer en deux-trois mots. Rien d'essentiel, je le sais – l'essence des instants toujours échappe, tenant dans leur éphémérité même. Des mots, juste des mots ‒ tout ce que j'ai à portée de main pour arracher à la dissolution des rognures de sentiment, des restes d'images...

Dimanche 27 juillet.
À 8 heures le soleil n’est pas encore haut dans le ciel et la lumière allonge loin les ombres; sur le bord de la route des Pechs que je parcours chaque matin à petites foulées, une villa a son jardin fermé par un portail de fer forgé blanc à double battant. Chacun d’eux figure un demi-soleil surmonté de longs rayons où sont pris comme en un filet trois oiseaux en vol. Un rai de lumière, au moment où je passe, effleure de biais le portail. Passe entre le demi-soleil de métal et l’aile d’un des oiseaux arrêtés qu’il semble soulever. L’effet est saisissant – un instant à peine, photogénique à souhait et que je ne puis saisir. Une photo de plus que je ne ferai pas, me dis-je…

Mercredi 30 juillet.
En traversant les jardins de Sainte-Claire pour gagner mon siège, j’aperçois assis sur un mur un chat noir et blanc, le poil mal léché – une tête de mâle bagarreur. Depuis trois jours, mes parents n’ont plus vu Moona, leur chatte noir et blanc elle aussi, une sœur de feu ma Nyssiah. Ce matou sera-t-il de bon augure?

Jeudi 31 juillet.
* En fin d’après-midi, cadeau: sortie sans rien autre en poche qu’un porte-monnaie dégarni et la clé de l’appartement que j’occupe, ne songeant pas que j’allais acheter quoi que ce fût, me voilà devant un bel étal de légumes "issus de l’agriculture biologique". De vigoureux brocolis me tentent, et aussi ces formidables choux-fleurs violets que je vois pour la première fois… ma surprise me fait oublier que je n’ai pas d’argent sur moi: je finis par choisir un brocoli, je le tends au vendeur qui le pèse et m’annonce "ça fera 2,50 €". J’ouvre ma pochette… sans trouver mon portefeuille! je n’ai que mon porte-monnaie dégarni. Confuse je rends mon brocoli, emballé comme un bouquet de fleurs m’avait dit le vendeur en l’enveloppant d’une feuille de papier kraft – "Mais non, gardez-le! vous me paierez plus tard… on est là jusqu’à 20 heures! Sans me connaître, sans savoir que je logeais à deux pas et qu’en moins de cinq minutes je pouvais en effet régler ma dette il m’accordait spontanément sa confiance… Un geste qui ouvre le cœur. Comme quoi "produire bio" est d’abord une vraie façon de sourire et de tendre la main, qui va au-delà du soin que l’on donne à la terre et à ses fruits.

* Le soir, l’heureuse nouvelle tombe: Moona est de retour.

Vendredi 1er août.
Aperçue depuis le trottoir, derrière une grille toute rouillée dans un jardin en friches, une cruche de terre à l’émail mort tombant par larges écailles. Y meurent tiges pendantes des fleurs dépéries. Une de ces "défaites polymorphes" que je me plais tant à photographier. Une de plus que ne saisira pas mon appareil que je n’ai pas avec moi. Je n’ai cependant pas de regret: je n’aurais de toute façon pas pu m’approcher assez pour cadrer à ma guise.

Samedi 2 août.
"Tu peux imaginer mille choses, c’est toujours autre chose qui arrive" ‒ cette phrase… enfin, approximativement cette phrase car il y a trop longtemps que j’ai lu le roman de Pascal Garnier Lune captive dans un œil mort pour m’en souvenir à la lettre – s’est, une fois de plus, vérifiée. J’avais prévu de laisser mes épreuves de côté aujourd’hui et de ne me consacrer qu’à l’écriture et à la mise en ligne d’au moins une chronique festivalière – peut-être deux? car j’avais deux brouillons assez avancés pour pouvoir être finalisés sans douleur excessive. Mais la journée a bifurqué… À la fin de la rencontre plamonaise j’ai prolongé une conversation avec ma voisine, une fidèle du festival depuis une quinzaine d’années. De mots en mots la conversation s’est poursuivie pendant près de… trois heures! Du festival, et de théâtre, il fut au fond peu question… Pour moi cela a viré à la catharsis quasi analytique; je me suis livrée… elle m’écoutait, me répondait, et moi je m’engouffrais ne prenant garde qu’après coup que je n’avais pas eu en retour cette qualité d’écoute, d’empathie. Un échange à sens unique, en fait, qui a mis en branle des ressorts auxquels, depuis trente ans – mais peut-être, en réalité, depuis… toujours – je m’efforce de ne surtout pas toucher. Alors? Vais-je rester autruche et la tête dans le sable ou bien quelque chose de fondamental, de libérateur, va-t-il commencer de travailler en souterrain?
En tout cas, cela m’a tenue largement éveillée, et au lieu de sommeiller le soir venu, j’ai bouclé une chronique.


Dimanche 3 août.
Ce matin sur les hauts de la rue Frédéric Mistral, à travers une brèche dans une haie une biche a, le temps de trois bonds, fulguré dans mon champ de vision. À peine le temps de la voir et elle avait disparu, laissant vide la petite parenthèse de pré découvert entre deux bosquets. Tout autour, des villas, cernées de leur jardin – désormais je ne serai plus si sceptique lorsque j’entendrai parler d’animaux réputés sauvages évoluant au cœur des habitats humains…


Lundi 4 août.
La lanterne de rue
Est encore allumée au grand matin.
Au-dessus de la barrique devenue jardinière, l’ampoule ronde et dorée de lumière
Comme un fruit mur sur le point de choir.

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4 août 2014 1 04 /08 /août /2014 14:08
Lettre de l'absente

Sarlat, lundi 4 août.


Chers amis du Carrozzone Teatro ‒ Fabio, Sonia et Claudio, qui êtes venus hier jouer Teresina,


Je ne suis pas venue vous voir au Jardin du Plantier, malgré l’envie que vous m’aviez donnée au matin d’assister à la représentation – j’avais aimé déjà votre seule présence à Plamon, comme si vous étiez déjà "en jeu" sans pour autant jouer; ce que vous aviez dit chacun de votre parcours, et de la pièce, œuvre originale entièrement écrite par Fabio mais empruntant à la tradition de la Commedia dell’arte, dont l’argument ne doit rien au procédé du "canevas". Une fois de plus, "l’effet Plamon": les artistes, parfois d’autres spectateurs, qui poussent vers la billetterie ceux qui n’ont pas encore pris leur place. Mais j’ai résisté car il me fallait aussi travailler un peu… avec tout de même quelques regrets. Lesquels sont devenus bien amers ce matin, en écoutant le torrent de louanges chaleureuses qui vous ont été adressées.
Certes je n’ai pas vu Teresina, mais vous n’en avez pas moins laissé en moi un souvenir prégnant – la façon dont, tous les trois, vous avez continué le show à Plamon, entre vous, avec le public… comme si les tréteaux du Plantier s’étaient transportés là; comment vous avez raconté, chacun, votre histoire et votre rencontre*; et enfin ce que vous, Fabio, avez dit du masque, que je crois pourvoir approximativement transcrire ainsi: Le masque ne dissimule pas le comédien, au contraire: il oblige à être vrai, à jouer vrai. S’il n’y a pas de sincérité d’acteur qui illumine le masque, celui-ci n’est qu’un bout de cuir…
En à peine plus d’une heure d’une réunion plamonaise à l’autre, vous m’avez tous les trois conquise. Le nom du Carrozzone Teatro est désormais bien gravé dans ma mémoire.
Au plaisir de vous découvrir bientôt sur les planches,
Isabelle

* Fabio Marra, napolitain, est arrivé en France avec quatre compagnons comédiens, parlant à peine le français, et jouant dans les rues. Aujourd’hui sa compagnie se produit dans les salles, tourne beaucoup, et compte onze membres. Il écrit désormais ses propres spectacles – d’abord en napolitain, qu’il traduit ensuite avant de donner les textes à relire à une éminente traductrice qui de plus connaît excellemment le théâtre italien.
* Sonia Palau est catalane; rêvant d’une école de théâtre à Paris, elle a pu concrétiser son rêve et a suivi une formation dramatique classique, fondée sur le "théâtre à texte". Elle a rencontré Fabio par hasard, chacun jouant de son côté et il lui a proposé de travailler avec lui; c’est ainsi qu’elle s’est initiée au spectacle de rue, une forme qui l’effrayait un peu mais dont elle dit maintenant qu’elle lui a énormément appris.
* Claudio del Vecchio a lui aussi rencontré Fabio par hasard, à Paris. L’un se produisait sur l’esplanade de Beaubourg, l’autre à Paris-Plage… Enthousiasmé par ce que Fabio lui avait donné à voir, Claudio a écrit une musique qu’il est venu lui proposer comme étant la musique de [son] prochain spectacle. Et voilà gagné un compagnon de route…

Tout cela retenu de Plamon, à prendre avec les précautions qu'exigent les trahisons probables de la mémoire (et peut-être le zeste de légende dont auraient été relevés les récits?)

TERESINA
Pièce écrite et mise en scène par Fabio Marra (texte publié par les éditions Les Cygnes).
Avec:
Fabio Marra, Sonia Palau (et le musicien Claudio del Vecchio).
Scénographie:
Stefano Perocco
Costumes:
Giuseppina Minopoli, Julie Phelouzat, Isabelle Bartoletti.
Masques:
Stefano Perocco, Fabio Marra.
Marionnettes:
Carrozzone Teatro.
Lumières:
Carrozzone Teatro.
Durée:
1 heure.

Représentation donnée le dimanche 3 août au Jardin du Plantier.

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4 août 2014 1 04 /08 /août /2014 14:08
Cupidonneries

La Journée des auteurs, qui met à l'honneur des auteurs vivants à travers deux représentations, étrécit parfois sa cohésion en réunissant deux auteurs aquitains, une cohésion scellée mieux encore quand la compagnie elle-même est régionale qui a monté la pièce jouée en seconde partie. Cette année, l’unité fut d’ordre thématique: de L’Île de Vénus aux Écrits d’amour, c’est bien évidemment la flèche de Cupidon qui tend le fil. Mais un Cupidon affligé d’une telle myopie qu’il manque ses cibles ‒ Roger et Florence en savent quelque chose ‒ ou bien, s’il touche dans le mille, fait éclore des sentiments quelque peu altérés ‒ et les épistoliers convoqués par Claude Bourgeyx en témoignent, tous très amoureux mais...

