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5 octobre 2010 2 05 /10 /octobre /2010 17:09

Chaque jour qui s’écoule cède un peu de sa lumière aux ténèbres, jusqu’à ce qu’advienne la plus longue nuit de l’année – c’est l’automne.
Le ciel prend l’habitude de se plomber, les arbres se défont de leurs feuilles, on traverse la journée comme on regarderait un grand œil aux paupières lourdes être gagné par la torpeur d’un sommeil prochain – c’est l’automne.

Et tandis que la nature est occupée à s'endormir, le macrocosme éditorial est en pleine ébullition pour cause de "rentrée littéraire", une tradition établie depuis plusieurs décennies qui se caractérise par un afflux de livres tout juste sortis des presses dont beaucoup arborent un flamboyant bandeau "rentrée littéraire" comme si être publié entre août et octobre valait en soi sceau de qualité. Accompagnant cette déferlante, l'entêtante musique de fond des "prix littéraires" dont les jurys, bien avant de proclamer leurs lauréats, alimentent les médias de leurs "première sélection", "deuxième sélection" et autres "sélection finale", histoire de rester dans l'actualité jusqu'à ce que les résultats "tombent", avec plus ou moins de retentissement médiatique.

 

Bon an mal an ce sont plusieurs centaines de romans – pour évoquer cette seule catégorie livresque – qui paraissent pour la rentrée. Quelques-uns se tiendront longtemps sous les feux des projecteurs ou s’exhiberont des semaines durant en grand format au fil d’affiches géantes placardées ici et là, d’autres en revanche resteront sous silence parce que leur auteur n’est pas starifié à l’égal d’un Michel Houellebecq ou d’une Amélie Nothomb, ou bien parce que personne ne prend la peine de clamer haut et fort le bien qu’il en pense, ou encore parce qu’aucun jury ne l’a retenu dans ses présélections. Qui sera à la lumière et qui dans l'ombre: ce n’est pas toujours, loin s’en faut, la qualité littéraire qui décide… 

À l’hôtel de Massa, siège de la Société des Gens de Lettres, on ne se préoccupe pas de ces tapages ostentatoires. Les membres de cette prestigieuse association, tous écrivains eux-mêmes, consacrent une grande partie de leur temps à la défense des droits de leurs pairs et travaillent avec une égale ardeur à promouvoir les talents manifestes. Certes par l’attribution de nombreux prix et bourses mais aussi par l’organisation régulière de soirées publiques offrant une visibilité appréciable aux auteurs dont les ouvrages auront été remarqués par ces lecteurs avisés et sensibles dont le jugement n’est obscurci par aucun parasite d’ordre commercial ou médiatique. Et pour les Gens de Lettres, l’automne littéraire a les teintes virides des émergences prometteuses, décelées dans la profusion des nouveautés du moment.

 

Img_soireeSGDL2.jpg
La saison des événements ouverts au public en effet s’ouvre, d’ordinaire, par une "soirée premiers romans" et la rentrée 2010 n’a pas échappé à la tradition: le mercredi 29 septembre ils étaient cinq "primo-romanciers" rassemblés dans la salle Billetdoux autour de Jérôme Dayre, libraire à Atout livre à Paris. Cinq auteurs d’âges divers ayant chacun un parcours atypique, un rapport à l’écriture singulier – mais ayant tous en commun une passion pour la littérature inscrite en eux depuis leur plus jeune âge et qu’ils ont diversement assouvie… jusqu’à ce que prenne corps leur premier roman.
Avant que Jérôme Dayre n’entame le tour de table des invités, Pierrette Fleutiaux, présidente de la Commission des affaires littéraires de la SGDL, a longuement présenté les livres et leurs auteurs par une allocution extrêmement écrite – qu’elle a d’ailleurs lue plutôt que dite – où était tissé un lien conduisant d'un roman à l'autre et qui ressemblait à un itinéraire de voyage allant du fleuve à la mer en passant par les montagnes et la campagne… L’on était, déjà, pris par la main et entraîné.
Au cours de la soirée, il ne fut que peu question de la vie des auteurs; l'on parla surtout des romans
de leur genèse de leur construction, du point de vue narratif adopté – et de la façon dont le désir d'écrire a cheminé en chacun. Le propos fut littéraire et c'est véritablement la posture d'écrivain qui, à bien y regarder, fut au centre des échanges. Aussi dois-je préciser que les indications biographiques incluses ci-après proviennent toutes des notices rédigées par la SGDL et mises à la disposition du public à l'entrée de la salle.

