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1 octobre 2011 6 01 /10 /octobre /2011 17:07

coursMA-TN.jpgLorsque j'avais assisté, en avril dernier, à l'un des cours avec modèle vivant que donne Marie-Annick le vendredi matin à l'atelier Grenelle, j'avais rapporté une vingtaine de photos numériques et une poignée de notes "télégraphiques" jetées à la hâte sur les pages d'un calepin. J'étais persuadée que j'avais saisi là, dans ces quelques phrases mal écrites, truffées d'abréviations et de signes cabalistiques, le plus important de ce qui s'était dit, de ce qui avait eu lieu. Car j'avais si fort tendu l'oreille et l'esprit aux explications du professeur, aux gestes du modèle, à la façon dont chacune des trois élèves présentes ce jour-là abordait le sujet proposé que je pensais pouvoir sans peine, à partir de ces notations lapidaires et de mes photos, restituer un récit qui vaille de cette séance dont je me sentais profondément imprégnée. Mais je réalise aujourd'hui que je l'avais "habitée" par le truchement de mon intention photographique et que cela a probablement interféré avec une mémorisation du cours qui eût visé la seule élaboration d'un texte. De plus, les mots ont, chez moi, beaucoup de mal à s'ajuster aux pensées, aux émotions – elles fulgurent et s'agitent sans cesse quand eux peinent, traînent, rechignent à les exprimer. La route est longue, âpre, du pensé au formulé. À telle enseigne qu’il s’écoule souvent des semaines, voire des mois – et encore, quand ce laps de temps ne se dissout pas dans l’inaccompli – avant que l’écriture soit.
Ce qui s’écrit aujourd’hui, si loin d’avril, est un curieux mélange où survivent les arêtes aiguës des indications purement plastiques qu’a données Marie-Annick, pointant à travers le tissu vague de mes propres souvenirs eux-mêmes brouillés par les rêveries nées lorsque, voici quelques jours, j’ai trié mes images pour ouvrir cet album. Parce qu'il me faut bien avouer que je ne me souviens plus des termes exacts du sujet qui a été proposé aux élèves… et je ne puis que reconstruire, me fiant à ces notes fragmentaires sur lesquelles j’ai eu tort de trop compter.

Ce vendredi de printemps le modèle est une jeune comédienne pratiquant la danse indienne, Geneviève. Elle a rencontré cet art par inclination – aucune de ses racines n’a poussé en Inde – et s’y est formée avec autant de passion que d’assiduité. Elle pose en tenue simplifiée, sans maquillage ni bijoux, vêtue d’un sari court de couleur violette drapé sur un corsage orange: le vêtement, ses formes, ses couleurs, participent de l’intérêt plastique qu’auront, pour le cours, les postures spécifiques de cette danse – qu'il ne s'agira pas de reproduire: avec Marie-Annick, l'imitation n'est pas de mise. D'ailleurs, Geneviève va poser de façon un peu particulière. Au lieu d'adopter l'une après l'autre des positions statiques elle choisit quelques enchaînements gestuels simples, empruntés à des chorégraphies plus élaborées, qu'elle répètera à l'identique pendant une durée que les élèves devront mettre à profit pour travailler, c'est-à-dire dessiner en tâchant de remplir au mieux l'espace de la feuille de papier. Non pas s'appuyer sur les poses dynamiques du modèle pour trouver un moyen d'interpréter le mouvement mais utiliser ce que leur dit le mouvement pour disposer au mieux dans leur feuille les dessins successifs nés de l'observation du modèle. C'est, du moins, ce qui me revient à l'instant où j'écris ces lignes, avec sous les yeux mes bribes de notes.
Comme toujours, l'ambiance est studieuse et conviviale; deux ou trois interruptions la ponctuent qui nous réunissent toutes autour de boissons chaudes, lentement dégustées pendant que les conversations se déploient. Pour ses dernières poses, Geneviève ajoute à sa tenue des bracelets de cheville garni de grelots qui, pendant les spectacles, marquent la cadence des pas, et peint l'extrémité de ses doigts avec une teinture vermillon, l'altha (orthographe non garantie...),  afin d'accroître la visibilité de ses mains. 


Trois élèves sont là; Elisabeth prend de grandes feuilles de papier blanc qu'elle scotche au mur – elle travaillera au fusain. Jacqueline et Catherine, elles, dessineront à plat. Elles s'installent à une table, la première avec du papier pelure et des pastels gras, la seconde avec des feuilles blanches et deux types de pastels, gras et secs. Quant à Marie-Annick, elle fera de l'aquarelle,  mais selon une méthode assez inhabituelle: elle fixe ses feuilles de papier... à la verticale, sur la grande vitre de l'atelier donnant sur la rue. Son choix est dicté par des raisons pratiques – Geneviève a besoin de place pour évoluer, si elle ajoute une table aux deux qu'utilisent Jacqueline et Catherine, cela risque de trop manger d'espace – autant que par un goût de l'expérimentation: elle s'intéresse beaucoup aux probables effets de coulure que la verticalité va générer...