L’ÎLE DE VÉNUS
Texte de Gilles Costaz. Lu par Noémie Elbaz (Florence), Thierry Harcourt (Roger) et Gilles Costaz pour les didascalies.

D'ordinaire est lu en première partie un texte qui n'a encore jamais été monté ‒ ou bien que l'on est en train de monter comme, l'an dernier, la pièce de Jean-Claude Idée dont se percevait déjà quelques éléments de mise en scène. Cette année l'on a dérogé à la règle: L’Île de Vénus a déjà été montée mais, pour des raisons diverses qui n'ont guère d'importance, il n'a pas été possible d'amener à Sarlat le spectacle abouti. Or Jean-Paul Tribout tenait beaucoup à ce que cette Île fasse escale au festival – elle y fut donc amarrée sous forme de lecture, avec une nouvelle distribution: Noémie Elbaz remplaçant Julie Debazac et le metteur en scène Thierry Harcourt se substituant au comédien Nicolas Vaude. Avec, à leurs côtés, l'auteur en personne pour dire les didascalies – faire advenir les noirs, préciser les ellipses temporelles qu'ils signifient...
L'argument: Roger, un scientifique, vit depuis plusieurs années sur une île déserte à la suite d'un naufrage. Il a fini par s'adapter, tant bien que mal, aux contraintes de la survie et de la solitude. Un jour échoue sur cette île une magnifique jeune femme, Florence. Elle aussi a fait naufrage. C'est un mannequin, qui voyageait en mer à l'occasion d'une séance de photos de mode. Quand ces deux solitudes, cernées par l'hostilité d'une nature sur laquelle l'homme n'exerce aucune maîtrise, devraient tout naturellement se réconforter mutuellement, Roger et Florence vont en fait demeurer chacun dans son univers, impénétrable à l'autre. Elle réclame à cor et à cri le confort de sa chambre de palace, lui se préoccupe du devenir de ses travaux, de sa place qu'à probablement dû prendre son rival... Parfois l'on sent une fissure qui va peut-être les rapprocher mais elle se ferme vite.
Thierry Harcourt et Noémie Elbaz nous ont offert une lecture éblouissante. Sans jamais quitter leur chaise, avec simplement leur voix, la richesse de leurs inflexions et de leurs intonations, et tout un langage corporel extrêmement signifiant ‒ quel art de lever les yeux au ciel, d'exprimer le dédain d'un geste de la main! ‒ ils ont incarné Roger et Florence sans les jouer... N'ayant pas le secours du texte de Gilles Costaz pour me remémorer ce moment exceptionnel, je n'en ai que la trace laissée grâce au talant des comédiens ‒ beaucoup d'humour, mais aussi de la profondeur dissimulée derrière, et quelques étincelles de poésie, par exemple cette réplique qui m'a si bien accrochée l'oreille que je l'ai notée sitôt sortie:
Roger: Que doit faire un homme pour vous plaire?
Florence: Traverser mon champ de vision et laisser des regr
ets à ma rétine.

Le lendemain, à Plamon, Gilles Costaz a expliqué combien c'était touchant pour un auteur de redécouvrir son texte sous différentes formes, la pièce d'abord, la lecture ensuite... et à chaque fois un nouvel "objet". Son intention a été d'écrire une comédie sentimentale mais d'où la philosophie ne serait pas tout à fait absente: son propos était de réfléchir sur ce qui nous reste lorsque nous n'avons plus rien, rien de ce qui faisait notre quotidien avant un événement-rupture (ici, un naufrage). Interrogé sur ses références théâtrales il a cité, entre autres, Goldoni, et Marivaux dont il a, dit-il, voulu restituer l'esprit dans le miroitement des sentiments. J'ai tout de suite aimé la formule pour elle-même, me disant, mais bien plus tard, qu'en matière de miroitements, Florence et Roger étaient aux premières loges sur leur île...

ÉCRITS D’AMOUR
Textes de Claude Bourgeyx. Interprétation et mise en scène: Jean-Claude Falet. Collaboration artistique: Jacques Bourdat. Direction d’acteur: Seï Shiomi. Création lumière: Thierry Rousseau. Bande son: Cédric Poulicard.

Les Écrits d’amour sont des paires de lettres échangées entre des correspondants de toute sorte: un mari parti en voyage de noce sans son épouse à laquelle il écrit tendrement, un fœtus qui met sa mère en garde quant à ses mauvaises dispositions jusqu'à l’admiratrice qui envoie à l'auteur un message vibrant… le panorama des couples est riche et leurs missives révélatrices de l’humour grinçant, caustique, de Claude Bourgeyx – dont j’avais eu un aperçu quand avaient été lus quelques-uns de ses Petits outrages dans le cadre, déjà de la Journée des auteurs. Ces Écrits ont été mis en scène pour la première fois en 1995 par Jean-Paul Rathier. Plusieurs metteurs en scène s’en sont emparés ensuite et, en 2008, Jean-Claude Falet se lance à son tour dans l’adaptation scénique de ces lettres.

De l’ensemble il retient quatorze échanges, en ajoute un très bref façon SMS, propre à son spectacle, entre Kevin et Samantha… et prend le parti d’incarner à lui seul la totalité des épistoliers, hommes et femmes – "cette multiplicité de rôles est extrêmement jouissive pour un comédien, et plus encore quand, homme, il faut interpréter une femme", dira-t-il en substance à Plamon. Il court ainsi pendant plus d’une heure d’un personnage à l’autre et d’un objet à l’autre – au gré des échanges il arpente en effet tout le plateau, où plusieurs groupes d’objets recouverts d’un tissu sont disposés qui seront dévoilés au fur et à mesure du spectacle. Avec une virtuosité formidable il incarne tour à tour Suzanne, Édouard, Gérard, Jeannine… distinguant chacun par un petit détail dans la voix et dans la posture, par un accessoire – un bout de tissu à broder, un drap devenu soutane… Le rythme est étourdissant mais des silences sont opportunément ménagés – le tempo est savamment étudié. C’est à la fois désopilant, émouvant… Par le texte comme par le jeu du comédien et la mise en scène, le spectacle fait mouche. Pendant quelques secondes à peine, faisant brusquement rupture, un noir inopportun survient – Jean-Claude Falet "revient" alors d’entre ses personnages et hèle le technicien pour qu’il rallume le projecteur. Encore un coup des Intermittents?? demande-t-il… puis le spectacle reprend son cours. Une façon à la fois artistique, humoristique et militante d’exprimer sa solidarité avec le mouvement de protestation qui soulève l’ensemble des gens du spectacle. Pour cela aussi sans doute, outre sa superbe prestation, il fut chaleureusement applaudi.

De tout ce qu’a dit Jean-Claude Fallet à Plamon, j’ai retenu cette phrase: Le travail avec Claude Bourgeyx a été une très belle aventure humaine et artistique. La collaboration avec l’auteur a d’abord été très étroite et les échanges intenses, jusqu’à ce point où Jean-Claude Falet a demandé à Claude Bourgeyx de ne plus assister aux répétitions, de ne plus intervenir avant la première: le moment était venu pour lui de rester seul à seul avec les textes, les remarques et suggestions de l’auteur, ses propres idées de mise en scène, d’interprétation… de manière à s’approprier l’ensemble et laisser le champ libre à sa sensibilité, à ses intuitions de créateur. Une belle complicité s’est nouée pendant ce travail que n’a pas brisée cette mise à distance par ailleurs fort bien comprise, et qui s’est prolongée en solide amitié.

À l’issue de la représentation, Jean-Claude Falet a annoncé aux spectateurs qu’il avait apporté quelques exemplaires des Écrits d’amour – initiative des plus appréciables car la librairie locale qui chaque année propose un rayon "spécial festival" avait bien en vitrine des Écrits d’amour… mais ce n’était pas ceux de Claude Bourgeyx! Outre ce recueil de lettres il y avait aussi Les Petits outrages, Heureux qui comme moi, Tant pis pour eux… De quoi se constituer d’emblée une petite bibliothèque Claude Bourgeyx – ou en compléter une déjà amorcée.

Représentations données le dimanche 20 juillet au Centre culturel.
Ce dimanche encore en effet il a fallu transporter les représentations prévues à Sainte-Claire au Centre culturel pour des raisons météorologiques. Précaution ô combien fondée: tout au long de la soirée l’on a perçu, du dehors, le vacarme des averses battantes – qui, par un bel effet de "hasard objectif", a fort à propos favorisé l’instauration d’une ambiance insulaire en prolongeant la bande son accompagnant le début de la lecture: une musique mêlée de ressac…

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31 juillet 2014 4 31 /07 /juillet /2014 13:32
Point de jonction - ou les quatre saisons d'une rencontre

Jakob Brackish, octogénaire et autrefois professeur de musicologie et de littérature anglaise, recrute par une petite annonce une femme de ménage, une "auxiliaire de vie" dirait-on plutôt aujourd'hui, afin de pouvoir rester chez lui bien que fortement diminué par une sévère alerte cardiaque – le médecin ne lui accorde guère plus d’un an à vivre. C’est Kathleen Hogan qui obtient le job; elle se présente au domicile de Jakob par une nuit très froide de février, toute trempée par l’averse qui fait rage au-dehors.
Lui abîmé dans ses jérémiades de vieillard affaibli autant que dans la musique – ses disques et les morceaux diffusés par la radio – elle abîmée par la vie – veuve depuis peu d’un mari violent, issue d’un milieu modeste et pleine d’amertume de n’avoir pas pu aller à l’université: la communication promet d’être difficile, et la cohabitation davantage encore. De plus, Kathleen laisse peu à peu sourdre une profonde rancœur à l’égard de Brackish: celui-ci a eu pour élèves son mari, son père, sa mère… elle aussi, qu’il a tous recalés aux épreuves d’anglais et de musicologie, les empêchant ainsi de poursuivre des études supérieures. Elle est donc venue prendre sa revanche, et venger les siens, tous selon elle injustement brimés par le professeur puis trop vite oubliés… Des rapports complexes, âpres et tout en ambivalences se nouent entre ces deux personnages qui, au fil des dialogues s’égrenant sur une année – quatre scènes, quatre saisons – se révèlent l’un à l’autre par petites touches, se blessent, s’agressent, se frappent là juste où ça fait mal… se pansent jusqu’à se rejoindre.


