Farid Paya et sa compagnie, qui ont choisi pour nom Le Lierre parce que c’est celui d’une plante réputée opiniâtre, aux multiples vertus médicinales et dont les significations symboliques sont à l’avenant, ont investi en 1980 un vieil entrepôt désaffecté de la SNCF dans le quartier Masséna-Chevaleret, aux lisières du XIIIe arrondissement de Paris. Ils en ont fait un théâtre-lieu de vie et d’échanges qui s’est vite imposé comme un agent indispensable dans le renfort du tissu social et culturel local à travers les spectacles programmés et les nombreuses animations qu’ils ont développées à leur entour – conférences, rencontres… et surtout une action pédagogique continue sous forme de stages et d’ateliers aussi bien destinés aux amateurs, voire aux néophytes, qu’aux professionnels.
Pendant trente ans, Farid Paya et les membres de son équipe n’ont cessé d’agir en faveur des autres: tout au long des saisons ils ont accueilli d’innombrables compagnies, de non moins nombreux artistes à qui ils ont offert le hall de leur théâtre pour exposer leurs œuvres, et ils ont travaillé sans relâche à la diffusion de la culture, à l’éveil des consciences et des cœurs par de multiples initiatives menées en partenariat avec des associations de quartier, des institutions – par exemple l’université Paris VII-Diderot. Tout cela en montant leurs propres créations, basées sur des textes classiques ou originaux mais reposant toujours sur une conception du théâtre où danse et chant ont une part essentielle dans la dramaturgie.
À l’aube des années 2000 il fut décidé que ce lieu serait démoli: il se trouve en effet en plein dans une vaste zone promise à la rénovation. Mais le théâtre du Lierre, avait-on décidé, serait relogé, dans un "nouveau théâtre" bâti non loin de l’ancien, plus spacieux, mieux équipé – mieux adapté à l’accueil du public et aux activités de la compagnie. Je crois même que Farid Paya a été sollicité pour collaborer à l’établissement des plans. Mais tandis qu’approchait l’échéance du déménagement, les institutions se sont mises à mener la vie dure à la compagnie du Lierre. D’abord en diminuant régulièrement les subventions. Puis en laissant entendre que le "nouveau théâtre" ne serait pas celui du Lierre!
Alors les gens du Lierre se sont battus, de mille et une manières – de la pétition à la performance vivante devant le ministère de la Culture et de la communication en passant par des demandes de soutien tous azimuts adressées à des personnalités diverses. Ils ont lutté, avec force, détermination – et leur combat vire au sublime quand, envers et contre tout, malgré les adversités, ils élaborent en 2010/2011 une ultime saison de spectacles, certes restreinte mais qui permet aux compagnies À fleur de peau et L’Estampe de poursuivre leur résidence, à quelques autres de venir présenter leurs créations, et à des artistes d’exposer leur travail.
Lorsqu’en octobre je suis revenue au Lierre pour découvrir la
présentation de saison, je vis accrochées dans le hall deux photos montrant, à un mois d’intervalle, l’avancement de la construction du nouveau théâtre. Ils avaient donc enfin obtenu la garantie
que ce théâtre serait le leur! Hélas non: je devais apprendre que ces photos avaient été prises, et affichées, pour garder le moral – c’était juste une façon de "faire comme si" ces murs en train
de prendre forme allaient en effet les recevoir en septembre 2011. Et aujourd’hui, alors que le mois de janvier s’achève, les gens du Lierre, toujours en butte aux silences de leurs
interlocuteurs officiels – la Ville de Paris et le ministère de la Culture – commencent à se dire que ce "nouveau théâtre" ne sera jamais pour eux.
Mais ils continuent à s’indigner. Après tant de luttes échouées, c’est le dernier moyen qu’ils ont de crier qu’ils sont vivants. Et
qu'ils ne veulent pas mourir. Que pourrais-je faire pour eux de mon humble voix quand le poids des soutiens qu’ils ont reçus de tous côtés n’ont servi à rien? Juste cela, écrire ces quelques mots
pour leur dire une fois de plus mon estime, et reproduire ci-dessous, avec l’autorisation de Farid Paya et de Houda Zerki, chargée de communication, le texte du communiqué arrivé hier soir dans
ma boîte à courriel.
