... le pied de Lierre qui avait pris racine voici presque trente ans dans ces anciens entrepôts de la SNCF devenus, grâce au courage et à l’engagement d’une compagnie menée par Farid Paya, un lieu théâtral… qui fut bien plus qu’un théâtre. Le bâtiment sera démoli en juillet, l’on a amputé de trois dates l’ultime spectacle, Cendres – un solo chorégraphique de Gilles Coullet – mais la traditionnelle "exposition dans le hall du théâtre" restera visible jusqu’au 13 mai. C’est un ensemble de photographies argentiques noir et blanc, tirées sur papier baryté, dont certains petits formats laissent apparaître une infime langue de couleur, collée ou découpée, rappelant que l’artiste, Marie Bécheras, est aussi plasticienne. D’ailleurs, elle a nommé son exposition "Matière à… " Elle l’accompagne d’un petit texte mi-prose mi-poésie qui ne manque pas de… grain, par lequel elle tâche de cerner ce que photographier, et regarder, veut dire pour elle. Texte et photographies se soutiennent: ils sont, ensemble, "matière d’exposition".
Ce bref répit, qui court jusqu’au 13 mai, a un goût amer. Au Lierre, on ne s’est pas bercé d’illusion: les deux seules représentations accordées à Gilles Coullet les 27 et 28 avril ont été de vraies soirées de clôture, tristes évidemment mais festives malgré tout – il y avait foule, et l'on aura été "Lierre jusqu’au bout". En-cas et boissons circulaient tandis que spectateurs et artistes bavardaient, l’on pouvait encore acheter des livres, des DVD, ou bien se contenter de partir avec, en souvenir, l’une ou l’autre des affiches de spectacle qui étaient offertes.
Artisan-comédien-pédagogue, qui a travaillé la théâtralité
du mouvement, le mime, la danse Buto et contemporaine, le chant... s'est formé à l'Anatomie pour la Voix - les Abdos sans risques… et a assisté Farid Paya pour ses cinq dernières créations au
Théâtre du Lierre à Paris: ainsi se présente Joseph Di Mora. Il est un des piliers de l’équipe du Lierre et il sera un des derniers à quitter ce navire que les pouvoirs publics ont
indignement sabordé sans mettre à flot aucune chaloupe de secours pour accueillir ses occupants… Lors de la première soirée de clôture, dans un hall bondé où flottait le joyeux brouhaha des
conversations pleines de l’enthousiasme qu’avait suscité le fascinant, le merveilleux solo de Gilles Coullet, il a gravi les premières marches d’un des escaliers menant aux bureaux et a soudain
demandé un peu de silence: il tenait à dire quelques mots pour saluer la mémoire de ce lieu qu’il va bientôt falloir quitter après l’avoir vidé de ce que trente années de vie intense toute vécue
sous le signe de la création théâtrale et de l’ouverture au public auront déposé dans chaque recoin.
Personne ne s’y attendait, et lui non plus je crois jusqu’à ce qu’une impulsion subite lui fasse prendre le stylo et griffonner à la
hâte, sur un bout de papier récupéré au fond de quelque poche, une petite allocution simple et belle, comme tout ce qui vient du cœur, qui fut très applaudie. Et redemandée le
lendemain…
Avec son autorisation – et de menues retouches de son cru – je la transcris ici; il m’a semblé que c’était une façon juste de fleurir
les derniers jours du Théâtre du Lierre, 22 rue du Chevaleret à Paris…
Bonsoir,
Un théâtre doit avoir une âme. C’est difficile à expliquer et cela prendrait du temps. Mais si on construit de nouveaux
bâtiments culturels, en recherchant le confort matériel, ces lieux ne peuvent avoir ce même charme qu’ont ces endroits en partie improvisés qui sont marqués par le passé.
C’est pourquoi ici, ça n’a pas été refait avec des dorures, comme un majestueux écrin sculptural – l’âme, disais-je, en
aurait disparu!
On n’a pas cherché à cacher la transpiration des ouvriers qui ont travaillé dans ces anciens ateliers de la SNCF car les murs
ont conservé les rides, les espoirs, les souffrances de cette vie antérieure pour traverser les années et vibrer dans ce lieu théâtral. C’est pour ça que ce théâtre s’est adapté à tant de
situations difficiles – c’était fonctionnel et humain en même temps.
Ici, on n’a pas besoin de grands décors; les murs et l’acoustique originels du bâtiment suffisent à ouvrir l’imaginaire du
public. C'est le battement de cœur créatif, que l'on découvre en prêtant soigneusement attention au lieu – au genius loci, ou "génie du lieu".
Meri à tous ceux qui ont fait de ce lieu singulier "le théâtre du Lierre".
Vive le théâtre du Lierre…
Joseph Di Mora
"Matière à..." Exposition de phtographies
argentiques noir & blanc de Marie Bécheras, visible jusqu'au 13 mai 2011 dans le hall du Théâtre du Lierre, 22 rue du Chevaleret - 75013 PARIS