Le texte est en lui-même assez difficile à lire; d’une part c’est une écriture orale, d’une oralité quotidienne et de registre familier avec tout ce que cela implique de suspensions, de raccourcis, de relâches syntaxiques que le langage non verbal comble aisément en situation de conversation mais que l’écrit restitue mal. D’autre part, les répliques sont cernées et entretissées de très nombreuses didascalies très détaillées quant au décor, jeux de lumière, intonations et postures des personnages, etc. L’on perçoit très bien, à la lecture, les grandes problématiques de fond telles que le déterminisme social, la transmission – du savoir mais aussi de ce qu’on laisse derrière soi à titre individuel – la façon d’aborder la fin de vie… et les enjeux essentiels de la relation entre Jakob et Kathleen – jusqu’où ira la vengeance de cette dernière, comment Jakob réagit… Mais l’on comprend aussi que le texte est amputé de subtilités que seule la transposition scénique rendra manifestes. Celle que nous ont offerte Jean-Claude Bouillon et Nathalie Newman est remarquable. Les deux interprètes excellent à dire ces répliques dont on devine qu’elles réclament une extrême précision dans le tempo – rythme des mots, longueur et quantité de silences… ‒ et beaucoup de finesse dans les modulations tonales: ils sont toujours dans une parfaite justesse et, de plus, ont le mérite de n’être jamais inaudibles lorsqu’il s’agit de marmonner, de balbutier, de ronchonner… Surtout, leur jeu fin et nuancé charge d’émotion autant que de sens chaque posture, chaque geste même le plus infime et jusqu’au moindre regard. Et lorsque la mise en scène leur impose un rôle muet, l’un et l’autre conservent chacun une présence si forte qu’elle continue d’attirer l’attention du spectateur en même temps qu’elle glisse vers celui qui parle. Des comédiens superbes!


La pièce a été créée en France sous le titre Quelque part dans cette vie, dans une adaptation et une mise en scène de Jean-Loup Dabadie avec, pour interprètes, Jane Birkin et Pierre Dux. En 2006, Stephan Meldegg décide de la monter à nouveau – c’est, selon lui, l’une des meilleures de l’auteur – mais à partir d’un texte entièrement retraduit par Attica Guedj et lui-même. Lorsque la compagnie Calliopé Comédie a envisagé de reprendre cette pièce et qu’elle s’est donc mise en rapport avec Israel Horovitz, celui-ci a instamment demandé à ce que le travail se fasse à partir de cette nouvelle traduction, jugeant la première trop libre. Caroline Darnay, Jean-Claude Bouillon et Nathalie Newman ont alors abordé Opus cœur à travers une lecture conjointe du texte original et des deux traductions* – une triangulation qui, croisée avec le ressenti de chacun, a amené de minimes modifications dans le texte, cantonnées à de légers ajustement lexicaux et toutes décidées en accord avec Attica Guedj et Stephan Meldegg, approuvés de plus par l’auteur qui, nous dit-on, a été d’une merveilleuse générosité et d’une grande disponibilité. Outre cela, il a fallu prendre quelques libertés quant au dispositif scénique décrit par les didascalies: s’il n’était pas envisageable de s’affranchir du réalisme du décor et des accessoires, il n’était pas possible non plus de reconstituer à la lettre les deux niveaux de la demeure de Jakob Brackish – un rez-de-chaussée avec salon et coin cuisine, un étage avec deux chambres. Tout se joue de plain-pied: entrées et sorties, présences silencieuses sur le plateau se substituent aux montées à l’étage et autres "vues sur chambres" originales d’une manière qui m’a paru des mieux pensées, et des plus convaincantes.


J’ai un moment redouté, en prenant place, que la météo se mette au diapason réaliste de la pièce, histoire de correspondre à la situation inaugurale: l’on s’est installé sous un ciel lourdement plombé, quelques gouttes sont même tombées avant le début du spectacle. Puis comme par miracle, la menace pluvieuse s’est retirée sur la pointe des nues… Comme si les éléments avaient eux aussi signé ce pacte tacite auquel consent tout spectateur de théâtre dès lors qu’il s’assoit dans son siège, qui lui fait admettre tout naturellement une part plus ou moins grande de figuration symbolique…


Réminiscences plamonaises
* L’on évoqua certes les "questions de fond" mais à peine: ce sont surtout les aspects dramatiques du spectacle comme du texte qui ont alimenté les échanges – comme quoi l’on était bien au théâtre, au théâtre de qualité et non pas "de digestion", mais qui ne se confondait pas non plus avec un docu-drame psycho-sociétal.
* À la question d’un spectateur se demandant si cet hyperréalisme du décor et des accessoires est vraiment indispensable au spectacle, Xavier Lemaire, présent pour évoquer Qui es-tu, Fritz Haber? programmé le soir et qui a vu Opus cœur, apporte sa réponse de metteur en scène/comédien qui, de plus, nous apprend J.-P. Tribout, a plus ou moins tourné autour de cette pièce, et a failli la monter:
Sans ces accessoires, sans ce décor réaliste, la pièce est tout simplement injouable. L’accessoirisation est typique d’une certaine école américaine; on est un peu gênés par ça en Europe, mais pour être juste avec ce genre de pièce, il faut respecter cette prolifération des accessoires – à la limite, il en faudrait même plus: du thé, du café… des vraies choses.
* La pièce eut, sur une spectatrice, un curieux "effet retard: elle expliqua avoir eu du mal à entrer dans le spectacle puis n’avoir été réellement captivée qu’après les saluts – ajoutant même que l’emprise intérieure s’était révélée plus forte au matin, et qu’elle la sentait croître encore en se prolongeant. Sans doute ce repli dans les traces laissées par le spectacle plutôt que dans son immédiateté est-elle due à la très lente distillation des éléments dramatiques tout au long de la pièce, et à la très lente éclosion de ce qui couve sous les hostilités – enfin la paix.

OPUS CŒUR
Texte d’Israel Horovitz (texte français d’Attica Guedj et Stephan Meldegg).
Mise en scè
ne:
Caroline Darnay
Avec:
Jean-Claude Bouillon, Nathalie Newman (Alain Lawrence et Alexis Moncorgé en voix off)
Scénographie:
Caroline Mexme
Son:
Michel Winogradoff
Lumières:
Michel Cabrera
Costumes:
Monika Mucha
Durée:
1h30


Représentation donnée le mardi 29 juillet au Jardin des Enfeus.


* Les deux traductions du texte d’Israel Horovitz ont été publiées par L’Avant-scène Théâtre. Celle utilisée par Caroline Darnay, Jean-Claude Bouillon et Nathalie Newman est parue dans le n° 1208 (1er septembre 2006). Numéro ô combien précieux pour l’approche de la pièce puisqu’il accompagne le texte, entre autres enrichissements, d’une interview de l’auteur et d’un entretien avec Stephan Meldegg.

* Les deux traductions du texte d’Israel Horovitz ont été publiées par L’Avant-scène Théâtre. Celle utilisée par Caroline Darnay, Jean-Claude Bouillon et Nathalie Newman est parue dans le n° 1208 (1er septembre 2006). Numéro ô combien précieux pour l’approche de la pièce puisqu’il accompagne le texte, entre autres enrichissements, d’une interview de l’auteur et d’un entretien avec Stephan Meldegg.

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28 juillet 2014 1 28 /07 /juillet /2014 12:50
Diagonale de fous

Paul Nguyen et Nelson-Rafaell Madel sont deux jeunes comédiens passionnés de tragédie. Habités par l’envie de jouer, de monter eux-mêmes très vite une de ces tragédies classiques qu’ils aiment et respectent mais aspirant néanmoins à s’affranchir de cette sacralité dont on auréole LE TEXTE, désireux aussi d’être indépendants, de pouvoir travailler seuls malgré de modestes moyens et songeant en outre aux réactions récurrentes de certains spectateurs qui s’avouent un peu perdus à l’ouverture de ces pièces qui les plongent d’emblée dans un univers référentiel supposé connu mais dont les éléments proprement narratifs d’une part et les codes dramatiques d’autre part ne leurs sont plus familiers, ils ont cherché un angle d’approche de la tragédie racinienne qui leur permette à la fois de combler leur "désir de tragédie", de desceller LE TEXTE de son piédestal sans le trahir, d’offrir au public un abord pédagogique qui pallie ses éventuelles lacunes et, enfin, de n’avoir pas de trop gros besoins financiers.

Entrevoyant quelques pistes, ils se sont emparés de l'Andromaque de Racine puis ont fait appel à Néry pour structurer leurs premières idées et aboutir ainsi à un spectacle. Ils font partie d’un collectif nommé La Palmera et tiennent beaucoup à ce terme de "collectif " qui, à leurs yeux, rend bien compte de leurs méthodes de travail, basées sur des échanges constants et de longues séances d’improvisation d’où jaillissent les idées qui sont au fur et à mesure rassemblées, épurées, architecturées. Pour avoir ici assumé cette tâche, Néry ne se considère cependant pas comme metteur en scène parce qu’à aucun moment il n’a adopté la posture distanciée et démiurgique à l’excès que suppose parfois cette fonction – tout au long des répétitions il est resté en contact étroit avec le plateau, en interaction permanente avec les comédiens. Il en est sorti ce fruit théâtral échappant à tout étiquetage, inénarrable et dont, pourtant, on aurait envie de parler à l’infini. Tâchons néanmoins de borner un peu cet infini…


Partant du principe que les deux premiers actes d‘une tragédie classique sont d’exposition, ils ont choisi de résumer ceux d'Andromaque dans une sorte de prologue ludique et burlesque, pédagogique à souhait et très interactif, interrogeant le public comme des professeurs leurs élèves et, peut-être pour métaphoriser à la fois les dieux entre les mains de qui les personnages de tragédie sont des pions et certains metteurs en scène par trop dirigistes, installent peu à peu les protagonistes au fur et à mesure qu’ils expliquent et racontent, en gonflant des ballons sur lesquels ils inscrivent les noms des personnages raciniens – une couleur pour chacun dont seront aussi, au fil de l’avancée du spectacle, une étoffe, un foulard... Tels deux conférenciers Paul et Nelson-Rafaell exposent l’intrigue, définissent les rapports entre les personnages, leurs sentiments… et finissent par dégager un schéma relationnel dont ils souligneront la récurrence à travers plusieurs fictions (Autant en emporte le vent, Les feux de l’amour…) avec force drôlerie. Un schéma valant donc ressort dramatique qui, sur la scène, prit la figure d’une diagonale de seaux lestant les ballons-personnages: dans un angle du plateau, "Oreste", à quelque pas "Hermione" qu’il aime et qui, elle, aime "Pyrrhus", qui aime "Andromaque"... et nous voilà à l’extrémité de la diagonale, là-bas à l’angle opposé… "Hector"? Un simple lambeau de ballon crevé… hors champ puisque mort.


