Comment prendre pied dans la journée qui commence quand, au réveil, on sort d’un rêve où l’on s’est senti mourir tandis que l’on implorait le destin de surseoir encore, le souffle court déjà et le lent engourdissement létal figeant le corps entier:
"Non! pas maintenant… j’ai encore tant de choses à faire…"?
L’on s’éveille pourtant, mais avec le sentiment aigu, plus aigu qu’il ne l’a jamais été même au plus noir des deuils, des peurs et des déprimes, que la mort est imminente, là derrière la porte de la chambre que l'on va bientôt ouvrir sauf à rester terré sous ses draps…
L’on s’éveille en effet, mais paralytique, vidé de tout désir,
déserté par toute envie de "faire" et même de penser, de mettre en branle fût-ce un seul neurone. Comme si réduire au silence son corps en ne bougeant pas et son esprit, son cœur – son âme – en
cessant de vouloir, de raisonner, pouvait en quelque manière stopper le cours du temps, ce flux mortifère qui entraîne vers l’abîme inexorablement, quoi qu’on fasse.
Croire cela est aussi naïf que de s’imaginer acquérir autant de sursis supplémentaires avant de rencontrer les ciseaux d’Atropos qu’on
laisse d’actes, de projets en suspens à la fin de chaque jour. Sans doute cette idée, qui relève de la superstition, est-elle à l’origine de toutes les procrastinations…
C’est du moins, au sortir de ce rêve, l’angle sous lequel j’ai regardé le monceau d’inachèvements en tous genres qui encombrent mes tiroirs, mes fonds de placards… et mes pensées. Projets ou objets, des choses commencées, entrevues, désirées puis laissées à l'abandon, inabouties – et bien cachées – se sont amoncelées, pourrissant à mon insu mais, au bout du compte, dégageant de ces fétidités auxquelles je ne peux plus rester sourde.
Cet éclair de lucidité me vaudra-t-il de ne plus "inagir" indéfiniment? Car enfin, il serait temps pour moi de comprendre – de comprendre vraiment, et non plus dans le seul ordre du raisonnement intellectuel qui en fait n’engage aucunement ma personne dans sa totale réalité ontologique, qu’au geste sécant de l’Impitoyable il n’existe aucune parade – ni prière, ni rituel propitiatoire… rien. RIEN. Et surtout pas ces minables expédients superstitieux auxquels je ne parviens pas à me soustraire.