Cache-poussière
Chaque jour je songe à ces pages délaissées, où plus rien n’est écrit que des bribes parce que chaque jour se répète en moi ce même refrain d’impuissance et de vacuité. C’est une vraie douleur que de ne pas pouvoir écrire, que de ne plus être capable de mettre les mots en adéquation avec ce que l’on ressent alors même que, de cette "traduction", on a longtemps fait l’ordinaire de sa joie… S’agit-il de "chroniquer" un livre, d’évoquer une émotion, une chose vue? Il me semble que, l’un après l’autre, les mots tracés tombent et se brisent au bord du sens que j’essaie vainement d’exprimer – tel le pied glissant sur le trottoir qui précipite le marcheur à terre.
Je ne sais plus user du langage autrement que de manière ustensilaire. Le "passe-moi le sel" de l‘écriture. Rien qui vaille une incursion dans cet espace que je me suis ouvert, croyant avoir quelque disposition pour autre chose que de l’ustensilaire. À force de ne plus le visiter, il finira par ressembler à ces villes fantômes que l’on voit si souvent dans les westerns, parcourues par des bourrasques de vent roulant des buissons crevés dans des volutes de poussière et de sable sec.
Oh, je pourrais y publier régulièrement un "petit quelque chose" histoire de ne pas le laissser mourir tout à fait – par exemple suivre les traces de Jean-Claude Lalumière qui, depuis peu, met en ligne sur son blog des "Fragments biographiques". De petites phrases faussement simples, qu’un je-ne-sais-quoi intensifie et qu’un commentateur a comparées à celles de La Minute de monsieur Cyclopède – en effet je trouve à ces fragments quelque chose qui rappelle le visage impassible de Pierre Desproges. Mais je n’ai pas comme lui la maîtrise de la brièveté juste, et encore moins l’art – car c’en est un – de rendre signifiants deux ou trois termes judicieusement associés qui se suffisent à eux-mêmes au milieu d’une page blanche. Bloguer ainsi quotidiennement serait, en ce qui me concerne, une feinte, un gros mensonge que je me raconterais – croire que je peux "écrire"… Or je n’ai jamais apprécié la feinte.
Alors tant pis. Vogue le désert. Et ses dunes. Et ses tempêtes qui dessèchent, poussant devant elles les pages vides: cela au moins est l’authentique reflet de mes aptitudes véritables et de ce à quoi aboutissent mes intentions scripturales…