Puis, par-ci par-là, entre discours drolatiques et échanges parfois un peu potaches avec un public totalement complice, quelques vers sont dits… à la faveur de quoi les protagonistes de la pièce glissent des ballons vers les comédiens; une parure drapée et voilà Paul devenant Hermione, Pyrrhus…et Nelson Andromaque, Oreste… De glissements en glissements, le texte racinien s’impose et règne seul, les deux comédiens endossant l’un après l’autre les rôles avec une époustouflante maestria. Lorsque Nelson, revêtu de la seule parure violet sombre signalant Andromaque, ou Paul, portant lui l’étoffe rouge indiquant qu’il est Hermione, prennent geste et parole – s’agissant de théâtre on ne devrait jamais écrire "prendre la parole" mais toujours à celle-ci joindre "le geste" ‒ quelque chose s’incarne instantanément, qui est à la fois essentiel et individualisé; c’est du grand art de comédien.
La façon dont l’un et l’autre posent leur regard, se tiennent sur le plateau, tendent ou replient le bras au gré des vers qu’ils disent avec de justes et puissantes inflexions m’ont semblé exprimer la quintessence du ton tragique; au-delà des corps et des voix particuliers, je voyais sur scène l’être même déchiré, j’entendais l’essence de sa douleur versifiée. Le moment qui je crois me restera le plus profondément ancré en mémoire: le long dialogue entre Pyrrhus et Andromaque qui, par quelques traits subtilement suggérés, est joué comme la danse de mort entre un taureau et son toréador. L’essence de la tragédie mais aussi celle d’Andromaque, de Pyrrhus, et des autres personnages pareillement signifiés… D’ailleurs, les deux artistes nous mènent si loin dans cet essentiel que, pour dire les derniers vers de la pièce, ils jettent bas leurs parures sans que le spectateur perde contact avec les personnages signifiés: ne restent plus que leurs gestes, leur voix, toujours en union parfaite avec le verbe racinien – le sens porte, magnifiquement.


L’on eut ce soir-là un exemple magistral de ce qu’il est possible de faire théâtralement avec "trois-fois-rien", en l’occurrence des ballons multicolores, des seaux de fer-blanc où ficher des balais, stabiliser les ballons, tenir à disposition parures, foulards et confettis… ‒ une profusion d’accessoires bien trouvés et utilisés avec une étonnante inventivité. Cela, et les lumières savamment étudiées, autant que la scénographie très élaborée, rendent superflu tout décor. En outre, les deux comédiens ont si bien exploité l’intégralité de l’espace, depuis le haut des gradins jusqu’au mur fermant le plateau qu’on aurait dit le spectacle taillé tout exprès pour les Enfeus alors qu’il a déjà tourné en mille lieux différents dont des appartements de particuliers… quel caméléonisme!
Ils ont conquis le public, qui les a applaudis debout. Une juste récompense pour tant de talent…

Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort
D'après Andromaque, de Jean Racine.
Mise en scène:
Néry
En collaboration artistique avec:
Claudine Kermarrec, Loïc Constantin, Julien Bony, Damien Richard, Claire Derepper.
Interprétation:
Nelson-Rafaell Madel, Paul Nguyen.
Musique originale:
Niccolas Cloche
Durée:
1h25

Représentation donnée le samedi 26 juillet au jardin des Enfeus.

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26 juillet 2014 6 26 /07 /juillet /2014 14:50
Flash back

Jeudi 24 juillet.

Le Collectif des intermittents et précaires de Dordogne manifeste. À l'entrée du jardin des Enfeus, où doit avoir lieu à 21 heures la "conférence drolatique" d'Alain Gautré, un groupe de manifestants vêtus d'un T-shirt noir barré d'un grand X blanc et porteurs de banderoles expliquent aux spectateurs ce qui motive leur action, les invitent à signer une pétition. Nous les retrouvons ensuite sur scène, leurs banderoles déployées. Sur l'une d'elles, un grand drap blanc tenu à bout de bras par deux membres du Collectif, on peut lire:

CE FESTIVAL NE POURRAIT PAS AVOIR LIEU SANS LES ARTISTES ET SANS LES TECHNICIENS.

Une évidence. Mais qu'il est bon de rappeler. Ils ont demandé à prendre la parole avant la représentation, pour lire leurs revendications au public. Cela leur est bien volontiers accordé car dès le premier jour, le comité du festival, par l'intermédiaire de son président et de son directeur artistique, s'est déclaré pleinement solidaire de ce mouvement de protestation.

Le "premier jour", c'était le samedi 19 juillet.

EN ARRIÈRE, MARCHE!

Samedi 19 juillet

Pluie, ô pluie, ô pluie... orages, oranges (les alertes), ô rage (des "intermittents du spectacle"): l'inauguration du 63e Festival des Jeux du théâtre de Sarlat a pris quelques bariolures de nature à désarçonner un peu, comme l'averse les cheveux chez Queneau, les organisateurs et les artistes qui, dès le premier jour, ont dû migrer au pied levé du jardin des Enfeus au Centre culturel par mesure de prudence, suite aux "alertes orange" de Météo France qui promettait une série de violents orages sur le Périgord – entre autres régions menacées.

Comme de coutume, l'allocution inaugurale a été prononcée par le président Jacques Leclaire – une allocution brève, tout en remerciements chaleureux pour tous ceux qui soutiennent et rendent possible le festival, partenaires privés et institutionnels, adhérents, bénévoles, artistes... qui s'est conclue par une déclaration de totale solidarité avec les "intermittents du spectacle". Sur quoi le directeur artistique, Jean-Paul Tribout, a enchaîné en expliquant avec concision et clarté ce qui fonde la particularité du régime d'assurance chômage qui leur est consenti et ce qui, dans la réforme faite dont les remous font çà et là quelques échos, les inquiète et les indigne tant. Il a d'abord signalé combien il avait peu de goût pour cette expression d'"intermittents du spectacle" qui dessine une catégorie artificielle au sein d’un ensemble de gens qui, exerçant des métiers et des activités divers, n’en connaissant pas moins une condition unique: Nous sommes tous, par définition, des "intermittents", a-t-il dit en substance. Comédiens, metteurs en scène, décorateurs, scénographes, techniciens, accessoiristes... tous vivent au rythme des spectacles de toute nature qui se bouclent en un temps donné, et limité. Si certains enchaînent les contrats de sorte qu'ils travaillent continûment quand d'autres doivent attendre plus longtemps entre deux engagements, tous sont pareillement soumis à l'intermittence des aventures artistiques, et exposés à la précarité... TOUS: pas seulement les comédiens et les metteurs en scène, les plus "visibles" au public et à qui il pense spontanément mais les techniciens, les régisseurs, les créateurs lumière, les constructeurs de décor, les concepteurs de machineries, les ingénieurs du son... jusqu'au plus modeste tireur de fil sans qui il n'y aurait ni représentations, ni concerts, ni tournages, ni émissions télévisées, ni doublages... Rien!!!

Rien de ce qui fait les petits bonheurs quotidiens car, dût-on ne jamais "sortir", ne jamais mettre les pieds dans quelque salle de spectacle que ce soit, on écoute tous la radio, on regarde tous la télévision… Et derrière ce que l’on reçoit ainsi benoîtement en ne songeant qu’à son seul plaisir d’être diverti, informé, ému, tenu en haleine… il y a cette cohorte de professionnels qui aujourd’hui protestent contre le sort que leur réservent nos gouvernants.
Malgré leur ras-le-bol, ils ne priveront pas les festivaliers des spectacles programmés. Mais ils militeront néanmoins, d’une manière laissée à la décision de chaque compagnie. En ce premier soir, la militance prit la forme de deux discours se répondant, celui, donc, de Jean-Paul Tribout puis, en écho, une intervention de Bernard Menez après qu’il eut salué le public avec ses camarades du Legs. Toutes deux chaleureusement applaudies.

Le Legs... dont les premiers moments – un lent ballet muet de personnages portant des lunettes noires et des costumes contemporains autour d’objets drapés de noir qu’ils dévoilent peu à peu, laissant alors apparaître un décor étrangement dépouillé d’estrades et de caissons de bois clair, et un chevalet supportant un portrait sitôt retourné pour que s’affiche alors en grandes lettres blanches LE LEGS ‒ m’ont je l’avoue beaucoup intriguée. Puis très vite, dès que sont prononcées les premières répliques, la magie du verbe marivaldien opère, et aussi l’interprétation des comédiens qui la disent admirablement, vêtus maintenant de costumes qui, à l’évidence, n’imitent pas ceux portés au XVIIIe siècle mais en évoquent clairement l’idée que l’on peut s’en faire aujourd’hui. Lorsque résonnent les premiers chants, des vers de Ronsard brodés sur des mélodies de Schubert, le charme croît, l’élégance de la langue, la vivacité des échanges, le froissement des étoffes dont sont faites les jupes et jupons des femmes se mêlant aux notes légères et mélodieuses de la musique souvent présente hors des moments chantés: l’on est comme dans un jardin paisible où frémit une vie affairée. L’argument: un certain Marquis se retrouve bénéficiaire d’un legs de 600 000 francs mais il ne le touchera qu’à la condition d’épouser Hortense, faute de quoi il devra verser à celle-ci 200 000 francs. Or le Marquis n’aime guère Hortense qui elle-même lui préfère un Chevalier, fort désargenté au demeurant… Quant au Marquis, qui n’a pas plus besoin que cela de cet argent, il en pince pour une Comtesse qui lui rend bien la pareille – mais ni l’un ni l’autre n’ose se déclarer. Pour que les cœurs s’accordent enfin selon leurs inclinations et que se résolvent au mieux les questions pécuniaires, il faudra rien moins que l’habile industrie de Lisette et Lépine, respectivement la suivante de la Comtesse et le valet du Marquis.

Oui, il y a un véritable charme qui se dégage de ce spectacle; une fraîcheur bienfaisante qui doit beaucoup, certes, au texte mais que deviendrait celui-ci s’il n’était servi par d’excellents interprètes et par ce bel apport scénique des vers de Ronsard portés par la musique de Schubert? c’est ici le moment de signaler que les arrangements musicaux sont signés Gilles Vincent Kapps, que l’on entend jouer de la guitare sur la bande son et qui est, sur scène, le Chevalier. Et si tous les comédiens chantent à merveille – sauf peut-être Bernard Menez, le Marquis… mais comme cela sied à son personnage, hésitant, empêtré dans ses sentiments et sans doute bien distrait pour avoir chaussé des souliers dépareillés, de ne pas chanter très juste! ‒ seule Estelle Andréa, qui incarne Lisette, est chanteuse lyrique professionnelle. Leur performance à tous n’en est que plus remarquable.

