Ils sont trois percussionnistes un peu magiciens sur les bords à frapper sur tout ce qui peut rendre son et cela leur va bien. Très bien même – ils sont chez eux dans cet échafaudage de métal auquel sont accrochés, telles des notes à une portée géante, toutes sortes d’objets en attente où d’authentiques instruments à percussion côtoient des ustensiles quotidiens que l’on n’attend guère dans un contexte musical – casseroles, louches, bidons… et beaucoup d’autres qui seront tirés de leurs recoins au fur et à mesure que les instrumentistes auront besoin d’eux.
L’on entre en spectacle comme en un concert qui juxtaposerait des séquences musicales puis peu à peu les morceaux évoluent vers de véritables sketches mimés – car pas un mot n’est prononcé, à l’exception d’une brève salve chantée aux accents incantatoires – structurés par une intention narrative dont deux sont particulièrement mémorables : une intervention chirurgicale sur un djembé, et une démonstration culinaire complète allant des prémices de la préparation – épluchage et pétrissage – à la dégustation en passant par la cuisson et le nettoyage des ustensiles…
Aussi bien que les morceaux joués sur les objets incongrus ces sketches sont l’occasion de surprenantes découvertes sonores. Non contents de montrer l'étendue de leurs influences culturelles à traves taïkos et djembés en même temps que leur aptitude à tirer musique de tuyaux et conteneurs de toute espèce, les trois artistes nous apprennent à écouter l’eau qui coule et gargouille en circulant d’un récipient à un autre, le claquement d’un gant de latex qu’on ajuste à sa main, le choc d’une lame de couteau sur la planche à découper, le son mat d’une boule de pâte que l’on aplatit sur sa paume... C’est une véritable révélation qui rend à ces bruits de tous les jours une densité qu’ils ont perdue à l’ouïe de la plupart d’entre nous qui, à force de les entendre, ne les entend plus vraiment.
N'offrirait-il que cette formidable découverte sonore que le spectacle vaudrait le détour. Mais il offre beaucoup plus. Les percussionnistes talentueux se doublent de mimes imaginatifs qui ajoutent aux gestes qu'exige la musique d'autres mouvements, comme pour raconter quelque chose autour des sons produits. À telle enseigne que les objets choisis pour résonner aux côtés des instruments traditionnels semblent l'avoir été autant pour leurs possibilités musicales que pour la gestuelle qu'ils permettent d'inventer. Par exemple, l'intérêt de la grande poubelle de plastique réside à la fois dans ce qu’elle donne à entendre lorsqu’on la frappe avec une baguette ou lorsqu’on rabat en rythme son couvercle, et dans les gestes qu’elle suscite – la basculer sur ses roues et la déplacer, la faire tourner sur elle-même et tourner autour d’elle, etc. Ces objets quotidiens sont utilisés tels quels, dans leur plus simple appareil serais-je tentée d'écrire. Ils n'ont subi aucune transformation; c'est la manière dont la théâtralisation a été pensée autour d'eux – mouvements, déplacements, jeu et lumières – qui les transfigure et valorise, du même coup, la musique.
Le son, le geste, le
jeu, la mise en lumière – magnifiques lumières, jouant admirablement du montré/caché et qui taillent de merveilleux reliefs au long des choses comme des corps mouvants – sont au
service l’un de l’autre en une cohérence sans faille.
L’Échafaudage est un spectacle brillant, savamment rythmé avec ses insertions de noirs et de silences, drôle parfois, aussi bien construit que la structure métallique supportant les
instruments et ordonnant la chorégraphie des percussionnistes que, pour un peu, on prendrait pour des araignées agiles évoluant sur leur toile à la géométrie parfaite.
L’Échafaudage
par la compagnie des
Percussions de L’Étable (ensemble à géométrie variable)
Conception
:
Georges Pennetier
Avec :
Carlos Blanco, Aurélien Falkowska et Georges Pennetier
Lumières :
David Ripon
Durée :
1h15
Trois représentations ont été données au Théâtre du Lierre – 22 rue du Chevaleret, 75013 Paris – les 18, 19 et 20 juin
2010.
NB – L’Échafaudage est une production de La Voix du Lézard, structure associative basée à Saint-Piat dans l’Eure-et-Loir. Les 23 et 24 juillet prochains, La Voix du Lézard organise les
troisièmes Rencontres Musiques Électroacoustiques, dans le cadre desquelles on pourra découvrir la nouvelle création des Percussions de L’Étable, Bruit blanc (pièce mixte pour
percussions, dispositif électroacoustique & peinture avec Serge Ondoua et Georges Pennetier).