Communiqué de presse: Le Théâtre du Lierre va fermer ses portes
Pris entre deux feux – la Ville de Paris et l’État – le Lierre ne disposera plus d’un théâtre à partir de juillet
2011.
L’actuel Théâtre du Lierre, fondé par Farid Paya et la
Compagnie du Lierre en 1980, est voué à la démolition à l’été 2011. Il se situe dans la ZAC Masséna-Chevaleret, dans le XIIIe arrondissement. Juste à côté de ce théâtre qui va être démoli, la
Ville de Paris construit un nouveau théâtre, qui sera opérationnel dès septembre. Selon une décision prise en février 2003 par le Conseil de Paris, et confirmée maintes fois depuis, ce nouveau
théâtre a été conçu pour reloger le Lierre. Malheureusement, à cinq mois de l’échéance, la Ville de Paris n’a toujours pas annoncé à qui sera accordée la direction du Nouveau Théâtre.
La Ville de Paris se dit influencée par la décision
prise en novembre 2009 par le Ministère de la Culture (DRAC Ile-de-France) de déconventionner le Lierre sur cinq ans à partir de 2010. Seulement, la décision de la DRAC se veut motivée par le
fait que l’État ne veut pas financer un nouvel équipement de la Ville, à savoir le nouveau théâtre. Le Ministère maintient que c’est aux tutelles territoriales de soutenir un projet "local", donc
il se désengage. La Ville de Paris maintient que ce n’est pas à elle de suppléer au désengagement de l’État.
Le Lierre, une compagnie qui gère un lieu, est depuis
longtemps soutenu et par le Ministère de la Culture et par la Ville de Paris. Aujourd’hui, pris entre le marteau et l’enclume, il fait les frais du désengagement culturel de l’État et de la
rivalité entre l’État et la Ville de Paris.
En se désengageant du Lierre, l’État confirme sa
politique malthusienne récente qui consiste à réduire son soutien à tout ce qui n’est pas structure nationale. Il cherche à justifier sa décision en déclarant qu’un comité d’experts aurait donné
un avis défavorable sur la production du Lierre en 2009. Cette décision a été prise sans avertissement, sans preuve et sans appel. Vu les soutiens importants dont bénéficie le Lierre, un tel
jugement draconien paraît peu crédible.
En effet, le Lierre, essayant d’inverser la décision
de la DRAC et de dialoguer avec la Ville, a mobilisé plusieurs réseaux de soutien. Ceux-ci se sont exprimés de plusieurs manières :
- Une pétition signée par dix mille personnes.
- Des centaines de témoignages de spectateurs.
- Une lettre de soutien adressée à Frédéric Mitterrand par le Syndéac (Syndicat National des Entreprises Artistiques et
Culturelles).
- Des courriers adressés, tant à Frédéric Mitterrand qu’à Bertrand Delanoë, par une quarantaine de personnalités du monde de
la culture et du monde politique.
Ces efforts auront été vains. L’État maintient son
désengagement. La Ville, plus soucieuse de l’événementiel que du travail de fond, fait preuve d’une réelle difficulté à soutenir durablement les structures existantes. Le Lierre espère encore que
la Ville mettra fin à ses hésitations et qu’elle lui accordera le Nouveau Théâtre.
Sans cela, le Lierre pourra continuer à exister mais
seulement en tant que compagnie sans théâtre. Mais sans l’activité d’un théâtre, il sera vraisemblablement contraint de procéder à un licenciement collectif. Avec la fermeture du Théâtre du
Lierre, implanté dans le XIIIe arrondissement, déjà pauvre en équipements artistiques, ce n’est pas seulement une entreprise culturelle qui disparaît. C’est toute une équipe, une expérience, un
savoir et un public qui seront sacrifiés. Et des compagnies confirmées et inclassables qui ne seront plus accueillies…
La saison n'est pas finie, des spectacles et des expositions sont encore à voir d'ici juillet. Y assister est encore le
meilleur témoignage de soutien que le public puisse apporter à cette compagnie courageuse...
Théâtre du Lierre - 22 rue du Chevaleret, 75013 Paris. Tél.: 01.45.86.55.83