Cependant un je-ne-sais-quoi m’a, tout au long du spectacle, tenue à distance. Quelque chose me gênait dans ce décor dépouillé, dans le fort contraste qu’il y avait entre ces caissons de bois clair – d’autant plus présents qu’ils se détachaient crûment sur l’environnement entièrement noir dans lequel ils baignaient – atemporels et de formes anonymes qui semblaient refléter la situation transitoire des personnages en même temps qu’ils installaient la théâtralité sur le plateau, et les costumes plutôt réalistes quant au statut de chacun, renvoyant, eux, à une certaine "idée" du XVIIIe siècle. Et puis je trouvais que l’on s’agitait beaucoup, allant de droite et de gauche, tournant autour de ces petits praticables, s’asseyant puis se relevant, avec force claquements de talons et remuements de jupes quand le propos ne me paraissait pas justifier tant de bourrasques… "Beaucoup de mouvement pour pas grand-chose", me suis-je dit à plusieurs reprises.

Sans avoir été transportée, j’ai tout de même quitté la salle heureuse, légère, les mélodies de Schubert trottant dans ma tête – et aujourd’hui encore elles me reviennent. Tant de finesse, d’élégance, de pétulance… C’était une ouverture de choix pour ce 63e festival qui, assurée par de formidables comédiens dont on a ressenti tout au long de la représentation l’évident plaisir de jouer et de dire cette merveilleuse langue de Marivaux mêlée aux vers non moins délicieux de Ronsard, a mis de l’alacrité dans les cœurs.

Lumières…
Le lendemain, à Plamon, quelques éclaircissements ont, rétrospectivement, eu raison de mes réserves dont je réalisai qu’elles venaient de ce que la scénographie avait dû être considérablement modifiée pour s’adapter à la scène du Centre culturel, beaucoup plus vaste que celle du Théâtre de Poche où la pièce avait été créée. L’exiguïté du lieu parisien avait nécessité le recours à ces praticables de bois à seule fin de surélever les comédiens pour qu’ils soient visibles, au-delà de leur buste, de tous les spectateurs. À Sarlat ils devenaient inutiles mais, plutôt que de les supprimer, on avait choisi de les intégrer au jeu, remanié pour l’occasion. Quant au prologue que j’avais mal compris, il était la « réécriture » du début du spectacle devenu injouable tel qu’à Paris puisque l’élément de décor qui permettait aux protagonistes d’ "entrer sur le plateau comme émergeant des pages d’un livre de contes que le spectateur ouvrirait" (Valérie Vogt), ‒ à savoir une toile qui fermait le fond de scène et les côtés sur laquelle était reproduite une célèbre peinture de Fragonard ‒ n’avait pu être utilisée à Sarlat parce que beaucoup trop petite. Alors on avait "prologué" en évoquant à la fois l’ "avant-récit" de la pièce – la mort du testateur – et l’"entrée en théâtralité" des personnages… comme des spectateurs, du reste. Toutes choses qui démontrent combien les transpositions scénographiques sont parfois compliquées… et talentueux les artistes pour faire des difficultés des atouts.

LE LEGS
Pièce en un acte de Marivaux. Sonnets et chansons de Ronsard; musique de Schubert arrangée et adaptée par Gilles Vincent Kapps.
Mise en scène :
Marion Bierry, assistée de Roman Jean-Elie.
Avec :
Estelle Andréa, Alexandre Bierry, Marion Bierry, Gilles Vincent Kapps, Bernard Menez, Valérie Vogt.
Décors :
Nicolas Sire.
Lumières :
André Diot
Costumes :
Marion Bierry
Durée :
1h30

Représentation donnée au Centre culturel de Sarlat le samedi 19 juillet. Prochaine date annoncée à Noirmoutier, le mercredi 6 août, dans le cadre du Festival de Noirmoutier dont on trouvera ici le programme 2014.

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12 juillet 2014 6 12 /07 /juillet /2014 13:47
Sarlat frémit...

Ce sera très bientôt le spectacle inaugural du 63e festival de Sarlat le 19 juillet très précisément. Le comité du festival s'est, comme chaque année, adjoint les services de distingués communicants qui ont grand soin de présenter les spectacles semaine par semaine, suffisamment en amont pour que les spectateurs non encore munis de leurs billets puissent acheter leurs places à l'avance. J'ai reçu voici deux jours leur lettre d'information, rédigée d'une si belle plume que je ne résiste pas à l'impulsion d'en publier le texte... textuellement, étant de toute manière invitée à la partager. D'autant que vous ne pourrez lire cette lettre nulle part, ni sur la page Facebook, ni sur le site internet du Festival seuls l'auront reçue, c'est donc un privilège! ceux dont les adresses figurent parmi les "contacts" du comité.

L'article est anonyme (sans doute est-ce là un de ces beaux fruits collectifs) et je ne suis sur cette page responsable que de ce qui est en italiques! Le message auquel il était épinglé était signé de la chargée de communication, qui me semble commencer sa mission de fort belle manière et je la salue au passage...

63e "coup de théâtre" à Sarlat-la-Canéda

Les planches s’érigent sur un sol gorgé d’histoire, les projecteurs animent l’obscurité de la nuit tombante, les bâtisses médiévales se substituent aux quatre murs d’un théâtre… Vous l’aurez compris, les feux de la rampe viennent illuminer la ville de Sarlat en Périgord! Pour sa 63e édition, le Festival des Jeux du Théâtre de Sarlat prouve une fois encore la qualité de sa programmation, sélectionnée par l’exigeant Jean-Paul Tribout, en vous proposant des pièces encensées par la critique. Lever de rideau sur des propositions artistiques aussi plaisantes qu’éclectiques…

C’est sur un XVIIIe siècle poétique et musical que le Festival ouvre ses portes. Dans Le Legs, mis en scène par Marion Bierry, la dramaturgie de Marivaux est habillée de sonnets et de chansons de Ronsard. Les désirs cupides et amoureux de l’Homme, quant à eux, sont mis à nu dans cette pièce touchante, drôle, bucolique. C’est donc en beauté que s’ouvre le bal des jeux de l’amour et du théâtre, le samedi 19 juillet, au Jardin des Enfeus. (Tarif unique: 23€)

S’attachant plus que jamais à la variété des formes, le Festival présente des textes contemporains, au cours de la Journée des auteurs, qui se tient le dimanche 20 juillet à l’Abbaye Sainte-Claire. À 18h00, la lecture de l’Ile de Vénus offre l’occasion de découvrir l’écriture cinglante de Gilles Costaz, lue par Noémie Elbaz et Thierry Harcourt: une top-modèle et un savant sur une île déserte! À 21h00, après la traditionnelle assiette périgourdine, amour et humour sont aussi de mise dans le texte de Claude Bourgeyx: mis en scène et interprétés par Jean-Claude Falet, les échanges épistolaires d’Écrits d’amour nous touchent autant qu’ils nous amusent. (Tarif unique: 23€ – deux spectacles avec le même billet)

Le Doute s’installe au troisième jour du festival… Sur une scénographie jouant la carte de l’ombre et de la lumière, cette pièce, mise en scène par Robert Bouvier, également comédien, vient illuminer la nuit du lundi 21 juillet. Avec beaucoup d’humanité, et grâce à une intrigue alliant enquête et émotion, Doute parle d’éthique, de religion et de tolérance : à aller voir à 21h45, au Jardin des Enfeus, sans aucune hésitation… (Tarif unique: 23€)

Après la puissance esthétique et morale du Doute, résonne la prose poétique, absurde, sensible, presque suspendue de Marguerite Duras. Dans un florilège de textes méconnus de l’écrivain à succès, Claire Deluca et Jean-Marie Lehec mettent en scène et interprètent Duras, la vie qui va, un spectacle hors du temps, où la rencontre entre deux êtres exprime l’"extrême simplicité" à la manière de la dame Duras, qui aimait rire avec les spectateurs: ils sont les bienvenus le mardi 22 juillet à 21h00 à l’Abbaye Sainte-Claire. (Tarif unique: 17€)

Maniant avec talent le genre de la comédie mondaine, Oscar Wilde a su séduire ses contemporains. Sa pièce L’Importance d’être sérieux ne manque pas de nous faire rire en 2014 : ce sera le mercredi 23 juillet à 21h30 sur la place de la Liberté. Cette œuvre nous fait réfléchir, avec humour, sur les vicissitudes de la société victorienne du XIXe siècle, entre capitalisme et dandysme. Mis en scène par Gilbert Désveaux, le texte de l’écrivain britannique est d’autant plus grotesque et jubilatoire, soutenu par des comédiens pétillants qui n’attendent que vous! (Tarifs: première série – 29€, deuxième série – 25€, troisième série – 19€)

Et sans jamais se défaire de cette bonne humeur dont nous fait don le théâtre, le Festival clôt cette première série des festivités sur un spectacle mêlant le rire à la connaissance, la grimace à l’érudition, les cabrioles aux discours. En effet, Le gai savoir du clown est un OTNI, Objet Théâtral Non Identifié, répondant aux codes d’un nouveau genre : la conférence drolatique. Alain Gautré y retrace l’histoire du clown, du XVIIIe siècle à nos jours, faisant naître, sous nos yeux, l’hilarant personnage d’un clown savant: à retrouver le jeudi 24 juillet à 21h00 au Jardin des Enfeus! (Tarif unique: 19€)

Jean-Paul Tribout, chargé de la programmation du festival, attend les théâtreux, les amoureux des planches ou les curieux aux Rencontres de Plamon, tous les matins à 11h, rue des Consuls. Si ces conférences ne sont pas "drolatiques", elles sont l’occasion d’échanger librement avec les auteurs, les metteurs en scène ou les comédiens. En effet, les représentations de la veille et du soir y sont présentées par les équipes artistiques elles-mêmes! Les spectateurs sont ensuite invités par le Comité du Festival autour d’un apéritif, afin de prolonger dans la convivialité ces rencontres théâtrales.

Si vous voulez goûter à cette effervescence théâtrale qui envahit peu à peu la ville médiévale de Sarlat, vous pouvez louer vos places à la billetterie, située à l’Hôtel Plamon (rue des Consuls), ouverte jusqu’au 18 juillet de 10h00 à 12h00 et de 15h00 à 18h00, puis tous les jours, à partir du 19 juillet, de 10h00 à 13h00 et de 15h00 à 19h00.

Pour tous renseignements ou réservations, l’équipe du Festival vous répond au 05.53.31.10.83, dans l’attente de vous rencontrer bientôt devant les planches!

Il n'y a plus, maintenant que l'on a été si allègrement convié, à répondre aux invitations pour peu que l'on n'y ait pas encore songé...