Avant de véritablement entrer dans le vif de la séance, modèle et élèves s'échauffent: Geneviève enchaîne plusieurs poses courtes que les élèves tâchent de croquer, juste pour "se mettre en doigts" et sans trop songer à la "gestion des blancs" dont elles devront, ensuite, se préoccuper.
Les blancs: oui, je crois bien que c'était cela le cœur du sujet, sans quoi je n'aurais sans doute pas attrapé à la volée ces phrases par lesquelles Marie-Annick guidait ses élèves:

* Le "blanc", sur une feuille de papier, c’est deux choses: la séparation entre deux dessins, et un élément de composition en soi.
* Les papiers, aujourd'hui, sont blanchis au maximum; leur blanc intense "mange" le regard. Quand on choisit un papier blanc pour dessiner, il faut avoir cela bien présent à l'esprit. Surtout qu'en dessinant, on a les yeux fixés sur son dessin et on  ne voit plus les blancs. Or ils sont une donnée fondamentale de la composition, il faut apprendre à les voir et à en tenir compte dans son travail.
* Quand on commence à dessiner, qu’on est en échauffement, on n’a pas besoin de trop mesurer les blancs puisqu’on ne travaille pas la composition.
* À partir du moment où on a déjà tracé quelque chose sur sa feuille , on doit poursuivre son travail par rapport à ce qui existe, et rester en dialogue avec ça. C’est le papier qui doit guider le travail. Par exemple: je trouve que j’ai un blanc trop important sur ma feuille; je vais utiliser la pose du modèle pour combler ce blanc . Réfléchir ainsi amène un autre regard que si on part avec l’idée de dessiner la pose en elle-même sans tenir compte de la place de ce blanc.

 

Au vu des conditions de luminosité, je décide de n'utiliser que mon appareil numérique. Je n'ai pas de pied et mon film argentique est trop peu sensible pour que je puisse travailler à main levée et obtenir un "piqué" suffisant. J'observe d'abord les poses, la disposition des élèves dans la salle, je tourne et vire afin de trouver les emplacements d'où je pourrai photographier sans gêner personne – moi aussi je m'échauffe.
J’essaie de saisir le rapport entre le mouvement du modèle et le dessin des élèves, puis je m’intéresse au geste qui dessine ou peint dont la vitesse se traduit, sur la photo, par d'intéressants effets de flou drapé qui entretiennent un rapport graphique avec la mobilité du modèle et ce qu'en expriment les élèves. De temps en temps, je capte des images annexes – des transparences qui jouent dans les pots en verre posés près de la fenêtre, remplis d’eau, où Marie-Annick trempe ses pinceaux; des rappels de couleurs ou de lignes entre différents objets…
Vues d’atelier.


À la fin de la séance, Geneviève se retire et emporte ses accessoires; Elisabeth, Catherine, Jacqueline et Marie-Annick rassemblent leurs feuillets qu’elles rangent après avoir vérifié que leurs travaux étaient bien secs tout en échangeant leurs impressions, leurs avis quant aux résultats qu’elles ont obtenus. Elles vont, viennent, une agitation tranquille ondule dans la salle – mes yeux s’arrêtent sur les feuilles de papier que l’on manie à grands gestes amples. Les formes virevoltent, se posent. Pas d’exactitude figurative – un pied tout d’un coup, énorme, jouxte la fine silhouette d’un corps entier lui-même tracé tout près d’admirables mains aux doigts étirés comme s’il émergeait de la corolle formée par les paumes… les voisinages à la surface d’une même feuille créent des lignes et des plans "a-réels" et pourtant je ressens, de manière très aiguë, que l’essence de ce qu’a montré le modèle en mouvement est là, dans le travail de chacune, dans une resplendissante évidence transparaissant sous les divers aspects offerts par les dessins. Elles sont parvenues à juxtaposer des "moments de regard" qui à chaque fois ont arraché au réel une écaille pour la réinterpréter au pinceau, à la craie, au crayon… En embrassant les compositions dans leur totalité, on voit s’effacer le dessin particulier, d’un pied, d’un corps, d’une main au profit d’un jeu subtil de couleurs et de formes qui, se complétant l’une l’autre, s’inscrivent harmonieusement dans la feuille de papier et y transposent l’empreinte qu’ont laissée dans l’œil et l’esprit de l’artiste les mouvements du modèle. Un instant absente, je demeure rivée à cette feuille sur laquelle je vois flotter, dans un lavis gris mauve, dix petites taches rouges; c’est, pour moi, l’image très exacte des doigts de Geneviève une fois qu’elle en eut maquillé les extrémités à l’altha. Le vermillon suffit à parler; c’est un signe puissant qui rend inutile de dessiner doigt ou main pour les représenter.

Je mesure, une fois de plus, combien la distance est immense entre représentation et imitation – c’est, je crois, dans cet écart que gît le sens du mot "art". Un écart que Marie-Annick apprend à investir de mille manières, à chacun de ses cours.  

 

Cours de modèle vivant avec Marie-Annick, le vendredi matin entre 9h30 et 13h30 à l'Atelier Grenelle (7 rue Ernest Psichari - 75007 Paris). L'après-midi, la séance de 14h30 à 16h30 invite à la création libre.
Renseignements et tarifs au 01.47.53.97.54

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  • : Ce blog au nom bizarre consonant un rien "fantasy" est né en janvier 2009; et bien que la rubrique "archives" n'en laisse voir qu'une petite partie émergée l'iceberg nykthéen est bien enraciné dans les premiers jours de l'an (fut-il "de grâce" ou non, ça...) 2009. C'est un petit coin de Toile taillé pour quelques aventures d'écriture essentiellement vouées à la chronique littéraire mais dérivant parfois - vers où? Ma foi je l'ignore. Le temps le dira...
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