Je connais Marie-Annick Jagu depuis plusieurs années et
elle ne laisse jamais de m’étonner par les questions qu’elle se pose, sa façon d’aborder la peinture, le dessin, l’art en général, la relation à l’autre; par l’énoncé des sujets qu’elle propose à
ses élèves, par la nature des stages qu’elle organise – par exemple des sessions danse/dessin, ou des cours réunissant parents et enfants pour créer ensemble… Sa prochaine proposition est bien
dans cette tonalité, pour moi toujours sidérante – la sidération du profane, non-artiste: les 9 et 10 février elle invite dessinateurs et peintres à travailler avec, pour modèle, une
violoncelliste jouant de son instrument*. Rien d’inhabituel a priori dans cette rencontre dessin/musique; je sais que pour nombre d’artistes la musique est une compagne
de création dont ils ne sauraient se passer, et que, par ailleurs, un musicien avec son instrument peuvent être de très féconds sujets d’études ou de croquis. Mais quelque peu rompue à
l’enseignement de Marie-Annick, je m'autorise à penser qu'elle invitera plutôt à établir, par le dessin, la peinture, des liens et des analogies entre sons, couleurs, formes… Qu'elle suscitera
une synesthésie artistique si l’on veut, telle celle dont témoigne Rimbaud en assimilant chaque voyelle à une couleur. Et si d’aventure il y avait parmi les stagiaires un authentique synesthète
pour qui la correspondance entre différentes perceptions sensorielles – entendre des sons colorés, voir des couleurs sonores… relève vraiment d’une particularité neurologique, assez rare au
demeurant, et non d’un vagabondage poétique?
Mon imagination galope à simplement lire le bref texte de son annonce – avec nos habitudes de création, notre matériel, et une piste de travail commune, [renouveler notre façon de dessiner], écouter l’inattendu. Et voir comment chacun va avancer dans sa réalisation – même si je ne puis en aucun cas préjuger de la manière dont Marie-Annick ouvrira ce "workshop". Sans doute aura-t-on une grande liberté quant au choix des matériaux et des supports, quant aux orientations graphiques aussi. Dessiner en musique – l’alpha de la proposition, en quelque sorte –, dessiner la musique, raconter par le dessin l’histoire que l’on entend en soi au fil des morceaux joués, donner formes et couleurs à ses sensations, à ses réminiscences – à son intériorité plus qu’aux sonorités qui volettent… Mais je devine également des voies plus strictement plastiques: dessiner les gestes de l’instrumentiste, ses postures, traduire les rapports formels et chromatiques liant son corps à celui de son violoncelle, et ceux qu’ils entretiennent ensemble avec l’environnement… Et je suppose, encore, qu’un passionné de portrait sera fort inspiré par la vaste et subtile gamme d’émotions modelant le visage d’une musicienne en train de jouer.
Au passage, une précision d'ordre lexical: en fait de "stage" il s’agit d’un workshop… Intriguée par cet anglicisme figurant sur l’affichette et repris sur le papillon – non! pas flyer – qu’elle a diffusés par courriel quand la langue française dispose du très courant "atelier", et parce qu’elle m’avait habituée jusqu’alors à user des termes "atelier" justement, ou bien "stage", "cours"… j’ai interrogé Marie-Annick sur le choix de ce mot. Elle m'a expliqué qu’il appartenait au jargon artistique et avait, dans le domaine des arts plastiques, une signification équivalente à celle de la masterclass, la "classe de maître" telle que pratiquée dans l’enseignement de la musique ou du théâtre: un artiste confirmé, maître en sa discipline, prodigue ses conseils à un élève interprétant un morceau ou une scène qu’il aura préparé, et ce en présence d’un public. Elle a certes ajouté que workshop était plus facile à disposer sur un petit papillon que "atelier de création" mais, hors cet aspect purement pratique, je me dis que le choix de ce terme au sens si précis implique une intention particulière quant au déroulement des sessions…
Quoi qu'il en soit, la musique, et la présence même de la musicienne, laisseront dans les œuvres produites des traces. Et
discuter de ces traces, les identifier d’abord pour ensuite les suivre vers ce qu’elles révéleront de la créativité, de l’intériorité de chacun fera, très probablement, partie du stage – si j’en
juge par les quelques cours de Marie-Annick auxquels j’ai assisté: toujours ils se clôturaient par une petite réunion élèves-professeur où s’échangeaient commentaires plastiques touchant au
trait, à l’espace, au chromatisme, etc. doublés de remarques se rapportant à l’émotion, au regard, à ce qu’un geste créatif dit de la présence au monde… Et, à ce titre, ce workshop sera,
comme tous les cours Marie-Annick, une expérience "plus-que-plastique".
* Workshop musique/arts plastiques
Le samedi 9 février de 17 heures à 21 heures
Le dimanche 10 février de 15 heures à 19 heures
Tarifs: 90 € les deux séances, 50 € l'une.
Marie-Annick vous fournira toutes les informations que vous souhaitez au 06.85.67.25.44.
Atelier Grenelle – 7 rue Ernest Psichari, 75007 Paris. Métro: ligne 8, École militaire ou Latour-Maubourg.