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27 mai 2014 2 27 /05 /mai /2014 09:37
63es Festivités sarladaises

Du samedi 19 juillet au lundi 4 août 2014, comme chaque été depuis plus de soixante ans, Sarlat en Périgord va accueillir son festival de théâtre. Certes moins "en vue" que celui d'Avignon et que l'on n'invite pas au "20 heures national" ni à la "une" des grands journaux, qui n'a pas pour "partenaire officiel" France Culture et dont se détournent les projecteurs extrascéniques faute de scandale retentissant, de représentations marathons ou d’événements somptuaires – car si le théâtre aux mille visages, celui qui distrait comme celui qui fait réfléchir, et l’amour que lui vouent artistes et spectateurs sont bien au cœur de la cité, "le théâtre" n’en devient pas pour autant spectacle en soi, objet de scrutation enclin à toute extravagance pourvu qu’on parle de lui –, le festival périgourdin n'en jouit pas moins, auprès des professionnels comme du public, d'une réputation brillante, évidemment à cause de la beauté du cadre, mais surtout pour la qualité des programmations et sa dimension intimiste que lui donnent la chaleur de l'accueil et les contacts étroits qu'il favorise entre artistes et public. Il rayonne et resplendit à sa façon, à l'écart des grands tohubohus. Grâce à la diversité de ton, de registre, des pièces programmées et aux rencontres de Plamon qui chaque jour en fin de matinée permettent de présenter le spectacle du soir et de discuter de celui de la veille, chaque édition du festival séduit un large public mêlant touristes de passage et festivaliers de hasard au "noyau dur" des fidèles de plus ou moins longue date, grossi de quelques amateurs (très) avertis.
Le programme de ce 63e été théâtral à Sarlat est établi depuis longtemps et a été officiellement présenté lors d’une conférence de presse organisée le 7 avril dernier. Comme chaque année, j’ai amèrement regretté que les loisirs m’aient manqué pour me faire Sarladaise éphémère le temps d’y assister mais ces regrets ont été largement compensés par la gentillesse de Jean-Paul Tribout qui, reconduit dans ses fonctions de directeur artistique, m’a accordé comme chaque année une part de son temps pour m’offrir, au fil d’un entretien amical, sa présentation du programme – lequel est accessible en ligne sur le site du festival, fort bien conçu et à même de mettre en appétit, en toute concision, quiconque le consulte mais à quoi je préférerai invariablement la conversation vive, surtout avec un interlocuteur aussi disert et souriant…

C’était le dimanche 20 avril, à cette heure où les commerçants commencent de baisser leur rideau et les convives de gagner les salles à manger pour le repas de midi tandis que les maîtres-aux-fourneaux achèvent leurs ultimes préparatifs – de chaudes senteurs grésillantes flottent de tous côtés, le service dans les bistrots et restaurants va bientôt connaître le coup de feu mais, à la terrasse du Sancerre, il y a encore assez de quiétude pour que l’entretien se déroule sans trop de bruits intempestifs. Il a fallu "jouer serré" comme l’on dit car, à deux jours de là, Jean-Paul allait entrer en répétition pour son prochain spectacle – que d’ailleurs il présentera à Sarlat: Le Mariage de Figaro ou la folle journée.

Avant d’effeuiller date à date le programme, quelques considérations d’ordre général. Tout d’abord cette bonne nouvelle: si les subventions n’ont pas augmenté, au moins n’ont-elles pas diminué comme on aurait pu le redouter au regard de la crise persistante et des économies toujours plus drastiques demandées tous azimuts – ce qui, par les temps qui courent, équivaut en effet à une bonne nouvelle… Ce n’est évidemment pas synonyme de largesses budgétaires, loin s’en faut. Et Jean-Paul Tribout avoue franchement sa frustration de n’avoir pu programmer certains spectacles qui l’ont enthousiasmé; il n’en éprouve pas moins un profond et sincère attachement pour ceux qu’il a tout de même réussi à inscrire à l’affiche:
«Heureusement, j’ai pas mal de copains qui acceptent de faire des sacrifices quant à leur cachet et qui viennent quand même… j’ai évidemment beaucoup d’affection et d’estime pour les spectacles que j’ai invités mais il y en a d’autres que j’aurais aimé proposer aux festivaliers et auxquels j’ai dû renoncer par manque de moyens.»
La "carte" qu’il a concoctée cette année fait la part belle aux auteurs contemporains, mais n’en oublie pas moins ces piliers du théâtre que sont, par ordre d’apparition dans l’Histoire, Shakespeare, Marivaux, Beaumarchais, et Bertolt Brecht. Elle porte aussi l’empreinte de deux anniversaires clés que l’on commémore en 2014: le centenaire de Marguerite Duras – et du déclenchement de la Première Guerre mondiale…

SAMEDI 19 JUILLET. JARDIN DES ENFEUS.
Le Legs, de Marivaux. Mise en scène: Marion Bierry. Avec Bernard Menez, Valérie Vogt, Marion Bierry, Gilles Vincent Kapps, Estelle Andrea et Sinan Bertrand.
Dès le premier spectacle un petit feu de réminiscences croisées s’allume… Pour moi c’est d’abord un renvoi en 2008 – et à un enthousiasme pas terni du tout pour la mise en scène dont Filip Forgeau avait habillé, pour l’ouverture du festival en ce même jardin des Enfeus, La Dispute. Puis en 2010, où Le Préjugé vaincu avait été frotté à l’univers de Jacques Tati par Jean-Luc Revol. Pour Jean-Paul Tribout, le retour en arrière pousse un peu plus loin en amont:
"La première année où l’on m’avait confié la direction artistique du festival, j’avais proposé en ouverture La Seconde surprise de l’amour, avec dans la distribution une jeune comédienne qui s’appelait… Anne Roumanoff.
"Le Legs qui cette année fait l’ouverture est une pièce très courte, et Marion Bierry a eu la bonne idée de lui donner de la consistance en ajoutant des chansons qui sont des poèmes de Ronsard accompagnés par des musiques de Schubert. La distribution a une couleur un peu inattendue, grâce à Bernard Menez, qui apparaît ici assez décalé… Il m’a semblé que c’était là une jolie manière d’ouvrir le festival."

DIMANCHE 20 JUILLET. ABBAYE SAINTE-CLAIRE.
JOUR
NÉE DES AUTEURS
Deux spectacles pour un billet unique qui donne droit, en plus, à une Assiette périgourdine servie en guise de pause entre les deux: la Journée des auteurs, labellisée ou non SACD selon que ladite Société des auteurs apporte ou non son soutien à l’événement, est depuis longtemps un moment de choix dans le déroulement du festival. Moment hybride tenant à la fois des représentations traditionnelles et des Rencontres de Plamon, elle est, par cette hybridation même, comme l’emblème du festival, de ses vocations, et de son esprit.
18 heures
Lecture de L’Île de Vénus, de Gilles Costaz, par Julie Debazac et Thierry Harcourt.

J.-.P Tribout:

"L’auteur est aussi critique théâtral – on l’entend régulièrement au Masque et la Plume. Et cette pièce est assez amusante – disons qu’elle se situerait à mi-chemin entre La Petite hutte d’André Roussin et le Supplément au voyage de Cook de Giraudoux…"
19h30
Apéritif et Assiet
te périgourdine
Cet élément du programme se passe de commentaires…
21 heures
Écrits d’amour, de Claude Bourgeyx. Mise en scène et interprétation: Jea
n-Claude Falet.

J.-P. Tribout:

"Ce sera un spectacle cent pour cent régional: il est monté par une compagnie d’Aquitaine, et Claude Bourgeyx est un auteur bordelais. De plus, c’est un habitué du festival ; à la fin des années 90, j’avais invité Claude Piéplu qui interprétait des textes tirés d’un de ses recueils intitulé Les Petites Fêlures, et il était revenu en 2008 quand nous avions lu, déjà dans le cadre de la Journée des auteurs, quelques-uns de ses Petits outrages. Cette fois ce sont des Écrits d’amour – le titre parle de lui-même…"

LUNDI 21 JUILLET. JARDIN DES ENFEUS.
Doute, de John Patrick Shanley. Mise en scène: Robert Bouvier. Avec Josiane Stoléru, Émilie Chesnais, Jenny Mutela et Robert Bouvier.

J.-P. Tribout:

"…Malgré une couleur toujours bien aquitaine qu’on s’efforce de donner, les Jeux du théâtre de Sarlat n’est pas un festival régional, et encore moins un festival parisien… Chaque année il y a des compagnies qui viennent d’un peu partout, et celle qui monte cette pièce est implantée en Suisse, à Neuchâtel. Il y est question d’une école religieuse dont la directrice a des doutes sur les meurs d’un des prêtres-professeurs de son établissement, soupçonné d’avoir des relations coupables avec un de ses jeunes élèves. Mais elle n’a aucune preuve ; on est à la fois du côté de la rumeur et de l’intime conviction, dans la confrontation de deux volontés de bien faire… Et même si la pédophilie est au centre du propos, ce serait un contresens que de l’interpréter comme une pièce anticléricale ou antireligieuse… Je ne connais pas très bien l’auteur ; je sais juste qu’il est américain, qu’il a beaucoup vécu en Angleterre, et qu’il existe une adaptation cinématographique de Doute que je n’ai pas vue [le film, sorti en 2009, a été réalisé par John Patrick Shanley et compte Mery Streep parmi ses interprètes (N.d.R.)]. Outre que le texte est intéressant et qu’il soulève bien des problèmes – je pense qu’il y aura de vives discussions “de fond” le lendemain, à Plamon – l’interprétation est excellente. Je soulignerais la présence de Josiane Stoléru qui, peu connue du grand public, a une belle notoriété dans le monde du spectacle. Pour le côté people, on précisera qu’elle est la compagne de Patrick Chesnais…"

MARDI 22 JUILLET. ABBAYE SAINTE-CLAIRE.
Duras, la vie qui va, d’après des textes de Marguerite Duras. Adaptation, mise en scène et interprétation: Claire Deluca et Je
an-Marie Lehec.

J.-P. Tribout:

"Je ne suis pas personnellement un fervent admirateur de Marguerite Duras, mais Claire Deluca, qui est une amie et une excellente comédienne, est une fidèle de cet auteur – elle a joué ses pièces tout au long de sa carrière, elle a également été très proche d’elle – et, avec Jean-Marie Lehec, elle a monté un spectacle à partir de textes légers de Duras – or il n’y en a pas tant que ça… Elle avait réalisé ce montage du vivant de Marguerite Duras, qui lui avait donné son accord; les textes sont entrecoupés d’interventions de Claire qui évoque son amitié pour Duras. On sourit beaucoup: on est dans la légèreté, l’aphorisme, l’affirmation rigolote… on est amené à Duras par des chemins où on ne l’attend pas et je trouve que c’est un contrepoint intéressant à faire entendre aux spectateurs qui ne connaîtraient Marguerite Duras qu’à travers ses textes les plus célèbres et sa poésie."

