C’est d’abord un mot sur lequel on
butte et que l’on retourne dix fois dans sa tête comme on mâcherait jusqu’à liquéfaction une bouchée de nourriture qui dégoûte mais que l’on ne peut ni recracher ni déglutir. Il finit par perdre
sa couleur, sa forme… il s’affaisse et meurt – on le jette vite parce que, même mort, on lui trouve des relents de poussière mal viellie. À sa place un vide se creuse que l’on ne sait pas combler
et c’est toute la phrase qui est éliminée. Rien de grave : l’on a souvent entendu dire que rien ne valait la concision et qu’une écriture directe, sans fioriture, était une démonstration de
maîtrise de la langue. Donc voilà le propos qui s’amenuise, se resserre. Mais sans gagner en force. Au contraire il s’anémie. Et l’on ne parvient pas à replâtrer cette façade désolée (désolante
aussi, d’ailleurs). Chercher un mot s’apparente de plus en plus à une immersion dans une fosse pleine de boue.
Alors s’installe une affreuse sensation d’étouffement. Ce sont de vicieuses coulées de sable qui envahissent le
cerveau ; les pensées suffoquent, mangent la poussière sablonneuse, et le corps tout entier ploie sous la défaite. On commence par redouter d’esquisser le moindre geste – si, au lieu d’apporter
le filet d’air salvateur, ce geste venait à accroître le dégoût de soi en train de monter comme la marée d’équinoxe et à aggraver la suffocation ? Immobile, on croit se préserver mais l’on
continue d’étouffer. La peur de risquer un mouvement croît. Et puis l’on se tasse davantage dans cette immobilité qui enfonce toujours plus loin dans l’angoisse – là où tout se fige. C’est
l’engourdissement, l’aride impuissance à écrire et penser qui ferait hurler si elle n’avait pas pour effet premier de réduire au mutisme.
Et ces quelques mots d’annuler, par leur seule existence, ce qu’ils tentent d'évoquer.