 

Lionel Salaün a organisé sa vie de manière à se préserver toujours du temps pour écrire. Passionné par le blues, par le cinéma américain, il a peu à peu découvert qu’au-delà de la musique et des films il y avait des gens, une véritable "épaisseur humaine" et, tout naturellement, il a situé son premier roman au bord du Mississippi, dans un village du Missouri. Il paraît, à en croire Jérôme Dayre, que le texte a le rythme du blues et, aussi, celui du fleuve…

Lionel Salaün, Le Retour de Jim Lamar, Liana Lévi, septembre 2010, 232 p. – 17,00 €


Douna Loup – son nom de plume en témoigne
a pour la nature des inclinations qui, croisées avec une pulsion fictionnelle profondément ancrée en elle, ont abouti à ce roman étrange écrit à la première personne et dont le narrateur est un ouvrier qui consacre ses loisirs à la chasse. Il aime la traque en forêt, les réunions-bière avec ses amis chasseurs et voit, un jour, sa vie bouleversée par la découverte d’un cadavre. Mais là où vous attendriez un polar, on vous promet… quelque chose d’autre.

Douna Loup, L'Embrasure, Mercure de France, septembre 2010, 155 p. – 14,20 €


Karin Albou est scénariste et réalisatrice. Mais l’écriture scénaristique a des exigences qui frustrent ses désirs littéraires, et l’image lui semble impuissante à traduire certaines émotions. Elle a donc transposé en roman son moyen métrage Aïd el Kebir – c’est devenu La Grande fête. Dans une famille de la campagne algérienne, on prépare au mariage Hanifa, une jeune fille de 16 ans. Elle est amoureuse... mais pas de l’époux qu’on lui destine. Et puis elle a un secret bien lourd à porter, qui refait surface quand on trouve un cadavre d’enfant sur la plage. Tout en sensualité, le roman restitue certaines traditions en même temps qu’il brosse de beaux portraits humains.
Karin Albou, La Grande fête, Jacqueline Chambon, août 2010, 168 p. – 18,00 €

 

Lorsqu'il a fallu décider d'une voie à suivre pour ses études, Thomas Heams-Ogus a dû choisir entre littérature et sciences, son goût pour ces deux domaines que l'on tend à opposer étant d'égale force. Ayant estimé qu'il lui serait plus facile de se ménager du temps pour écrire des livres pendant qu'il étudiait les sciences il suivit donc un cursus qui fit de lui un enseignant-chercheur titulaire d'un doctorat en biologie sans que son attrait pour les Lettres faiblisse pour autant. Et lorsqu'au détour d'un essai historique traitant des années fascistes en Italie il lit une petite phrase, une toute petite phrase concernant des Chinois emprisonnés avec d'autres victimes de la répression mussolinienne mais au sujet desquels il ne dénichera pratiquement pas d'informations supplémentaires, c'est le déclic – l'amorce romanesque était là...

Thomas Heams-Ogus, Cent seize Chnois et quelques, Seuil, août 2010, 127 p. – 15,00 €

 

Claudie Hunzinger, elle, a étudié les beaux-arts puis s'est orientée vers une existence campagnarde qu'elle a relatée dans un livre paru en 1973. Dès les années 80, elle entame une recherche plasticienne autour du livre, de l'écriture arts plastiques, nature et langage sont à la base de son travail. Son premier roman ne puise à aucune de ces sources. C'est une fiction, mais entièrement construite à partir de lettres que se sont échangées, dans les années 30, sa mère et une de ses amies une amie très proche avec qui elle a vécu une relation très intense. Indirectement autobiographique puisque l'auteur a grandi en écoutant sa mère lui parler de cette amie, c'est un texte qui interroge la notion de "roman", d'engagement politique ou sentimental, autant que le statut du souvenir et de la mémoire dans le récit au-delà des thèmes plus fondamentaux que sont l'émancipation féminine et le contexte pour le moins troublé de l'entre-deux-guerres.
Claudie Hunzinger, Elles vivaient d'espoir, Grasset, août 2010, 252 p. – 19, 00 €