MERCREDI 23 JUILLET. PLACE DE LA LIBERTÉ.
L’Importance d’être sérieux, d’Oscar Wilde. Mise en scène: Gilbert Désveaux. Avec Claude Aufaure, Clémentine Baert, Mathieu Bisson, Mathilde Bisson, Arnaud Denis, Emmanuel Lemire et
Margaret Zenou.

J.-P. Tribout:

"L’adaptation du texte est signée Jean-Marie Besset; je trouve qu’elle est particulièrement fine. Cette pièce a en français plusieurs intitulations (L’Importance d’être constant, notamment) dont chacune s’efforce, plus ou moins, de rendre le titre original qui joue sur l’homophonie d’un prénom, Ernest, et d’un adjectif, earnest. Il s’agit de deux jeunes gens qui s’inventent chacun un alter ego – l’un vit en ville et a un alter ego campagnard, l’autre vit à la campagne et a un alter ego citadin. Cela leur permet de vivre leurs fantasmes tout à leur aise, hors de leur milieu habituel. Deux jeunes femmes qui souhaitent épouser ces deux personnages sont aussi de la partie – on est dans un jeu de bisexualité, de séduction… chapeauté par une gorgone hallucinante, lady Bracknell – interprétée par Claude Aufaure. Outre sa qualité, je pense que ce spectacle a le mérite de faire entendre un texte d’Oscar Wilde très brillant qu’on ne monte pas souvent."

JEUDI 24 JUILLET. JARDIN DES ENFEUS.
Le Gai Savoir du clown. Conférence drolatique de et pa
r Alain Gautré.

J.-P. Tribout:

"On a là un “classique” du festival: la conférence-spectacle. L’auteur-interprète est un comédien clown qui a été formé chez Ducroux, et qui de plus est aquitain : sa compagnie est basée à Villeneuve-sur-Lot, donc pas très loin de Sarlat. J’ai vu ce spectacle en Avignon, et je le trouve de très grande qualité. Ce n’est pas une conférence universitaire: il raconte bien la naissance du clown, comment les clowns anglais ont détrôné les clowns italiens – il y a donc en effet une véritable information sur l’art du clown et son histoire, mais évidemment, ça dérape, et la conférence offre une très belle surprise dont bien sûr je ne dirai rien ! Et même si le clown pour nous est un personnage de cirque c’est au théâtre qu’il puise ses origines, chez les bouffons shakespeariens, et dans la Commedia dell’arte – et, avec ce spectacle, il (re)devient un personnage de théâtre…"

VENDREDI 25 JUILLET. PLACE DE LA LIBERTÉ.
Delicatissimo, un spectacle de La Framboise frivole. De et avec Peter Hens et Bar
t Van Caenegem.

J.-P. Tribout:

"Nous sommes là dans un genre très différent: il s’agit d’humour musical. La Framboise frivole est une compagnie flamande, qui propose un spectacle à la fois hilarant et savant, irracontable puisqu’il repose presque uniquement sur des effets visuels et auditifs. Il n’est pas nécessaire d’être un mélomane averti pour jouir du spectacle : sans identifier tel ou tel morceau, on a tout de même quelque chose à voir et à écouter – il y a vraiment plusieurs niveaux d’accès, et Délicatissimo peut toucher un très large public."

Cela me rappelle un de mes enthousiasmes sarladais les plus vifs mais ô combien inattendu: l'inoubliable Corps à cordes du Quatuor. J'aurais volontiers traversé la nuit tout entière à les écouter/regarder, touchée jusqu'au tréfonds par leur jeu et leur musique, moi qui pourtant, suis totalement "musiquignare" et dépourvue de toute "oreille musicale"...

SAMEDI 26 JUILLET. JARDIN DES ENFEUS.
Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort… d’après Andromaque, de Jean Racine. Mise en scène: Néry. Avec Nelson-Rafaell Madel
et Paul Nguyen.

J.-P. Tribout:

"Voilà un spectacle formidable! je suis allé le voir au théâtre Sylvia Montfort, sur la seule incitation du titre qui m’amusait beaucoup… et j’ai ainsi découvert ce collectif que je ne connaissais pas. Leur travail est remarquablement intelligent: à partir du texte de Racine, qui n’est pas de la première drôlerie, ils sont parvenus à monter une pièce qui s’adresse aussi bien à des enfants d’une dizaine d’années qu’à de savants universitaires chenus… On démarre en mettant le texte de Racine dans le contexte de la guerre de Troie – mais une guerre de Troie racontée de manière très ludique, avec des ballons qu’on perce… – puis, de là, on glisse vers l’histoire d’Andromaque et peu à peu, de glissements en glissements, extrêmement subtils aussi bien textuellement que plastiquement – les éclairages se modifient, le jeu avec les accessoires a aussi sa part de sens – les deux comédiens, car ils ne sont que deux, s’emparent des personnages de la pièce et se mettent à dire le texte de Racine d’une manière exceptionnelle. Je n’ai jamais entendu aussi bien le vers racinien qu’à la fin de ce spectacle."

DIMANCHE 27 JUILLET. PLACE DE LA LIBERTÉ.
Le Mariage de Figaro ou la folle journée, de Beaumarchais. Mise en scène: Jean-Paul Tribout. Avec Marie-Christine Letort, Éric Herson-Macarel, Agnès Ramy, Xavier Simonin, Claire Mirande, Pierre Trapet, Alice Sarfati, Jean-Paul Tribout, Thomas Sagols, Marc Samuel et Jea
n-Marie Sirgue.
Jean-Paul Tribout arborant la double casquette de comédien et de metteur en scène : voilà un plaisir dont il n’avait pas gratifié les festivaliers depuis 2012… Tout en me réjouissant de le revoir dans ses œuvres je m’étonne un peu de constater qu’il monte une pièce très connue d’un auteur qui ne l’est pas moins quand je m’étais habituée à le voir préférer des textes plus rares (Nekrassov, ou la seule comédie que Sartre ait écrite, par exemple)…
"Mais tu sais aussi combien j’apprécie le XVIIIe siècle!", m’a-t-il répondu. Et de me rappeler brièvement tous ces grands des Lumières qu’il a déjà mis en scène: Crébillon, Diderot, Marivaux… Quant à Beaumarchais, "c’est un personnage qui me séduit particulièrement, d’abord par toutes les facettes de son activité: horloger, professeur de harpe des filles du roi, agent secret, négociant avec le Chevalier d’Éon, marchand d’armes avec les insurgents d’Amérique et représentant officieux de la France qui ne voulait pas s’engager… et, au milieu de tout ça, quand il a un peu de temps, il écrit des pièces… dont ce Mariage de Figaro qui, pour moi, est un des chefs-d’œuvre de la littérature française. C’est une pièce exceptionnelle, que j’ai toujours eu envie de monter mais en me disant que je n’en aurai jamais les moyens, ne serait-ce qu’à cause de la distribution: il y aura en tout une douzaine d’acteurs. Or on m’a récemment permis de monter ce spectacle, et puis il se trouve qu’au début de ma carrière j’ai joué le rôle de Chérubin, dans un Mariage mis en scène par André Reybaz qui dirigeait à l’époque le Centre dramatique du Nord. J’ai commencé dans cette pièce, peut-être vais-je finir avec elle… mais le problème est qu’aujourd’hui, pour une question d’âge, il n’y a plus grand-chose que je puisse interpréter, à part le personnage de Bartholo, très secondaire certes, mais cela me permet malgré tout d’être sur le plateau avec mes camarades."

LUNDI 28 JUILLET. ABBAYE SAINTE-CLAIRE.
Contractions, de Mike Bartlett. Mise en scène et interprétation: Elsa Bosc e
t Yaël Elhadad.

J.-P. Tribout:

"L’auteur est un Anglais, qui a lui aussi vécu aux États-Unis et qui, dans cette pièce, pousse jusque dans ses extrémités une situation qui existe réellement dans certaines entreprises américaines, à savoir une clause dans le contrat d’embauche stipulant qu’un employé ayant une relation amoureuse ou simplement sexuelle avec un collègue doit impérativement en informer le service des Ressources humaines parce que en effet ça peut influer, en bien ou en mal, le travail qu’il effectue pour l’entreprise. La pièce se présente comme une succession d’entretiens entre une employée et la directrice des Ressources humaines ; elle est très dure, formidablement jouée mais, bien sûr, ne s’adresse pas au tout-public. Et, étant donné le sujet, entre autres le dilemme cornélien entre la nécessité de ne pas perdre son travail et le désir de préserver ses liens affectifs, ce sera sans doute un de ses spectacles qui alimentera de fortes discussions…"

MARDI 29 JUILLET. JARDIN DES ENFEUS.
Opus cœur, d’Israël Horovitz. Mise en scène: Caroline Darnay. Avec Jean-Claude Bouillon et
Nathalie Newman.

J.-P. Tribout:

"J’ai découvert cette pièce il y a plusieurs années mais sous un autre titre, Quelque part dans cette vie; elle a été créée en France par Pierre Dux et Jane Birkin. L’histoire est celle d’un professeur de musicologie qui est sur le point de mourir et qui a besoin d’une aide ménagère pour l’aider à traverser ses derniers mois. Et il se rend compte que la jeune femme qu’il engage est une de ses anciennes étudiantes, devenue aide ménagère parce qu’il l’avait recalée à plusieurs examens. Toute la pièce est construite sur les rapports qui se nouent entre ces deux personnages qu’un important passif sépare et elle est, elle aussi, superbement jouée."

MERCREDI 30 JUILLET, ABBAYE SAINTE-CLAIRE.
Qui es-tu, Fritz Haber? d’après Le Nuage vert, de Claude Cohen. Mise en scène: Xavier Lemaire. Avec Isabelle Andréani et
Xavier Lemaire.
Isabelle Andréani et Xavier Lemaire: deux noms pour moi associés à de mémorables et délicieux moments théâtraux aussi bien sarladais (Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, en 2008) que parisiens (Le Jeu de l’amour et du hasard, ma première rencontre avec la compagnie des Larrons au théâtre Mouffetard puis, voici trois ans, L’Échange, sur la scène du même théâtre, qu’ils m’ont rendu intelligible) – ce qui me conduira très certainement, sur la seule foi de ces souvenirs, compte (presque) non tenu du texte dont ils se sont emparés, sur les gradins de Sainte-Claire…

J.-P. Tribout:

"C’est le spectacle sur la guerre de 14-18, une remémoration dont la programmation de cette année ne pouvait faire l’économie…Mais cette pièce n’appartient pas à cette littérature des tranchées qui s’est développée dans l’entre-deux-guerres: le texte de Claude Cohen est paru en 2010. Fritz Haber et sa femme Clara [sa première épouse, Clara Immerwahr, qui se suicidera en 1917 après avoir échoué à empêcher son mari de poursuivre ses travaux sur les gaz toxiques (N.d.R).] sont un couple de chimistes allemands tout à fait réels, l’un et l’autre de très haut niveau – lui d’ailleurs a eu le prix Nobel de chimie en 1918 – et Fritz Haber est l’inventeur du gaz moutarde, qui a été largement utilisé pendant la Première Guerre mondiale. Tous les deux sont d’origine juive mais lui voulait tellement être intégré à la société allemande qu’il est devenu plus allemand que les Allemands. La pièce a pour cadre un dîner organisé en compagnie de plusieurs militaires allemands, après le succès du gazage des armées alliées. Lui est très fier, mais sa femme est scandalisée ; la dispute prend un tour moral, philosophique, et l’on voit se profiler des questions majeures : un scientifique peut-il, sous prétexte de servir son pays, utiliser tous les moyens ? Doit-il, dans la façon de mener ses recherches, tenir compte des éventuelles utilisations criminelles qui pourraient être faites de ses découvertes ou bien au contraire interrompre volontairement ses travaux pour ne pas risquer de voir se développer des outils abominables?… Il faut savoir aussi que Frantz Haber est l’inventeur involontaire du Zyklon B, le gaz qui sera utilisé dans les camps pour exterminer les juifs et dont il ne verra pas l’application puisqu’il est décédé en 1934. Et ce que soulève le problème des gaz toxiques vaut évidemment pour le nucléaire, de nos jours… Ce questionnement, à partir de personnages réels, qui ont réellement eu cette opposition éthique, prend une acuité toute particulière, surtout à la lumière de ce que l’on sait aujourd’hui sur ces gaz."

JEUDI 31 JUILLET. JARDIN DES ENFEUS.
La Vie de Galilée, de Bertolt Brecht. Mise en scène: Christophe Luthringer. Avec Régis Vlachos, Aurélien Gouas, Charlotte Zotto et J
éremy Braitbart.

J.-P. Tribout:

"Nous voilà avec une pièce connue d’un auteur connu… Lorsqu’on la monte en intégralité, elle doit durer dans les trois heures; ici, Christophe Luthringer en donne une version très raccourcie, mais avec beaucoup d’intelligence et d’habileté dans la mise en scène de façon à conserver les questions essentielles que pose la pièce. Ces questions, on les connaît… Galilée, mis en demeure d’abjurer ses théories sans quoi il sera brûlé vif, choisit d’abjurer; ses disciples prennent cela pour de la lâcheté mais grâce à cette lâcheté, Galilée va pouvoir continuer secrètement ses recherches et, surtout, faire passer ses connaissances. Alors vaut-il mieux faire le dos rond face aux autorités, feindre de plier mais poursuivre ce que l’on a commencé, ou bien s’opposer frontalement aux instances de pouvoir, tout en étant sûr de perdre la partie – des questions dont on peu supposer qu’elles se sont posées à Brecht lui-même en plusieurs occasions… Je connais bien le travail de Christophe Luthringer, mais j’avoue ne pas savoir comment il a abordé ce texte de Brecht ni quelles sont les coupes qu’il a opérées… Ce sera pour lui une première prestation sarladaise – une “première fois” qu’il bisse puisque le spectacle suivant a aussi été mis en scène par lui…"

VENDREDI 1er AOÛT. ABBAYE SAINTE-CLAIRE.
Jeanne et Marguerite, de Valérie Péronnet. Mise en scène : Christophe Luthringer. Avec
Françoise Cadol.

J.-P. Tribout:

"Cette fois, Christophe Luthringer s’est attaqué à un texte totalement contemporain, et il en a confié l’interprétation à sa femme. Une seule comédienne pour incarner deux femmes, l’une qui, au début du XXe siècle, écrit à la plume sergent-major à l’homme qu’elle aime, l’autre qui, de nos jours, surfe sur Internet d’un site de rencontre à l’autre… Des moyens différents mais, grosso modo, la préoccupation est la même : échanger avec un partenaire sentimental; ce qui compte n’est pas comment on correspond, mais ce qu’on écrit. Chaque lettre passe ainsi d’une époque à l’autre, pour aboutir à la fin sur une surprise que là non plus je ne révélerai pas. Mais je soulignerai quand même que c’est un spectacle très délicat, très fin, et formidablement joué."

SAMEDI 2 AOÛT. JARDIN DES ENFEUS.
Hamlet 60, d’après William Shakespeare. Mise en scène: Philippe Mangenot. Avec Rafaèle Huou, Olivier Borle, Émilie Guiguen, Gilles Chabrier, Philippe Mangenot
et Hervé Daguin.
Au seul titre, suivi par la mention "d’après Shakespeare", on sait tout de suite que l’on est dans le domaine de la revisitation, de la réappropriation nécessairement iconoclaste et plus seulement dans celui de la seule mise en scène avec ce que cela comporte d’adaptation et de lecture "très personnelle" de la part d’un metteur en scène aventureux – ou franchement culotté… plus du côté, pour rester dans les références sarladaises, d’Alexis Michalik qui avait fait de La Mégère apprivoisée une Mégère (à peu près) apprivoisée d’à peu près Shakespeare, indiquait l’affiche – que de celui des Sans cou qui avaient pourtant fièrement ébouriffé le monument shakespearien.

J.-P. Tribout:

"Philippe Mangenot et sa compagnie viennent de Lyon; le titre signifie tout simplement que Hamlet est ramené à une durée de 60 minutes – en réalité, c’est un peu plus long, mais il s’agit plus de signifier l’ampleur du raccourcissement avec un titre qui sonne bien que d’être exact d’un point de vue chronométrique… Le spectacle reflète son interrogation sur Hamlet, parce qu’il s’est rendu compte que d’une traduction à l’autre, c’était une histoire différente qui était racontée. Philippe Mangenot commence par nous resituer l’intrigue – bien sûr d’une manière non conventionnelle… – et puis peu à peu il “lève les lièvres shakespeariens” si j’ose dire : un élément après l’autre, il se demande pourquoi on le trouve sous telle forme chez tel traducteur, sous cette autre forme chez tel autre et ainsi de suite. Il nous rend témoins de toutes ces bizarreries, comme si la bobine du film était rembobinée puis redéroulée sous sa direction de metteur en scène un peu démiurge qui attire notre attention sur un certain nombre de problèmes que pose la pièce. Mais c’est bel et bien l’intrigue d’Hamlet qui nous est racontée ; il n’est donc pas indispensable de connaître parfaitement la pièce de Shakespeare pour profiter du spectacle qui par ailleurs est très amusant."


DIMANCHE 3 AOÛT. JARDIN DU PLANTIER.
Teresina, de Fabio Marra. Mise en scène : Fabio Marra. Avec Sonia Palau
et Fabio Marra.

J.-P. Tribout:

"Étant donné les contraintes “techniques” de ce spectacle – qui doit plaire aux très jeunes enfants comme aux adultes, supporter une représentation en pleine lumière puisqu’il est programmé en fin d’après-midi et pouvoir être joué sur des tréteaux puisqu’on ne peut pas installer d’infrastructures trop importantes dans le jardin du Plantier – on propose généralement de la Commedia dell’arte. Mais à s’en tenir là, on tombe assez vite dans une espèce de routine, qui risque de lasser, quelle que soit la qualité du spectacle… Teresina relève bien de la Commedia, mais c’est une pièce toute contemporaine, écrite par Fabio Marra et interprétée selon la technique de la Commedia sans pour autant être fondée sur les lazzis traditionnels. C’est amusant, fin, sensible, assez virtuose dans la forme – ils ne sont que deux à jouer, avec quelques marionnettes – et je suis sûr que tous les spectateurs, même les petits enfants, trouveront leur plaisir à suivre les mésaventures de Teresina, abandonnée par son mari après qu’il lui a fait un bébé…"


LUNDI 4 AOÛT. JARDIN DES ENFEUS.
La Bande du Tabou, cabaret Saint-Germain-des-Prés de Prévert, Vian, Béart, Kosma, Sartre, Aragon, Ferré, Gainsbourg... Création collective avec Claire Barrabès, Fiona Chauvin, Sol Espeche, Antonin Meyer-Esquerré, Pascal Neyron, Yoann Parize, Lorraine de Sagazan, Jonathan Salmon et Guillaume Tarbouriech.

J.-P. Tribout:

"Le Tabou est un lieu mythique de l’après-guerre, une de ces caves où l’on fait de la musique, probablement la plus célèbre, où tout le monde se rencontre pour danser, fumer, boire… Tous les artistes qui comptent à l’époque se sont produits là : Boris Vian, Juliette Gréco… et l’on y a aussi croisé les grands intellectuels, comme Sartre et Beauvoir. Et dans ce spectacle, on les retrouve tous! On chante, on danse, on discute… Ils sont une quinzaine sur scène, comédiens et musiciens, pour offrir un spectacle très énergique, qui m’a paru être un beau point d’exclamation pour conclure ce 63e festival de Sarlat."

En effet… ne dit-on pas d’ailleurs que "tout finit par des chansons"? Même une parenthèse théâtrale aussi plaisante, et d’aussi belle qualité que le festival de Sarlat. Et des chansons de cette eau-là sont bien de nature à éteindre un peu l’inévitable mélancolie qui accompagne toujours les clôtures. Mais n’anticipons pas sur cette dernière quand le lever de rideau est encore à venir…
Si l’on peut, depuis que le programme a été r
endu public, préparer tranquillement son "carnet de spectacles" il faudra en revanche attendre le 30 juin pour réserver ses places (la billetterie sera ouverte comme de coutume un peu avant à la seule intention des membres actifs, soit cette année, du 25 au 28 juin). D’ici là, rien autre à faire qu’être à la joie de l’attente – on sait bien qu’en matière de perspective heureuse, elle est ce qu’il y a de meilleur…

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  • : Terres nykthes
  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui
  • Entre littérature et arts visuels, à la poursuite des ombres, je cherche. Parfois je trouve. Souvent c'est à un mur que se résume le monde... Yza est un pseudonyme, choisi pour m'affranchir d'un prénom jugé trop banal mais sans m'en écarter complètement parce qu'au fond je ne me conçois pas sans lui

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