 

J’imagine sans peine la consécration qu’a dû représenter, pour tous ces "primo-romanciers", d’être distingués par d’autres écrivains puis réunis en ce lieu emblématique qu’est l’Hôtel de Massa. Être ainsi isolé des quelque sept cents romans publiés cet automne vaut déjà récompense. Puissent, dans la foulée, quelques prix leur échoir…

En ce qui me concerne, j’avoue n’avoir pas été convaincue par les extraits qui ont été lus. Au lieu de m’attirer vers les livres, les lectures m’ont cette fois détournée d'eux, brisant net la curiosité qu’avaient d’abord allumée les présentations puis le dialogue avec les auteurs. Presque tous les passages m’ont fait entendre des traits d’écriture qui m’ont déçue. Il m'a semblé déceler beaucoup de formules récurrentes dans le passage décrivant le hammam à travers le regard d’Hanifa qui n’avaient pas la grâce de la figure de style; puis j’ai eu le sentiment que le narrateur-chasseur de Douna Loup filait un peu lourdement la métaphore de la forêt-femme… Quant à la voix du jeune Billy (le narrateur du Retour de Jim Lamar), à laquelle l’auteur a opportunément donné les tonalités d’un niveau de langue oral et relâché qui convient, en effet, à un jeune campagnard du fin fond du Missouri – elle n’est pas de celles que j’apprécie en littérature. J’ai en revanche trouvé très belles les phrases lues par Claudie Hunzinger mais son "histoire de femmes" ne m’attire nullement. Restent les Cent seize Chinois et quelques de Thomas Heams-Ogus… J’ai été sensible aux phrases courtes, écrites en un présent qui m’a paru être d’éternité, dont est fait l’extrait que l’auteur avait choisi de lire. Et puis cette façon d’exploiter un infime point resté mystérieux dans une page d’histoire par ailleurs abondamment commentée et analysée m’a séduite. Alors, oui, ce livre-là, peut-être…


Mais au fait, que valent ces impressions superficielles générées par quelques phrases saisies à la volée en regard des avis émis par un collège de VRAIS écrivains relayés par un libraire passionné, qui tous ont lu les livres avec une minutie bienveillante et ont reconnu en eux des écritures de valeur? Rien, évidemment…

 

 

Soirée "Premiers romans" organisée le mercredi 29 septembre à 19h30 dans la salle Billetdoux de l'Hôtel de Massa  – 38 rue du Faubourg-Saint-Jacques 75014 Paris – présentée par Pierrette Fleutiaux, présidente de la Commission des affaires littéraires de la SGDL, et animée par Jérôme Dayre, de la librairie Atout livres (203 bis, avenue Daumesnil 75012 Paris. Tél.: 01 43 43 82 27)

 

NB Je profite de cette chronique pour répercuter les dates auxquelles vous pourrez rencontrer Lionel Salaün en librairie – informations glanées dans La Lettre du square, le bulletin mensuel que diffusent par voie électronique les éditions Liana Lévi:


– Le 9 octobre à 17h30: librairie L'Echappée Belle à Sète (7 rue Gambetta)

– Le 12 octobre à 19 heures: librairie La Voie aux chapitres à Lyon (4 rue Saint-Jérôme, 7e arrondissement)
– Le 13 octobre à partir de 17 heures: librairie L'Odyssée - Rêves de mots à Lyon (66 rue Duguesclin, 6e arrondissement)

– Le samedi 16 octobre au Mans, dans le cadre de la 25e Heure du Livre, il participera à un débat, à 16h45: "La représentations des Etats-Unis dans la fiction française"

– Le 26 octobre à 19h30: au Bistro des Tilleuls à Annecy (13 chemin des Prairies)

– Le 28 octobre à 19 heures: librairie Le Livre écarlate à Paris (31 rue du Moulin Vert, 14e arrondissement)

– Le 6 novembre à 15 heures: librairie Decître à Chambéry (75, rue Sommeillier).

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  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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